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Antoinette Fouque, co-créatrice du MLF

Mon amie Antoinette Fouque, co-créatrice du MLF
 
En avril 2007, au Salon du Livre de Paris, je tombe sur Sorj Chalandon qui me présente aux deux personnes avec lesquelles ils papotent.
— On adore votre mari, me disent-ils. D’ailleurs lorsque nous avons proposé un documentaire sur Mai 68 à Canal +, ils nous ont répondu qu’ils le produiraient à la seule condition que ce soit Philippe Harel qui le réalise.
— Il est là, Philippe, je vais lui dire de nous rejoindre.
Trois jours plus tard, j’accepte un rendez-vous chez Canal pour mon mari qui n’a pas envie de faire ce documentaire. Pour l’encourager à accepter cette commande, je l’accompagne, un peu comme une maman qui accompagne son ado chez le dentiste. Au bout d’une heure, je m’ennuie.
— Bon, ben, je crois qu’on s’est tout dit, nous allons y aller parce que, moi, Mai 68, je n’en ai rien à foutre, j’ajoute un peu bêtement comme une enfant gâtée qui veut aller jouer.
— J’adore votre point de vue, me lance la personne en charge de la production du documentaire, je veux que vous soyez co-auteur.
— Vous ne voulez pas plutôt un co-auteur qui soit intéressé par le sujet, je questionne, étonnée que mon point de vue de ne rien en avoir à foutre, l’intéresse.
Les contrats signés, nous commençons les interviews et là, je me passionne pour le sujet, notamment lorsque nous rencontrons André Comte-Sponville et Boris Cyrulnik qui nous explique qu’avant Mai 68, les étudiants venaient chercher du savoir et qu’après Mai 68, ils venaient chercher un diplôme. Dans nos recherches, je tombe sur un portrait d’Antoinette Fouque dont je n’avais jamais entendu parler. Immédiatement, je demande aux producteurs d’organiser un entretien.
— Non, me répondent-ils, nous ne l’aimons pas.
— Je m’en fiche que vous ne l’aimiez pas, je suis co-auteur, je veux l’interviewer, je vous remercie d’organiser le rendez-vous.
La semaine suivante, nous pénétrons, mon mari, l’excellent Édouard Waintrop, l’autre co-auteur, spécialiste de cette époque, l’ingé-son, le chef-op et une maquilleuse que mon mari avait exigée afin que chacun des intervenants soit beau à l’image, dans l’hôtel particulier tout blanc d’Antoinette Fouque, rue de Verneuil, en face de celui de Serge Gainsbourg.
Antoinette est sur une chaise roulante. Elle souffre depuis longtemps d’une maladie qui diminue son corps. Mais sa tête est là. Et quelle tête ! C’est un bonheur de l’interviewer. Le lendemain, Élisabeth qui s’occupait d’elle me téléphone :
— Antoinette aimerait vous revoir, quel jour voulez-vous venir déjeuner ?
C’est ainsi que notre amitié est née. Elle adorait également mon mari. Régulièrement, Antoinette m’appelait pour me questionner sur des tas de sujets concernant, bien sûr, les femmes. Nous parlions des heures. C’était toujours enrichissant. Chaque fois que je sortais un roman, Antoinette m’offrait une soirée pour deux cents personnes dans son Espace des Femmes, rue Jacob, situé derrière sa Librairie des Femmes. Antoinette a été la première à créer des livres-audio afin que sa maman calabraise qui ne savait pas lire ni écrire, ait accès à la littérature. Elle a fondé sa maison d’édition Les Éditions des Femmes pour que les femmes opprimées du monde entier ait un endroit où elles pouvaient s’exprimer et laisser une trace de leur combat sans but de rentabilité financière.
— Il faut absolument faire un documentaire sur votre parcours, Antoinette, je lui dis un jour, mon mari le réalisera, moi, je l’écrirai.
— J’ai déjà accepté un portrait pour Arte, il va bientôt être mis en production.
Quand celui-ci est fini, Antoinette nous invite à le visionner.
— Okay, je lui dis, c’est très bien qu’il existe, mais vous méritez mieux, Antoinette, votre voix doit circuler dans toutes les facultés françaises et étrangères afin que personne ne vous oublie. Il faut garder une trace et transmettre toutes les actions que vous avez menées dans le monde entier avec vos correspondantes notamment africaines, pour la protection des femmes.
J’aimais aussi quand Antoinette m’expliquait que MLF voulait dire Mouvement de Libération des Femmes qui incluait également les hommes, comme lorsque l’on dit les Hommes, on inclut évidemment les femmes. Pour elle, la libération des femmes et donc des hommes passait par en premier lieu par la libération sociale afin d’améliorer la vie des ouvriers, elle souffrait qu’une grande partie de la population soit esclave des usines, à passer leur vie sur des chaînes sans grand espoir, ni salut.
En 2012, je sens une urgence. Toujours mon intuition.
— Antoinette, il ne faut plus perdre de temps, on doit faire votre documentaire maintenant, d’autant que vous avez des centaines d’heures d’archives à consulter.
— D’accord, mais je veux qu’une télévision le finance.
— Aucune télévision ne le financera, Antoinette, le lui réponds. Les décideuses ne vous aiment pas. Pour trois mille raisons. Celles de la génération en-dessous de la vôtre qui sont encore en poste, vous en veulent, et les plus jeunes ne vous connaissent pas. Vous avez la chance d’être riche, vous le financerez vous-même. Nous ferons également une version anglaise pour les universités américaines où vous avez enseigné.
Antoinette était immensément riche. Une famille française lui avait donné un magot, lorsqu’elle était jeune, qu’elle avait su faire fructifier, et qu’elle avait mis dans ses actions pour aider les femmes, pour créer également sa librairie et sa maison d’édition.
Pendant deux ans, j’ai seriné Antoinette qui repoussait toujours le projet.
Le 21 février 2014, j’entre à la Divina Commedia, le restaurant italien de nos amis Bruno et Léonardo, quand Isabelle Huppert me téléphone.
— Sylvie, tu veux que l’on aille ensemble à l’enterrement d’Antoinette ?
Je m’écroule en larmes. Je laisse mon mari et rentre chez moi pour pleurer la perte de mon amie, la perte de la transmission de son savoir, la perte d’une grande dame que j’ai eu la chance de fréquenter.
Antoinette Fouque est dorénavant oubliée pour l’éternité. Sa voix, sa pensée, son vécu, son expérience, ses actions, manquent énormément aujourd’hui où les mouvements féministes sont dans la haine des hommes. Ce que n’était pas Antoinette, elle était dans l’amour. C’est d’ailleurs cet amour de l’amour des hommes et des femmes qui nous a réuni.
 
Sylvie Bourgeois Harel
Antoinette Fouque, co-créatrice du MLF
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SHORT ROUGE

SHORT ROUGE

Nous sommes en février 2007. Il pleut. Il fait froid. Dans la vitrine parisienne du magasin Diesel, à deux pas de chez nous, à Saint-Germain-des-Prés, mon mari voit sur un mannequin un short rouge, taille haute, très bien coupé, dans un joli coton épais.

– Qu’est-ce que tu serais belle avec ce short rouge, me dit-il, viens, je te l’offre.
– Merci, je lui réponds, mais ça ne m’amuse pas d’acheter un short d’été au mois de février.

C’est mon côté enfant, dès que j’ai un vêtement nouveau, je veux le porter immédiatement, donc compliqué de porter un short rouge en plein hiver.

– Et puis, il est trop cher pour un short, j’ajoute.
– On s’en fout, il est beau.

Mon mari me prend par la main et m’entraîne dans le magasin.

La taille 34 que je fais est sur le mannequin en vitrine. Je dis à la vendeuse qui veut le déshabiller, qu’il n’y a pas d’urgence, nous habitons à deux pas, nous reviendrons. Mon mari est terriblement déçu que je ne veuille pas essayer ce short rouge qui lui plaît temps. Depuis trois ans que nous nous connaissons, alors qu’il est plutôt un intellectuel sombre et pessimiste, il adore faire les magasins avec moi et m’acheter plein de vêtements. Ça l’amuse de jouer à la poupée avec moi, je crois. De mon côté, je dis toujours oui, j’adore les habits. Mais là, je ne sais pas pourquoi, je ne veux pas de ce short rouge. Et rien ne peut me faire changer d’avis.

Le temps passe. Régulièrement, mon mari, qui est en préparation de son nouveau film, me demande si je suis allée chez Diesel acheter le short. À chaque fois, je lui trouve une excuse bidon : c’était fermé, je n’ai pas eu le temps, j’irai demain. Il se propose alors de m’accompagner le prochain samedi quand il aura du temps. Mais je refuse. Je n’arrive pas à me l’expliquer, je suis littéralement contre cet achat. Et puis, je me trouve trop vieille pour le porter.

Début mai, nous arrivons à Saint-Tropez pour le tournage du film de mon mari qui débute le lendemain. À peine le taxi nous dépose au Pandaï Palais, l’hôtel où nous devons séjourner pendant deux mois, mon mari repère la boutique Diesel.

– Super ma chérie, allons acheter ton short rouge.

Je l’essaye, en effet, ce short me va hyper bien. Mais je n’en veux toujours pas. Sans aucune raison.

– Et ne t’avise pas de me l’acheter en cachette, je dis assez autoritairement à mon mari en sortant de la boutique, ça ne me fera pas plaisir, je le rapporterai immédiatement.

Je ne sais pas pourquoi, je fais une fixette sur ce short alors que j’adore les shorts, les habits, les cadeaux, mais ce short rouge qui me va pourtant divinement bien avec sa taille haute, je n’en veux pas.

Voyant que mon mari affiche une mine toute triste, je m’adoucis.

