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Adieu Jean-François Kahn

Adieu l'ami Jean-François Kahn

J'ai rencontré Jean-François Kahn dans une voiture qui nous emmenait de la gare de Vannes à notre hôtel. Nous allions aux Nocturnes littéraires, un salon du Livre organisé par Pierre Defendini. La journée était libre, en fin d’après-midi, nous signions nos livres sur des ports différents, une idée formidable. Jean-François, assis devant, demande au chauffeur s’il serait possible de l’accompagner le lendemain matin tôt à Quiberon où nous signions le soir. Puis il a joute en se tournant vers moi et l'autre écrivain :

— Si vous voulez venir avec moi, je vous invite à déjeuner.

La dame qui n’est pas venue pour rigoler, mais pour vendre des livres, il y a plein d’écrivains comme ça dans les salons du livres qui ne viennent pas pour rigoler, mais pour vendre des livres, répond immédiatement non. Moi, je réponds immédiatement oui. J’adore qu’on m’invite à déjeuner, d’autant que le restaurant où le salon nous emmène à Sauzon n’est pas bon.

Gêné de compliquer l’organisation du salon en demandant une voiture que pour lui et pas aux horaires prévus, Jean-François dit au chauffeur qu’il trouvera d’autres auteurs pour venir avec nous. Je m’interpose aussitôt.

— Non, non, monsieur, on n’y va que tous les deux, c’est mieux.

Le lendemain matin, je me retrouve à courir avec Jean-François sur la plage de Quiberon, heureux comme un enfant de ces quelques heures de liberté.

— Je préfère courir que marcher, ça ne vous ennuie pas ?

— Non, mais courrons en direction du Sofitel, on ira se prendre un bon petit-déjeuner.

— Vous êtes comme moi, vous aimez les bons petits-déjeuners ?

— J’adore manger, mais uniquement quand c’est délicieux.

— À midi, nous irons chercher ma femme qui fait une cure à Carnac, des amis de l’Évènement du Jeudi nous rejoindront au retournant.

— J’en connais un délicieux à la Trinité-sur-mer, ça vous dit ?

— Vous êtes parfaite, Sylvie !

— Oui, je lui réponds en riant, mon mari dit la même chose.

Pendant le repas, ses amis journalistes nous invitent à déjeuner chez eux le lendemain.

— Super, nous apporterons le dessert avec Jean-François, des tartes aux framboises, ça vous va ? j’ajoute, enthousiaste.

Son épouse, étonnée de notre évidente et récente complicité, en effet, quand je rencontre un homme sympathique et intelligent, j’ai immédiatement 12 ans et je veux jouer, je crée alors une complicité, mais jamais une ambiguïté qui serait liée à la sexualité puisque j’ai 12 ans et que je suis encore une enfant, décline l’invitation.

L’après-midi, Jean-François m’explique le mystère des menhirs et la création du monde sur le site de Carnac, c’est passionnant, nous rigolons surtout beaucoup.

Arrivée au salon, la dame de la voiture râle car elle est installée aux côtés de Jean-François. Dans les salons du livre, Jean-François Kahn est une star (maintenant je dois hélas parler au passé et dire était). Les écrivains qui ne viennent pas pour rigoler ne veulent pas être assis à côté des stars devant lesquelles se forment une longue file de lecteurs impatients. Moi j’adore, ça donne l’impression que tous ces gens sont là pour moi.

— Je vais m’installer à votre place, je dis à la dame qui veut exister en tant qu’écrivain, pas rigoler en tant qu’être humain, allez à la mienne.

— Vous êtes sûre, parce que c’est une sinécure d’être assise à côtés de ces personnalités qui accaparent tous les visiteurs.

Jean-François, debout qui raconte la politique à la criée, ravi de ma présence, se met à vendre mes livres. Chaque fois qu’une personne achète un ou plusieurs de ses ouvrages, il leur ajoute mon Sophie à Cannes ou mon Sophie au Flore qui venait de paraître chez Flammarion.

— Il faut absolument que vous lisiez les Sophie de Sylvie Bourgeois, c’est très sociétal aussi sauf qu’elle, elle aborde le monde par l’humour.

Le lendemain, au déjeuner chez ses amis, des dames très chics de Quiberon arrivent au dessert, chacune avec un kouign amann, très fière de rencontrer le grand Jean-François Khan. Il a à peine le temps de croquer dans les gâteaux bretons dégoulinants de beurre, qu’elles l’assaillent de questions sur les derniers événements. Sauf qu’elles n’ont pas l’information que pour Jean-François, son dernier événement, c’est de m’avoir rencontré.

— Il faut savoir mesdames que Sylvie est le seul écrivain que je connaisse qui passe ses journées en tennis, mais qui signe ses livres, le soir, en bottes.

Jean-François a passé l’après-midi à raconter n’importe quoi sur moi, il avait 12 ans, de mon côté, j’étais aux anges d’observer les têtes de ces dames qui ont dû toutes acheter mes romans en fin de journée.

À Besançon aussi, nous sommes en septembre, il fait très beau et plutôt que de déjeuner à la cantine du salon, j’organise un pique-nique sur les bords du Doubs. Je convie Claude, une amie avocate, son fiancé, quelques auteurs et Émile Péquignet, un horloger réputé, ami de mes parents, qui a créé les montres du même nom. Tous sont enchantés de faire la connaissance de Jean-François. Mais mon Jean-François ne les écoute pas, il ne s’intéresse à aucun d’eux et, comme à Quiberon, il ne leur parle que de moi, que je l’ai conseillé d’acheter du comté et des saucisses de Morteau au marché, que j’ai grandi ici…

À la fin du salon du livre de Mouans-Sartoux, désolé de n’avoir pas m’inviter à dîner avec Guy Bedos le samedi soir car j’avais déjà prévu d’emmener Lionel Duroy au Martinez, à Cannes, chez le chef Christian Sinicropi, Jean-François, pour qui j’étais devenu le repère rires et super bonnes bouffes ,me dit :

— Dès que nous arrivons à Paris, Sylvie, je t’invite à souper.

— Cela aurait été avec plaisir, mais je reste dormir chez une amie à Nice.

Devant la mine déconfite de Jean-Francois désemparé, j’ajoute :

— Tu veux venir dormir chez elle ?

Après avoir dîné tous les trois à la Cave Ricord, le restaurant du dimanche soir des Niçois, Jean-François s’est couché comme un gros bébé dans le lit superposé du fils absent de ma copine.

Des anecdotes avec Jean-François, toutes aussi adorables les unes que les autres, j’en ai des dizaines. Chaque fois que nous nous retrouvions dans un salon du livre, Jean-François me cherchait partout pour m’inviter à déjeuner ou à dîner dans des restaurants étoilés sous l’oeil amusé de mes amis Serge Joncour et David Foenkinos qui le surnommait affectueusement mon amoureux de salon.

Puis j’ai arrêté de fréquenter les salons du livre. J’avais pris goût à plutôt aller passer des bons moments à Saint-Tropez. Mais Jean-François continuait de m’inviter à déjeuner à Paris. Puis j’ai déménagé pour vivre  à l’année dans ce Saint-Tropez que j’ai toujours aimé. Jean-François m’appelait de temps en temps de son moulin.

Aujourd’hui, je suis triste d’avoir appris son décès survenu le 22 janvier 2025. J’ai immédiatement envoyé un texto à David Foenkinos qui m’a aussitôt répondu : oh quelle tristesse ! Je me souviens comme il était heureux avec toi »!

Sylvie Bourgeois Harel

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Sylvie Bourgeois Harel - Lily of the Valley - La Croix Valmer

Sylvie Bourgeois Harel - Lily of the Valley - La Croix Valmer

ÉMILIE

 

“Je m’appelle Émilie et j’ai le cerveau en bouillie. À l’instant encore, je viens de trouver la porte de mon réfrigérateur ouverte. Je l’ai regardée un instant, interloquée, ne comprenant pas pourquoi elle était ouverte. Je vis seule dans ma maison. Personne n’est venu me rendre visite. Et je ne suis pas retournée dans ma cuisine de la journée. En effet, j’ai été tellement occupée que je n’ai pas trouvé le temps de m’arrêter, ne serait-ce qu’un instant, pour me préparer un déjeuner. Puis je me suis souvenue que j’avais ouvert mon réfrigérateur ce matin pour sortir mon pot de confiture de framboises afin de me faire une tartine histoire d’accompagner ma deuxième tasse de thé que je n’ai pas bu puisqu’elle est toujours sur la table à côté de ma tartine beurrée et de mon pot de confiture que je n’ai pas ouvert, alors qu’il est presque 18 heures.

 

Lorsque j’ai compris que j’avais laissé mon réfrigérateur ouvert pendant plus de sept heures, je me suis effondrée sur mon canapé et je me suis mise à pleurer. À pleurer à chaudes larmes. À appeler ma maman, comme je le faisais enfant, sauf que je ne suis plus une enfant, j’ai 59 ans, et ma maman est morte, il y a cinq ans. J’ai alors téléphoné à Amandine, ma meilleure amie. Elle m’a dit de respirer doucement, que ce n’était pas bien grave. Et pour me faire rire, Amandine sait toujours me faire rire, elle m’a demandé si, cette fois, j’avais bien refermé la porte de mon réfrigérateur. Puis, elle m’a conseillée de prendre un papier et un crayon et d’écrire tout ce que j’avais fait dans la journée. 

 

Je me suis alors souvenue qu’en voyant la couleur de ma confiture, j’ai pensé à ma culotte de couleur framboise justement que j’avais posée dans le lavabo de ma salle de bains et que je n’avais toujours pas lavée. Je lave ma lingerie à la main. C’est le seul moyen pour la préserver longtemps et ne pas l’abimer. Et je dis réfrigérateur, jamais frigidaire qui, comme tout le monde le sait, est une marque de réfrigérateur, une marque, certes, qui est passée dans le langage courant, mais ma mère m’a appris que c’était aux détails d’un langage châtié que l’on reconnaissait les dames.

 

Je ne sais pas si je suis une dame, mais en me rendant dans ma salle de bains pour laver ma culotte, j’ai reçu sur mon téléphone que j’avais dans la poche de ma veste, une notification comme quoi un certain Jacky avait commenté ma publication sur Facebook. C’est Amandine qui m’a conseillée de m’inscrire sur Facebook lorsque mon mari m’a quittée. Non pas pour trouver un homme, mais pour avoir des contacts sociaux. J’avoue que c’est très rigolo. J’y passe des heures. Je regarde tout. Je lis tout. Je commente tout.

