Chroniques du monde d'avant - 6 -
Les César créés par Georges Cravenne
À 18 ans, de Besançon où j'habitais chez mes parents, j'envoie une lettre à Georges Cravenne, le créateur des César, des Molière, des 7 d’Or, dans laquelle, je lui exprime mon désir de travailler avec lui car je trouve formidable sa façon de promouvoir le cinéma français. Il ne m'a jamais répondu.
« Sept ans plus tard, je vis avec son fils aîné, Charles. Nous nous sommes rencontrés chez Castel. Nous étions ravis de faire partie des 1% de couples rencontrés en boîte de nuit. Nous avons vécu quinze ans ensemble. Charles est d’ailleurs toujours dans ma vie. Avec mon mari, ils s’adorent. Cela a été mon ambition et mon travail de faire en sorte que mon ex et mon mari soient amis. J’ai du mal à éliminer les bonnes personnes de ma vie, je préfère les additionner, et que l’on fasse groupe tous ensemble autour de l’amour que l’on se porte. D’ailleurs, à l’instant où j’écris ces quelques lignes, Charles est à la maison en train de nous cuisiner un risotto délicieux. Il cuisine aussi bien qu’un grand chef.
Georges Cravenne que j’avais sollicité et qui ne m’a jamais répondu est donc devenu mon beau-père. On s’appréciait beaucoup. À l’époque, je travaillais en free-lance dans la communication. Je ne voulais pas être embauchée à plein temps. Je n’aimais que les missions ponctuelles, synonymes de liberté. Georges m’embauchait alors régulièrement pour gérer les invitations lors des César, des Molière et des 7 d’Or. C’était très rigolo. Le téléphone n’arrêtait pas de sonner. Tout Paris voulait y assister. Étant donné que j’étais la plus jeunes, ses vieilles assistantes, Colette, Anne, Micheline, Jacqueline, Yvette, me passait systématiquement les demandes les plus saugrenues, surtout celles qui revenaient chaque année, à l’instar de celles de Monique Lang qui me harcelait afin que son mari, Jack, soit bien assis dans l’angle des caméras pour qu’il soit vu plusieurs fois à la télévision lors de la retransmission en direct de l’émission.
De son côté, Georges, qui avait créé en 1975 l’Académie des arts et techniques du cinéma, s’occupait des stars françaises et américaines. Il les connaissait toutes. Son préféré était Kirk Douglas qui avait épousé Anne, sa petite amie, ce qui les avait soudés à vie. Comme Charles et mon mari. Des êtres généreux qui savent aller au-delà de la jalousie. Qui ont compris que le lien créé par l’amour est ce qu’il y a de plus fort. De mon côté, j’invitais mes parents, mes frères et, en cachette, de nombreux amis comédiens qui rêvaient de participer à la soirée.
La cérémonie était longue, mais elle avait de la tenue, de l’élégance, de la classe. On n’était pas là pour rigoler, mais pour mettre à l’honneur le cinéma français. Tout était conçu et pensé pour offrir du rêve. Pour donner envie d’aller voir les films. Pour apporter de l’émotion. Je me souviendrai toujours de Bernard Blier, qui, lors de son hommage, était arrivé en chaise roulante dans les coulisses. Il était très malade, mais avait tenu à être présent. Au moment d’entrer en scène, comme par miracle, guidé par son amour pour son métier et son respect pour le public, sans l’aide de personne, il s’était levé afin de se présenter debout à la salle qui lui avait immédiatement fait une standing ovation. Tout le monde était en larmes. Vingt-cinq jours plus tard, Bernard mourrait. Il avait été digne jusqu’au bout.
Si je devais résumer en quelques mots la fascination que Georges Cravenne avait pour le cinéma, ce serait justement la dignité, mais aussi le respect, le talent, l’honneur, l’élégance. Georges vénérait les comédiens, les réalisateurs, les producteurs. Hormis les César, les Molière et les 7 d’Or, il organisait les plus prestigieuses avant-premières de Paris ainsi que les soirées les plus spectaculaires pour faire parler d’un nouveau produit, d’une nouvelle marque. Dès les débuts dans son métier de Relations Publiques, il avait inventé de créer l’évènement en invitant les personnes les plus célèbres associées aux plus riches, le tout dans des décors extraordinaires, fastueux et étonnants, afin d’obtenir le journal de 20 heures et un maximum de presse, les journalistes et photographes conviés étant fascinés par ce melting-pot mondain prêt à tout pour s’amuser car les soirées de Georges savaient marier humour et tenue.
Pour en revenir aux César, un autre joli souvenir date de 1990. Lorsque Kirk Douglas arrive au théâtre des Champs-Élysées, tous les visages sont emprunts d’admiration. Après avoir monté les escaliers, avant de répondre à une interview d’Antenne 2, il s’est retourné en riant et a offert son plus beau sourire et sa célèbre fossette aux invités médusés. On avait à la fois Spartacus, Van Gogh, le Colonel Dax des Sentiers de la gloire, et le côté tendre et complice du meilleur ami de Georges.
Après la cérémonie, un grand dîner très chic nous attendait au Fouquet’s. J’installais mes parents qui venaient spécialement de Besançon pour la soirée. J’étais fière de les avoir avec moi. Mon père qui était très drôle arrivait à sympathiser avec des producteurs américains alors qu’il ne parlait pas un mot d’anglais. Tout était dans le style et la gestuelle !
Une fois tous les invités partis, avec Charles, Georges et Daniel Bart, son fidèle assistant, nous nous asseyions aux côtés de Maurice Casanova, l’adorable et rigolo propriétaire des lieux, un Corse, grand amoureux des stars lui aussi, et nous faisions le débriefing de la soirée. Les anecdotes pleuvaient. On riait, soulagés qu’elle soit réussie. Georges décompressait. Il souriait enfin. Au moment de récupérer nos manteaux au vestiaire, il remerciait Charles de sa présence. Charles travaillait dans la distribution de films américains, chez Columbia-Tristar, mais se libérait chaque année pour aider son père.
Parmi les choses entendues sur les César, voici quelques petites précisions :
Jean-Paul Belmondo a longtemps boudé la cérémonie, vexé que Georges n’ait pas demandé à son père sculpteur ( jeune, ma maman posait pour lui afin de payer ses études, elle est d’ailleurs en ange dans la cathédrale d’Amiens ) de créer la statuette. Mais Georges a préféré choisir son ami César dont le nom avait la même consonance que les Oscar, et qui rappelait également le grand Marcel Pagnol.
Georges a toujours déclaré avoir créé les César par rapport aux Oscar. Il voulait la même cérémonie pour la promotion du cinéma français. La seule différence était que les Américains votaient uniquement dans leurs catégories, les acteurs pour les acteurs, les scénaristes pour les scénaristes… Georges avait tenu à ce que toute la profession vote pour toutes les catégories.
Georges n’a jamais dévoilé les résultats que pourtant il connaissait dès 16 heures lorsqu’il les découvrait chez l’huissier. Il repartait avec toutes les enveloppes cachetées qui n’étaient ouvertes que durant la cérémonie. Même Alain Delon qui le lui avait demandé, pourtant très proche de Georges, n’a jamais su à l’avance s’il avait le César ou pas. Une seule fois, Georges a cédé pour les 7 d’Or, sous la pression du patron de la chaîne de télévision qui diffusait la cérémonie. Il a donc appelé dans l’après-midi les animateurs qui recevraient un prix. Résultat, la moitié de la salle était vide. Ceux qui n’avaient pas de prix n’avaient pas daigné se déplacer, ne serait-ce que pour féliciter leurs collègues. Georges s’était juré de ne plus jamais recommencer.
Georges vieillissant, ses enfants, à ma grande déconvenue et malgré mes insistances, n’ont pas voulu reprendre le flambeau, a vendu sa société. Canal+ , puis France TV, se sont emparés des César. Le ton a changé. Fini l’élégance qui n’était, soi-disant, plus à la même mode. Dorénavant, il fallait se moquer, faire rire, faire jeune. Comme si se moquer, faire rire, faire jeune, était synonymes de qualité ! On est alors passé du grandiose à la blagounette et au ricanement. Des blagounettes tristes et du ricanement irrespectueux. Des blagounettes pas drôles. Ils ont tué l’excellence, le talent, l’élégance.
Pauvre Georges qui, comme le dit si bien Charles, se retournerait dans sa tombe s’il était encore vivant » !
Sylvie Bourgeois Harel
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Chroniques du monde d'avant - 3 - Jean-Jacques Goldman - Sylvie Bourgeois fait son blog
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Chroniques du monde d'avant - 5 - L'Élysée, Jacques Lanzmann - Sylvie Bourgeois fait son blog
L'Élysée - Sylvie Bourgeois Chroniques du monde d'avant - 5 - L'Élysée, Jacques Lanzmann Nous sommes en 1991. - Je veux faire un livre sur l'Élysée, me dit Jacques Lanzmann, dont j'étais l'a...