– Ce short, c’est un attrape-mecs, je lui dis, comme je ne vais pas te voir pendant tes deux mois de tournage, je ne veux pas le porter toute seule, sans toi, dans Saint-Tropez. Si tu veux me l’offrir, il faut que tu m’offres la semaine de vacances qui va avec, je le taquine sachant que c’est impossible, après les deux mois à Saint-Tropez, il a encore quatre semaines de tournage à Paris, puis trois mois de montage.

Dix jours plus tard, l’un des acteurs principaux attrape dans la mer une pneumo-bronchiolite. Le médecin des assurances du cinéma arrive en urgence de Paris par le premier avion. Verdict : le tournage doit être arrêté pendant deux se-maines. C’est une catastrophe. Les villas, les yachts, les places au port, les hôtels, ont été loués à dates fixes. C’est impossible de tout repousser aussi longtemps. Le tournage peut être arrêté une semaine, mais pas deux. Deux semaines, c’est la mort du film qui serait immédiatement mis en sinistre.

Le comédien adorable essaye de négocier avec le médecin. Il veut un traitement de cheval afin d’être d’attaque dans une semaine. Celui-ci accepte. Il reviendra dans sept jours pour décider de son état de santé et du sort du film.

En sortant de sa réunion avec la production, mon mari d’un calme olympien par rapport à l’arrêt de son film me prend la main :

– La voilà, Sylvie, ta semaine de vacances. Viens, on va acheter ton short rouge.

Vu la situation, je ne peux rien dire. On arrive chez Diesel et là, boum patatras, la vendeuse nous annonce que la taille 34 a été vendue. J’essaye le 36 mais il est trop grand. Désolée, je me tourne vers mon mari qui est assis, la tête dans les mains, catastrophé. Son film arrêté, il assume, mais le short rouge que l’on ne peut pas acheter, il est totalement démoralisé, pire que si l’univers s’était abattu sur lui.

D’un air vraiment malheureux, il me dit :

– Tu étais si belle dans ce short rouge !

Son cri d’amour me brise le cœur. J’ai peur d’avoir tout détruit. C’est rare d’être autant aimée par un homme qui vous trouve belle encore à mon âge. Je ne suis plus toute jeune. Je me sens soudain idiote de ne pas avoir voulu offrir à mon ma-ri qui m’aime passionnément ce mini-plaisir, et de m’être battue avec autant de ténacité contre l’achat de ce short rouge.

Affolée à l’idée qu’il ne m’aime plus, je demande à la vendeuse de me trouver un 34 n’importe où en France et de me le faire venir, je suis prête à tout pour conso-ler mon mari.

Ouf, un short en 34 est disponible dans la boutique de Cannes. Le lendemain, un assistant qui désirait aller au festival est allé me le chercher. Et ouf, le film n’a été arrêté qu’une semaine. Il a donc pu être terminé. Je traverse d’ailleurs quelques scènes avec mon short rouge que la costumière, voulant faire plaisir à mon mari, était également allée acheter sans nous le dire !

Depuis, quand mon mari, ou quelqu’un d’autre, me fait un cadeau, même si ça ne me plaît pas, je dis oui. Un grand oui. Et je souris. Et tous les étés, je porte mon short rouge » !

Sylvie Bourgeois Harel 

SHORT ROUGE
https://youtu.be/SkhFvg_MhQs?si=TfNDBJ2IBYojj8HQ

https://youtu.be/SkhFvg_MhQs?si=TfNDBJ2IBYojj8HQ

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Adieu Jean-François Kahn

Adieu l'ami Jean-François Kahn

J'ai rencontré Jean-François Kahn dans une voiture qui nous emmenait de la gare de Vannes à notre hôtel. Nous allions aux Nocturnes littéraires, un salon du Livre organisé par Pierre Defendini. La journée était libre, en fin d’après-midi, nous signions nos livres sur des ports différents, une idée formidable. Jean-François, assis devant, demande au chauffeur s’il serait possible de l’accompagner le lendemain matin tôt à Quiberon où nous signions le soir. Puis il a joute en se tournant vers moi et l'autre écrivain :

— Si vous voulez venir avec moi, je vous invite à déjeuner.

La dame qui n’est pas venue pour rigoler, mais pour vendre des livres, il y a plein d’écrivains comme ça dans les salons du livres qui ne viennent pas pour rigoler, mais pour vendre des livres, répond immédiatement non. Moi, je réponds immédiatement oui. J’adore qu’on m’invite à déjeuner, d’autant que le restaurant où le salon nous emmène à Sauzon n’est pas bon.

Gêné de compliquer l’organisation du salon en demandant une voiture que pour lui et pas aux horaires prévus, Jean-François dit au chauffeur qu’il trouvera d’autres auteurs pour venir avec nous. Je m’interpose aussitôt.

— Non, non, monsieur, on n’y va que tous les deux, c’est mieux.

Le lendemain matin, je me retrouve à courir avec Jean-François sur la plage de Quiberon, heureux comme un enfant de ces quelques heures de liberté.

— Je préfère courir que marcher, ça ne vous ennuie pas ?

— Non, mais courrons en direction du Sofitel, on ira se prendre un bon petit-déjeuner.

— Vous êtes comme moi, vous aimez les bons petits-déjeuners ?

— J’adore manger, mais uniquement quand c’est délicieux.

— À midi, nous irons chercher ma femme qui fait une cure à Carnac, des amis de l’Évènement du Jeudi nous rejoindront au retournant.

— J’en connais un délicieux à la Trinité-sur-mer, ça vous dit ?

— Vous êtes parfaite, Sylvie !

— Oui, je lui réponds en riant, mon mari dit la même chose.

Pendant le repas, ses amis journalistes nous invitent à déjeuner chez eux le lendemain.

— Super, nous apporterons le dessert avec Jean-François, des tartes aux framboises, ça vous va ? j’ajoute, enthousiaste.

Son épouse, étonnée de notre évidente et récente complicité, en effet, quand je rencontre un homme sympathique et intelligent, j’ai immédiatement 12 ans et je veux jouer, je crée alors une complicité, mais jamais une ambiguïté qui serait liée à la sexualité puisque j’ai 12 ans et que je suis encore une enfant, décline l’invitation.

L’après-midi, Jean-François m’explique le mystère des menhirs et la création du monde sur le site de Carnac, c’est passionnant, nous rigolons surtout beaucoup.

Arrivée au salon, la dame de la voiture râle car elle est installée aux côtés de Jean-François. Dans les salons du livre, Jean-François Kahn est une star (maintenant je dois hélas parler au passé et dire était). Les écrivains qui ne viennent pas pour rigoler ne veulent pas être assis à côté des stars devant lesquelles se forment une longue file de lecteurs impatients. Moi j’adore, ça donne l’impression que tous ces gens sont là pour moi.

— Je vais m’installer à votre place, je dis à la dame qui veut exister en tant qu’écrivain, pas rigoler en tant qu’être humain, allez à la mienne.

— Vous êtes sûre, parce que c’est une sinécure d’être assise à côtés de ces personnalités qui accaparent tous les visiteurs.

Jean-François, debout qui raconte la politique à la criée, ravi de ma présence, se met à vendre mes livres. Chaque fois qu’une personne achète un ou plusieurs de ses ouvrages, il leur ajoute mon Sophie à Cannes ou mon Sophie au Flore qui venait de paraître chez Flammarion.

— Il faut absolument que vous lisiez les Sophie de Sylvie Bourgeois, c’est très sociétal aussi sauf qu’elle, elle aborde le monde par l’humour.

Le lendemain, au déjeuner chez ses amis, des dames très chics de Quiberon arrivent au dessert, chacune avec un kouign amann, très fière de rencontrer le grand Jean-François Khan. Il a à peine le temps de croquer dans les gâteaux bretons dégoulinants de beurre, qu’elles l’assaillent de questions sur les derniers événements. Sauf qu’elles n’ont pas l’information que pour Jean-François, son dernier événement, c’est de m’avoir rencontré.

— Il faut savoir mesdames que Sylvie est le seul écrivain que je connaisse qui passe ses journées en tennis, mais qui signe ses livres, le soir, en bottes.

Jean-François a passé l’après-midi à raconter n’importe quoi sur moi, il avait 12 ans, de mon côté, j’étais aux anges d’observer les têtes de ces dames qui ont dû toutes acheter mes romans en fin de journée.

À Besançon aussi, nous sommes en septembre, il fait très beau et plutôt que de déjeuner à la cantine du salon, j’organise un pique-nique sur les bords du Doubs. Je convie Claude, une amie avocate, son fiancé, quelques auteurs et Émile Péquignet, un horloger réputé, ami de mes parents, qui a créé les montres du même nom. Tous sont enchantés de faire la connaissance de Jean-François. Mais mon Jean-François ne les écoute pas, il ne s’intéresse à aucun d’eux et, comme à Quiberon, il ne leur parle que de moi, que je l’ai conseillé d’acheter du comté et des saucisses de Morteau au marché, que j’ai grandi ici…

À la fin du salon du livre de Mouans-Sartoux, désolé de n’avoir pas m’inviter à dîner avec Guy Bedos le samedi soir car j’avais déjà prévu d’emmener Lionel Duroy au Martinez, à Cannes, chez le chef Christian Sinicropi, Jean-François, pour qui j’étais devenu le repère rires et super bonnes bouffes ,me dit :

— Dès que nous arrivons à Paris, Sylvie, je t’invite à souper.

— Cela aurait été avec plaisir, mais je reste dormir chez une amie à Nice.

Devant la mine déconfite de Jean-Francois désemparé, j’ajoute :

— Tu veux venir dormir chez elle ?

Après avoir dîné tous les trois à la Cave Ricord, le restaurant du dimanche soir des Niçois, Jean-François s’est couché comme un gros bébé dans le lit superposé du fils absent de ma copine.