 

De mon côté, je ne publie que des photos de Benjamin, mon chat tigré qui m’a adoptée lorsque Julien est parti. Benjamin a tout compris de la vie, et de la mienne aussi. Il a compris qu’il y avait une place vide à prendre dans mon lit, il s’y est installé, et le soir, comme je le faisais pour Julien qui était très gourmand, je prépare à mon Benjamin chéri un bon petit plat à base de crevettes ou de poulet. C’est un amour. Benjamin pas Julien. Comme il a beaucoup de succès sur Facebook, Benjamin pas Julien qui ne publie que des photos de lui, heureux avec sa nouvelle femme, comme pour me narguer ou faire croire que nos vingt-sept années de mariage n’ont jamais existé, j’ai aussi créé un compte Instagram. J’allais répondre à ce Jacky qui me demandait l’âge de Benjamin quand réfléchir à l’âge de mon chat que je ne connais pas, m’a fait penser au mien que je connais bien et aussi à ma carte d’identité que je dois renouveler. 

 

J’ai donc pris mon ordinateur pour faire une demande en ligne, mais au moment d’ouvrir le site du service public, j’ai préféré répondre au mail que ma fille qui vit en Nouvelle-Zélande m’avait envoyé durant la nuit. J’allais lui écrire que j’aimerais bien lui rendre visite à Noël, mais avant de lui faire une fausse joie, j’ai voulu regarder les prix des billets d’avion pour Auckland où elle habite avec son mari. Je suis alors tombée sur un article qui titrait qu’il n’y avait pas de serpent en Nouvelle-Zélande, ce qui est une bonne nouvelle car j’en ai une trouille bleue. 

 

Parlant de trouille, je me suis alors rendue dans ma chambre pour évaluer si je pouvais réparer seule mon volet qui ferme mal, elle est au rez-de- chaussée, je ne voudrais pas qu’un individu mal intentionné pénètre la nuit pour me cambrioler, même s’il n’y a plus rien à prendre, Julien a tout pris. Je devrais peut-être acheter un chien de garde, mais alors seulement à mon retour d’Auckland, je ne saurais pas quoi en faire pendant mon voyage, je ne pourrais pas le laisser à Amandine qui a déjà un Husky très jaloux. Je suis donc descendue à la cave chercher des outils pour réparer mon volet lorsque je suis tombée sur mes chaussures de ski, je skiais beaucoup lorsque j’étais jeune, c’est d’ailleurs le seul sport où j’étais excellente. C’est ce qui avait plu à Julien lorsqu’il m’a connue à la montagne, j’étais plus rapide que lui. Ça l’a épaté, il m’a embrassée, puis c’est allé très vite entre nous, notre fille est née, nous nous sommes mariés, et il m’a quittée. 

 

Mes chaussures de ski étaient pleines de poussière, je les ai apportées dans mon jardin pour les nettoyer avec un chiffon. C’est ainsi que j’ai découvert que mon citronnier était rempli de cochenilles. J’en ai écrasé une avec le chiffon, c’est étrange lorsque l’on écrase ces petites boules blanches, ça fait des tâches orange comme si la cochenille avait du sang orange. Les extraterrestres ont peut-être aussi du sang orange, je me suis dit en allant chercher du vinaigre blanc et du papier absorbant pour tuer ces horribles insectes qui ont envahi mon citronnier. Le vinaigre blanc est épatant, je nettoie tout avec. Et je ne dis jamais Sopalin, mais papier absorbant, ma mère avait peut-être raison, je suis une dame.

 

C’est alors que j’ai reçu une notification sur Instagram comme quoi ma voisine avait liké une photo de Benjamin, les pattes en l’air, certainement pour se faire pardonner d’avoir demandé à la mairie de brûler les herbes, qu’elle se permet d’appeler des mauvaises herbes, qui poussent sur le trottoir devant ma maison alors que ce sont des résistantes très émouvantes, d’avoir trouvé la force de pousser dans le goudron. Une petite faille, de la lumière, un peu d’eau de pluie, et hop, elles ont grandi comme moi lorsque Julien m’a quittée. En effet, c’est dans les failles de mon cœur brisé que j’ai puisé la force de continuer de vivre sans son amour.

 

J’ai alors imaginé ma voisine pas gentille face à des extraterrestres au sang orange. Ça m’a fait rire. Sur mon téléphone, j’ai tapé extraterrestre. Je suis tombée sur une interview qui avait l’air passionnante d’un Jean-Pierre Petit, très bel homme au demeurant, c’est un amoureux comme cela qu’il me faudrait rencontrer, je me suis dit en m’asseyant au soleil. Un instant, j’ai cru que j’étais, moi aussi, une petite plante résistante à qui le moindre rayon de lumière avait le pouvoir de lui redonner espoir. 

 

C’est la faim qui m’a sortie de ma rêverie, et le froid aussi, il était presque 18 heures. Je suis donc allée dans ma cuisine pour grignoter un bout de fromage et préparer les crevettes de Benjamin, lorsque j’ai découvert la porte de mon réfrigérateur ouverte. En relisant tout ce que j’avais fait dans la journée, j’ai de nouveau pleuré. Ma culotte couleur framboise n’est toujours pas lavée, je n’ai pas répondu à ce Jacky qui est presque aussi beau, en plus jeune, que le Jean-Pierre Petit des extraterrestres, je n’ai pas fait ma demande de carte d’identité, je n’ai pas répondu à ma fille, je n’ai pas réservé mon billet d’avion pour Auckland, je n’ai pas lu l’article sur les serpents non présents en Nouvelle-Zélande, je n’ai pas réparé mon volet, je n’ai pas nettoyé mes chaussures de ski, je n’ai pas retiré la cochenille de mon citronnier, je n’ai pas liké la publication de ma voisine pour lui faire comprendre que je ne lui en voulais pas, je n’ai pas écouté l’interview de Jean-Pierre Petit, je n’ai pas bu mon thé de ce matin, ni mangé ma tartine beurrée, je n’ai rien fait de la journée, et pourtant je suis épuisée tellement je n’ai pas arrêté.”

 

Sylvie Bourgeois Harel

Émilie fait partie des 19 nouvelles de mon recueil On oublie toujours quelque chose.

Pour le commander, vous pouvez m’envoyer un message à : slvbourgeois@wanadoo.fr

Sylvie Bourgeois Harel - Saint-Tropez - La Ponche

Sylvie Bourgeois Harel - Saint-Tropez - La Ponche

Sylvie Bourgeois Harel - Plage de Pampelonne - Ramatuelle - Golfe de Saint-Tropez

Sylvie Bourgeois Harel - Plage de Pampelonne - Ramatuelle - Golfe de Saint-Tropez

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Sylvie Bourgeois Harel - Plage de Pampelonne - Ramatuelle - Golfe de Saint-Tropez

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L'Architecte

"Le jour où mon père m’a expliqué que son métier consistait à faire sortir de terre de la beauté dans laquelle les hommes allaient habiter, il est devenu mon héros. Je me suis senti être un prince. Un prince né d’un architecte qui conduisait une Triumph et d’une sirène qui nageait avec les dauphins. J’avais 8 ans et j’ai juré de lui ressembler. J’ai aussitôt couru chez Rebecca, ma fiancée, pour lui annoncer que, quand je serai grand, je l’épouserai et deviendrai architecte afin de lui dessiner la plus belle des maisons.

Mais quinze ans plus tard, lorsque je lui ai montré les plans de notre future habitation, Rebecca m’a quitté sur le champ. Elle m’aimait, mais ne pouvait pas concevoir d’habiter dans un camion. J’ai eu beau lui expliquer qu’il me fallait voyager pour comprendre le monde et concevoir l’architecture de demain, Rebecca n’a pas voulu revenir sur sa décision. J’ai alors argumenté que la planète était trop grande pour que je dorme chaque soir au même endroit. Que la possession d’une maison signerait la fin de mon imagination. Que l’habitation idéale, il me fallait la fantasmer pour arriver à la créer. Que mon âme de nomade avait besoin de cette forme d’indépendance pour réussir à inventer une architecture novatrice.

— Et puis, il ne faut pas exagérer, Rebecca, j’ai ajouté, mon camion qui sera autant notre nid d’amour que mon atelier, merde, est vachement beau, regarde, rouge et immense comme ceux qui transportent les Formules 1, avec dessiné dessus un oiseau, un oiseau doré pour signifier mon besoin de liberté.                                                                                                                   — Oui, je le vois gros comme une maison, ton besoin de liberté, m’a répondu Rebecca, en tout cas, ne compte pas sur moi pour t’attendre le jour où, comme ton oiseau doré, tu voudras t’envoler de notre nid d’amour. Sincèrement, je préfère m’envoler avant toi, je te dis adieu, adieu André. 

Quand Rebecca m’a quitté, je me suis effondré. Je ne voulais plus construire, mais détruire. J’ai acheté un sifflet pour raconter mon désespoir aux dauphins et je suis parti voguer en mer. Pour ne pas couler, je me suis mis à baiser dans chaque port où j’amarrais mon voilier. À baiser les sirènes du monde entier et aussi celles de Besançon et de Monaco. J’étais assez efficace. Je les séduisais non pas pour moi, mais pour elles. Pour qu’elles croient à l’amour, pour qu’elles sachent qu’elles n’avaient qu’à dire oui pour tout obtenir, non pas de moi, non pas des autres hommes, mais d’elles et de la vie.

J’aimais la vie et le monde aussi, mais le monde était grand. Alors entre deux océans, j’ai créé les Cabines-Dodo, des petites chambres d’hôtel à installer partout dans les rues. Des petites chambres où j’aurais pu recevoir mes sirènes le temps de leur dire que je les aimais. Et c’est vrai, je les aimais le temps de l’amour qu’elles m’offraient. Avec mon concept du dodo pas cher, je revendiquais le droit au plaisir partout et pour tous. J’étais un prince. Le prince d’un monde que je venais de construire. Le prince de la concrétisation de la construction de mon architecture libidinale. 

Pendant ce temps, ma mère me tannait pour que j’achète un appartement. Je lui répondais que je ne voyais pas comment elle voulait que je devienne un architecte célèbre si son ambition était que j’habite dans un studio.

— Maman, je lui disais, pour concevoir grand, ma vie doit être immense. Ma maison, maman, c’est le monde. Tu comprends ? En n’ayant rien, tout m’appartient. Tu vois, maman ?