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La joie, et si transmettre de la joie était ma mission sur terre ?
Hier, un très bon ami m’a conseillé d’écrire un livre de développement personnel sur ma façon de communiquer dans laquelle j’essaye toujours de mettre mon interlocuteur dans la joie. La joie est l’attitude la plus enthousiasmante que je connaisse. Elle ouvre le coeur. Et j’aime ouvrir les coeurs. J’aime offrir la possibilité à chacun de connaître son potentiel de joie. J’aime aussi le délivrer, le temps de notre rencontre, de sa colère, de son énervement, de sa frustration, de ses déceptions. Lui montrer également qu’il peut profiter de chaque instant et ne pas devenir une victime collatérale de l’ambiance souvent morose des grandes villes.
Lorsque j’habitais à Paris, et même lorsque j’y retourne, je parle toujours avec les chauffeurs de bus. Un jour de grève, le bus est bondé, je vais pour payer mon ticket - on pouvait encore payer en liquide ses tickets, maintenant il faut deux Passes Navigo, un pour le bus et un pour le métro car il paraît que la RATP va être privatisée et scindée en deux, les bus d’un côté, les métros de l’autre -, mais le chauffeur qui est énervé m’envoie bouler :
— Va falloir patienter, je m’occupe de la dame qui était là avant vous.
Au lieu de lui répondre sur le même ton, je lui souris et lui dis gentiment :
— Bien chef !
Estomaqué, il se retourne vers moi qui ai gardé mon sourire, il éclate de rire :
— Ce n’est pas demain la veille que ça va m’arriver d’être chef !
À partir de là, nous avons une longue conversation sur les métiers que l’on effectue pour gagner notre vie, mais qui ne doivent pas nous définir en tant qu’être humain, seules nos valeurs le peuvent.
— Vous allez où ? me demande-t-il.
— Chez Dalloyau, rue du Faubourg-Saint-Honoré.
— Ce n’est pas sur mon parcours, ça.
— Non, je marcherai un peu.
— Mais il pleut.
— Vous savez, j’ai grandi à Besançon, la pluie ne m’effraye pas.
— Taratata, une si gentille dame qui a ébloui ma journée, je vous dépose.
— Comment ça vous me déposez ?
— Je fais un petit détour et, hop, je vous dépose devant Dalloyau, c’est un magasin très chic, non ?
— Oui, ils font les meilleures viennoiseries du monde. Je vais les voir car ils m’offrent un cocktail pour la sortie de mon prochain livre.
— Je suis sûr que l’on doit souvent vous faire des cadeaux.
— Je dois reconnaître que oui, et je dis toujours merci, j’ajoute en riant.
— Je le comprends, vous incarnez la joie. Vous m’avez fait un bien fou aujourd’hui !
Alors que le chauffeur me dépose pile-poil devant chez Dalloyau, une femme âgée râle que ce n’est pas le bon trajet, pendant que sa voisine, aussi vieille qu’elle, opine de la tête. Ce à quoi, le chauffeur leur répond très aimablement que la vie est belle malgré la pluie et qu’elles n’ont pas à s’inquiéter.
Un autre jour, nous sommes invités à un mariage très mondain auquel je n’ai pas envie de me rendre. En effet, une amie épouse un homme très riche qu’elle n’aime pas. Sans la juger, célébrer cette union ne me réjouit pas.
— On prendra le bus, j’annonce à mon mari qui est en train de se préparer.
Mon mari, qui préférerait prendre un taxi, ne me contredit pas. Il sait que quand je n’ai pas envie d'aller quelque part, je l’oblige à prendre le bus.
À 21 heures, nous montons donc dans le bus. Oui, je l’oblige aussi à arriver en retard. Pendant que mon mari s’assied sur un siège au fond, je reste près du chauffeur.
— Nous allons au mariage d’une amie qui épouse un homme riche dont elle n’est pas vraiment amoureuse, ça me chagrine, je n’aime que les mariages d’amour. Mon mari, par exemple, je l’ai épousé par amour.
— Ma femme aussi, je l’ai épousée par amour, me confie-t-il, ça fait quinze ans que nous sommes ensemble, et je l’aime comme au premier jour.
Et nous voilà partis à converser sur l’amour.
— Il est où votre mariage ? me demande-t-il soudain.
— Loin, on doit marcher longtemps après l’arrêt du bus. On va arriver en retard, mais je m’en fiche, je n’ai pas envie de cautionner cette union, surtout qu’elle est très belle mon amie, elle aurait dû épouser un homme qu’elle aimait à la folie.
— Vous avez raison, vous savez quoi, je vous dépose.
— Comment ça, vous nous déposez ?
— Je vais faire un petit détour, comme ça, je vous laisse juste devant l’entrée de l’hôtel où se déroule votre mariage.
— Trop chic, merci.
— Ça me fait plaisir, ce n’est pas tous les jours que je peux parler d’amour, et encore moins au boulot, vous savez, les gens sont souvent stressés, fatigués, énervés, moi, je dois absorber toutes leurs mauvaises énergies. Tandis qu’avec vous, le trajet a été tellement joyeux.
— Je vais vous faire une confidence, je ne vais pas rester au dîner, à minuit, hop, je retire discrètement nos noms sur la table, hop, je prends mon mari par la main et, hop, on s’éclipse.
— Et hop, je serai là, me répond le chauffeur en se marrant.
— Comment ça, vous serez là, je lui demande, incrédule.
— À minuit, c’est mon dernier service, je serai devant votre hôtel.
— Chiche ?
— Chiche !
— Génial. Et vive l’amour, je lui balance en descendant du bus.
À minuit moins cinq, après avoir retiré discrètement nos noms de la table où nous devions nous installer, je prends mon mari par la main et, hop, nous quittons discrètement la réception au moment où tout le monde allait s’asseoir.
Mon mari s’apprête à héler un taxi.
— Attends un instant, s’il-te-plaît.
— Ne me dis pas que tu veux rentrer à pied.
Oui, j’adore marcher la nuit dans Paris, mon mari pas du tout.
— Non, pas ce soir, mais attends, je veux vérifier quelque chose.
Deux minutes plus tard, à minuit pile, un bus arrive dans le noir et stoppe juste devant nous. Étonné, mon mari me regarde :
— Qu’est-ce que tu as encore fait ? me questionne-t-il, incrédule.
— Promis, juré, rien, mais monte.
— Vous voyez, j’ai tenu parole ? me dit le chauffeur tout ragaillardi malgré l’heure tardive.
— Je n’en ai pas douté un seul instant, on voit que vous êtes un homme sur qui on peut compter, je lui réponds en riant.
Soudain, une dame âgée se met à râler que ce n’est pas le bon chemin. À croire qu’il y toujours une dame âgée qui râle dans les bus parisiens, peut-être une espionne de la RATP qui surveille les chauffeurs trop gentils.
Au moment de démarrer, le chauffeur reconnaît mon mari.
— Oh, c’est vous, Les Randonneurs, lui -dit-il tout content, j’adore votre film qui m’a tellement fait marrer. J’ai dû le regarder au moins dix fois. Mais vous savez, si je suis revenu vous chercher, c’est pour votre femme, ce n’est pas parce que vous êtes connu. D’ailleurs, avec votre chapeau, je ne vous avais pas remarqué. Mais votre femme, continue-t-il, vous avez bien fait de l’épouser. C’est une belle personne. Elle est gentille. Elle incarne la joie, mais surtout, ce soir, elle m’a offert le plus beau des cadeaux. Elle m’a offert la possibilité d’être libre et de faire ce que je voulais, et ça, c’est un cadeau inestimable.
Sylvie Bourgeois Harel
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Mes amis, les habits, mon ensemble short cardigan - Sylvie Bourgeois fait son blog
Mes amis, les habits, mon ensemble short cardigan J'ai 12 ans. C'est le printemps. Je suis en sixième. Avec Nathalie, ma meilleure amie, nous avons fait de la couture. J'étais contente d'avoir pa...
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Chroniques du monde d'avant - 5 - L'Élysée, Jacques Lanzmann
Nous sommes en 1991.
— Je veux faire un livre sur l’Élysée, me dit Jacques Lanzmann, dont j’étais l’agent. Je désire raconter la vie des employés, des conseillers, des femmes de ménage, rien de politique, que du quotidien. Vois comment tu peux mettre cela en place. Appelle Jack Lang, il me connaît.