Des anecdotes avec Jean-François, toutes aussi adorables les unes que les autres, j’en ai des dizaines. Chaque fois que nous nous retrouvions dans un salon du livre, Jean-François me cherchait partout pour m’inviter à déjeuner ou à dîner dans des restaurants étoilés sous l’oeil amusé de mes amis Serge Joncour et David Foenkinos qui le surnommait affectueusement mon amoureux de salon.

Puis j’ai arrêté de fréquenter les salons du livre. J’avais pris goût à plutôt aller passer des bons moments à Saint-Tropez. Mais Jean-François continuait de m’inviter à déjeuner à Paris. Puis j’ai déménagé pour vivre  à l’année dans ce Saint-Tropez que j’ai toujours aimé. Jean-François m’appelait de temps en temps de son moulin.

Aujourd’hui, je suis triste d’avoir appris son décès survenu le 22 janvier 2025. J’ai immédiatement envoyé un texto à David Foenkinos qui m’a aussitôt répondu : oh quelle tristesse ! Je me souviens comme il était heureux avec toi »!

Sylvie Bourgeois Harel

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Sylvie Bourgeois Harel - Lily of the Valley - La Croix Valmer

Sylvie Bourgeois Harel - Lily of the Valley - La Croix Valmer

ÉMILIE

 

“Je m’appelle Émilie et j’ai le cerveau en bouillie. À l’instant encore, je viens de trouver la porte de mon réfrigérateur ouverte. Je l’ai regardée un instant, interloquée, ne comprenant pas pourquoi elle était ouverte. Je vis seule dans ma maison. Personne n’est venu me rendre visite. Et je ne suis pas retournée dans ma cuisine de la journée. En effet, j’ai été tellement occupée que je n’ai pas trouvé le temps de m’arrêter, ne serait-ce qu’un instant, pour me préparer un déjeuner. Puis je me suis souvenue que j’avais ouvert mon réfrigérateur ce matin pour sortir mon pot de confiture de framboises afin de me faire une tartine histoire d’accompagner ma deuxième tasse de thé que je n’ai pas bu puisqu’elle est toujours sur la table à côté de ma tartine beurrée et de mon pot de confiture que je n’ai pas ouvert, alors qu’il est presque 18 heures.

 

Lorsque j’ai compris que j’avais laissé mon réfrigérateur ouvert pendant plus de sept heures, je me suis effondrée sur mon canapé et je me suis mise à pleurer. À pleurer à chaudes larmes. À appeler ma maman, comme je le faisais enfant, sauf que je ne suis plus une enfant, j’ai 59 ans, et ma maman est morte, il y a cinq ans. J’ai alors téléphoné à Amandine, ma meilleure amie. Elle m’a dit de respirer doucement, que ce n’était pas bien grave. Et pour me faire rire, Amandine sait toujours me faire rire, elle m’a demandé si, cette fois, j’avais bien refermé la porte de mon réfrigérateur. Puis, elle m’a conseillée de prendre un papier et un crayon et d’écrire tout ce que j’avais fait dans la journée. 

 

Je me suis alors souvenue qu’en voyant la couleur de ma confiture, j’ai pensé à ma culotte de couleur framboise justement que j’avais posée dans le lavabo de ma salle de bains et que je n’avais toujours pas lavée. Je lave ma lingerie à la main. C’est le seul moyen pour la préserver longtemps et ne pas l’abimer. Et je dis réfrigérateur, jamais frigidaire qui, comme tout le monde le sait, est une marque de réfrigérateur, une marque, certes, qui est passée dans le langage courant, mais ma mère m’a appris que c’était aux détails d’un langage châtié que l’on reconnaissait les dames.

 

Je ne sais pas si je suis une dame, mais en me rendant dans ma salle de bains pour laver ma culotte, j’ai reçu sur mon téléphone que j’avais dans la poche de ma veste, une notification comme quoi un certain Jacky avait commenté ma publication sur Facebook. C’est Amandine qui m’a conseillée de m’inscrire sur Facebook lorsque mon mari m’a quittée. Non pas pour trouver un homme, mais pour avoir des contacts sociaux. J’avoue que c’est très rigolo. J’y passe des heures. Je regarde tout. Je lis tout. Je commente tout.

 

De mon côté, je ne publie que des photos de Benjamin, mon chat tigré qui m’a adoptée lorsque Julien est parti. Benjamin a tout compris de la vie, et de la mienne aussi. Il a compris qu’il y avait une place vide à prendre dans mon lit, il s’y est installé, et le soir, comme je le faisais pour Julien qui était très gourmand, je prépare à mon Benjamin chéri un bon petit plat à base de crevettes ou de poulet. C’est un amour. Benjamin pas Julien. Comme il a beaucoup de succès sur Facebook, Benjamin pas Julien qui ne publie que des photos de lui, heureux avec sa nouvelle femme, comme pour me narguer ou faire croire que nos vingt-sept années de mariage n’ont jamais existé, j’ai aussi créé un compte Instagram. J’allais répondre à ce Jacky qui me demandait l’âge de Benjamin quand réfléchir à l’âge de mon chat que je ne connais pas, m’a fait penser au mien que je connais bien et aussi à ma carte d’identité que je dois renouveler. 

 

J’ai donc pris mon ordinateur pour faire une demande en ligne, mais au moment d’ouvrir le site du service public, j’ai préféré répondre au mail que ma fille qui vit en Nouvelle-Zélande m’avait envoyé durant la nuit. J’allais lui écrire que j’aimerais bien lui rendre visite à Noël, mais avant de lui faire une fausse joie, j’ai voulu regarder les prix des billets d’avion pour Auckland où elle habite avec son mari. Je suis alors tombée sur un article qui titrait qu’il n’y avait pas de serpent en Nouvelle-Zélande, ce qui est une bonne nouvelle car j’en ai une trouille bleue. 

 

Parlant de trouille, je me suis alors rendue dans ma chambre pour évaluer si je pouvais réparer seule mon volet qui ferme mal, elle est au rez-de- chaussée, je ne voudrais pas qu’un individu mal intentionné pénètre la nuit pour me cambrioler, même s’il n’y a plus rien à prendre, Julien a tout pris. Je devrais peut-être acheter un chien de garde, mais alors seulement à mon retour d’Auckland, je ne saurais pas quoi en faire pendant mon voyage, je ne pourrais pas le laisser à Amandine qui a déjà un Husky très jaloux. Je suis donc descendue à la cave chercher des outils pour réparer mon volet lorsque je suis tombée sur mes chaussures de ski, je skiais beaucoup lorsque j’étais jeune, c’est d’ailleurs le seul sport où j’étais excellente. C’est ce qui avait plu à Julien lorsqu’il m’a connue à la montagne, j’étais plus rapide que lui. Ça l’a épaté, il m’a embrassée, puis c’est allé très vite entre nous, notre fille est née, nous nous sommes mariés, et il m’a quittée. 

 

Mes chaussures de ski étaient pleines de poussière, je les ai apportées dans mon jardin pour les nettoyer avec un chiffon. C’est ainsi que j’ai découvert que mon citronnier était rempli de cochenilles. J’en ai écrasé une avec le chiffon, c’est étrange lorsque l’on écrase ces petites boules blanches, ça fait des tâches orange comme si la cochenille avait du sang orange. Les extraterrestres ont peut-être aussi du sang orange, je me suis dit en allant chercher du vinaigre blanc et du papier absorbant pour tuer ces horribles insectes qui ont envahi mon citronnier. Le vinaigre blanc est épatant, je nettoie tout avec. Et je ne dis jamais Sopalin, mais papier absorbant, ma mère avait peut-être raison, je suis une dame.

 

C’est alors que j’ai reçu une notification sur Instagram comme quoi ma voisine avait liké une photo de Benjamin, les pattes en l’air, certainement pour se faire pardonner d’avoir demandé à la mairie de brûler les herbes, qu’elle se permet d’appeler des mauvaises herbes, qui poussent sur le trottoir devant ma maison alors que ce sont des résistantes très émouvantes, d’avoir trouvé la force de pousser dans le goudron. Une petite faille, de la lumière, un peu d’eau de pluie, et hop, elles ont grandi comme moi lorsque Julien m’a quittée. En effet, c’est dans les failles de mon cœur brisé que j’ai puisé la force de continuer de vivre sans son amour.

 

J’ai alors imaginé ma voisine pas gentille face à des extraterrestres au sang orange. Ça m’a fait rire. Sur mon téléphone, j’ai tapé extraterrestre. Je suis tombée sur une interview qui avait l’air passionnante d’un Jean-Pierre Petit, très bel homme au demeurant, c’est un amoureux comme cela qu’il me faudrait rencontrer, je me suis dit en m’asseyant au soleil. Un instant, j’ai cru que j’étais, moi aussi, une petite plante résistante à qui le moindre rayon de lumière avait le pouvoir de lui redonner espoir. 

 

C’est la faim qui m’a sortie de ma rêverie, et le froid aussi, il était presque 18 heures. Je suis donc allée dans ma cuisine pour grignoter un bout de fromage et préparer les crevettes de Benjamin, lorsque j’ai découvert la porte de mon réfrigérateur ouverte. En relisant tout ce que j’avais fait dans la journée, j’ai de nouveau pleuré. Ma culotte couleur framboise n’est toujours pas lavée, je n’ai pas répondu à ce Jacky qui est presque aussi beau, en plus jeune, que le Jean-Pierre Petit des extraterrestres, je n’ai pas fait ma demande de carte d’identité, je n’ai pas répondu à ma fille, je n’ai pas réservé mon billet d’avion pour Auckland, je n’ai pas lu l’article sur les serpents non présents en Nouvelle-Zélande, je n’ai pas réparé mon volet, je n’ai pas nettoyé mes chaussures de ski, je n’ai pas retiré la cochenille de mon citronnier, je n’ai pas liké la publication de ma voisine pour lui faire comprendre que je ne lui en voulais pas, je n’ai pas écouté l’interview de Jean-Pierre Petit, je n’ai pas bu mon thé de ce matin, ni mangé ma tartine beurrée, je n’ai rien fait de la journée, et pourtant je suis épuisée tellement je n’ai pas arrêté.”