Elle voyait surtout que j’avais 30 ans et que je vivais toujours chez mes parents.

— D’accord, maman, je lui ai répondu, je vais installer un container au fond de ton jardin, et j’irai vivre dedans. Après tout, c’est le rêve de chaque architecte de savoir recréer de la simplicité. Le Corbusier a bien construit une cabane d’une seule pièce au Cap-Martin avec vue sur la mer, et bien, mon container sera au Cap-d’Ail avec vue sur ma mère. 

Ma mère m’a répondu qu’elle avait surtout peur que je n’arrive jamais à gagner suffisamment d’argent pour être indépendant.

— Aie confiance, ma petite maman, je lui ai dit, ne t’inquiète pas, tu verras, un jour, lorsque mes Cabines-Dodo seront vendues dans le monde entier, je deviendrai un architecte milliardaire, et un architecte entouré de millions de Rebecca. Vois-tu, maman, il y a trop de fesses, trop de seins, trop de sexes où je veux habiter pour me limiter à une seule fiancée. Chaque fille, vois-tu, maman, est comme une maison dans laquelle je peux travailler. J’y entre par son petit trou, je réfléchis entre ses reins, je dessine sur ses fesses, je construis entre ses cuisses et pour finir, je nidifie son sexe. L’homme, vois-tu maman, n’a rien inventé de mieux que le corps de la femme comme habitation. C’est la maison idéale. 

Ma mère m’a répondu que je devais avoir une sacrée envie de retourner vivre dans son ventre pour parler ainsi, et que si j’aimais autant naviguer, c’était certainement à cause du roulis des vagues qui devait me rappeler son mouvement fœtal.

Pour lui prouver qu’elle avait raison, je suis reparti voguer en mer. Mais au bout de deux années de liberté, entouré de milliers d’oiseaux dorés, mon voilier a coulé. J’ai été sauvé par des dauphins qui m’ont emmené sur une île où une civilisation inconnue de naufragés au cœur brisé habitait, cachée sous les cocotiers et les abricotiers. Pour les remercier de m’accueillir, je leur ai dessiné une cité idéale que nous avons commencée à construire tous ensemble. Mais, un jour, mes parents m’ont manqué, je suis alors rentré. En arrivant à la maison, je me suis empressé de dire à ma mère qu’elle sera fière d’apprendre que dans neuf mois, un enfant de moi naîtra dans chacune des maisons que j’avais créées.

— Le rêve suprême de l’architecte, maman, je lui ai dit en l’embrassant tendrement, concevoir l’habitat en même temps que l’habitant.

Mais ma mère n’avait plus la capacité de se réjouir de toute cette descendance non désirée, en effet, pendant mon absence, mon père avait eu un accident cérébral. Dorénavant, mon héros était paralysé et ne pouvait plus parler. Pour essayer de le sauver du mutisme dans lequel il était enfermé, j’ai arrêté les dauphins et je me suis remis au dessin. Mais ça n’a pas suffi, un soir, à minuit, il est mort d’une crise d’épilepsie dans les bras du docteur qui essayait de le réanimer. Ma mère, ruinée, fut obligée de vendre la maison et de partir vivre au bord de la mer chez ma petite sœur, amoureuse d’un poulpe.

N’ayant plus de chez-moi chez ma maman, je suis devenu le prince du chez-moi chez les autres. La nuit, rassuré par les atmosphères familiales que je n’avais pas à supporter, je m’endormais en rêvant à mon camion magique. Le matin, je prenais la Triumph de mon papa et mes larmes roulaient. Mes larmes roulaient pour aller là où je n’étais pas, là où la vie serait plus belle parce que j’aurais le plaisir de la découvrir. En roulant, je redessinais la France. Un monde de mutants du bonheur prenait forme sous mes roues qui, chaque jour, avalaient des kilomètres d’utopie. 

Comme ma maman m’avait appris à être autonome, j’avais toujours un slip propre dans ma mallette d’architecte. Les filles aiment bien les garçons soignés. C’est vrai, le mec qui a un slip de rechange avec lui, il marque des points, tout de suite, elles t’apprécient différemment. Puis quand j’en ai eu marre de me balader avec plein de sacs de slips sales, j’ai fait installer une machine à laver le linge dans le coffre de ma voiture. J’ai aussi inventé un tissu infroissable qui sèche rapidement afin d’être toujours impeccable. Avec, je me suis cousu une combinaison de super-héros, comme celle de Spider-Man, sauf que mon héros à moi, c’était mon papa. J’ai alors cousu un grand A sur ma poitrine, comme ça toutes les sirènes qui m’accueillaient dans leur maison sous l’eau savaient que j’étais un dauphin-architecte qui sautait de lit en lit, elles ne m’en voulaient pas lorsque je les quittais au petit matin pour remonter à la surface de mon chagrin. 

Mais un jour, ma maman est morte du cancer d’avoir tout perdu dans les bras de ma petite sœur qui venait de quitter son poulpe pour un poisson. J’ai crié. Crié très fort. Crié très fort tellement j’avais mal. Crié que je n’avais plus de repères. Pour ne pas être perdu, je me suis alors remis à rouler. À rouler encore plus vite. Partout et aussi dans ma tête. Surtout dans ma tête. C’est là que je roulais le plus vite. Je voyais même des dauphins qui vivaient dans des maisons sous-marines posées au bord des routes. Plus je roulais, plus j’en voyais.

Pour ne plus les voir, je me suis alors trouvé un container sur le port de Marseille, le même que j’avais installé dans le jardin de mes parents. Je me suis couché dedans en position fœtale. Je me suis fait tout petit pour pouvoir rentrer dans le ventre de ma maman. Je l’ai meublé d’un matelas et d’une caisse de vodka. C’était la cata. Plus aucune idée ne sortait de mes mains et mes crayons tombaient de ma tête. J’ai quand même réussi à dessiner une maison qu’on aurait dit un cul et deux chalets, des nichons.

Arrivé à ce stade de création, un vétérinaire spécialisé en animaux sous-marins décida de mettre au repos forcé mon cerveau cassé qui roulait beaucoup trop vite. À l’hôpital des cinglés où avait séjourné quelques années plus tôt l’un de mes frères, le prince O, après qu’il ait voulu récupérer une villa qu’avait donnée notre grand-père à sa maîtresse, Ferdinand avait d’ailleurs raison, sans la générosité de notre grand-père idiot, nous aurions pu y habiter tous les deux, j’ai dit au vétérinaire-psychiatre que j’avais 50 ans, que je ne comprenais pas ce que je faisais dans sa maison remplie de demeurés qui passaient leurs journées à se gratter les pieds, et que j’avais toujours vécu en bon viking, en bon viking qui ne connaissait pas la peur et qui rêvait de grandeur. 

— Mais là, tout viking que vous êtes, m’a dit le docteur, vous ne pouvez plus avancer. Je vous ai diagnostiqué, vous êtes un artiste qui souffrez d’optimisme obsessionnel frôlant l’hystérie, cela vous a mené à la dépression et la bipolarité.                                                                         — Ben oui, je lui ai répondu, j’ai toujours cru que j’étais heureux. Que voulez-vous, je suis un prince jouisseur pourvu de priapisme créatif dont chaque érection est une création. D’ailleurs, à force d’éjaculer des idées, j’ai l’idée de créer sur Internet un site pour protéger mes idées. Et je dois vous avouer, docteur, que je n’ai jamais su parler d’argent, au grand dam de mes parents que je n’ai pas pu sauver de leur naufrage financier. C’est bien simple, mes clients ont toujours cru que sur mon front, il y avait écrit couillon qui ne travaille que pour créer de la beauté, ils en profitaient pour ne pas me payer.

Le médecin des princes demeurés m’a pris par le bras et m’a dit de lutter. Il ne s’en rendait pas compte, mais je luttais. À ma manière. En nageant. En pleurant. En pleurant ma maman. En pleurant mon papa. En pleurant mon héros.

— Voilà, docteur, je suis un dauphin-architecte qui plonge dans ses larmes pour se cacher d’avoir tout raté. Je souffre aussi à mes souvenirs que je ne peux pas changer, et mes regrets me font terriblement mal, je suis foutu, foutu, je veux me noyer.

Au bout de six mois, le médecin m’a annoncé que je pouvais partir. J’étais content de pouvoir enfin rentrer chez moi. En voyant mon container qui m’attendait sur le port de Marseille, j’ai eu un pincement au cœur. Le docteur m’avait recommandé, en faisant la comparaison entre la structure de mon psychisme et celle d’une maison, de me structurer. Sinon à l’instar d’une habitation qui n’aurait pas d’ossature, je m’effondrerai à nouveau. Pour écouter le docteur, j’ai décidé de me structurer dans mon container. Le matelas avait un peu pourri, mais pas la vodka. Sauf que la vodka, je n’y avais plus droit.

Alors j’ai pris mes médicaments et je me suis endormi. Quand je me suis réveillé, j’étais flottant. Mais ça, le docteur m’avait dit que ce serait normal de me sentir un peu flottant les premiers temps. Quand je me suis levé pour aller pisser, j’ai flotté encore plus comme si le sol s’était envolé. Puis quand j’ai ouvert la porte, j’ai vu le ciel. Et la mer. Le ciel et la mer. Mais pas le port. Je ne le voyais plus, le port. Je voyais juste des containers assez similaires au mien. Il y en avait plein, comme si nous avions été des centaines à avoir eu la même idée de nous structurer dans des containers. J’ai crié papa, maman, mais personne ne m’a répondu.

Voilà, moi qui venais enfin d’être d’accord pour avoir une vie structurée, pendant la nuit, mon container s’était fait embarquer sur un cargo, et malgré moi, je me suis retrouvé à voguer sur les flots vers ma cité idéale.”

Sylvie Bourgeois Harel

 

L'Architecte fait partie des 19 nouvelles de mon recueil On oublie toujours quelque chose. Si vous désirez le commander, vous pouvez m'envoyer un mail à : slvbourgeois@wanadoo.fr.

Sylvie Bourgeois Harel - Lily of the Valley - La Croix-Valmer

Sylvie Bourgeois Harel - Lily of the Valley - La Croix-Valmer

Sylvie Bourgeois Harel - Saint-Tropez - La Ponche

Sylvie Bourgeois Harel - Saint-Tropez - La Ponche

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Schizofamily, une nouvelle de Sylvie Bourgeois Harel

Schizofamily

Ma maman est épuisée. J’ai 30 ans et je veux la sauver. J’emmène alors mes trois frères aînés qui vivent toujours chez nos parents consulter un psychiatre. Au dernier moment, maman décide de nous accompagner avec mon père paralysé qui ne peut plus parler depuis son AVC.