Un mois plus tard, la réponse du ministre de la Culture tombe, il trouve l’idée excellente d’autant qu’il admire le talent de Jacques, celui de l’écrivain mais aussi celui du parolier de Jacques Dutronc, Il est 5 heures, Paris s’éveille, fait d’ailleurs partie de ses chansons préférées.
La semaine d’après, je reçois un laisser-passer pour six mois durant lesquels je peux aller où je veux au Palais de l’Élysée. Mon rôle est d’organiser les interviews et les prises de vue, et de sélectionner ce qui pourrait être intéressant pour Jacques à raconter. J’adore. On me fait tout visiter. Et aussi, à titre tout à fait exceptionnel, les appartements privés de François Mitterrand, alors président de la République, décorés par Paulin. J’assiste aussi à une remise de Légion d’Honneur au cour de laquelle Mitterrand m’épate de connaître par coeur le discours pour les trente médaillés.
Me rendre régulièrement à l’Élysée est très joyeux d’autant que ma spontanéité et mes mini-jupes (ma maman me disait toujours que les shorts et les mini-jupes, c’était ce qui m’allait le mieux), sont très appréciées. En effet, de nombreux conseillers de François Mitterrand m’invitent à déjeuner dans les salons privés, c’est très beau et très doré. Le premier, pour m’épater, m’avait commandé un repas entièrement à base de truffes, je déteste les truffes, je n’avais rien mangé. Le chef Joël Normand me concocte des repas dans la cuisine, c’est très bon et impressionnant de voir notre table dressée pour deux devant son équipe qui ne parle que pour crier : Oui chef ! Le photographe attitré de l’Élysée me trouve très photogénique et veut absolument m’emmener en voyage officiel dans les avions du Glam, je refuse bien évidemment. Il désire également me présenter des amis afin que je devienne comédienne. Je refuse aussi. Alors que j’ai longtemps désiré être comédienne. Mais je ne voyais pas trop le rapport entre l’Élysée et le cinéma.
Quand le livre sort, l’éditeur me demande d’en faire la promotion. Je propose à Michel Drucker de monter une émission spéciale autour du livre. Il accepte aussitôt. En plus de Lanzmann, il aimerait également inviter Hubert Védrine, alors secrétaire général de la présidence de la République, mais celui-ci refuse de participer à une émission de variétés. Je prends rendez-vous et j’arrive à le convaincre. Trois jours avant le tournage, l’assistant de Drucker me téléphone pour me promettre qu’ils mettront bien en avant le livre, mais qu’ils ont trop d’invités, bref que Jacques Lanzmann n’est plus convié.
J’appelle Jacques pour le lui annoncer. Il se met à pleureur que plus personne ne l’aime, qu’il est blacklisté, qu’il est fini depuis que Dutronc l’a trahi après l’avoir convoqué un soir à minuit dans son studio pendant qu’il interprétait avec plaisir une chanson de son nouveau parolier. Jacques avait souffert pire que si sa femme l’avait fait venir dans un hôtel pendant qu’elle était en train de faire l’amour avec son amant. J’ai eu beau lui soutenir que cela n’avait rien à voir, qu’il était dans une confusion totale, il a continué de pleurer.
Comme je ne peux pas entendre un ami de 64 ans pleurer, ni une, ni deux, je téléphone à Hubert Védrine et lui demande s’il serait d’accord que j’annule sa présence chez Drucker.
— Tout ce que vous voulez Sylvie, me répond Védrine.
Puis je téléphone à l’assistant de Drucker pour décommander Védrine. Dix minutes plus tard, Drucker m’appelle.
— Vous ne pouvez pas me faire ça, Sylvie, s’il-vous-plaît, téléphonez à Hubert Védrine, il ne veut parler qu’à vous.
— Non, je lui réponds en mordant dans ma tartine beurrée pleine de miel, à 17 heures, où que je sois, je bois un goûter chocolat chaud avec des tartines. Puisque vous avez humilié mon Jacques Lanzmann si gentil, je suis obligée de vous punir, vous n’aurez pas Védrine qui n’avait accepté que pour me faire plaisir.
Au bout du fil, Drucker ne comprend pas. À sa décharge, il n’avait jamais vu mes mini-jupes qui, avec du recul, avaient, je pense, leur taux d’influence dans certaines prises de décision totalement irrationnelles de la part de mes interlocuteurs.
Drucker est furieux. J’éclate de rire. Je déteste qu’on me menace. Il tente autre chose et se met à pleurer.
— Ah non Michel, pas vous aussi, déjà que Jacques était en pleurs tout à l’heure, tout ça pour un bouquin sur l’Élysée, ça frise le ridicule.
— Ah bon, Jacques pleurait ? me demande Drucker en reniflant comme un enfant.
— Ben oui, il est persuadé que vous ne l’aimez plus.
— Dites-lui que je l’adore.
— Vous l’adorez peut-être, n’empêche vous ne l’invitez pas.
En fin de journée, Drucker me téléphone à nouveau.
— C’est bon Sylvie, dites à Jacques qu’il peut venir sur le plateau. Mais vous m’appelez Védrine, je le veux aussi.
Au bout du fil, Védrine me félicite de ma capacité de persuasion.
— Vous ne voulez pas venir faire de la politique, vous en avez le talent.
— Certainement pas, c’est pathologique de vouloir faire de la politique.
Le livre s’est bien vendu. L’éditeur est content. Jacques aussi. Et mon laisser-passer de six mois pour rentrer comme je veux à l’Élysée est terminé. Mais c’est sans compter sur l’influence et l’impact que mes mini-jupes laissent dans le souvenir de certains hommes. En effet, un conseiller m’appelle et me demande de venir le voir le lendemain. Dans son bureau, il prolonge mon laisser-passer de nouveau pour six mois sans me donner de raison particulière. D’ailleurs, quand les hommes me font des cadeaux irrationnels, je ne cherche jamais à avoir d’explications, je dis juste merci. Donc merci monsieur le conseiller de l’Élysée !
Youpi ! A moi les bons petits plats dans les salons dorés d’autant que je viens de m’installer rue du Colisée, à deux pas de l’Élysée, chez un nouveau client pour faire la promotion des vins de Pays.
Tous les matins, mon plaisir est d’aller à l’Élysée, de traverser la cour carrée, de monter les grands escaliers que l’on voit à la télé, de pénétrer dans le bâtiment du fond et d’aller faire pipi dans les toilettes, à gauche, sous la statue d’Arman. Ça m’amuse terriblement. Au passage, je salue le photographe officiel qui ne se lasse passe de me faire miroiter que, grâce à lui, je peux devenir comédienne et faire du cinéma, que j’ai le physique et le tempérament pour ça, il avait certainement raison ! Je fais également coucou aux quelques conseillers que je connais quand je les croise, aussi au talentueux et gentil chef Joël Normand, et à tous les corps de métier dont j’ai fait la connaissance et qui sont enchantés d’avoir été pris en photo dans le livre L’Élysée comme si vous étiez de Lanzmann.
Mais pas une seule fois, je me suis dit que, vue la chance que j’ai d’être autant appréciée (moi ou mes mini-jupes, je ne saurai jamais… ), dans cette enceinte du pouvoir, au coeur du gouvernement français, je pouvais peut-être essayer de me trouver un travail au service de la communication de l’Élysée.
Non, pas une seule fois, l’idée n’est montée à mon cerveau. Je pensais juste à aller faire pipi dans les toilettes de Mitterrand, ce qui m’amusait terriblement.
Sylvie Bourgeois Harel
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Chroniques du monde d'avant - 3 - Jean-Jacques Goldman - Sylvie Bourgeois fait son blog
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Chroniques du monde d'avant - 3 - Jean-Jacques Goldman
Nous sommes en 1993.
De Jean-Jacques Goldman, je ne connais aucune chanson. Je n’ai jamais écouté de variété française. Ce qui me causait bien des soucis à la petite école quand, à la récré, les filles me demandaient quel était mon chanteur préféré, elles étaient toutes amoureuses de Claude François ou de Johnny Hallyday, moi d’aucun, je n’avais pas d’idole. Et surtout pas de Johnny Hallyday qui me cassait les oreilles lorsque mon frère aîné montait sur le rebord de la fenêtre du salon, et avec un micro branché sur la chaîne de nos parents, hurlait Que je t’aime, que je t’aime, en chantant faux, d’autant que j’étais obligée de l’écouter et de l’applaudir.
Mais un lundi matin, décidée à établir un lien social avec mes petites camarades, je leur ai dit que j’aimais bien Gérard Lenormand. En effet, le samedi soir, mes parents étaient sortis dîner chez des amis, j’avais regardé une émission dans laquelle il avait chanté La Balade des gens heureux. Ce genre de conversation ennuyeuse n’avait pas duré, je m’en foutais totalement de leurs stars, je préférais être la star de la corde à sauter, ce qui m’a valu la jalousie de deux filles qui, énervées que je gagne toujours, ont essayé de me tuer en me passant la corde autour du cou et en tirant chacune d’un côté de toutes leurs forces. Je suis tombée dans les pommes, en sang, je m’en souviens encore.