 

Sylvie Bourgeois Harel

Émilie fait partie des 19 nouvelles de mon recueil On oublie toujours quelque chose.

Pour le commander, vous pouvez m’envoyer un message à : slvbourgeois@wanadoo.fr

Sylvie Bourgeois Harel - Saint-Tropez - La Ponche

Sylvie Bourgeois Harel - Saint-Tropez - La Ponche

Sylvie Bourgeois Harel - Plage de Pampelonne - Ramatuelle - Golfe de Saint-Tropez

Sylvie Bourgeois Harel - Plage de Pampelonne - Ramatuelle - Golfe de Saint-Tropez

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Schizofamily, une nouvelle de Sylvie Bourgeois Harel

Schizofamily

Ma maman est épuisée. J’ai 30 ans et je veux la sauver. J’emmène alors mes trois frères aînés qui vivent toujours chez nos parents consulter un psychiatre. Au dernier moment, maman décide de nous accompagner avec mon père paralysé qui ne peut plus parler depuis son AVC.

— Bonjour, bonjour, monsieur le psychiatre, je dis en arrivant, j’aimerais que nous fassions une psychothérapie familiale pour sauver ma maman.

— Très bien, qui êtes-vous ? me demande-t-il.

— Nous sommes une schizofamily.

— Pardon?

— Oui, c’est un peu compliqué, mais je vais essayer de vous résumer la situation. Mon frère Ferdinand, ici présent, est certainement schizophrène, il se prend pour un prince. Il se fait même appeler le prince O, alors qu’il est photographe. Quant à mon autre frère André, il doit être schizogame, il ne pense qu’à se reproduire, alors qu’il est architecte. Son grand leitmotiv est de dire qu’il aime autant créer l’habitat que l’habitant. Quant à mon frère aîné Gustave, il est sûrement schizothymique, il ne parle qu’aux poissons, c’est bien simple, il passe ses journées sous l’eau. Et quant à ma petite maman chérie, je pense qu’elle est schizoïde, elle ne veut plus sortir avec ses copines.

Le psychiatre se gratte la tête et nous invite à nous asseoir. Mais ma mère reste debout et s’approche de lui.

— Si vous saviez, docteur, comme j’ai hâte d’être dans le trou, elle lui dit, je n’en peux plus.

Je me lève à mon tour. Maman est l’amour de ma vie. Je ne peux pas l’entendre parler ainsi. Je la prends dans mes bras et l’aide à se rasseoir.

— Je dois vous expliquer, docteur, que mes trois frères qui sont pourtant grands, Gustave le sous-marin a 40 ans, André le reproducteur, 37, et Ferdinand le photographe qui est persuadé d’être photographe de terroristes, 34, habitent toujours à la maison. Ma mère n’en peut plus de devoir continuer de leur faire à manger pire que s’ils étaient des bébés, d’autant qu’ils ne lui donnent jamais d’argent et que mes parents sont ruinés.

Soudain, Ferdinand s'énerve et se met à hurler :

— Elle a beau jeu, Cécile, de dire ça, mais elle n’a jamais voulu en faire de bébés, et je sais pourquoi, mais je ne vous le dirai pas. En tout cas, pas là.

— Justement docteur, j’ajoute, je suis venue pour vous les refiler, les bébés, ma mère est épuisée, ils vont finir par la tuer.

— Il faut que vous sachiez docteur, intervient ma maman, que ma fille est persuadée d’être ma mère.

— Ben oui, ma petite maman, je lui dis en l’embrassant tendrement, tu es ma fille et je t’aime.

— N’empêche, hurle de nouveau Ferdinand, le premier bébé à soigner est Gustave, il est jaloux d’un poulpe qui a un plus gros zizi que lui.

— Je suis désolé, docteur, rougit Gustave, prince Ferdinand est en plein délire, et c’est comme ça toute la journée, vivement que je retourne sous l’eau.

— Ose dire que ce n’est pas vrai, continue de hurler Ferdinand, la preuve, tu ne t’en sers jamais de ton zizi.

— Ce n’est pas faux, ajoute ma mère, la première chose que Gustave fait lorsqu’il rencontre une sirène, il l’emmène à la messe, alors forcément, ça prête à confusion.

— Puis il faudra s’occuper d’André, se calme Ferdinand. Depuis que sa femme l’a quitté, il est devenu alcoolique.

— Oui, mais moi, dit André en riant, mon zizi, je sais m’en servir.

— Ah ça oui, approuve ma mère en riant également, il tient ça de son père, un vrai matou à mettre son zizi partout, alcoolique, lui aussi.

— C’est vrai, je bois beaucoup, confirme André, que voulez-vous, créer des maisons et leur faire des bébés, ça me donne soif.

— Il a même couché avec une terroriste qui habite dans notre quartier, s’affole de nouveau Ferdinand.

Le docteur me questionne du regard.

— Bon, docteur, je lui dis, accepteriez-vous de soigner ma schizofamily que j’aime quand même ?

— Dites-moi déjà, chacun votre tour, de quoi vous souffrez exactement, il me répond en nous scrutant bizarrement derrière ses lunettes baissées.

Contre toute attente, Gustave commence :

— Aux poulpes qui ont plein de zizis, avoue-t-il. Et aussi à André qui se sert plus du sien que moi, ça me rend fou. Et également à ma petite sœur qui ne veut pas vivre avec nous, alors que j’ai toujours voulu l’épouser. Sans compter la présence de Ferdinand qui passe ses journées, allongé à faire du canaping dans le salon de la maison, et qui dit toujours la vérité, c’est pour ça que je veux l’interner.

— Et bien moi, dit Ferdinand, je souffre à Gustave qui n’arrête pas de me taper. Il croit peut-être que ses coups vont remettre mes idées en place. N’importe quoi ! La violence n’a jamais résolu la jalousie, et vous le savez très bien, docteur. Je vous assure, ce n’est pas de ma faute si mon cerveau est cassé et si ma tête s’inquiète autant de toutes ces guerres qui vont finir par enflammer la planète. Et puis, je ne veux pas que Gustave réussisse à m’enfermer dans un asile pour cinglés, mon papa paralysé a besoin de moi. Oui, c’est moi qui aide toujours ma maman à pousser sa chaise roulante ou à les conduire faire des courses, ou même une promenade à la campagne. Il est content, mon papa, de voir des vaches ou la forêt, ajoute-t-il en mettant son bras devant le visage comme pour se protéger d’un éventuel coup de Gustave.

— Quant à moi, dit André, je souffre à mes clients qui pensent que sur mon front, il y a écrit couillon qui ne travaille que pour créer de la beauté et qui en profitent pour ne pas me payer. Et aussi à mon idiot de banquier qui n’arrête pas de m’appeler à cause de mon découvert. À force, il m’empêche de travailler. Merde, je suis architecte, pas comptable ! Qu’on me donne des maisons à dessiner, pas des chiffres à additionner. Je souffre également aux bouteilles de mon père que j’ai toutes finies, et à ma mère qui ne veut plus m’en acheter.

J’observe mes trois frères, étonnée de leur franchise.

— Quant à moi, je dis, je souffre à mes parents. Ils n’ont que 68 ans. Ils sont beaux, généreux, drôles, intelligents, jeunes encore. Ils nous ont appris la liberté, l’amour, la curiosité, l’art de ne jamais nous ennuyer, de savoir argumenter, d’être passionnés. Ils ne méritent pas toute cette schizofolie.

Ma maman me sourit. J’aime quand ma maman me sourit. J’ai l’impression de lui redonner un peu de vie.

— Quant à moi, dit-elle en parlant tout doucement, je souffre à mon mari paralysé qui ne peut plus me prendre dans ses bras, ni me dire qu’il m’aime, alors que nous avons été de si beaux amants. C’est fini, tout est fini.

Sur sa chaise roulante, mon père qui se demande depuis le début du rendez-vous ce qu’il fait là, dans le bureau de ce médecin qui ne l’a pas ausculté, pose sa tête sur l’épaule de ma mère. Je vois une larme qui coule de ses beaux yeux. De ses beaux yeux bleus. Une larme qui me dit qu’il est malheureux d’être ainsi enfermé dans le mutisme de sa maladie. Une larme qui me dit qu’il est inquiet de ne plus pouvoir protéger ses fils. Une larme qui me dit que, oui, je dois sauver maman, l’amour de sa vie. Son roc. Son repère. Son univers.

— Mmmaaannn, mmmaaannn, essaye de s’exprimer mon père qui a certainement beaucoup à dire.

— Docteur, continue ma mère en prenant la main droite inerte de mon père, maintenue par une bande sur une attelle, oui, c’est cela même, je souffre à mon mari que j’aime tellement. Je me sens impuissante et épuisée, et puis je ne supporte pas qu’il m’appelle maman, ça me rend folle qu’il puisse me prendre pour sa mère. Vous l’avez entendu docteur, et depuis son AVC, c’est comme ça toute la journée, il fait mmmaaannn, mmmaaannn, maman, maman, je n‘en peux plus, je ne suis pas sa maman, continue ma mère en pleurant.