— Bonjour, bonjour, monsieur le psychiatre, je dis en arrivant, j’aimerais que nous fassions une psychothérapie familiale pour sauver ma maman.

— Très bien, qui êtes-vous ? me demande-t-il.

— Nous sommes une schizofamily.

— Pardon?

— Oui, c’est un peu compliqué, mais je vais essayer de vous résumer la situation. Mon frère Ferdinand, ici présent, est certainement schizophrène, il se prend pour un prince. Il se fait même appeler le prince O, alors qu’il est photographe. Quant à mon autre frère André, il doit être schizogame, il ne pense qu’à se reproduire, alors qu’il est architecte. Son grand leitmotiv est de dire qu’il aime autant créer l’habitat que l’habitant. Quant à mon frère aîné Gustave, il est sûrement schizothymique, il ne parle qu’aux poissons, c’est bien simple, il passe ses journées sous l’eau. Et quant à ma petite maman chérie, je pense qu’elle est schizoïde, elle ne veut plus sortir avec ses copines.

Le psychiatre se gratte la tête et nous invite à nous asseoir. Mais ma mère reste debout et s’approche de lui.

— Si vous saviez, docteur, comme j’ai hâte d’être dans le trou, elle lui dit, je n’en peux plus.

Je me lève à mon tour. Maman est l’amour de ma vie. Je ne peux pas l’entendre parler ainsi. Je la prends dans mes bras et l’aide à se rasseoir.

— Je dois vous expliquer, docteur, que mes trois frères qui sont pourtant grands, Gustave le sous-marin a 40 ans, André le reproducteur, 37, et Ferdinand le photographe qui est persuadé d’être photographe de terroristes, 34, habitent toujours à la maison. Ma mère n’en peut plus de devoir continuer de leur faire à manger pire que s’ils étaient des bébés, d’autant qu’ils ne lui donnent jamais d’argent et que mes parents sont ruinés.

Soudain, Ferdinand s'énerve et se met à hurler :

— Elle a beau jeu, Cécile, de dire ça, mais elle n’a jamais voulu en faire de bébés, et je sais pourquoi, mais je ne vous le dirai pas. En tout cas, pas là.

— Justement docteur, j’ajoute, je suis venue pour vous les refiler, les bébés, ma mère est épuisée, ils vont finir par la tuer.

— Il faut que vous sachiez docteur, intervient ma maman, que ma fille est persuadée d’être ma mère.

— Ben oui, ma petite maman, je lui dis en l’embrassant tendrement, tu es ma fille et je t’aime.

— N’empêche, hurle de nouveau Ferdinand, le premier bébé à soigner est Gustave, il est jaloux d’un poulpe qui a un plus gros zizi que lui.

— Je suis désolé, docteur, rougit Gustave, prince Ferdinand est en plein délire, et c’est comme ça toute la journée, vivement que je retourne sous l’eau.

— Ose dire que ce n’est pas vrai, continue de hurler Ferdinand, la preuve, tu ne t’en sers jamais de ton zizi.

— Ce n’est pas faux, ajoute ma mère, la première chose que Gustave fait lorsqu’il rencontre une sirène, il l’emmène à la messe, alors forcément, ça prête à confusion.

— Puis il faudra s’occuper d’André, se calme Ferdinand. Depuis que sa femme l’a quitté, il est devenu alcoolique.

— Oui, mais moi, dit André en riant, mon zizi, je sais m’en servir.

— Ah ça oui, approuve ma mère en riant également, il tient ça de son père, un vrai matou à mettre son zizi partout, alcoolique, lui aussi.

— C’est vrai, je bois beaucoup, confirme André, que voulez-vous, créer des maisons et leur faire des bébés, ça me donne soif.

— Il a même couché avec une terroriste qui habite dans notre quartier, s’affole de nouveau Ferdinand.

Le docteur me questionne du regard.

— Bon, docteur, je lui dis, accepteriez-vous de soigner ma schizofamily que j’aime quand même ?

— Dites-moi déjà, chacun votre tour, de quoi vous souffrez exactement, il me répond en nous scrutant bizarrement derrière ses lunettes baissées.

Contre toute attente, Gustave commence :

— Aux poulpes qui ont plein de zizis, avoue-t-il. Et aussi à André qui se sert plus du sien que moi, ça me rend fou. Et également à ma petite sœur qui ne veut pas vivre avec nous, alors que j’ai toujours voulu l’épouser. Sans compter la présence de Ferdinand qui passe ses journées, allongé à faire du canaping dans le salon de la maison, et qui dit toujours la vérité, c’est pour ça que je veux l’interner.

— Et bien moi, dit Ferdinand, je souffre à Gustave qui n’arrête pas de me taper. Il croit peut-être que ses coups vont remettre mes idées en place. N’importe quoi ! La violence n’a jamais résolu la jalousie, et vous le savez très bien, docteur. Je vous assure, ce n’est pas de ma faute si mon cerveau est cassé et si ma tête s’inquiète autant de toutes ces guerres qui vont finir par enflammer la planète. Et puis, je ne veux pas que Gustave réussisse à m’enfermer dans un asile pour cinglés, mon papa paralysé a besoin de moi. Oui, c’est moi qui aide toujours ma maman à pousser sa chaise roulante ou à les conduire faire des courses, ou même une promenade à la campagne. Il est content, mon papa, de voir des vaches ou la forêt, ajoute-t-il en mettant son bras devant le visage comme pour se protéger d’un éventuel coup de Gustave.

— Quant à moi, dit André, je souffre à mes clients qui pensent que sur mon front, il y a écrit couillon qui ne travaille que pour créer de la beauté et qui en profitent pour ne pas me payer. Et aussi à mon idiot de banquier qui n’arrête pas de m’appeler à cause de mon découvert. À force, il m’empêche de travailler. Merde, je suis architecte, pas comptable ! Qu’on me donne des maisons à dessiner, pas des chiffres à additionner. Je souffre également aux bouteilles de mon père que j’ai toutes finies, et à ma mère qui ne veut plus m’en acheter.

J’observe mes trois frères, étonnée de leur franchise.

— Quant à moi, je dis, je souffre à mes parents. Ils n’ont que 68 ans. Ils sont beaux, généreux, drôles, intelligents, jeunes encore. Ils nous ont appris la liberté, l’amour, la curiosité, l’art de ne jamais nous ennuyer, de savoir argumenter, d’être passionnés. Ils ne méritent pas toute cette schizofolie.

Ma maman me sourit. J’aime quand ma maman me sourit. J’ai l’impression de lui redonner un peu de vie.

— Quant à moi, dit-elle en parlant tout doucement, je souffre à mon mari paralysé qui ne peut plus me prendre dans ses bras, ni me dire qu’il m’aime, alors que nous avons été de si beaux amants. C’est fini, tout est fini.

Sur sa chaise roulante, mon père qui se demande depuis le début du rendez-vous ce qu’il fait là, dans le bureau de ce médecin qui ne l’a pas ausculté, pose sa tête sur l’épaule de ma mère. Je vois une larme qui coule de ses beaux yeux. De ses beaux yeux bleus. Une larme qui me dit qu’il est malheureux d’être ainsi enfermé dans le mutisme de sa maladie. Une larme qui me dit qu’il est inquiet de ne plus pouvoir protéger ses fils. Une larme qui me dit que, oui, je dois sauver maman, l’amour de sa vie. Son roc. Son repère. Son univers.

— Mmmaaannn, mmmaaannn, essaye de s’exprimer mon père qui a certainement beaucoup à dire.

— Docteur, continue ma mère en prenant la main droite inerte de mon père, maintenue par une bande sur une attelle, oui, c’est cela même, je souffre à mon mari que j’aime tellement. Je me sens impuissante et épuisée, et puis je ne supporte pas qu’il m’appelle maman, ça me rend folle qu’il puisse me prendre pour sa mère. Vous l’avez entendu docteur, et depuis son AVC, c’est comme ça toute la journée, il fait mmmaaannn, mmmaaannn, maman, maman, je n‘en peux plus, je ne suis pas sa maman, continue ma mère en pleurant.

J’ai 30 ans. Je ne veux pas entendre ma mère pleurer. C’est trop violent. Trop triste. Trop injuste. Je dois la sauver. Je veux lui dire qu’on va trouver une solution et que papa ne dit pas maman, papa fait mmmaaannn, mmmaaannn, car phonétiquement, c’est le son le plus facile à prononcer. Mais d’autres mots sortent tout seuls de ma bouche, d’autres mots que je n’ai pas désirés, d’autres maux dont je n’ai jamais parlé.

— Docteur, je dis, je souffre à l’homme qui a abusé de moi lorsque j’étais enfant, j’avais 8 ans, mais ce n’était pas mon papa.

— Moi, je sais qui c’est, intervient Ferdinand, mais je ne le dirai pas, sinon il me tuera. Je suis sûr d’ailleurs que c’est à cause de ça qu’aucun de nous ne va bien.

Avant même que ma mère ne puisse dire un mot, les miens de mots continuent tout seuls à sortir de ma bouche comme s’ils n’en pouvaient plus que je les aie gardés si longtemps secrets :

— Je souffre aussi à l’homme qui m’a violée à Saint-Tropez lorsque j’avais vingt ans.

Un silence s’établit dans le bureau du docteur. Ne voulant pas ajouter à nos schizoproblèmes, ma détresse, ce n’est pas le sujet, je suis ici pour sauver ma maman, pas pour parler de moi, et encore moins de mes drames que j’ai toujours cachés, justement pour ne pas faire souffrir ma mère, je reprends aussitôt la parole :

— Je souffre aussi à mon papa qui savait si bien me dessiner. C’est vrai, docteur, mon papa a un talent de fou. Même paralysé, il a réussi à faire mon portrait de la main gauche, le trait est parfait, j’ajoute en serrant mon père dans mes bras. Voilà, je souffre à mon papa à qui je n’ai jamais dit que je l’aimais. Nous étions toujours si pressés, si pressés, je répète, c’est ça la vraie folie de ne pas s’arrêter pour prendre le temps de dire que l’on s’aime.