Lorsqu’à 30 ans, on me propose de m’occuper de la presse d’un beau livre dans lequel se trouve l’album Rouge de Jean-Jacques Goldman, illustré par Lorenzo Mattoti et accompagné de nouvelles de son beau-frère Sorj Chalandon, journaliste à Libération, j’accepte. Je ne sais pas que Jean-Jacques Goldman est une star.
À l’époque, je travaille dans la communication en free-lance. Je disais à mes clients que ma spécialité était de ne pas être spécialisée. J’ai de la chance. À chaque mission, un chef d’entreprise me repère. Je m’installais toujours dans sa société le temps de mon contrat.
J’ai donc mon bureau chez Sony Music depuis une heure lorsque une fille affolée vient me dire que, demain, elle m’emmène à Canal + :
— Jean-Jacques fait une télé, ajoute-t-elle, excitée, ce qu’il n’a pas fait depuis trois ans, il n’aime pas ça.
Je le comprends totalement, moi-même, je n’ai pas la télé. Je ne supporte pas l’idée que des gens que je ne connais pas parlent entre eux dans mon salon sans que je puisse leur répondre. C’est un concept inacceptable. Et puis le soir, je préfère aller danser que regarder la télé.
Le lendemain, je pénètre donc avec cette fille chez Canal + dans une loge bondée où une cinquantaine de personnes sont entassées.
— Bonjour ! lance-t-elle gaiement à Jean-Jacques Goldman qu’elle croise à l’entrée. Je suis Nathalie, tu te souviens de moi ?
Dans la voiture, elle m’avait dit que dans le milieu de la musique, tout le monde se tutoyait et s’appelait par son prénom, même ceux qui ne se connaissaient pas, qu’ils formaient en quelque sorte une famille. Je lève les yeux au ciel. Une famille, j’en ai déjà une, et les groupes, passé quatre personnes, ça me fatigue. Quant au vouvoiement, je trouve cela follement sexy autant que mes minijupes que je porte, été comme hiver, avec des vestes cintrées et décolletées.
— Non, lui répond Jean-Jacques Goldman, je ne me souviens pas.
— Mais si, insiste-t-elle, on s’est vus hier, je suis Nathalie de Sony Music, je m’occupe de la télé.
— Tu sais quoi, la prochaine fois que tu me vois, tu dis Nathalie Télé, ajoute-t-il en mimant avec ses mains un carré censé représenter un écran de télévision.
N’ayant aucune envie de lui parler, je file, sans le saluer, rejoindre son frère Robert, dont j’avais fait la connaissance la veille, et qui me fait des grands signes sympathiques.
Je suis en train d’avaler un dixième four, les petits fours étaient délicieux chez Canal+, quand un jeune assistant équipé d’un talkie-walkie arrive en tordant des fesses :
— Jean-Jacques, c’est à toi, on t’attend sur le plateau.
Toujours cette obsession de se tutoyer !
Le chanteur va pour le suivre quand, du fond de la loge, je lui crie :
— Monsieur Goldman, il y a un problème !
Je suis comme les enfants, je n’ai pas de filtre, je dis tout ce qui me passe par la tête, je suis toujours très spontanée, je ne sais pas faire autrement.
Un silence s’établit immédiatement. Tous les regards se tournent vers moi. je me dis qu’ils doivent trouver ravissant mon tailleur minijupe en drap de cachemire baby rose de chez Scooter, un ensemble que j’adore et que je porte avec des bottes plates de chez Free-Lance et des collants noirs opaques.
— On m’a dit que vous n’aviez pas fait de télévision depuis trois ans, je lui lance, mais la façon dont vous êtes habillé, ça ne va pas du tout. Votre veste est trop grande pour vos petites épaules, c’est moche, retirez-la, vous avez une jolie chemise en dessous, vous serez plus à l’aise.
Les 50 regards tournés vers moi se changent en 50 regards de haine, me faisant comprendre que je ne dois pas parler ainsi à la star qui fait vivre financièrement Sony Music France.
Jean-Jacques Goldman s’arrête à l’entrée de la loge. Pendant que l’assistant le presse de le suivre, chuchotant à son talkie-walkie que, oui, oui, il arrive, le chanteur me regarde sans dire un mot. Je suis comme dans un western lorsque les cow-boys se confrontent les yeux dans les yeux, avant de se tirer dessus, devant tout le saloon médusé qui les admirent de peur, en silence. Je me dis que ma mission de m’occuper de la sortie de son livre Rouge va s’arrêter le soir-même. Une fois de plus, j’ai parlé trop vite. Une fois de plus, j’ai été trop spontanée. Que je devrais apprendre à me taire. En même temps, je n’ai pas envie de changer ma façon d’être, j’aime bien laisser mon coeur agir et s’exprimer. De toute façon, même si je le voulais, je n’y arriverai pas.
Au bout d’une minute qui a semblé une éternité, Goldman commence à marcher vers moi. Tout doucement. Il prend son temps. Les autres s’écartent sur son passage pour le laisser passer. Il s’arrête à ma hauteur.
— Qui es-tu ? me demande-t-il.
— Je m’appelle Sylvie, je réponds.
De nouveau, un long silence. Très long. J’ai le temps de penser que je dois absolument acheter du lait au Monoprix de Neuilly qui ferme à 22 heures. J’ai envie de manger des crêpes. J’adore les crêpes. Mon amoureux aussi.
Soudain, Jean-Jacques Goldman retire sa veste et me sourit. Il est très charmant, je me dis, vraiment très charmant, il devrait sourire plus souvent.
— Tiens, je te la donne, continue-t-il en me la tendant, je l’ai acheté 30 francs aux Puces. Ah oui, et merci Sylvie, ajoute-t-il en plongeant son adorable sourire dans mes yeux, ça fait quinze ans que l’on n’a pas été aussi sincère avec moi, merci.
Ce n’est plus 50 regards de haine que j’ai de la part du groupe, mais 50 regards de double-haine, tous apeurés à l’idée que je leur pique leur place privilégiée auprès de la star.
Ils n’ont juste pas compris qui je suis. Jean-Jacques, si, il a tout compris. En effet, j’aime être compétente dans mon travail, m’amuser aussi en bossant, mais ensuite, je veux qu’on me foute la paix. Je fuis. Je pars. Je rentre chez moi. j’ai besoin d’être seule pour pleurer mes chagrins jamais consolés de petite fille abusée (ce n’était pas mon papa) et de jeune femme violée.
C’est ce que j’ai fait d’ailleurs. Je n’ai pas entendu la fin de l’interview. Je suis partie. J’ai quitté les 50 regards en attente de l’amour de la star, et je suis allée acheter mon lait pour mes crêpes au Monoprix de Neuilly avant qu’il ne ferme, la veste de Jean-Jacques sous le bras, dorénavant, je peux l’appeler Jean-Jacques puisqu’il m’appelle Sylvie.
Sylvie Bourgeois Harel
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Chroniques du monde d'avant - 4 - Cartier rue de la Paix - Sylvie Bourgeois fait son blog
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Chroniques du monde d'avant - 5 - L'Élysée, Jacques Lanzmann - Sylvie Bourgeois fait son blog
L'Élysée - Sylvie Bourgeois Chroniques du monde d'avant - 5 - L'Élysée, Jacques Lanzmann Nous sommes en 1991. - Je veux faire un livre sur l'Élysée, me dit Jacques Lanzmann, dont j'étais l'a...
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Chroniques du monde d'avant - 4 - Cartier rue de la Paix
J’ai 23 ans. Je suis à Paris.
Je viens de donner ma démission et je veux un nouveau travail. Plus exactement, il me faut tout de suite un nouveau travail. Je ne supporte pas de ne rien faire et surtout j’ai besoin de gagner de l’argent. Mais j’aime aussi accumuler les expériences professionnelles afin d’apprendre un maximum.
N’ayant pas fait d’études et ayant commencé à travailler très jeune, à 12 ans, je n’ai que le choix de répondre à des annonces. J’en repère une : Cartier cherche du personnel féminin pour son service après-vente. Je me rends rue de la Paix et je suis immédiatement embauchée. Les autres filles qui sont là ont eu droit, la semaine auparavant, à trois tailleurs Mugler avec les chemisiers assortis afin qu’elles soient toujours impeccables. Pour moi, c’est trop tard, il n’y a plus de budget. Je dois donc me débrouiller avec ma garde-robe qui est composée de deux vestes décolletées serrées à la taille que je mets avec des mini-jupes que je me fais moi-même avec du tissu tubulaire que j’achète au mètre et sur lequel je couds de chaque côté des galons en coton de couleur différentes. C’est très sexy. J’adore être sexy. Je les mets avec des collants opaques et des chaussures plates.
