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Alain Delon - Philippe Harel -Sylvie Bourgeois Harel

Alain Delon - Philippe Harel -Sylvie Bourgeois Harel

 

J’ai toujours aimé faire rire les hommes. Je ne les ai jamais dragués. Je n’ai jamais cherché non plus à les séduire pour obtenir des avantages pécuniaires, sociaux, professionnels, financiers. Non. J’adore juste les faire rire. C’est con, mais je trouve qu’un homme qui rit devient tout de suite gentil. En le faisant rire, je le sors immédiatement de son carcan d’homme adulte et responsable. Je n’attends rien de lui. Je le replonge juste dans son adolescence. Nous redevenons deux adolescents. 

 

Une adolescence que je n’ai pas vraiment connue. Je travaillais déjà. Je n’ai pas connu l’insouciance des bandes de copains, des soirées-guitare sur la plage, des virées en camping. Je n’avais pas le temps. Et puis, j’étais cassée. Mais ça, c’est une autre histoire. Alors, oui, lorsque je rencontre un homme, immédiatement, j’ai envie de le faire rire. Même les chauffeurs de bus à Paris. Plusieurs fois, pour me remercier de les avoir fait rire et offert une parenthèse de légèreté, ils m’ont déposée à l’endroit précis où j’allais en déviant légèrement leur parcours. Je vous jure, même mon mari a été témoin. Un soir, un bus nous a attendus à minuit devant un endroit précis qui n’était pas sur sa trajectoire, pas loin, mais pas sur sa route, pour nous ramener à la maison tellement je l’avais fait rire à l’aller.

 

Bref, le rire est ma forme de politesse, ma façon de vivre, de rentrer en contact, de télépathie aussi. Rire, rire aux larmes, éclater de rire, est ma libération. Proche du divin. Avec Alain Delon, cela a été pareil. En 2009, avec mon mari, le réalisateur Philippe Harel, nous sommes invités à un dîner caritatif. Pendant le cocktail, je présente à Alain Delon que je ne connais pas une jolie comédienne que je ne connais pas non plus. Il avait des envies de théâtre. Je leur dis qu’ils feraient un beau couple sur scène. La jeune comédienne est ravie. De son côté, il éclate de rire. Puis, la jeune comédienne s’éloigne, émue.

 

Avec Alain Delon, nous restons finalement tous les deux à papoter.  Á se raconter des trucs rigolos. Des trucs simples et faciles. Je l’emmène alors en adolescence. On a soudain 15 ans. Nous sommes deux adolescents à se raconter des conneries d’ados. Plus rien n’a d’importance que les bêtises que nous nous racontons pour faire rire l’autre. Très vite, il doit se sentir en confiance car il me raconte des choses que je ne veux pas répéter, des choses que je ne dévoilerai jamais, des choses à nous, des choses d’ados, des secrets d’ados. Il me parle aussi des femmes, des femmes qu’il a aimées. Il me raconte alors trois anecdotes très drôles en me donnant gentiment des petits coups sur l’épaule, comme le font les bons copains quand ils ont trouvé une histoire encore plus épatante à raconter. 

 

Il faut ensuite passer dans la salle du dîner. Il est le président d’honneur de cette soirée. Nous sommes à sa table. J’ai failli échanger mon nom pour m’asseoir à ses côtés, puis je me suis ravisée, je ne voulais pas être mal élevée. Je suis donc à deux personnes de lui. Il y a la place vide d’une femme qui n’est pas encore arrivée, mon mari et moi, ça va, je me dis. Les autres convives fument dehors. Nous continuons donc de rire. Sur tout. Et aussi sur les médicaments qu’il prend. Quand je le questionne, il relève un sourcil pour m’impressionner :

 

— Vous êtes bien curieuse, Sylvie.

— Evidemment, Alain, je lui réponds, il n’y a que l’intimité qui m’intéresse, alors, c’est quoi ces pilules ?

 

Il éclate alors de nouveau de rire et dans un sublime sourire, il me dit :

 

— Si vous croyez qu’à mon âge, on tient debout tout seul.

 

Soudain la salle se remplit. Deux jolies filles choisies pour leur plastique prennent place à ses côtés. Il se couche pratiquement sur mon mari pour continuer notre conversation. Pour que l’on puisse continuer de se dire des bêtises sans importance. Pour rester encore un peu dans notre adolescence. Mais il y a du bruit. Les filles l’accaparent. Elles lui posent des questions sur ses films. Il ne répond pas. Il n’a pas envie de parler de ses films. Il les connaît par cœur ses films. Des journalistes s’approchent. Des invités aussi. Il se ferme. Toutes ces personnes qui l’encerclent lui rappellent qu’il est Alain Delon, notre plus grande star, le plus bel homme du monde. 

 

Il me regarde d’un air désolé. On s’est compris. Fini nos 15 ans. En un quart de seconde, il redevient un homme à qui la société demande beaucoup. Il revêt alors aussitôt sa carapace de star pour se protéger de toutes ses intrusions. Le charme est rompu. La soirée est foutue. 

 

Je m’en fiche, je l’ai retrouvé la nuit même dans l'un de mes rêves, nous avions 15 ans.

 

Ce dimanche 18 août 2024, Alain Delon est décédé. Avec sa mort, c’est toute une époque du cinéma français qui disparaît à tout jamais. Mille fois, j’ai demandé à mon mari que l’on écrive ensemble un film pour faire jouer Alain Delon qui ne désirait plus tourner. Mon mari est un merveilleux directeur d’acteur et réalisateur. Qui sait filmer l’indicible. Qui sait filmer la pudeur. Qui sait filmer l’intimité. Ils auraient été parfaits l’un et l’autre. D’autant que mon mari adore Alain Delon. Pour lui, c’est le plus grand des acteurs. Mais je n’ai réussi à le convaincre. Mon mari m’aime, mais ne m’écoute pas.

Sylvie Bourgeois Harel

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