J’ai 30 ans. Je ne veux pas entendre ma mère pleurer. C’est trop violent. Trop triste. Trop injuste. Je dois la sauver. Je veux lui dire qu’on va trouver une solution et que papa ne dit pas maman, papa fait mmmaaannn, mmmaaannn, car phonétiquement, c’est le son le plus facile à prononcer. Mais d’autres mots sortent tout seuls de ma bouche, d’autres mots que je n’ai pas désirés, d’autres maux dont je n’ai jamais parlé.

— Docteur, je dis, je souffre à l’homme qui a abusé de moi lorsque j’étais enfant, j’avais 8 ans, mais ce n’était pas mon papa.

— Moi, je sais qui c’est, intervient Ferdinand, mais je ne le dirai pas, sinon il me tuera. Je suis sûr d’ailleurs que c’est à cause de ça qu’aucun de nous ne va bien.

Avant même que ma mère ne puisse dire un mot, les miens de mots continuent tout seuls à sortir de ma bouche comme s’ils n’en pouvaient plus que je les aie gardés si longtemps secrets :

— Je souffre aussi à l’homme qui m’a violée à Saint-Tropez lorsque j’avais vingt ans.

Un silence s’établit dans le bureau du docteur. Ne voulant pas ajouter à nos schizoproblèmes, ma détresse, ce n’est pas le sujet, je suis ici pour sauver ma maman, pas pour parler de moi, et encore moins de mes drames que j’ai toujours cachés, justement pour ne pas faire souffrir ma mère, je reprends aussitôt la parole :

— Je souffre aussi à mon papa qui savait si bien me dessiner. C’est vrai, docteur, mon papa a un talent de fou. Même paralysé, il a réussi à faire mon portrait de la main gauche, le trait est parfait, j’ajoute en serrant mon père dans mes bras. Voilà, je souffre à mon papa à qui je n’ai jamais dit que je l’aimais. Nous étions toujours si pressés, si pressés, je répète, c’est ça la vraie folie de ne pas s’arrêter pour prendre le temps de dire que l’on s’aime.

Maman inspire profondément et dit :

— Je souffre au cancer généralisé que l’on vient de me détecter. J’en ai plus que pour quelques mois. Qui va s’occuper de mon mari paralysé et ruiné quand je serai dans le trou ? Je ne veux pas que Cécile prenne mon relais à faire à manger à ses frères et à son père, elle a mieux à faire.

Je vais pour parler, pour dire à ma maman que je vais trouver une solution, que je vais la soigner, qu’elle ne va pas mourir, mais ma maman enchaîne :

— Je souffre aussi à notre manque d’argent. Un client de mon mari l’a arnaqué, c’est pour ça qu’il a eu son AVC, ça l’a stressé, paniqué, inquiété, il est tombé et ne s’est jamais relevé. Avec Cécile, nous avons fait un procès, nous l’avons gagné, l’usine qui fabrique les toilettes design et écologiques que mon mari a créées nous doit des millions de francs, mais ils ont déposé le bilan pour ne pas nous payer, et ont construit une nouvelle usine juste à côté pour fabriquer les mêmes toilettes avec juste quelques différences afin qu’on ne puisse pas les accuser de plagiat. Je suis obligée de vendre la maison familiale.  Mes fils n’auront plus de toit. Avec mon mari, nous irons vivre chez notre fille Cécile.

Affolés, Ferdinand, André et Gustave se lèvent ensemble et crient en choeur :

— Mais maman, où allons-nous habiter si tu n’as plus de maison ? On ne veut pas terminer à la rue.

Un mois plus tard, mon papa est mort à minuit d’une crise d’épilepsie tandis qu’un docteur essayait de le réanimer. Neuf mois après, ma maman est morte de son cancer généralisé dans mes bras, dans la chambre de sa maison d’enfance où elle est née.

Je n’ai pas pu sauver mes parents. Je n’ai su que les aimer.

Sylvie Bourgeois Harel

Schizofamily fait partie des 19 nouvelles de mon recueil On oublie toujours quelque chose. Vous pouvez le commander en m'envoyant un mail à : slvbourgeois@wanadoo.fr.

 

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Sylvie Bourgeois Harel  - Saint-Tropez hiver

Sylvie Bourgeois Harel - Saint-Tropez hiver

Et si nous parlions de Saint-Tropez l'hiver ?
Je suis amoureuse de Saint-Tropez. Je l’ai toujours été. Et je le suis encore plus aujourd’hui, depuis un an et demi, que j’y habite. Et je suis encore plus amoureuse  de Saint-Tropez durant l’hiver. Saint-Tropez durant l’hiver est un ravissement. Déjà, les températures méditerranéennes sont douces, il est rare de descendre en dessous de 3 degrés. C’est le temps idéal pour faire de grandes promenades. Après mes séances d’écriture, je pars marcher une ou deux heures, au bord de l’eau. J’en profite pour me baigner presque tous les jours. La mer est, certes, froide, mais pas gelée. Elle est surtout très vivifiante. Mes bains de mer, l’hiver, sont mon meilleur médicament pour booster mon système immunitaire. Mon deuxième médicament-bonheur est la lumière d’hiver. Elle est sublime. La lumière du Sud, en hiver, exalte les couleurs. Elles ne sont pas saturées, comme en été, à cause de la chaleur. Au contraire, le froid sec les amplifie, les définit. C’est ce qui me manque le plus lorsque je remonte, de temps à temps, à Paris, mon ciel bleu. Il est où mon ciel bleu ? je n’arrête pas de répéter à mes amis qui se sont tristement habitués au ciel parisien, gris et déprimant. Moi, je ne ne veux m’habituer à rien. Je veux vivre pleinement. Je veux profiter de chaque instant. Je ne veux plus me passer de mon ciel bleu et de ma lumière du Sud.

Pourtant, j’ai été une vraie parisienne à avoir une vie très festive, assez mondaine, à sortir tout le temps, à adorer les restaurants, les avant-premières de cinéma, les générales de théâtre, les dîners jusqu’au bout de la nuit. Ce que je ne retrouve pas ici, mais ce n’est pas ce que je recherche non plus. J’ai aimé Paris. J’aime toujours Paris d’ailleurs. Je suis contente d’aller y passer une ou deux semaines, comme je l’ai fait en octobre pour la sortie de mon livre, mais je suis contente de ne plus y habiter. J’ai quitté Paris sans frustration, ni ras-le-bol, juste avec l’envie de me créer une nouvelle vie.  Une nouvelle vie à Saint-Tropez dont j’ai toujours été amoureuse. Je ne l’ai pas fait avant car ce n’était pas le bon moment. L’énergie de Paris me retenait encore un peu.

C’était peut-être un leurre car ici, proche de la nature et de la mer, j’ai découvert une autre énergie. Plus profonde. Moins superficielle. Plus spirituelle. Vous allez rire en me lisant, une énergie spirituelle à Saint-Tropez ? Oui, il y a plusieurs Saint-Tropez. Chacun peut trouver le sien qui lui convient. Le mien de Saint-Tropez est spirituel. La nature qui m’entoure et que je fréquente chaque jour m’apprend beaucoup sur le sens que je donne à ma vie. Des lieux comme la Chapelle Sainte-Anne, le Monastère de la Verne, les Roches Blanches au-dessus de La Garde-Freinet où je passe tous mes week-ends dans ma maison provençale au coeur du village, sont très telluriques et chargés de magnétisme.

Alors lorsque j’entends des gens râler que Saint-Tropez est mort en hiver, je les plains de ne pas savoir apprécier toute cette richesse naturelle et cette beauté qu’ils ont autour d’eux. Ce sont d’ailleurs souvent les mêmes qui râlent en été que Saint-Tropez est trop bondé. Saint-Tropez n’est pas mort en hiver. Ainsi que je le disais à une touriste qui, l’autre jour, me posait la question sur le parking du port, vous savez madame, moi, je suis très vivante, je lui ai répondu en riant. C’est vrai quoi, la joie se trouve dans notre coeur, dans notre capacité à sourire, à rire, à s’intéresser, à apprendre, à transmettre, à contempler, à s’émerveiller, à décider de couper la télé, à fermer les journaux, à éteindre la radio. Elle ne se trouve pas dans le divertissement à outrance.

Mon divertissement à moi, c’est de me réjouir de mon ciel marine, de la mer transparente, de mon poulpe qui m’accompagne à chacun de mes bains, s’enlaçant tel un amoureux autour de ma cheville pour nager avec moi. Ce sont aussi les oiseaux, les fleurs, les arbres, les renards que je rencontre dans la forêt et qui sont pleins de curiosité à m’observer, prêts à vouloir jouer. Quand je croise un animal, je me mets en mode alpha, je respire calmement pour espacer les battements de mon coeur afin de lui transmettre des ondes de douceur, d’amour, de compréhension. Je rêve de rencontrer un loup avec sa famille. Mon autre rêve serait de leur offrir un sanctuaire pour les protéger.  

Saint-Tropez n’est pas mort en hiver. Saint-Tropez se repose. Le village se repose des excès de l’été. Il reprend des forces nécessaires tellement il y a eu de monde durant la saison. Il se répare aussi. De nombreux travaux de voirie ou de rénovation sont organisés à cette période. Saint-Tropez a évolué. Saint-Tropez est une vieille dame devenue un sorte de musée à ciel ouvert, connu du monde entier pour son authenticité. Il faut donc le ménager. Et ces trois mois d’hiver contribuent à lui refaire une beauté. À saint-Tropez, on réapprend également à vivre suivant le rythme des saisons. En hiver, on hiberne, on calme le jeu, on se retrouve le soir autour des feux de cheminée, on fait des gâteaux, on reste au chaud. C’est une période d’introspection, de réflexion, de projets.