Maman inspire profondément et dit :

— Je souffre au cancer généralisé que l’on vient de me détecter. J’en ai plus que pour quelques mois. Qui va s’occuper de mon mari paralysé et ruiné quand je serai dans le trou ? Je ne veux pas que Cécile prenne mon relais à faire à manger à ses frères et à son père, elle a mieux à faire.

Je vais pour parler, pour dire à ma maman que je vais trouver une solution, que je vais la soigner, qu’elle ne va pas mourir, mais ma maman enchaîne :

— Je souffre aussi à notre manque d’argent. Un client de mon mari l’a arnaqué, c’est pour ça qu’il a eu son AVC, ça l’a stressé, paniqué, inquiété, il est tombé et ne s’est jamais relevé. Avec Cécile, nous avons fait un procès, nous l’avons gagné, l’usine qui fabrique les toilettes design et écologiques que mon mari a créées nous doit des millions de francs, mais ils ont déposé le bilan pour ne pas nous payer, et ont construit une nouvelle usine juste à côté pour fabriquer les mêmes toilettes avec juste quelques différences afin qu’on ne puisse pas les accuser de plagiat. Je suis obligée de vendre la maison familiale.  Mes fils n’auront plus de toit. Avec mon mari, nous irons vivre chez notre fille Cécile.

Affolés, Ferdinand, André et Gustave se lèvent ensemble et crient en choeur :

— Mais maman, où allons-nous habiter si tu n’as plus de maison ? On ne veut pas terminer à la rue.

Un mois plus tard, mon papa est mort à minuit d’une crise d’épilepsie tandis qu’un docteur essayait de le réanimer. Neuf mois après, ma maman est morte de son cancer généralisé dans mes bras, dans la chambre de sa maison d’enfance où elle est née.

Je n’ai pas pu sauver mes parents. Je n’ai su que les aimer.

Sylvie Bourgeois Harel

Schizofamily fait partie des 19 nouvelles de mon recueil On oublie toujours quelque chose. Vous pouvez le commander en m'envoyant un mail à : slvbourgeois@wanadoo.fr.

 

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Sylvie Bourgeois Harel  - Saint-Tropez hiver

Sylvie Bourgeois Harel - Saint-Tropez hiver

Et si nous parlions de Saint-Tropez l'hiver ?
Je suis amoureuse de Saint-Tropez. Je l’ai toujours été. Et je le suis encore plus aujourd’hui, depuis un an et demi, que j’y habite. Et je suis encore plus amoureuse  de Saint-Tropez durant l’hiver. Saint-Tropez durant l’hiver est un ravissement. Déjà, les températures méditerranéennes sont douces, il est rare de descendre en dessous de 3 degrés. C’est le temps idéal pour faire de grandes promenades. Après mes séances d’écriture, je pars marcher une ou deux heures, au bord de l’eau. J’en profite pour me baigner presque tous les jours. La mer est, certes, froide, mais pas gelée. Elle est surtout très vivifiante. Mes bains de mer, l’hiver, sont mon meilleur médicament pour booster mon système immunitaire. Mon deuxième médicament-bonheur est la lumière d’hiver. Elle est sublime. La lumière du Sud, en hiver, exalte les couleurs. Elles ne sont pas saturées, comme en été, à cause de la chaleur. Au contraire, le froid sec les amplifie, les définit. C’est ce qui me manque le plus lorsque je remonte, de temps à temps, à Paris, mon ciel bleu. Il est où mon ciel bleu ? je n’arrête pas de répéter à mes amis qui se sont tristement habitués au ciel parisien, gris et déprimant. Moi, je ne ne veux m’habituer à rien. Je veux vivre pleinement. Je veux profiter de chaque instant. Je ne veux plus me passer de mon ciel bleu et de ma lumière du Sud.

Pourtant, j’ai été une vraie parisienne à avoir une vie très festive, assez mondaine, à sortir tout le temps, à adorer les restaurants, les avant-premières de cinéma, les générales de théâtre, les dîners jusqu’au bout de la nuit. Ce que je ne retrouve pas ici, mais ce n’est pas ce que je recherche non plus. J’ai aimé Paris. J’aime toujours Paris d’ailleurs. Je suis contente d’aller y passer une ou deux semaines, comme je l’ai fait en octobre pour la sortie de mon livre, mais je suis contente de ne plus y habiter. J’ai quitté Paris sans frustration, ni ras-le-bol, juste avec l’envie de me créer une nouvelle vie.  Une nouvelle vie à Saint-Tropez dont j’ai toujours été amoureuse. Je ne l’ai pas fait avant car ce n’était pas le bon moment. L’énergie de Paris me retenait encore un peu.

C’était peut-être un leurre car ici, proche de la nature et de la mer, j’ai découvert une autre énergie. Plus profonde. Moins superficielle. Plus spirituelle. Vous allez rire en me lisant, une énergie spirituelle à Saint-Tropez ? Oui, il y a plusieurs Saint-Tropez. Chacun peut trouver le sien qui lui convient. Le mien de Saint-Tropez est spirituel. La nature qui m’entoure et que je fréquente chaque jour m’apprend beaucoup sur le sens que je donne à ma vie. Des lieux comme la Chapelle Sainte-Anne, le Monastère de la Verne, les Roches Blanches au-dessus de La Garde-Freinet où je passe tous mes week-ends dans ma maison provençale au coeur du village, sont très telluriques et chargés de magnétisme.

Alors lorsque j’entends des gens râler que Saint-Tropez est mort en hiver, je les plains de ne pas savoir apprécier toute cette richesse naturelle et cette beauté qu’ils ont autour d’eux. Ce sont d’ailleurs souvent les mêmes qui râlent en été que Saint-Tropez est trop bondé. Saint-Tropez n’est pas mort en hiver. Ainsi que je le disais à une touriste qui, l’autre jour, me posait la question sur le parking du port, vous savez madame, moi, je suis très vivante, je lui ai répondu en riant. C’est vrai quoi, la joie se trouve dans notre coeur, dans notre capacité à sourire, à rire, à s’intéresser, à apprendre, à transmettre, à contempler, à s’émerveiller, à décider de couper la télé, à fermer les journaux, à éteindre la radio. Elle ne se trouve pas dans le divertissement à outrance.

Mon divertissement à moi, c’est de me réjouir de mon ciel marine, de la mer transparente, de mon poulpe qui m’accompagne à chacun de mes bains, s’enlaçant tel un amoureux autour de ma cheville pour nager avec moi. Ce sont aussi les oiseaux, les fleurs, les arbres, les renards que je rencontre dans la forêt et qui sont pleins de curiosité à m’observer, prêts à vouloir jouer. Quand je croise un animal, je me mets en mode alpha, je respire calmement pour espacer les battements de mon coeur afin de lui transmettre des ondes de douceur, d’amour, de compréhension. Je rêve de rencontrer un loup avec sa famille. Mon autre rêve serait de leur offrir un sanctuaire pour les protéger.  

Saint-Tropez n’est pas mort en hiver. Saint-Tropez se repose. Le village se repose des excès de l’été. Il reprend des forces nécessaires tellement il y a eu de monde durant la saison. Il se répare aussi. De nombreux travaux de voirie ou de rénovation sont organisés à cette période. Saint-Tropez a évolué. Saint-Tropez est une vieille dame devenue un sorte de musée à ciel ouvert, connu du monde entier pour son authenticité. Il faut donc le ménager. Et ces trois mois d’hiver contribuent à lui refaire une beauté. À saint-Tropez, on réapprend également à vivre suivant le rythme des saisons. En hiver, on hiberne, on calme le jeu, on se retrouve le soir autour des feux de cheminée, on fait des gâteaux, on reste au chaud. C’est une période d’introspection, de réflexion, de projets.

Certes, de nombreux restaurants et de boutiques sont fermés, mais la mer reste ouverte, la plage aussi, le littoral également. Il est impossible de s’ennuyer. Et puis, pour ceux qui veulent sortir, les propositions sont suffisantes. Le cinéma Star programme trois films différents par semaine. La mairie organise régulièrement des conférences, des concerts, des spectacles. Le Café de Paris, le Clémenceau, le Sporting, le Sube, et d‘autres établissements, restent ouverts. Des orchestres sont invités les soirs de week-end. C’est très joyeux. Mon cher Sénéquier est là également. J’y vais régulièrement écrire en fin de journée avec mon ordinateur autour d’un délicieux chocolat chaud accompagné de deux madeleines. Et puis, cette année, le Tigrr Ermitage a eu la bonne idée d’ouvrir toute l’année. On peut y prendre un thé ou un champagne sur la terrasse, dès 17 heures, afin d’admirer le soleil se coucher sur la mer, puis dîner au chaud à l’intérieur, et bien sûr danser. Car Saint-Tropez est festif, quoi qu’il se passe,  quelle que soit la saison, on trouve toujours une occasion de danser !

Sans oublier les vacances de Noël qui sont féériques à Saint-Tropez avec le village totalement illuminé et le Père Noël qui arrive par la mer. Sur le port, des centaines de personnes l’attendent, les yeux remplis de joie enfantine et de leurs souvenirs familiaux. Les enfants sont sur les épaules des parents à appeler le Père Noël. Chacun achète des gaufres, des crêpes, des hot-dogs aux petits chalets en bois le long des quais. Et quand la barque du Père Noël s’amarre devant la statue du Bailli de Suffren, et que le père Noël descend tout doucement de son mat, tous en choeur, nous chantons Petit Papa Noël sur les airs de Tino Rossi.  C’est alors une véritable communion d’émotion qui se produit.

Ne me demandez pas où je serai cet hiver, je serai à Saint-Tropez » !

Sylvie Bourgeois Harel

Sébastien Peiffert - Sylvie Bourgeois Harel - Minou - Le Tigrr Ermitage hôtel Saint-Tropez

Sébastien Peiffert - Sylvie Bourgeois Harel - Minou - Le Tigrr Ermitage hôtel Saint-Tropez

Saint-Tropez l'hiver - La Ponche

Saint-Tropez l'hiver - La Ponche

Saint-Tropez l'hiver - Sénéquier

Saint-Tropez l'hiver - Sénéquier

Sylvie Bourgeois Harel - Saint-Tropez l'hiver

Sylvie Bourgeois Harel - Saint-Tropez l'hiver

Sylvie Bourgeois Harel - Saint-Tropez l'hiver

Sylvie Bourgeois Harel - Saint-Tropez l'hiver

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Et si Paul Watson avait organisé une opération kamikaze pour mieux faire entendre son combat afin de sauver les baleines ?