Nous sommes derrière un grand comptoir au fond du magasin où les clients viennent déposer leurs montres à réparer. Les filles mesurent toutes un mètre soixante-quatorze et portent des talons. Avec mon mètre soixante-quatre mètre et à plat, j’ai l’impression d’être vraiment tout petite. Peu importe, j’assume. De toute façon, ma vie n’est pas le jour chez Cartier, non, ma vie, c’est la nuit chez Castel où je vais danser chaque soir et m’amuser. Je rentre à 6 heures du matin, je m’écroule sur mon lit, puis je prends une douche, je change ma jupe en tubulaire et je pars au boulot en avalant deux pains au chocolat.
Très rapidement, les clients les plus importants viennent vers moi, certains même attendent afin que je les serve, je dois les faire rire, je crois, et puis, je viens de Besançon, la capitale de la montre, je m’y connais, et surtout, je ne me la pète pas tandis que les autres filles font les malines de travailler chez Cartier et de porter du Mugler qu’elles n’ont pas acheté, elles rêvent d’ailleurs toutes qu’un client fortuné les épouse.
Puis un jour arrive ce qu’ils appellent un VIP, un comédien archi connu qui fonce direct sur moi. Je lui dis que je vais appeler la directrice car je n’ai pas le droit de m’occuper de lui. C’est la règle, seule la directrice doit servir les personnalités. Il me répond non, non, vous êtes très bien. Je l’emmène donc dans l’un des quatre salons privés qui se trouvent de chaque côté.
Le lendemain, un autre VIP fonce sur moi et ainsi de suite, ils veulent absolument être servis par moi alors que je suis la plus petite derrière le grand comptoir avec ma veste décolletée marine, ma préférée, serrée à la taille, ma mini jupe en tubulaire à six francs le mètre, et mes bâillements incessants à force de ne pas dormir assez.
A la fin de la semaine, remontrance de la directrice. Je n’aime pas les remontrances d’autant que je travaille trois fois plus que les autres filles, que je suis méga compétente, et que je n’ai pas eu droit aux jolis tailleurs Mugler avec les chemisiers assortis.
Pendant trois mois, je sympathise avec plein de personnalités, des hommes, je précise. Dans les salons privés, je leur parle de la nature, des étoiles, des âmes, mes sujets favoris, ils rient et s’amusent, me confient aussi parfois leurs soucis, certains m’offrent des chocolats, du parfum, d’autres m’invitent à dîner, j’adore. Mais la directrice pas du tout, elle fulmine.
Au bout de ma période d’essai, elle me convoque dans son bureau et m’explique qu’avec mon caractère enjoué et ma spontanéité, je ne suis pas faite pour Cartier où la retenue est de rigueur. En revanche, elle me trouve si efficace qu’elle a parlé de moi à son mari qui est le patron du Comité Colbert, qui réunit toutes les grandes marques françaises du luxe, je serais parfaite pour travailler avec lui où une vraie carrière évolutive m’attend.
Au lieu de lui répondre merci madame, je vais téléphoner à votre mari, dont elle m’avait donné les coordonnées et qui attendait mon appel pour me rencontrer, je me suis mise en colère. Mais dans une vraiment grosse colère. J’étais choquée que l’on puisse me reprocher d’être souriante, spontanée et compétente. Je l’ai engueulée. Carrément engueulée, qu’elle n’avait qu’à se garder son mari pour elle, et que jamais mon sourire et ma spontanéité ne seront au service de qui ce soit.
Le lendemain, j’ai commencé mes cours de théâtre chez Jean-Laurent Cochet. Le soir, pour gagner ma vie, je travaillais au restaurant le Petit Poucet sur l’île de la Jatte, puis j’allais danser chez Castel ou aux Bains Douches avec mes mini-jupes à trois francs. J’ai gardé quelques personnalités comme amis. Et aussi mon sourire et ma spontanéité. Et je me suis achetée une chemise Mugler. Non mais !
Sylvie Bourgeois Harel
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Chroniques du monde d'avant - 3 - Jean-Jacques Goldman - Sylvie Bourgeois fait son blog
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Chroniques du monde d'avant - 4 - Cartier rue de la Paix - Sylvie Bourgeois fait son blog
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Chroniques du monde d'avant - 5 - L'Élysée, Jacques Lanzmann - Sylvie Bourgeois fait son blog
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Chroniques du monde d'avant - 2 - Festival de Cannes, Georges Wilson
Nous sommes en mai 1989 (ou 88 je ne sais plus).
Je suis au Festival de Cannes. Je travaille en free-lance dans la communication depuis trois ans. Je suis embauchée par un éditeur de vidéo qui lance sa collection dans laquelle il désire rassembler toutes les Palmes d’Or.
Avec Josée qui connaît tout le monde dans le cinéma, nous devons lui organiser des déjeuners au Majestic et quelques montées des marches. C’est ainsi que je rencontre Georges Wilson qui veut absolument me revoir à Paris d’autant que je lui ai confié mes désirs enfouis d’être comédienne, mes cours de théâtre chez Jean-Laurent Cochet, mon amour des textes, de la scène, du jeu.
Il m’invite à déjeuner dans un restaurant à deux pas du théâtre de l’œuvre, dans le 9ème, dont il est le directeur artistique. Il me raconte son passé, ses souvenirs, Jean Vilar, le TNP. Commence alors une jolie amitié.
Il m’appelle régulièrement, prend souvent de mes nouvelles, me demande de venir le voir au théâtre où il passe ses journées. On rit beaucoup. On s’amuse à rejouer des scènes de « Je ne suis pas rappaport », une pièce américaine que j’avais adorée, dans laquelle avec Jacques Dufilho, ils étaient deux vieux sur un banc à évoquer la solitude, la vieillesse, la mort.
Puis un jour, Georges me parle de son projet qui lui tient à cœur depuis longtemps, il désire monter Eurydice, une pièce de Jean Anouilh, mais c’est dur, il ne trouve pas les financements, malgré sa carrière. Il se plaint que les relations aient changé, il va avoir 70 ans, il a l’impression que maintenant c’est place aux jeunes dans le métier.
Soudain au cours d’un déjeuner, son visage s’éclaircit, il me propose de jouer Eurydice. Avec mon visage de tanagra, comme il aime me surnommer, je serai parfaite, fine, jolie, fragile, insouciante, profonde, les compliments pleuvent. Il m’offre le texte. Je rentre chez moi, émue, j’appelle ma maman. Je ne dors pas de la nuit. J’ai arrêté les cours de théâtre depuis cinq ans. Je vous expliquerai pourquoi ( je ne sais d’ailleurs pas pourquoi, je sais seulement comment j’ai tout arrêté ), mais c’est une autre histoire.
Avec Georges, nous nous voyons régulièrement, je connais le texte par cœur. Il me parle de la mise en scène qu’il imagine, son fils Lambert sera Orphée, mon amoureux jaloux, et lui, le père. Il assurera la mise en scène. Au théâtre de l’œuvre bien sûr.
Néanmoins, Georges est inquiet pour l’argent. Il a l’impression que tout est devenu plus difficile, que son nom ne suffit plus pour monter un projet, qu’on ne lui fait plus confiance. Il a peur d’être fini. Il en souffre. Ses 70 ans reviennent souvent dans nos discussions. Il a cinq ans de plus que mon père. Mon père qui d’ailleurs, soudain, arrive dans la conversation, alors que nous rêvons d’Eurydice depuis au moins six mois. Un peu énervé, alors que Georges a toujours été un homme adorable, il me demande quand est-ce que je vais enfin lui présenter mon père qui pourrait certainement nous aider.
– Mon papa, je lui réponds, je te le présente volontiers, il sera ravi de faire ta connaissance, ma maman aussi d’ailleurs, elle était tellement triste que j’arrête le théâtre, mais en quoi peut-il t’aider ?
– En tant que directeur de l’OBC, je pense qu’il peut me trouver des financements.
– L’OBC ?
– Oui, la Banque du Cinéma.
– Ah non, Georges, il y a erreur, mon papa est architecte et habite à Besançon.
– Mais pourquoi Josée m’a-t-elle dit à au festival de Cannes que ton père était le directeur de l’OBC ?
– Je n’en sais rien, moi, tu prends quoi comme dessert ?
Ce jour-là, Georges n’a pas pris de dessert. C’était également la dernière fois que je le voyais. Quand je l’appelais au théâtre, on ne me le passait plus. Je suis allée plusieurs fois le voir, mais on me répondait toujours qu’il était occupé. Un peu plus tard, j’ai appris qu’il avait donné le rôle à Sophie Marceau.