Certes, de nombreux restaurants et de boutiques sont fermés, mais la mer reste ouverte, la plage aussi, le littoral également. Il est impossible de s’ennuyer. Et puis, pour ceux qui veulent sortir, les propositions sont suffisantes. Le cinéma Star programme trois films différents par semaine. La mairie organise régulièrement des conférences, des concerts, des spectacles. Le Café de Paris, le Clémenceau, le Sporting, le Sube, et d‘autres établissements, restent ouverts. Des orchestres sont invités les soirs de week-end. C’est très joyeux. Mon cher Sénéquier est là également. J’y vais régulièrement écrire en fin de journée avec mon ordinateur autour d’un délicieux chocolat chaud accompagné de deux madeleines. Et puis, cette année, le Tigrr Ermitage a eu la bonne idée d’ouvrir toute l’année. On peut y prendre un thé ou un champagne sur la terrasse, dès 17 heures, afin d’admirer le soleil se coucher sur la mer, puis dîner au chaud à l’intérieur, et bien sûr danser. Car Saint-Tropez est festif, quoi qu’il se passe,  quelle que soit la saison, on trouve toujours une occasion de danser !

Sans oublier les vacances de Noël qui sont féériques à Saint-Tropez avec le village totalement illuminé et le Père Noël qui arrive par la mer. Sur le port, des centaines de personnes l’attendent, les yeux remplis de joie enfantine et de leurs souvenirs familiaux. Les enfants sont sur les épaules des parents à appeler le Père Noël. Chacun achète des gaufres, des crêpes, des hot-dogs aux petits chalets en bois le long des quais. Et quand la barque du Père Noël s’amarre devant la statue du Bailli de Suffren, et que le père Noël descend tout doucement de son mat, tous en choeur, nous chantons Petit Papa Noël sur les airs de Tino Rossi.  C’est alors une véritable communion d’émotion qui se produit.

Ne me demandez pas où je serai cet hiver, je serai à Saint-Tropez » !

Sylvie Bourgeois Harel

Sébastien Peiffert - Sylvie Bourgeois Harel - Minou - Le Tigrr Ermitage hôtel Saint-Tropez

Sébastien Peiffert - Sylvie Bourgeois Harel - Minou - Le Tigrr Ermitage hôtel Saint-Tropez

Saint-Tropez l'hiver - La Ponche

Saint-Tropez l'hiver - La Ponche

Saint-Tropez l'hiver - Sénéquier

Saint-Tropez l'hiver - Sénéquier

Sylvie Bourgeois Harel - Saint-Tropez l'hiver

Sylvie Bourgeois Harel - Saint-Tropez l'hiver

Sylvie Bourgeois Harel - Saint-Tropez l'hiver

Sylvie Bourgeois Harel - Saint-Tropez l'hiver

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Chroniques du monde d'avant par Sylvie Bourgeois Harel - 1

L’autre jour, en entrant chez Apple pour acheter un ordinateur, en voyant tout le service d’ordre à l’entrée, puis le jeune vendeur qui me conseillait de ne pas changer le mien, mais qui m’a demandé au bout de quinze minutes d’aller à l’autre bout du magasin où il me rejoindra pour continuer notre conversation car ils n’ont pas le droit de rester longtemps au même endroit et avec le même client, j’ai réalisé que notre monde s’était vraiment écroulé.
 
Quand exactement, je ne sais pas, peut-être cela s’est fait doucement, subrepticement, mais une chose est sûre, aujourd’hui, je ne pourrais jamais refaire tout ce que j’ai fait lorsque je travaillais en free-lance dans la communication.
 
Plus jamais, par exemple, je ne pourrais faire atterrir les Tortues Ninja sur la plage du Carlton, durant le Festival de Cannes, à l’heure du déjeuner, afin de créer l’événement, et ça en a été un, les télévisions du monde entier ont repris les images de mon cameraman, c’était en mai 1991, sans autorisation bien sûr car je ne les aurais jamais obtenues, mais avec une équipe solide et ultra compétente de champions que ce challenge amusait.
 
En effet, c’était un véritable défi car les costumes, les mêmes qui avaient servi aux comédiens durant le tournage du film, pesaient 70 kilos chacun, et il ne fallait pas rester plus de quinze minutes dedans, tant l’épaisseur du plastique et de la mousse avec lesquels ils étaient fabriqués provoquaient une transpiration si intense que cela nécessitait ensuite plusieurs heures de séchage.
 
Mes parachutistes, des mecs super, ont tout accepté et surtout d'atterrir avec une vision réduite car les têtes des Tortues Ninja, non seulement étaient énormes et lourdes, mais avec des tout petits trous pour les yeux, ils ne voyaient presque rien. Avec leurs amis du Club aéronautique de Cannes-Mandelieu, on a balisé, au dernier moment pour ne pas dévoiler la surprise, un espace sur la plage afin de sécuriser l’atterrissage qui a vraiment créé l’événement.
 
C’était ça Cannes ! Pour promouvoir les films, il fallait être inventif, faire toujours plus, étonner, émouvoir.
 
Et mes Tortues Ninja ont eu un succès fou qui a dépassé les espérances d’UGC-Fox, le distributeur du film. Sur la Croisette où je les ai ensuite promenées assises à l’arrière d’un coupé que Mercedes m’avait prêtée pour la journée (est-ce que l’on peut encore se faire prêter pour une journée un Roadster Mercedes juste pour s’amuser, je ne pense pas...), les gens étaient hystériques, criaient leurs noms, Léonardo, Raphaël, Michelangelo, Donatello, leur demandaient des autographes, et mes parachutistes stoïques tenaient le coup dans leurs costumes, à mourir de chaleur.
 
Puis après une courte pause dans un local que j’avais loué pas loin où un déjeuner leur a été servi, au cours duquel on a essayé de sécher avec des sèche-cheveux l’intérieur des costumes qui étaient trempés, hop, de nouveau dans les costumes encore mouillés qui puaient, hop, dans la Mercedes, cette fois, avec un chauffeur. Grâce à mon amoureux, j'avais réussi à nous faire inscrire dans le cortège officiel et, là, je leur fais monter les marches où les photographes et la foule sont hystériques de voir les Tortues Ninja, à crier de nouveau leurs noms, et mes parachutistes sont toujours parfaits à jouer le jeu sans se plaindre, depuis des heures qui ont largement dépassé les quinze minutes recommandées, dans leurs costumes tellement trempés qu'ils sont devenus deux fois plus lourds, je les tiens d'ailleurs par la main car ils ne voient carrément plus rien, tant leur transpiration coule sur leurs yeux.
 
Le PDG de Columbia avec qui j’étais amie et qui distribuait le film m’engueule en haut des marches où il attend le réalisateur et ses comédiens car mes Tortues Ninja ont volé la vedette de toutes les stars américaines venues soutenir le jeune John Singleton considéré comme le nouveau génie d’Hollywood avec son film BOYZ’N IN THE WOOD, mais le soir lorsque nous dînons tous ensemble chez Tétou, à Golfe Juan, la bouillabaisse la plus chic du Festival (une institution qui n'existe plus non plus, la loi du Littoral l'a tout simplement supprimée... ), il éclate de rire. C’était ça Cannes, une équipe de seigneurs, et bravo à celui qui créait l’événement du jour !
 
Pour en revenir à Apple, un autre exemple de chose que je ne pourrais plus jamais réaliser. Nous sommes en 1994, je travaille pour Sony Software sur les premiers CD-Rom. J’organise à l’hôtel Raphaël une conférence de presse, sauf que Sony n’a pas d’ordinateur à me prêter. Peu importe, je gare ma petite Rover verte en double file devant la belle boutique Apple, avenue Georges V, je mets les warnings, et avec ma mini-jupe et mes bottes, je leur explique ma situation. Dix minutes plus tard, je sors avec trois Mac prêtés avec juste ma signature et le nom de Sony griffonnés sur un bout de papier, que les vendeurs m’installent dans ma voiture pendant que j’invite le directeur du magasin et son équipe à mon petit-déjeuner de presse. Le lendemain, j'ai ramené les trois Mac que je leur ai empruntés pendant un an, chaque fois que Sony sortait un nouveau CD-Rom, comme par exemple, les fiches-cuisine en partenariat avec Elle, je refaisais une conférence au Raphaël et j'avais besoin d'ordis.
 
Est-ce moi qui avais une capacité de persuasion ou est-ce que les rapports humains étaient plus simples, et surtout basés sur une confiance, une compétence, une assurance, un amour du travail bien fait ?
 
Quoi qu’il en soit, quand je vois qu’on ne peut plus entrer nulle part sans se faire fouiller son sac ou que des gens ont peur dès que quelqu’un tousse dans un train, je suis contente d’avoir fait le choix de quitter Paris que j’aime pourtant follement pour venir vivre dans le Sud, près de la nature, au bord de la Méditerranée.
 