Et si Paul Watson avait organisé une opération kamikaze

pour mieux faire entendre son combat afin d sauver les baleines ?

 

En tant qu’écrivain, je m’efforce de ne jamais subir l’information de façon frontale. Je me pose toujours de multiples questions pour mieux la comprendre et l’analyser. Je la regarde aussi sous plusieurs angles, et souvent sous l’angle du : « Et si… ? » 

 

Donc, aujourd’hui, je me pose la question à savoir : et si Paul Watson, incarcéré au Groenland depuis le 21 juillet 2024, avait organisé une opération extrêmement risquée, en mettant sa vie et sa liberté en danger, pour arriver enfin à sensibiliser le monde entier au drame que représente le massacre des baleines par le Japon, la Norvège et l’Islande, trois pays hors-la-loi qui refusent d’accepter le moratoire international promulgué en 1986 par la Commission Baleinière qui interdit la chasse à la baleine ? 

 

Depuis plus de quarante ans, Paul Watson se bat contre ces massacres sans qu’aucune ligne de force n’ait vraiment bougé. Certes, il a réussi à sauver 5000 baleines, mais combien d’entre elles continuent de mourir tous les ans sous les harpons électroniques des baleiniers ? Leur nombre aurait chuté de 5 à 6 millions répertoriés dans les années 50, à seulement 1,5 million aujourd’hui.

 

J’ai du mal à imaginer que Paul se soit fait prendre et arrêter comme un bleu. Trop d’éléments me portent à croire qu’il s’est mis exprès en situation de danger afin que sa parole et son combat touchent enfin le monde entier. Et c’est d’ailleurs ce qu’il s’est passé. Si tel était son but, il a gagné. Paul a gagné. En effet, le nom de Paul Watson, jusque là connu uniquement des quelques amoureux et défenseurs de la mer, résonne dorénavant dans tous les pays, des photos de baleines et des slogans #freepaulwatson inondent les réseaux sociaux, des chanteurs composent des hymnes en son honneur, des pétitions demandant sa libération sont signées. Bref, Paul Watson que j’ai connu lorsqu’il était mon voisin en 2016 avec son épouse Yana dans le Golfe de Saint-Tropez, est en passe de devenir un héros, une légende. Son combat pour sauver les baleines est enfin entendu. Bravo Paul ! Bravo et merci ! Bravo à ton courage. Bravo à ton opiniâtreté ! Mille bravos  !!!

 

Pour en revenir à mon questionnement, plusieurs éléments me font me penser que Paul a pris exprès le risque de se jeter dans la gueule du loup pour se faire entendre, pour organiser la plus grande opération de communication qui soit. Déjà, il faut savoir que Paul Watson est intelligent, très intelligent. Il est également un excellent communicant. Étudiant, il a suivi des cours de communication au cours desquels il a appris que pour sensibiliser les gens, il fallait produire de l’information chaude, à savoir montrer des images. À contrario, l’information froide est celle fournie par la presse écrite, les gens lisent, mais ne s’identifient pas. Paul s’est donc fait filmer dans tous ses combats. Pour montrer des images qui sensibilisent, mais aussi pour se protéger en apportant des preuves comme quoi, il n’a jamais blessé personne.

 

Depuis que Paul est incarcéré au Groenland, dans les rares interviews et interventions qu’il a pu accorder, il répète régulièrement qu’il est en opération pour sauver les baleines. En expert de la communication, si Paul répète ce mot opération, ce n’est pas anodin, c’est qu’il y a une raison. Il utilise ce mot lorsqu’il prépare et organise une opération en mer avec sa flotte et son équipe. S’il est en opération, comme il aime à le dire, c’est qu’il y a eu, au préalable, une préparation et une organisation.

 

Paul a toujours dit qu’il était capable de donner sa vie pour sauver une baleine. C’est peut-être ce qu’il fait aujourd’hui ? À 73 ans, il a peut-être décidé de jouer le tout pour le tout ?

 

Fin septembre, à ma grande stupéfaction, j’ai appris que Paul Watson avait demandé à l’un de ses mécènes de racheter, il y a un an, un baleinier japonais qui allait être remplacé. Ce sont d’excellents navires capables d’aller sur toutes les mers, que les Japonais changent environ tous les 20 ans. Le mécène a donc fait acheter ce baleinier par un ami afin que le nom de Paul Watson n’interfère pas. Jusque-là, tout va bien. Mais lorsqu’il y a eu la passation de propriétaire, ce qui est un moment extrêmement protocolaire, et ce dans les marines du monde entier, avec tout l’équipage en uniforme, avec l’ancien capitaine qui donne le Handover, c’est à dire la passation des documents techniques et des codes des coffres-forts, au nouveau capitaine, avec la musique de l’hymne national du Japon qui se joue pendant la descente du drapeau, suivi de l’hymne national des États-Unis pendant la levée du nouveau drapeau. Sauf que, hic, ce n’est pas le drapeau américain qui aurait été levé, mais le drapeau de la Foundation Captain Paul Watson (que Paul a créée il y a deux ans lorsqu’il s’est fait évincer de Sea Shepherd Global, l’ONG qu’il a fondée, il y a quarante ans). Par ce pied de nez humiliant, Paul a donc ouvertement fait une déclaration de guerre au Japon. D’ailleurs, le Japon n’a pas tardé à riposter, depuis quelques mois, un nouveau mandat Interpol était lancé contre Watson qui était au courant.

 

C’est ainsi qu’à l’instar du toréador qui agite sa cape rouge pour exciter le taureau et susciter les applaudissements du public, Paul a excité le Japon. Tel un guerrier qui part sabre au clair, il est ensuite allé affronter son pire ennemi sur le champ de bataille. À savoir les mers du Nord et l’Océan Arctique où le baleinier avait prévu de se rendre pour tuer 200 baleines. Sachant qu’il y avait, depuis peu, un mandat international contre lui qui avait refait surface, Paul n’était pas obligé de s’embarquer sur son nouveau navire, l’ancien baleinier japonais, baptisé John Paul DeJoria, du nom de l’un de ses fidèles donateurs. Il pouvait, ainsi qu’il l’a fait plusieurs fois, laisser son équipage et gérer le combat depuis Paris devant son ordinateur et ses appareils de navigation à distance. 

 

Une fois en mer, lorsqu’il a fallu faire le plein en fuel à Nuuk, Paul, connaissant le danger d’aller à terre, pouvait rester loin sur une annexe, hors des eaux territoriales du Danemark, avec quelques membres d’équipage, et attendre en sécurité que le ravitaillement soit effectué. Non, il y est allé. Il s’est rendu à Nuuk, certainement le ventre noué, mais il s’y est rendu en héros, en héros qui n’a pas peur, en héros qui risque sa vie pour sauver les baleines. 

 

Aujourd’hui, grâce au courage et à la témérité de Paul Watson, de nombreuses personnes connaissent enfin l’importance du rôle essentiel que joue la baleine pour notre survie. En effet, ce magnifique et émouvant mammifère marin capte énormément de carbone qu’il accumule. Quand la baleine meurt de mort naturelle, elle entraîne au fond des océans tout ce CO2 qui participe aux écosystèmes des grands fonds marins. D’autre part, ses excréments, remplis d’azote, de fer, de phosphore, nourrissent le phytoplancton qui, à son tour, nourrit le zooplancton qui produit 40% de l’oxygène de notre atmosphère tout en absorbant environ 40% de la production totale de CO2, encore plus que 1700 milliards d’arbres.

 

Pour que Paul Watson n’ait pas fait tout son combat pour rien, il est important de savoir que les baleines sont, certes, victimes de ces baleiniers hors la loi qui les tuent, mais qu’elles meurent aussi, et en très grande quantité, environ 20000 par an, à cause des collisions qu’elles subissent contre les navires marchands, de transports, militaires, les cargos, les bateaux-citernes, les paquebots de croisières, dont le nombre s’est multiplié de façon alarmante. À tel point que certains pays demandent à réguler la vitesse de ces navires. Une autre solution serait d’armer les bateaux de répulsifs à ondes qui préviendraient les baleines de leur arrivée afin de les faire fuir. La future course de voiliers Le Vendée Globes demande d’ailleurs cette année à ses participants d’utiliser ces radars.

 

Un autre problème concernant ces pauvres baleines dont nous avons grandement besoin est que les fonds marins sont devenus extrêmement bruyants d’autant que les bruits sous l’eau se déplacent cinq fois plus rapidement que dans l’air et sur des distances de plusieurs milliers de kilomètres. Entre les forages pour l’industrie pétrolière, le bruit des bateaux, les expériences acoustiques militaires, les cétacés qui communiquent entre eux par des sons très précis, sont désorientés. Affolés, perdus, ainsi que l’explique Greenpeace qui milite pour la création de sanctuaires afin de protéger les baleines, il arrive que ces grands cétacés remontent tellement vite à la surface pour fuir ces bruits qui les effrayent, les stressent et les déboussolent, que cela fait éclater leurs vaisseaux sanguins, ou qu’ils meurent d’une intoxication à l’azote comme le plongeur qui n’aurait pas effectué ses paliers. 

 

Mon cher Paul Watson, encore une fois, bravo et merci pour toutes tes actions héroïques. Je te souhaite de pouvoir retrouver très bientôt ton épouse Yana qui t’attend à Paris auprès de vos deux jeunes garçons. 

 

Sylvie Bourgeois Harel

Interview BFM TV lors de la mobilisation à Paris pour Paul Watson organisée par la Fondation Brigitte Bardot

Interview BFM TV lors de la mobilisation à Paris pour Paul Watson organisée par la Fondation Brigitte Bardot

Sylvie Bourgeois Harel Interview BFM TV Paris

Sylvie Bourgeois Harel Interview BFM TV Paris

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Et si nous parlions des dégâts de la pêche intensive !

Et si nous parlions des dégâts de la pêche intensive !