Sylvie Bourgeois Harel
Comme on me l’a souvent demandé, je précise que sur la photo c’est moi et pas Sophie Marceau à laquelle je ressemble sur l’image de mon composite que j’avais fait faire lorsque je prenais mes cours de théâtre auprès de Jean-Laurent Cochet, un grand professeur qui a formé entre autres Fabrice Luchini, Gérard Depardieu, Sabine Azéma, Richard Berry…
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Chroniques du monde d'avant - 3 - Jean-Jacques Goldman - Sylvie Bourgeois fait son blog
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Chroniques du monde d'avant - 4 - Cartier rue de la Paix - Sylvie Bourgeois fait son blog
Chroniques du monde d'avant - 4 - Cartier rue de la Paix J'ai 23 ans. Je suis à Paris. Je viens de donner ma démission et je veux un nouveau travail. Plus exactement, il me faut tout de suite un ...
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Chroniques du monde d'avant - 5 - L'Élysée, Jacques Lanzmann - Sylvie Bourgeois fait son blog
L'Élysée - Sylvie Bourgeois Chroniques du monde d'avant - 5 - L'Élysée, Jacques Lanzmann Nous sommes en 1991. - Je veux faire un livre sur l'Élysée, me dit Jacques Lanzmann, dont j'étais l'a...
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Chroniques du monde d'avant - 1
Tortues Ninja, Apple, Sony Music, Festival de Cannes
L’autre jour, en entrant dans un grand magasin pour acheter un ordinateur, en voyant tout le service d’ordre à l’entrée, puis le jeune vendeur qui me conseillait de ne pas changer le mien, mais qui m’a demandé au bout de quinze minutes d’aller à l’autre bout de la boutique où il me rejoindra pour continuer notre conversation car ils n’ont pas le droit de rester longtemps au même endroit et avec le même client, j’ai réalisé que notre monde s’était vraiment écroulé.
Quand exactement, je ne sais pas, peut-être cela s’est fait doucement, subrepticement, mais une chose est sûre, aujourd’hui, je ne pourrais jamais refaire tout ce que j’ai fait lorsque je travaillais en free-lance dans la communication.
Plus jamais, par exemple, je ne pourrais faire atterrir les Tortues Ninja sur la plage du Carlton, durant le Festival de Cannes, à l’heure du déjeuner, afin de créer l’événement, et ça en a été un, les télévisions du monde entier ont repris les images de mon cameraman, c’était en mai 1991, sans autorisation bien sûr car je ne les aurais jamais obtenues, mais avec une équipe solide et ultra compétente de champions que ce challenge amusait.
En effet, c’était un véritable défi car les costumes, les mêmes qui avaient servi aux comédiens durant le tournage du film, pesaient 70 kilos chacun, et il ne fallait pas rester plus de quinze minutes dedans, tant l’épaisseur du plastique et de la mousse avec lesquels ils étaient fabriqués provoquaient une transpiration si intense que cela nécessitait ensuite plusieurs heures de séchage.
Mes parachutistes, des mecs super, ont tout accepté et surtout d’atterrir avec une vision réduite car les têtes des Tortues Ninja, non seulement étaient énormes et lourdes, mais avec des tout petits trous pour les yeux, ils ne voyaient presque rien. Avec leurs amis du Club aéronautique de Cannes-Mandelieu, on a balisé, au dernier moment pour ne pas dévoiler la surprise, un espace sur la plage afin de sécuriser l’atterrissage qui a vraiment créé l’événement.
C’était ça Cannes ! Pour promouvoir les films, il fallait être inventif, faire toujours plus, étonner, émouvoir.
Et mes Tortues Ninja ont eu un succès fou qui a dépassé les espérances d’UGC-Fox, le distributeur du film. Sur la Croisette où je les ai ensuite promenées assises à l’arrière d’un coupé que Mercedes m’avait prêtée pour la journée (est-ce que l’on peut encore se faire prêter un Roadster Mercedes juste pour s’amuser, je ne pense pas… ), les gens étaient hystériques, criaient leurs noms, Léonardo, Raphaël, Michelangelo, Donatello, leur demandaient des autographes, et mes parachutistes stoïques tenaient le coup dans leurs costumes à mourir de chaleur.
Puis après une courte pause dans un local que j’avais loué pas loin où un déjeuner leur a été servi, au cours duquel on a essayé de sécher avec des sèche-cheveux l’intérieur des costumes qui étaient trempés, hop, de nouveau dans les costumes encore mouillés qui puaient, hop, dans la Mercedes, cette fois, avec un chauffeur. Grâce à mon amoureux, j’ai réussi à nous faire inscrire dans le cortège officiel, hop, direction le Palais du Festival où je leur ai fait monter les marches. Les photographes et la foule étaient hystériques de voir les Tortues Ninja, à crier de nouveau leurs noms tandis que mes parachutistes étaient toujours parfaits à jouer le jeu sans se plaindre depuis des heures qui ont largement dépassé les quinze minutes recommandées, dans leurs costumes tellement trempés qu’ils sont devenus deux fois plus lourds, je les tenais par la main car ils ne voyaient carrément plus rien, tant leur transpiration coulait sur leurs yeux.
Le PDG de Columbia avec qui j’étais amie et qui distribuait le film, m’a engueulé en haut des marches où il attendait le réalisateur et ses comédiens car mes Tortues Ninja avaient volé la vedette de toutes les stars américaines venues soutenir le jeune John Singleton considéré comme le nouveau génie d’Hollywood avec son film BOYZ’N IN THE WOOD, mais le soir lorsque nous avons tous dîné ensemble chez Tétou, à Golfe Juan, la bouillabaisse la plus chic durant le Festival (Tétou, une institution familiale qui a disparu sous le coup de la loi du Littoral… ), il a éclaté de rire, car c’était ça Cannes, une équipe de seigneurs, et bravo à celui qui créait l’événement du jour !
Pour en revenir à Apple, un autre exemple d’une chose que je ne pourrais plus jamais réaliser. Nous sommes en 1994, je travaille pour Sony Software sur les premiers CD-Rom. J’organise à l’hôtel Raphaël une conférence de presse, sauf que Sony n’a pas d’ordinateur à me prêter. Peu importe, je gare ma petite Rover verte en double file devant la belle boutique Apple, avenue Georges V, je mets les warnings, et avec ma mini-jupe et mes bottes, je leur explique mon problème. Dix minutes plus tard, je sors avec trois Mac prêtés avec juste ma signature et le nom de Sony griffonnés sur un bout de papier, que les vendeurs m’installent dans ma voiture pendant que j’invite le directeur du magasin et son équipe à mon petit-déjeuner de presse. Le lendemain, je ramène les trois Mac que j’ai continué de leur emprunter durant un an, chaque fois que Sony sortait un nouveau CD-Rom, comme par exemple, les fiches-cuisine en partenariat avec le magazine Elle, je refaisais une conférence au Raphaël et il me fallait des ordis.
Est-ce moi qui avais une capacité de persuasion ou est-ce que les rapports humains étaient plus simples, et surtout basés sur une confiance, une compétence, une assurance, un amour du travail bien fait ?
Quoi qu’il en soit, quand je vois qu’on ne peut plus entrer nulle part sans se faire fouiller son sac ou que des gens ont peur dès que quelqu’un tousse dans un train, je suis contente d’avoir fait le choix de quitter Paris que j’aime pourtant follement pour venir vivre dans le Sud, près de la nature, au bord de la Méditerranée.
Sylvie Bourgeois Harel
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Chroniques du monde d'avant - 3 - Jean-Jacques Goldman - Sylvie Bourgeois fait son blog
Sylvie Bourgeois - Jean-Jacques Goldman Chroniques du monde d'avant - 3 - Jean-Jacques Goldman Nous sommes en 1993. De Jean-Jacques Goldman, je ne connais aucune chanson. Je n'ai jamais écouté de...
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Chroniques du monde d'avant - 4 - Cartier rue de la Paix - Sylvie Bourgeois fait son blog
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Adieu Patrice de Colmont
D’habitude lorsque j’écris un texte pour rendre hommage à un ami qui vient de mourir, je suis toujours inspirée et je le rédige d’un seul jet, en quelques minutes, mêlant anecdotes et profondeur, humour et émotion. Pour Patrice, c’est plus compliqué. Ce n’est pas que je n’ai rien à dire, au contraire, j’ai beaucoup à dire. Je dois donc faire un tri. Sinon, j’écrirais un livre. C’est d’ailleurs ce qu’il m’avait demandé en 2016, d’écrire un livre, une sorte d’autobiographie. Je lui avais répondu d’accord. Comme je voulais commencer mon texte avec la mort de son père qui était décédé bien avant que nous fassions connaissance, j’ai demandé à Patrice qu’il me raconte l’enterrement.