Sylvie Bourgeois Harel
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Sylvie Bourgeois - enfant - Besançon

Sylvie Bourgeois - enfant - Besançon

La Coiffeuse de ma maman

La coiffeuse de ma maman, elle coiffe tout le monde pareil. Avec des énormes chignons remontés sur le haut de la tête qui se terminent en bouclettes. Sur une maman, ça va, mais sur moi qui n’ai pas encore 8 ans, ça fait comme si j’étais naine. Déjà que je ne suis pas grande, mais avec ce casque sur la tête, on dirait que j’ai une tête de maman sur un corps d’enfant. Comme j’aime ma maman et qu’elle est très jolie avec son chignon, je n’ose pas lui dire que je ne trouve pas ça marrant d’aller chez sa coiffeuse surtout que ça doit lui coûter beaucoup d’argent vu le temps que ça me prend, je reste des heures assise à écouter les commérages des dames qui n'arrêtent pas de se plaindre de leur mari, et de regarder la coiffeuse qui leur répond oui oui en hochant de la tête comme si elle savait tout de la vie des grands, celle-là, déjà qu'elle sait à peine manier les bigoudis vu le désastre qu'elle a fait sur ma tête.
Comme ce soir, c’est le mariage du papa de Sophie, ma meilleure amie, la coiffeuse de ma maman, elle s’en ait donnée à cœur joie, encore plus que d'habitude pour me faire belle. Elle a commencé par me mettre des bigoudis pour me faire une mise en plis, puis elle m'a crêpé les cheveux afin de leur donner du volume, alors qu'on sait très bien qu'avec des cheveux plats et filasses comme les miens,  il n'y a rien à faire, ils restent plats, se plaint toujours ma maman qui aurait préféré que j'aie des belles boucles ondulées comme celles de mon frère Vincent, puis elle a planté trois milles barrettes dans ma tête à me faire mal, et elle a fini par m'asphyxier en me balançant une tonne de laque pour que ça tienne, tout en parlant avec la dame d'à côté que son mari était un salopard et qu'elle voulait le quitter mais qu'elle ne pouvait pas à cause des quittances de son salon qu'elle n'avait pas fini de payer. Je suis sortie avec un chignon gigantesque, plus grand que moi. C’était affreux. En plus, c'était tout dur, crac crac, ça faisait quand je touchais mes cheveux qui étaient devenus tout sombres, on ne voyait même plus que j'étais blonde.

 

Le papa de Sophie se marie donc ce soir. Il est très méchant car la maman de Sophie vient de mourir, et il se marie déjà avec une autre femme que ma meilleure amie n’aime pas du tout. C’est une véritable sorcière, la femme pas ma Sophie, elle a aussi une fille de notre âge qui est une grosse peste. C'est bien simple, elle se croit tout permis parce qu’elle n'a pas de papa. Je crois bien d'ailleurs que son idée est de voler celui de Sophie car elle n'arrête pas d'être gentille avec lui. En plus, la future belle-mère de Sophie n’arrête pas de se vanter d’avoir couché avec Joe Dassin Pfut ! Je m'en fiche, je n'aime aucun chanteur, mon idole est René Dumont, un vieux monsieur qui parle toujours de la nature à la télé avec son pull col roulé toujours.

- Vous n’aviez qu’à l’épouser votre Joe Dassin, ça aurait bien arrangé Sophie, je lui ai dit un jour à table où elle m'avait encore énervée avec ses coucheries qui font que sa fille n'a pas de papa.

Ca a été aussitôt rapporté à ma maman qui m'a grondée que je n'avais pas le droit d'être mal aussi mal élevée, même si ce n'est pas totalement faux, elle m'a ensuite dit en riant. J'ai ajouté que dire ses quatre vérité à cette femme qui faisait la maline, c'était ma façon de protéger ma meilleure amie Sophie comme je l'avais protégée, elle, la fois où j'avais mal parlé à mon papa que j'avais vu embrasser une autre femme que ma maman. Ce jour-là, ça m'avait très mal dans le ventre. Pour sûr, je ne me marierai jamais. 

 

Dimanche dernier, j'ai dit au papa de Sophie que sa fille n’avait qu’à venir habiter chez moi, comme ça, ça lui ferait moins d’ennui, vu que Sophie n’arrête pas d’embêter sa future femme. Ca me semblait parfait comme projet, à Sophie aussi, à ma maman également qui était d'accord, mais ça n’a pas marché. Il m'a même grondée d’avoir d’aussi drôles idées car pour le papa de Sophie, il n’y a que moi comme enfant dans le quartier qui sache faire autant de bêtises. D’ailleurs, il ne m’aime pas car, à lui aussi, depuis qu'il a décidé de se remarier aussi vite, je lui dit parfois ses quatre vérités en face. Je ne sais pas pourquoi, mais je n’arrive jamais à faire de la diplomatie comme Sophie qui répond toujours oui oui en souriant, un peu comme la coiffeuse de ma maman, quand son papa lui demande de faire quelque chose et qui, par derrière, n’en fait qu’à sa tête, et n'obéit jamais.

 

En rentrant à la maison avec mon horrible chignon gros comme une maison qui me fait ressembler à une enfant qui rêve d'être une maman, j’ai croisé le cousin de Sophie que je ne vois pas souvent car il habite à Paris et moi à Besançon, et que je trouve très joli garçon, j'en suis même un peu amoureuse. J'ai eu tellement honte de ne plus ressembler à la petite fille avec des couettes qu'il avait connue durant l'été, car en plus la coiffeuse de ma maman m'avait maquillée les yeux avec du bleu et du doré sur les paupières, une horreur, que j’ai couru m’enfermer dans les toilettes, c'est vrai, quoi, ce n’était pas possible qu’il me voie avec ce chignon de vieille dame de Besançon, si au moins j'avais ressemblé à ma maman qui est belle, mais pas du tout, même à moi, je faisais peur.

 

A travers la porte, il m’a demandé si je voulais descendre jouer dans la cour avec lui et Sophie, mais j'ai répondu que j'étais trop occupée. Ce n'était pas vrai bien sûr car à part de pleurer sur mon sort que j'étais devenue trop laide alors que d'habitude j'étais plutôt mignonne avec mes cheveux raides et filasses, je n'avais rien d'autre à faire que de vouloir mourir. Le beau cousin que je rêve d'embrasser est alors parti.

 

Tant pis, je préfère m’ennuyer toute seule dans ma chambre plutôt qu'il me voie avec ma tête de celle qui veut être une autre et qui a tout raté. Ca fait un peu celle qui a passé des heures à être la plus belle pour le séduire et qui est devenue la plus moche. Je n'ai jamais eu aussi honte. Tout ça à cause d'une coiffeuse qui n'ose pas divorcer. Je vous jure. De toute façon, jamais je ne me marierai, jamais, j'ai trop honte. Une heure plus tard, le beau cousin est venu de nouveau me chercher pour que, cette fois, j'aille en voiture avec lui et ses parents à la cérémonie. Ma maman a  répondu oui, mais moi depuis la salle de mains où je m'étais de nouveau enfermée, j'ai hurlé NON, et que l’on se verrait là-bas.

 

Pendant la fête, j’ai essayé de faire comme si je n’avais rien sur la tête, mais ça n’a pas marché, personne n’est venu me parler. Forcément, avec mon chignon, les gens ne devaient pas savoir si j’étais une enfant ou une maman. Alors pour ne pas se tromper, ils ont préféré ne pas s’intéresser à moi. Je vous jure, je la retiens la coiffeuse de ma maman, surtout que quand le cousin de Sophie, il m’a vue, il a fait comme s’il ne m’avait pas reconnue, et il est retourné parler à Emmanuelle avec qui il a dansé toute la soirée. Je crois même qu’il l’a embrassée.

 

Même Sophie qui était pourtant si furieuse que son papa veuf se marie aussi vite avec une femme qu'elle n'aime pas, m'a ignorée toute la soirée alors que j'avais pourtant toujours bien dézingué, à chaque fois qu'elle me le demandait, sa future belle-mère. Elle n’a pas arrêté de s’amuser, de rire, de danser tout comme mes parents qui ont passé la nuit sur la piste avec les autres invités à faire des rocks, des jerks et même des slows. Il n’y a que moi avec mon gros chignon laqué de vieille bisontine aigrie, qui suis restée toute seule sur ma chaise à finir les gâteaux, c'est au moins ça, j'adore les pièces montées. Mais je déteste les fêtes. Je déteste les mariages. Je déteste les coiffeuses.

 

Ce qui serait bien, je me suis dit, c'est que je me trouve un ami qui soit aussi malheureux que moi, comme ça, je pourrais le consoler, et ça, ce serait vraiment bien ! 

Sylvie Boourgeois Harel

 

La coiffeuse de ma maman fait partie des 34 nouvelles de mon recueil BREVES ENFANCES, paru aux Editions Au diable vauvert.

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Ma nouvelle Paul, écrite sur la plage de Pampelonne à Ramatuelle, fait partie de mon prochain recueil à paraître début avril 2024.

 

 

 
Sylvie Bourgeois Harel. Avec Pompon et Hussard. Château de La Mole. VAr

Sylvie Bourgeois Harel. Avec Pompon et Hussard. Château de La Mole. VAr

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Sylvie Bourgeois Harel - Festival de Cannes

Sylvie Bourgeois Harel - Festival de Cannes

Henri

Mon papa, je ne le vois qu'une heure par an, quand il va au Festival de Cannes pour s’occuper de stars de cinéma. Je le retrouve dans un jardin public derrière l’hôtel Negresco. Pendant ce temps, ma grand-mère m’attend. Pas longtemps. Mon papa est toujours pressé. Je le vois aussi parfois en photo dans Paris-Match, mais jamais en entier, en général je ne vois que le bout de son nez comme s’il avait fait des acrobaties pour se retrouver à tout prix sur la photo alors qu’on voit bien que le sujet ce n’est pas lui, mais plutôt une actrice très connue ou un comédien que l'on voit à la télé.

Ma grand-mère qui me fait office de maman et de papa m’a expliqué que dans le cinéma, l’amour n’existe pas et que les gens, ils sont souvent obligés de faire des pieds et des mains pour avoir leur place sur la photo car c’est un métier qui les rend fous, à force de trop fréquenter des vedettes, ça les fait croire importants. Alors que dans leur vraie vie, ils deviennent très vite tristes dès qu’ils ne sentent plus briller sur eux la lumière des célébrités, et après ils ne font qu’embêter leur famille à leur reprocher de ne pas être des stars pour que leurs journées, elles soient plus rigolotes.

C’est pour ça que mon papa, il ne m’aime pas. Parce que je ne suis qu’un petit garçon de huit ans, et il ne trouve pas ça très marrant. Il préférerait certainement que je sois un grand artiste de music-hall surdoué pour mon jeune âge à jouer déjà des claquettes, comme ça il serait fier de me promener partout dans les boutiques où les gens me demanderaient des autographes. Mais comme ma vie, c’est plutôt de jouer avec mon cousin et ma cousine, ça l’ennuie.

