Pierre Rabhi rencontre l'écrivain
Sylvie Bourgeois Harel
au Club 55 à Ramatuelle
En septembre 2015, je suis invitée pour être coéquipière sur un bateau exclusivement féminin afin de participer aux Voiles de Saint-Tropez. Une semaine avant, j’annule ma présence à bord, ça m’ennuie de ne régater qu’avec des femmes, je préfère la mixité d’autant que lorsque je me trouve au sein d’un groupe d’hommes et de femmes, je sais que je rencontrerai toujours un homme que je vais faire rire, j’adore faire rire, et qui sera ravi, le temps de la rencontre, d’être mon chevalier servant. En tout bien tout honneur !
Bien m’en a pris car cette invitation m’a motivée à retourner à Saint-Tropez où je ne venais plus depuis des années, j’ai passé une semaine formidable au cours de laquelle j’ai rencontré un homme passionnant, Pierre Rabhi, devenu mon ami.
L’histoire est suffisamment mignonne pour que j’aie envie de la raconter. Nous sommes le 1er octobre. Je suis sur la plage de Pampelonne à regarder les vagues. Mon frère aîné m’attend pour déjeuner au Club 55. Il y a du vent. Je ne suis pas pressée. Le mistral apporte un bleu fascinant. Je suis subjuguée par toute cette beauté de la lumière du Sud dont je ne me lasse pas.
Un peu plus loin, à une cinquantaine de mètres, une dizaine de personnes, en chemise et pantalon, se rassemblent devant des photographes. Soudain, un petit bonhomme, en manteau bleu marine avec une sacoche, quitte le groupe et s’avance vers moi. Je le reconnais, il s’agit de Pierre Rabhi, un paysan devenu écrivain et conférencier qui raconte avec sagesse et philosophie comment, depuis 50 ans, il cultive son potager sans pesticides, ni produits chimiques.
Mon vieil ami restaurateur ramatuellois, Patrice de Colmont, lui a organisé ainsi qu’à Paul Watson, le fondateur de Sea Shepherd, un grand déjeuner en leur honneur. La veille, il m’avait dit qu’il était embêté car il ne savait pas à côté de qui asseoir Pierre Rabhi.
— Tu vois, m’avait-il confié, il faut que je lui trouve la bonne personne qui sera importante pour lui avec qui il pourra bien échanger d’autant que son entourage n’aime pas quand je lui fais faire des mondanités.
L’année précédente, il lui avait présenté Leonardo DiCaprio qui avait invité Pierre sur son yacht au large de Ramatuelle pour un entretien d’une heure avec la promesse qu’il fera tout pour que ses livres soient publiés et médiatisés aux Etats-Unis.
— Tu n’as qu’à me le présenter ton Pierre Rabhi, je lui réponds, je m’occuperai de lui, au moins, avec moi, il rira.
— Non, non, me dit mon vieux pote, c’est trop compliqué.
Je lève les yeux au ciel, j’adore Patrice, mais je déteste que l’on me dise non. C’est pour cela d’ailleurs que je ne demande jamais rien ou alors que très rarement afin de ne pas souffrir du non. Quoique, avec le recul, je me dis que je devrais peut-être demander plus souvent, ainsi, je pourrais toujours avoir la bonne surprise du oui et le non me motive à gagner.
En effet, je ne sais pas ce qu’il s’est passé alors à cet instant précis dans ma tête, mais je décide que le lendemain, Pierre Rabhi ne soit s’occuper que de moi, qu’il doit être mon chevalier servant.
Et hop, ça a marché, merci l’univers de me protéger et d’être aussi gentil avec moi. Arrivé à ma hauteur, Pierre me prend la main qu’il embrasse délicatement et me demande qui je suis. Je lui réponds que je m’appelle Sylvie et que je me suis habillée en vert prairie pour lui rendre hommage. Nous discutons pendant quelques minutes au bord de l’eau, j’ai lu ses livres, je connais son implication pour le respect de la terre. Au bout d’un moment, voyant son groupe lui faire des grands signes, je lui dis au-revoir.
— Ne pars pas Sylvie, viens faire la photo avec nous.
— Non, parfois, je suis sur la photo, mais là, il n’y aucune raison.
— Alors, viens déjeuner avec moi.
— J’ai déjà un déjeuner, Pierre, mais promis, je fais vite et je te rejoins.
Trois quarts d’heure plus tard, je le rejoins à sa grande table d’honneur où il m’a gardé la place à ses côtés, personne n’a le droit de s’y asseoir. Nous avons parlé toute l’après-midi jusqu’à son départ. Nous sommes devenus amis à nous téléphoner régulièrement, à nous voir au moins deux fois par an. Hélas, Pierre est décédé le 4 décembre 2021.
C’est ce 1er octobre 2015 qu’il m’a appris que 75% des semences reproductibles avaient disparu du patrimoine mondial.
Cette phrase m’a choquée au point que deux ans plus tard, j’ai créé ma chaîne YouTube Marcelline l’aubergine. C'est comme pour mes romans, avant d'aborder un sujet, il faut que celui-ci m'ait choquée, qu'il m'ait fait rire ou mal, attristée ou fascinée, mais qu'il ait, d'une manière ou d'une autre, flirté avec moi, je ne peux pas écrire sur ce que je ne connais pas.
Puis Marcelline est devenue la présidente de mon association Avec Sylvie on sème pour la vie, destinée à préserver les semences reproductibles.
Sylvie Bourgeois Harel
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