— Nous avons jeté ses cendres depuis un petit avion au-dessus d’une montagne des Pyrénées où il adorait randonner.
Je commence donc mon récit. Le lendemain, je retourne le voir.
— Peux-tu me décrire ce petit avion, sa couleur, l’odeur du tarmac, j’ai besoin de détails pour peaufiner mon début.
— Ben, je n’y étais pas.
— Comment ça, tu n’y étais pas ?
— Ben non, avec mon frère et ma soeur, c’était au printemps, Le Club était ouvert, les clients étaient nombreux, nous n’y sommes pas allés, le pilote était seul.
— Je suis désolée, Patrice, je t’adore, mais je ne peux pas écrire le livre d’un homme qui, un jour, me raconte une jolie histoire lorsqu’il est allé dans un petit avion jeter les cendres de son père au-dessus de la montagne que celui-ci aimait et, le lendemain, parce que je le questionne pour avoir des précision, m’avoue que c’est faux. Et puis, ça me dégoûte qu’avec ton frère et ta soeur, vous ayez préféré ouvrir votre restaurant qu’aller rendre un dernier hommage à l’homme qui vous a offert un paradis, c’est vrai quoi, sans ton père, jamais vous ne seriez propriétaires de ce splendide morceau de terre sur la plage de Pampelonne, à Ramatuelle, jamais vous ne gagneriez très bien votre vie avec Le Club 55 qu’il a fondé. Jamais. Alors, ton livre, désolée, mais je n’ai plus envie de l’écrire.
Et je ne l’ai jamais écrit. Ce qui est bien dommage. Mais je suis ainsi, entière, sans compromis, et surtout pas opportuniste. C’est d’ailleurs, je crois, ce qu’appréciait le plus Patrice en moi, ma liberté de lui dire non. Ayant connu une formidable réussite professionnelle, il était entouré de beaucoup de fausseté. Avec moi, il avait en face de lui de la sincérité. Et une vraie amitié. Notre parole était très libre, très ouverte, je l’engueulais souvent. Comme lorsque quelques années plus tôt, il m’annonce fièrement qu’il a signé avec un éditeur pour faire un beau livre sur Le Club 55, et qu’il aimerait bien que je lui donne des conseils sur le contenu qui ne lui plaisait pas tant que ça.
— Tu as signé avec un éditeur, mais n’importe quoi, je lui rétorque en éclatant de rire, tu as surtout signé un gros chèque, j’imagine.
— Euh, oui, de plusieurs dizaines de milliers d’euros, me répond-il, étonné. Ce livre va coûter cher, ils vont scanner toutes mes photos d’archives, et puis il faut payer le journaliste qui va l’écrire.
— Parce qu’en plus, tu ne me demandes pas de l’écrire. Non, mais, c’est vraiment n’importe quoi. Tu es très fier que je sois devenue écrivain. Tous les ans, tu mets les affiches de mes livres dans ton restaurant. Et tu ne me téléphones pas pour me parler de ce projet. Et maintenant, tu veux que je te donne des conseils. Je vais t’en donner un de conseil, un seul, tu arrêtes tout de suite ce projet qui va être nul, il sera convenu, il ressemblera à tous les beaux-livres sans intérêt sur les hôtels et les restaurants qui ne flattent que l’ego des propriétaires. Je ne comprends même pas que tu sois tombé dans le panneau.
Patrice m’a écoutée et a rompu son contrat. Ce livre n’a jamais vu le jour.
Aujourd’hui, de ma longue relation amicale de plus de quarante années avec Patrice de Saint-Julle de Colmont, il reste toutes les vidéos que je lui ai faites sur ma chaîne YouTube Marcelline l’aubergine dont il était le partenaire privilégié, après que nous ayons signé trois contrats avec ses sociétés du Club 55, de la Ferme des Bouis et du Domaine de la Mole. Comme beaucoup d’autres personnes comme lui qui sont présentes dans mes deux-cent-cinquante vidéos, des personnes intelligentes, sensibles, drôles, talentueuses, prônant un retour au naturel, Patrice adorait mon concept que ce soit mon aubergine avec ses grandes lunettes dorées et son foulard fleuri qui fasse les interviews. Son souhait était que je mette en avant son amour de la nature. Il a donc raconté à Marcelline comment il a créé La Nioulargue, une régate de bateaux devenue par la suite Les Voiles de Saint-Tropez, sa philosophie de restaurateur, ses propriétés agro-écologiques…
De Patrice, je me souviendrai surtout de ses rêves car il était un rêveur, un travailleur aussi, un travailleur forcené qui effectuait le job de dix personnes, mais avant tout un grand rêveur. Lorsque j’ai travaillé pour lui, à mi-temps, pendant quatre ans et huit mois, de 2016 à 2021, au château de la Mole qu’il venait d’acquérir, je lui faisais de grands projets qui le faisaient rêver, un sanctuaire pour protéger les loups, un potager médicinal, aller nourrir en Afrique des villages où les gens meurent de faim, des projets que l’on fantasmait, dans lesquels il était heureux même si ceux-ci n’ont pas vu le jour.
Alors, oui, même si Patrice n’a pas jeté les cendres de son père sur une montagne des Pyrénées, il a rêvé d’y être, il y était d’ailleurs certainement en pensée, en pensée comme dans tous ses rêves, ceux qu’il a réalisés et les autres qu’il a emportés avec lui ce samedi 11 octobre 2025, lorsqu’il est décédé à l’âge de soixante-dix sept ans.
Sylvie Bourgeois Harel
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Patrice de Colmont et le Club 55 partenaires historiques de Marcelline l'aubergine
Patrice de Colmont et le Club 55, partenaires historiques de Marcelline l'aubergine. En effet, le propriétaire du restaurant Le Club 55 sur la plage de Pampelonne à Ramatuelle dans le Golfe de ...
Patrice de Colmont - Sylvie Bourgeois Harel - Marcelline l'aubergine - Le Club 55 - Ramatuelle - Plage de Pampelonne - Saint-Tropez
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Marcelline retrouve Patrice de Colmont au Club 55
Patrice de Colmont, dans son restaurant le Club 55 situé sur la plage de Pampelonne à Ramatuelle, explique à Marcelline sa philosophie de restaurateur soucieux de la provenance et de la qualité...
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Patrice de Colmont raconte La Nioulargue devenue les Voiles de Saint-Tropez
Aux Voiles de Saint-Tropez, Patrice de Colmont, propriétaire du restaurant Le Club 55 sur la plage de Pampelonne à Ramatuelle, raconte à Marcelline comment il a eu l'idée de créer La Nioulargu...
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Patrice de Colmont raconte le débarquement du 15 août 1944 à Ramatuelle
Patrice de Colmont, propriétaire du restaurant le Club 55 sur la plage de Pampelonne, dépose avec les élus et officiels, Roland Bruno, maire de Ramatuelle, Sereine Mauborgne, députée, Jean-Pie...
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Marcelline rencontre Patrice de Colmont au château de La Mole
Après avoir présidé l'assemblée générale de son association Avec Sylvie on sème pour la vie, Marcelline séjourne au château de La Mole chez son ami Patrice de Colmont, également propriét...
Patrice de Colmont - Sylvie Bourgeois Harel - Marcelline l'aubergine - Le Club 55 - Château de la Mole - Saint-Tropez
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Après avoir passé la journée au Club 55 sur la plage de Pampelonne, Marcelline et Sylvie ont été invitées par Patrice de Colmont à visiter sa Ferme des Bouis à Ramatuelle où il pratique du...
Patrice de Colmont - Sylvie Bourgeois Harel - Marcelline l'aubergine - Le Club 55 - Ramatuelle - La ferme des Bouis - Saint-Tropez
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Patrice de Colmont, André Beaufils, Eugénia Grandchamp des Raux à la Club 55 Cup
Au Club 55, Patrice de Colmont, Eugénia Grandchamp des Raux et André Beaufils, pendant les Voiles de Saint-Tropez, après le défi de la Club 55 Cup entre Eugénia V et Star Sapphire. À Ramatuel...
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Épisode 8 - Patrice de Colmont explique l'importance de l'herbier de Posidonie
Patrice de Colmont, propriétaire du restaurant Le Club 55 sur la plage de Pampelonne à Ramatuelle, explique l'importance de l'herbier de Posidonie et comment ses feuilles mortes qui se déposent ...
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Marcelline enquête sur la pollution à Ramatuelle
Patrice de Colmont, propriétaire du restaurant le Club 55 sur la plage de Pampelonne à Ramatuelle dans le golfe de Saint-Tropez, répond aux question de Marcelline qui mène l'enquête afin de ...