 

Cet été, aux Graniers, à Saint-Tropez, je faisais mes longueurs dans la mer lorsque je vois un homme entrer dans l’eau avec une combinaison de plongée et un fusil harpon. J’effectue un crawl rapide pour arriver à sa hauteur. Là, je lui explique (gentiment et poliment) qu’il est interdit de pratiquer la chasse sous-marine dans les bassins destinés aux baigneurs. Le mec n’en a rien à faire. Il ricane J’essaye alors d’argumenter (toujours gentiment et poliment) qu’il peut sortir de l’eau et aller un peu plus loin dans les rochers, où il n’y a pas de plage, car je n’ai pas envie qu’il tue mes copains-poulpes qui viennent nager avec moi lorsque je m’approche de leurs rochers. Oui, le poulpe est un animal très intelligent. Les trois dont j’ai fait la connaissance au printemps me reconnaissent. Ayant compris que je ne représentais pas un danger, mais plutôt une nouvelle amitié, ils me saluent régulièrement. J’ajoute que je ne veux pas non plus qu’il tue mes poissons qui sont heureux d’évoluer dans cette crique en toute sécurité. Il ricane toujours. Sans m’énerver, je conclue que ce n’est pas un bon exemple pour les enfants présents de leur montrer des poissons morts au bout d’un fusil. Le mec ricane encore et s’éloigne dans la mer. avec son fusil-tueur 

 

Sur la plage, trois couples me regardent, d’un air hébété. Je vais les voir :

 

— Pourquoi n’êtes-vous pas venus m’aider à convaincre ce monsieur d’aller faire sa chasse sous-marine ailleurs ?

— On ne connaît pas la loi, balbutie une dame dont le mari baisse les yeux.

— Même si vous ne la connaissez pas, c’est du bon sens. Imaginez, s’il vise mal et qu’il tire dans votre jambe, vous seriez contents ? Et si un jour, quelqu’un débarque sur la plage avec un fusil et tue les mouettes, vous ne diriez rien non plus ? Ou s’il tire sur vous, vous vous tairiez encore ? Parce que la vie d’un poulpe, d’une mouette ou la vôtre, ça a la même valeur, non ?

 

En rentrant chez moi, j’ai réfléchi. J’ai réfléchi au besoin de certaines personnes de tuer avec un fusil ce qui ne laisse aucun espoir aux animaux de pouvoir s’échapper. Le monsieur qui pêche avec une canne, je le comprends. L’éleveur qui tue son cochon pour nourrir sa famille, je le comprends. Les deux peuvent, à l’instar des Amérindiens d’autrefois, faire une prière et remercier le poisson ou le cochon à qui ils viennent de voler la vie. 

 

Dans la nature, la nécessité de tuer des animaux pour se nourrir est également violente, mais cette nécessité répond aux besoins de la chaîne alimentaire. Et puis les animaux n’accumulent pas leurs proies. Ils tuent uniquement pour subvenir à leur faim. 

 

Aujourd’hui, l’industrialisation de la mort des animaux est passée à une vitesse alarmante. Dans les abattoirs bien sûr, mais aussi avec la pêche industrielle et la pêche illégale, en effet, 40% de la pêche que l’on trouve dans les restaurants ou les étals des poissonniers proviendrait de la pêche illégale. Cette surpêche excessive est inquiétante et destructrice de la ressource puisqu’elle retire des mers plus de poissons, crustacés, mollusques, qu’il ne peut s’en reproduire. 

 

Mais que faire pour lutter contre cette surpêche industrielle avec ses 10 millions de bateaux qui sont en action permanente? Que faire contre cette surpêche qui est largement soutenue par les subsides publiques, et dans le monde entier, à hauteur, paraît-il, de 22 milliards annuels ? Que faire lorsque l’on sait que 80 millions de requins sont décimés chaque année ( pour subvenir au marché chinois très demandeur, les pêcheurs leur coupent les ailerons sur le pont de leur bateau, puis les rejettent mutilés à la mer dans laquelle ils meurent dans des souffrances terribles) ? Que faire lorsque 90 millions de tonnes de poissons sont pêchés chaque année dans le monde, entraînant la raréfaction des soles dans le Golfe de Gascogne, du cabillaud dans la mer celtique et la mer du Nord, du Merlu de Méditerranée et l’extinction de la morue de Terre-Neuve ? Que faire contre cette entreprise japonaise qui a décidé d’exterminer le thon rouge (qui a diminué de 80% en quelques décennies) afin que leurs hangars remplis de thons rouges congelés prennent de la valeur, lorsque l’on sait qu’un thon rouge a été vendu plus d’un million de dollars ? Que faire contre l’Europe qui a contribué financièrement à la construction et à la modernisation de la flotte des grands thoniers ? Des chiffres ainsi alarmants, je pourrais continuer d’en citer des dizaines concernant la mort de milliers de dauphins, de baleines, de tortues… ce qui, entre parenthèses, contribue à la prolifération des méduses puisqu’ils ces espèces en raffolaient.

 

Que faire contre les moyens excessifs utilisés par la pêche intensive ? Que faire contre les palangres longues de 15 kilomètres sur lesquelles sont accrochés tous les 2 à 5 mètres des hameçons ? Que faire contre les scènes coulissantes qui enserrent les bancs de poissons comme dans une bourse avant de les remonter à bord des bateaux ? Que faire contre les chaluts de fond qui détruisent sur leur passage des habitats, des récifs de corail, des rochers, anéantissant tout un écosystème ? Que faire contre les filets maillants, sorte de gigantesques nappes rectangulaires, qui emprisonnent les poissons qui meurent asphyxiés, ne pouvant plus bouger leurs branchies coincées dans les mailles ? Que faire contre les filets dérivants, véritables rideaux de mort, pouvant mesurer jusqu’à 100 kilomètres de long, qui arrachent tout sur leur passage, d’autant qu’ils sont régulièrement perdus, continuant alors de tuer pour rien, tels des fantômes de nylon, des centaines de milliers d’espèces, alors qu’ils ont été interdits en 1992 ?

 

Que faire pour lutter contre cette pêche industrielle et intensive qui utilise des moyens gigantesques qui, non seulement, entraîne la disparition de nombreuses espèces marines, mais cause également la perte d'emploi pour les petites structures de pêche? J’ai l’impression que comme personne ne voit ce qu’il se passe sous l’eau, tout est permis, même illégalement, genre pas vu, pas pris !

 

Que faire alors ? Ne plus manger de poissons ? En tous cas, réduire drastiquement sa consommation lorsque l’on sait qu’en moyenne chaque personne en mangerait 20 kilos par an, est peut-être un premier pas.

 

Pour ma part, je rêve de retrouver des petites autonomies, à taille humaine, seul moyen pour lutter contre les excès de la mondialisation. 

 

Sylvie Bourgeois Harel

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Yana et Paul Watson à la signature de mon roman Sophie à Saint-Tropez en juillet 2026

Yana et Paul Watson à la signature de mon roman Sophie à Saint-Tropez en juillet 2026

Paul Watson est un héros. Il n’y a pas d’autre mot pour le définir. Un héros comme il n’y en a plus. Depuis 50 ans, il se bat pour protéger les baleines. Au péril de sa vie. Et sa vie, aujourd’hui, est en danger. Il a 73 ans, deux jeunes enfants, des garçons de 3 et 8 ans, une femme sublime, Yana. Et il dort en prison. Au Groenland qui est un pays constitutif du Royaume du Danemark. Comme disait déjà Shakespeare dans Hamlet : ” Il y a quelque chose de pourri au Royaume du Danemark.”

 

Un mandat international court depuis 2012 venant du Japon contre Paul Watson comme quoi il aurait blessé un homme travaillant sur un baleinier. Sauf que Paul n’aurait jamais blessé personne. Ayant fait des études de journalisme au Canada, il a compris que pour émouvoir, il fallait faire de l’information chaude, c’est à dire montrer des images, contrairement à la presse papier que l’on qualifie d’information froide car les personnes lisent mais ne s’identifient pas. Tandis qu’avec la télévision, tout de suite, on entre dans le coeur des gens. Alors Paul a pris l’habitude de tout filmer. Et sur les films qui montrent, soi-disant, une blessure, il n’y en aurait aucune.

 

Pour ma part, je me suis posée la question différemment. J’ai laissé de côté le Japon et je me suis demandé pourquoi le Danemark avait soudain arrêté Paul alors que depuis des années, Paul voyage dans le monde entier, excepté bien sûr le Japon, sans être inquiété ?

 

Et si Paul avait été arrêté uniquement pour des raisons politiques ? Et si le Danemark l’avait arrêté, non pas pour parfaire leurs relations avec le Japon, mais pour faire plaisir aux habitants des Iles Féroé qui sont, comme le Groenland, un pays constitutif du Royaume du Danemark. Les Féroéens vivent principalement de la pêche. Et massacrent également chaque année lors d’un rite traditionnel entre 500 à 800 dauphins et globicéphales en une journée. Un massacre contre lequel Paul Watson s’est opposé plusieurs fois. Un jour, en 2016, alors que je déjeunais au Club 55 sur la plage de Pampelonne, à Ramatuelle, avec Paul et Yana, j’avais même vu Paul aller demander au prince héritier du Danemark qui déjeunait également là de stopper ce massacre. Demande, hélas, qui n’a pas été suivie d’effets.

 

Les Iles Féroé sont autonomes, mais elles désirent devenir indépendantes. En avril 2004, un référendum en faveur de leur indépendance avait remporté 50,72% de voix, sauf que le gouvernement danois avait refusé leur indépendance. Un nouveau référendum était prévu pour le 25 avril 2018, mais le gouvernement danois l’a repoussé aux calanques grecques. 

 

Malgré l’embargo dû à la guerre en Ukraine, les Féroïens continuent de faire du commerce avec la Russie. Un commerce florissant. Une famille spécialisée dans le saumon est même devenue milliardaire en une semaine. Et si les Iles Féroé désiraient se rapprocher encore plus des Russes avec lesquels elles semblent entretenir d’excellentes relations commerciales ? Et si pour convaincre les Iles Féroé de rester Danoises, le Danemark avait arrêté Paul pour leur montrer à quel point, le gouvernement les protégeait en mettant en prison l’homme qui les combat depuis des années en essayant d’arrêter leur massacre annuel de dauphins, et en se battant également contre les dégâts de la pêche intensive qu’ils pratiquent ?

 

Depuis que Paul a été arrêté, je me démène pour trouver la personne idéale qui pourrait parler au roi du Danemark. Qui pourrait faire de la diplomatie. Qui pourrait lui dire qu’il deviendrait lui aussi, à son tour, un héros, en le libérant. Je suis certainement très naïve, mais je suis ainsi. Je n’ai, hélas, pas trouvé beaucoup d’écho. Pourtant j’ai contacté des dizaines de personnes influentes et avec un pouvoir conséquent. Je le vois bien, je l’ai constaté, nombreux sont ceux qui utilisent le drame de Paul pour satisfaire leur égo et faire de l’image en se servant de son arrestation, sans lever le petit doigt pour l’aider. Alors qu’agir, ce n’est pas se montrer idiotement avec une banderole, c’est agir ! 