Avec ma grand-mère de toute façon, on s’en fiche complètement d’être deux abandonnés, elle, c’est son mari qui est parti. Et même qu’on est très content que ceux qui sont censés nous aimer soit par monts et par vaux, comme ça on n’a que nous deux à s’occuper. Et on s’occupe très bien de nous deux. Ma grand-mère, je l’aime beaucoup. Je l’adore même. C’est une grand-mère enfant, dans le sens qu’elle rit tout le temps. C’est comme si elle avait mon âge, sauf qu’elle a le droit d’aller toute seule en ville, alors que moi, pas encore. Mais elle m’emmène souvent. Elle est très fière de me tenir par la main. C’est bien simple, elle dit à tous les commerçants que je suis le plus joli petit garçon de Nice. Ma grand-mère, c’est la maman de ma maman et ma maman, je ne la vois pas souvent non plus car elle était trop jeune quand je suis né pour porter ma responsabilité. Mais là maintenant c’est bien car elle a trouvé un nouveau mari et même qu’à la fin de la semaine je vais prendre le train pour aller la retrouver et vivre avec elle à Montpellier. Au téléphone, elle m’a dit : mon chéri, on va enfin habiter ensemble. Et ça m’a fait très plaisir presque à en pleurer, mais je me suis retenu, je ne voulais pas montrer que j’étais content à ma grand-mère qui sera bientôt triste de ne plus pouvoir me faire à manger ou m’acheter des beaux habits. Car ma grand-mère souvent, je l’entends dire à ses copines en cachette sans savoir que je suis là, que c’est pitié pour un petit garçon d’être sans ses parents, mais qu’en même temps je suis pour elle un cadeau des dieux tellement c’est merveilleux de pouvoir s’occuper d’un enfant quand on a soixante ans et suffisamment d’argent.

Il a été décidé que je prendrai le train avec ma tante mimi qui doit rendre visite à sa fille qui habitent aussi près de Montpellier, mais un peu plus loin sur la voie ferrée. Je me suis dit qu’il y avait certainement dans cette région un nid de maris pour les filles de notre famille, sinon je ne vois pas la raison.

Quand on est arrivé, ma maman m’attendait sur le quai de la gare et j’ai couru très vite pour me jeter dans ses bras et la serrer fort contre mon cœur, car même si je ne la vois pas souvent, c’est quand même ma maman et je l’aime. Enfin, je crois. Après elle m’a amené dans sa nouvelle maison. Elle m’a présenté Roger qui allait être mon futur beau-papa, il a dit comme ça. Puis on a déjeuné, c’était bon, mais j’ai quand même demandé à téléphoner à ma grand-mère qui devait se faire du souci de me savoir pas en face d’elle comme tous les midis depuis que je suis né. Je l’ai sentie faire exprès d’être gaie, mais j’ai entendu des sanglots qu’elle cachait dans sa voix, alors je lui ai dit de ne pas s’inquiéter, que c’était juste la normalité qui s’installait entre nous, qu’un petit garçon, ça devait vivre avec sa maman, surtout quand il était encore un enfant, mais que promis, je viendrai la voir souvent et qu’elle pourrait aussi venir dormir ici, la maison semblait suffisamment grande, même si je n’avais pas encore vu ma chambre, ni accrocher les habits qu'elle m'avait achetés dans un placard ainsi qu’elle me l’avait appris.

Puis ma maman m’a accompagné dans un jardin public pour me promener, je crois, je ne sais pas, je n’ai pas osé lui demander. Il n’y a pas encore entre nous la même intimité qu’avec ma grand-mère où l’on se dit tout et même parfois des grosses bêtises juste pour nous faire rire. Et après ma grand-mère, elle devient toute rouge et elle m’embrasse en me serrant fort contre son cœur que je suis si gentil.

Quand on est rentré, Roger nous a demandé de nous dépêcher, la route était longue quand même avant d’arriver. Ma maman ne m’a pas regardé quand je lui ai posé la question de notre destination. Elle a juste dit à Roger de prendre le bagage du petit, ce à quoi, il a répondu qu’il était déjà dans le coffre de la voiture et qu’il n’attendait que nous. Puis il m’a souri. C’était la première fois de la journée que je le voyais sourire.

- Vous me ramenez chez grand-mère ? J’ai dit ? On part en vacances ? Super ! Où ? Aux Etats-Unis ?

Mais ils ne m’ont pas répondu. Ils n'ont pas ri non plus. Je me suis allé m’asseoir à l’arrière de leur Renault, ma maman devant, mais pas au volant. Pendant le trajet, j’ai regardé le paysage qui s’avançait dans la campagne, surtout des vignes, partout. Puis on a tourné après un village dans un grand parc où il y avait un château, comme celui de La Belle au bois dormant que je ne lis plus car c’est un livre pour les filles, mais que j’aimais bien quand même quand ma grand-mère me le lisait au lit quand j’étais encore petit.

On s’est garé. Plein d’enfants ont couru pour venir me regarder comme si j’étais le pape que l’on ne voit jamais si ce n’est à la télévision.

- C’est quoi ? On est où ? j’ai demandé. 

Mais encore une fois, je n’ai eu que leur silence comme réponse. J’ai essayé de m’énerver et de faire un de mes caprices qui fonctionne si bien avec ma grand-mère, mais ma maman m’a saisi la main qu’elle avait bien froide et on a monté un grand escalier de pierres, pendant que Roger sortait ma valise. J’ai eu envie de pleurer. Je vivais les mêmes images que j’avais déjà vues dans un vieux film au cinéma. Mais je n’en ai pas eu le temps car un monsieur long et fin est arrivé. Il m’a fixé droit dans les yeux en me souhaitant bienvenue dans son pensionnat. Ma vie s’est écroulée.

On est entré dans le bureau du monsieur long et fin. Ma maman m’a embrassé. Roger m’a serré l’épaule en me disant que j’allais me faire plein de camarades ici. J’ai failli lui répondre que des amis, ce n’était pas ce qui me manquait à Nice, j’avais Benoit, Anatole, Charles. Je n’avais donc pas besoin des siens de sa région qui sent trop le vin avec toutes ses vignes, mais j’ai préféré l’ignorer. C’était mieux ainsi. Je venais surtout de comprendre que pour lui, je n’étais rien d’autre qu’une vieille chaussette qu’on peut abandonner n’importe où, histoire de pouvoir continuer d’embrasser ma maman à sa guise et même de lui glisser une main entre les jambes comme s’il croyait que je n’avais rien remarqué pendant le déjeuner.

Ma maman ne me parlait pas. Je me suis dit que, finalement, une maman, ça ne servait à rien, à part de pouvoir souvent rêver à elle et d’imaginer combien ce serait bien si elle me coiffait les cheveux chaque matin avant d'aller l’école, en me déposant un baiser sur le front. Je suis un idiot, j’ai ajouté car chaque fois que je pleure, c’est toujours ma maman que j’appelle dans mes sanglots en croyant qu’elle seule peut me sauver. Autant appeler le bon Dieu, je me suis dit. Le bon Dieu, il a fallu le prier quand nous sommes passés à table. C’était dégoûtant leur nourriture.

Quand je me suis couché sur mon lit en fer, rangé, aligné, dans ce long dortoir qui allait dorénavant me faire office de maison, j’ai eu peur. Peur que ma vie, ça veut dire à présent être tout seul. J’ai eu peur aussi que ma grand-mère meurt sans que j’aie le temps de lui dire combien elle me manque déjà. C’est la première fois que j’ai pensé à ça, même si je me moquais souvent de son grand âge, je n’avais jamais imaginé qu’elle puisse un jour mourir pour de vrai, pour toujours. Ca m’a fait froid. Froid à en crier. Froid à vouloir me réfugier dans l’odeur de ses baisers un peu fanés. Froid à ne pas oser regarder les ombres flotter devant mes yeux. C’étaient les garçons de l’institution, ceux qui ont déjà l’habitude de vivre dans le noir de la nuit à se promener partout entre les lits sans que le surveillant ne les entende. Ils étaient venus m’embêter parce que je suis le dernier arrivé. Le petit nouveau. Ils n’ont pas arrêté de me chahuter, mais leurs pincements et leurs moqueries, ce n’était rien comparé aux fantômes et aux démons qui dansaient dans ma tête. Du coup, ils se sont lassés de mon immobilité et ils sont repartis se coucher. Je me suis retrouvé enfin seul dans mon chagrin. Moi qui ai toujours cru que je descendais d’un cavalier noir sans peur et sans reproche, je me suis mis à trembler et j’ai regretté d’être né d’un papa dans le cinéma et d’une maman trop jeune.

Soudain, je me suis réveillé. Je me suis réveillé car j’étais mouillé. J’étais mouillé et ça sentait mauvais. Bouah ! Très mauvais même. J’ai soulevé mon drap. Et là, j’ai compris que j’étais encore trop petit pour affronter ma nouvelle réalité. Tout était parti. Tout. C’était dégoutant. J’avais tout évacué, ma douleur, ma colère, ma peur, mes regrets, ma mère, mon père, ils étaient tous sortis de mon univers. Pourtant j’avais toujours été un petit garçon bien propre. Alors je me suis levé, j’ai retiré mes draps et je suis allé les laver car je voulais que personne ne connaisse mon intimité si martyrisée. J’étais mouillé et sale, et j’ai eu honte. Terriblement honte. Honte d’aimer autant ma maman.

Sylvie Bourgeois Harel

Henri fait partie des trente-quatre nouvelles de mon recueil Brèves enfances, publié aux éditions Au diable vauvert.

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