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Adieu Daniel Crémieux
par Sylvie Bourgeois Harel
J’ai connu Daniel Crémieux en août 1983. J’ai 20 ans et je suis serveuse au Planteur, un restaurant sur la plage de Pampelonne, à Ramatuelle. Daniel venait tous les jours avec son épouse Geneviève, leur jeune fils, Stéphane, et deux couples d’amis. C’était une jolie plage familiale. À midi, j’allais de matelas en matelas pour prendre les commandes du déjeuner, et à 13 heures, hop, tout le monde passait à table. Le jour de leur départ, Daniel et ses deux potes viennent me dire au-revoir :
— Viens nous rendre visite à Paris, Sylvie, on t’emmènera faire la fête, me dit l'un de ses copains qui n’avait pas arrêté de me draguer lourdement, à me répéter régulièrement : je vais t’acheter des piles de pulls en cachemire de toutes les couleurs, ou viens, je t’emmène prendre un petit-déjeuner chez Sénéquier dans ma Porsche.
— Ben non, j'ai répondu à son copain, je n’ai déjà rien eu à te dire pendant l’été, je ne vais pas aller spécialement à Paris pour te voir. Et puis, je suis une travailleuse, j’ajoute en riant, si vous voulez me voir, il faut m’embaucher.
— Moi, je veux te revoir, me dit Daniel Crémieux, je t’embauche.
C’est ainsi que le 9 octobre 1983, j’ai atterri à Paris et que je suis devenue vendeuse chez Daniel Crémieux, rue Marbeuf, à deux pas des Champs-Élysées. Je ne connaissais personne. Daniel et Geneviève, que tout le monde appelait Gin, étaient adorables avec moi. Gin m’habillait en Crémieux, me faisait faire des pantalons sur-mesure chez un monsieur Bourgeois. Elle m’offrait des chemises et des vestes de costume confectionnées dans les mêmes tissus que celles pour hommes. Ils m’emmenaient régulièrement déjeuner ou dîner. Leur ami Paul, qui avait une grosse société de climatiseurs, voulait m’épouser. Sauf que je ne voulais pas embrasser ce Paul. J’ai même passé le réveillon du Nouvel-An avec eux dans la famille de celui qui n’avait pas arrêté de me draguer durant l’été. Au cours du repas, j’avais entendu sa belle-mère glisser à l’oreille de sa fille, fais attention à cette Sylvie, elle va te piquer ton mari. Genre, c’était de ma faute si j’étais mignonne, spontanée et drôle. Et puis, ce Joël, comme Paul, ne me donnait pas du tout envie de l’embrasser.
L’été suivant, je suis repartie travailler sur la plage de Pampelonne mais, cette fois, au Club 55. Et en septembre, j’ai repris mon poste chez Daniel Crémieux sauf que j’avais demandé à travailler à mi-temps pour pouvoir suivre les cours de théâtre de Jean-Laurent Cochet. Le théâtre était ma passion. Le soir, je travaillais également dans des restaurants pour gagner plus d’argent. Je refusais que mes parents m’aident financièrement alors que c’était leur souhait. Je ne sais pas pourquoi, mais je voulais me débrouiller toute seule. Puis Daniel m’a envoyée pendant quelques mois dans son magasin de Los Angeles, au Beverly Center. À mon retour, j’ai été mutée dans leur nouvelle boutique de la place Saint-Sulpice, toujours à mi-temps. Pour rien au monde, je n’aurais quitté Jean-Laurent Cochet. J’étais tellement heureuse de suivre son enseignement et de passer mes nuits à apprendre par coeur des pièces de théâtre.
Début décembre, je reçois une lettre recommandée comme quoi je suis virée de chez Daniel Crémieux car mon essai de trois mois n’était, soi-disant, pas concluant. Énervée, je fonce dans le bureau de Daniel, et tout en lui brandissant ma lettre à la main, je l’engueule :
— Mais ça ne va pas Daniel, c’est quoi ce plan pourri ? Tu m’as donc changé de boutique uniquement pour pouvoir me salarier sur une autre de tes sociétés et ainsi avoir le droit de me virer sans préavis, ni indemnités, juste en argumentant que ma période d’essai n’est pas satisfaisante, mais c’est dégueulasse.
Ennuyé, Daniel essaye d’argumenter que son épouse n’aime pas que je n’en fasse qu’à ma tête.
— Elle a raison Gin, je peux comprendre que mes besoins de liberté, à toujours vouloir faire que ce que je veux, puissent l’énerver. N’empêche, je n’ai jamais manqué une journée, je suis toujours à l’heure, je ne rechigne jaais à rester tard le soir s’il le faut, et je suis une excellente vendeuse.
— C’est vrai, avoue Daniel, un peu gêné, les clients t’adorent.
— Et tu sais très bien que mes cours de théâtre, c’est important pour moi, et que je ne vais pas rester vendeuse toute ma vie à plier des piles de pulls comme me le demande Gin dès qu’il n’y a personne dans la boutique, vendre oui, ça m’amuse, mais plier alors que je l’ai déjà fait une heure auparavant, non, ça m’emmerde. Alors ta lettre recommandée, voilà ce que j’en fais.
Et je la déchire devant lui.
— Je prends mon après-midi, j’ajoute en quittant son bureau, j’ai besoin d’aller me détendre et toi de réfléchir mais sache que demain, que tu le veuilles ou non, je viens travailler.
Le lendemain, j’étais là. Et on n’en a plus jamais parlé. Au contraire, nous sommes devenus tous les trois très amis. Quand j’ai arrêté de travailler chez eux, nous avons continué de nous voir. Avec Daniel, nous avions nos rituels. Régulièrement, il m’appelait et nous nous retrouvions pour déjeuner au restaurant. Nous parlions littérature, philosophie, cinéma, mes trois passions. C’est ainsi que le 31 décembre 2002, nous sommes au Café de Flore devant un saumon fumé quand Daniel me demande si tout va bien dans ma vie :
— On m’a conseillé d’écrire un livre, je lui réponds. J’aimerais être seule trois jours dans un hôtel pour me poser et réfléchir. Ma vie sentimentale est compliquée. Je n’arrête pas de partir de la maison. Je rends malheureux mon amoureux. Je l’aime toujours, mais je sens que j’ai besoin d’autre chose.
Daniel s’illumine aussitôt.
— Mais c’est magnifique Sylvie que tu te mettes à écrire. Je suis sûr que tu vas y arriver. Tu as le talent pour devenir un grand écrivain. Je le sais. Je t’offre quinze jours dans un hôtel, comme ça tu pourras commencer tranquillement ton roman.
Dès que j’aie eu terminé de boire mon chocolat chaud et d’avaler ma tarte tatin, nous sommes allés à l’Hôtel du Dragon qui était à deux pas. La grande chambre du dernier étage qui venait d’être refaite était à cent euros la nuit. Daniel a payé pour deux semaines.
— Si Sylvie veut rester quinze jours de plus, a-t-il ajouté en donnant ses coordonnées au propriétaire, envoyez-moi la facture, je pars lundi en Chine, mais je la réglerai dès mon retour.
Je suis restée un mois. J’ai écrit mon livre en un mois. Plus exactement, j’ai terminé le dernier chapitre, après avoir rendu ma chambre, assise sur un fauteuil qui était en vitrine de l’hôtel. Un passant est même entré dans ce mini-salon pour me féliciter. Il avait lu par-dessus mon épaule ce que je rédigeais sur mon ordinateur et avait trouvé cela très beau.
Mon roman a immédiatement été acheté par Franck Splengler qui dirigeait Les Éditions Blanche. Neuf mois plus tard, Lettres à un monsieur sortait en librairie. Depuis, je n’ai plus jamais arrêté d’écrire.
Par ce geste généreux, Daniel a posé un oeil paternel sur moi, moi qui avais perdu mes parents sept ans plus tôt, un oeil de confiance, un oeil qui me disait, vas-y Sylvie, n’aie pas peur, je veille sur toi.
Lorsque ce mardi 16 septembre 2025, j’ai versé un peu de terre sur son cercueil dans le joli cimetière marin de Saint-tropez où, avec mon mari, nous serons également enterrés, après avoir fait le signe de croix, à mon tour, je lui ai dit, vas-y Daniel, n’aie pas peur, je veille sur toi.
Sylvie Bourgeois Harel
Daniel Crémieux, né en 1938, avait créé sa marque de vêtements pour hommes en 1976, à Marseille, avec une première boutique à Saint-Tropez, place de la Garonne. Sa marque qui arbore un style British, chic et décontracté, est dorénavant distribuée à l’intermational.