 

J’ai rencontré à Saint-Tropez John Paul DeJoria et son épouse Eloïse. John Paul est le mécène de Paul Watson. Lorsque Paul a créé La Captain Paul Watson Foundation, après avoir été évincé, il y a un peu plus de deux ans, de Sea Shepherd Global, l’ONG qu’il avait créée il y a 40 ans, John Paul lui a acheté deux bateaux, le Bandero et le John Paul DeJoria. Nous avons longuement discuté. Nous nous sommes revus. Ce matin, après un petit-déjeuner d'au-revoir chez Sénéquier, ils partaient le lendemain, je les ai emmenés prier à la chapelle Sainte-Anne de Saint-Tropez, qu'ils ne connaissaient pas, afin que le Danemark n’extrade pas Paul Watson au Japon. Qu’il le libère ou qu’il le garde encore un peu. Le temps que l’on trouve la bonne personne qui saura convaincre le roi du Danemark d’influer sur son gouvernement que le seul acte digne à accomplir est de libérer Paul Watson. Dans l'après-midi, nous avons appris que cette décision de l'extrader ou non avait été repoussée le matin-même au 2 octobre.

 

Ce week-end, je suis invitée en tant qu’écrivain à présenter mes romans au Salon du Livre de Monaco, Monaco où suis née. Je devrais rencontrer le président de la Fondation Albert II de Monaco. J’ai également demandé par l’intermédiaire de l’un de ses plus proches amis de rencontrer le Prince Albert II. M’entendra-t-il ? Je l’espère. Je voudrais lui souffler, non pas de faire une déclaration officielle, ce genre de déclaration est peut-être compliquée vis-vis du Japon qu’il ne veut pas froisser, non, je voudrais parler à son coeur. Le Prince Albert II a un grand coeur. Je voudrais parler à son coeur avec mes mots remplis d’émotion. Je voudrais lui souffler de s’entretenir avec le roi du Danemark. Entre têtes couronnées, ils peuvent communiquer aisément. Seul l’amour peut sauver Paul aujourd’hui. J’ai trop peur qu’il meure dans les prisons danoises. Mon héros ne mérite pas ça. Les baleines ne méritent pas ça. Les océans ne méritent pas ça. Ses enfants, son épouse, ne méritent pas ça. 

 

Le cinéma et la littérature sont remplis de héros. Paul Watson est un héros vivant. N’attendons pas qu’il soit mort pour lui rendre hommage et lui reconnaître toutes ses vertus. Comme a dit Berlioz quelques jours avant de partir au paradis : ” Ah, quel talent je vais avoir demain, on va enfin maintenant  jouer ma musique ! ” 

 

Sylvie Bourgeois Harel

Le 4 septembre 2024

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Le rôle essentiel des baleines dans l'écosystème

Le rôle essentiel des baleines dans l'écosystème

 

Mon premier contact avec les grands mammifères marins remonte à mes 9 ans. Le parc aquatique de Marineland vient d’ouvrir à Antibes. Ma maman m’y emmène. Je suis très fière car, durant le spectacle, l’instructeur me choisit parmi les centaines d’enfants assis sur les gradins qui levaient la main. Quelques minutes plus tard, je suis sur la margelle, au bord du bassin, quand, soudain, un mâle orque, de 7 à 8 mètres de long, dépose une bise affectueuse sur ma joue aussi délicatement qu’un amoureux.

 

De retour à la maison, ma mère est sceptique. Oui, elle est contente que je sois ravie de ce baiser marin, oui, elle me félicite du dessin que j’ai fait de mon nouvel amoureux orque avec son dos noir, son ventre blanc et sa tâche blanche derrière l’œil, ce qui lui confère un air coquin et rieur, mais elle finit par me confier que c’est épouvantable que ces animaux soient privés de leur liberté. 

 

— Imagine Sylvie, c’est aussi méchant que si quelqu’un m’enlevait et m’enfermait à vie dans une pièce proportionnellement pas plus grande que la chambre du haut. Je n’aurais plus la possibilité de te voir. Et toi non plus. Tu me chercherais. Mais tu ne saurais pas où je suis. Je deviendrai folle. Ton copain orque va certainement devenir fou. Je ne vois pas d’autre issue. Nous ne retournerons plus jamais à Marineland, c’est trop triste.

 

L’année d’après, mes parents achetèrent un voilier. Durant une traversée pour aller en Corse, nous avons croisé un banc d’orques, les mêmes que mon amoureux avec le dos noir, le ventre blanc et cette rigolote tâche blanche derrière l’œil.

 

— Je les préfère ainsi, m’a dit ma mère. Regarde comme ils sont heureux à sauter dans l’eau. Non, vraiment, nous n’irons plus jamais à Marineland

 

Ma plus belle vision en voilier fût de voir une maman dauphin avec son petit collé sur son flanc. C’était hyper émouvant. J’étais en larmes. Puis ma mère mourut. Un mois plus tard, je suis en bateau devant le port de Monaco pour contempler le feu d’artifice. Soudain, un cachalot sort de l’eau, à la verticale, comme un dernier salut de ma maman-sirène-dauphin qui adorait les baleines.

 

Alors j’ai lu. J’ai appris. J’ai regardé des films. J’ai vu un documentaire déchirant dans lequel une maman baleine essaye de protéger son jeune bébé de la férocité des orques qui en raffolent. Elle nage, elle nage, elle nage de plus en plus vite, entraînant avec elle son petit qui, essoufflé, finit par être dévoré par les orques qui les suivaient patiemment, sachant qu’à un moment donné le bébé n’arriverait plus à tenir ce rythme effréné. C’était déchirant. Extrêmement désolant. Mais c’est la loi de la nature. La loi de la chaîne alimentaire naturelle. J’ai aussi vu des gravures et des peintures de baleiniers qui chassaient les baleines au Moyen-Âge. Ils en ont tellement chassé qu’ils ont pratiquement décimé le Golfe de Gascogne. Ils se sont alors déplacés vers les mers du Nord. J’ai lu aussi Moby Dick de Herman Melville qui raconte l’histoire de cette baleine harponnée qui, en 1820, folle de douleur, a éperonné le navire Essex jusqu’à le faire couler, et comment quelques marins réussirent à survivre en se livrant à des actes de cannibalisme.

 

La chasse à la baleine est ensuite devenue de plus en plus violente. De plus en plus perfectionnée. De plus en plus sophistiquée. Ne laissant aucune chance de survie aux baleines. Mettant en danger de nombreuses espèces qui tendent à disparaître. C’est bien simple, dans les années 50, 5 à 6 millions de baleines avaient été répertoriés contre 1,5 million aujourd’hui. Si bien qu’en 1986, un moratoire a été promulgué par la Commission Baleinière Internationale. Moratoire que ne respectent pas le Japon, ni la Norvège, ni l’Islande, qui continuent, chaque année, de tuer encore et toujours plus de baleines. 

 

Outre le côté dramatique, sanglant, inhumain, violent, dégueulasse, de la chasse à la baleine, que je déplore et qui me révolte, d’autant que la baleine a une conscience, une intelligence, des émotions, de la mémoire, il est essentiel de savoir que la baleine contribue à notre survie. En effet, la baleine capte énormément de carbone dans l’atmosphère. Non seulement, elle le capte, mais elle le stocke. Donc, plus elle vit longtemps, plus elle en accumule. Et quand elle meurt de mort naturelle, elle entraîne avec elle au fond des océans tout ce CO2 qui, en s’intégrant aux sédiments marins, participe aux écosystèmes des grands fonds. Et c’est toujours ça de moins dans l’atmosphère.

 

Ensuite, la baleine fait des gros popos. Vu sa taille, des popos énormes. Elle remonte à la surface de l’eau pour déposer ses popos qui contiennent de l’azote, du fer et du phosphore, qui nourrissent le phytoplancton qui, à son tour, nourrit le zooplancton. Ces créatures microscopiques produiraient 40% de l’oxygène de notre atmosphère tout en absorbant environ 40% de la production totale de CO2, encore plus que 4 forêts amazoniennes réunies que l’on pourrait aussi compter en 1700 milliards d’arbres. C’est dire l’importance de la baleine pour la survie des êtres humains. 

 

C’est fou de constater qu’il suffit d’une poignée de prédateurs organisés pour détruire la vie dans nos océans. Pour détruire également une partie de la vie sur terre. Face à ces prédateurs en bandes organisées, pour ma part, c’est un sentiment d’impuissance et de colère qui m’envahit. Que faire pour lutter ? Le seul qui se battait contre ces monstruosités est en prison. Dieu seul sait quand Paul Watson retrouvera sa liberté, s’il la retrouve. 

 

Le constat est que nos mers deviennent de plus en plus polluées. Qu’elles ont de moins en moins de poissons qui sont décimés par la pêche intensive et industrielle qui, avec ses gigantesques filets dérivants, longs de dizaines de kilomètres, détruit autant les récifs de corail que les habitats sous-marins que des milliers d’espèces vivantes qui ne seront même pas mangées. Qu’il y a une raréfaction des grands mammifères marins. Parfois j’entends dire que c’est bien que les requins commencent à s’approcher des plages de Méditerranée. Non. Ce n’est pas bien. Ils se rapprochent car ils n’ont plus assez de nourriture au large. Ils cherchent d’autres terrains de chasse. 

 

Pour que Paul Watson n’ait pas fait tout son combat pour rien, il est important de savoir que les baleines sont, certes, victimes de ces baleiniers hors la loi qui les tuent, mais qu’elles meurent aussi, et en très grande quantité, environ 20000 par an, à cause des collisions qu’elles subissent contre les navires marchands, de transports, militaires, les cargos, les bateaux-citernes, les paquebots de croisières, dont le nombre s’est multiplié de façon alarmante. À tel point que certains pays demandent à réguler la vitesse de ces navires. Une autre solution serait d’armer les bateaux de répulsifs à ondes qui préviendraient les baleines de leur arrivée afin de les faire fuir. La future course de voiliers Le Vendée Globes demande d’ailleurs cette année à ses participants d’utiliser ces radars. 

 

Un autre problème concernant ces pauvres baleines dont nous avons grandement besoin, est que les fonds marins sont devenus extrêmement bruyants d’autant que les bruits sous l’eau se déplacent cinq fois plus rapidement que dans l’air et sur des distances de plusieurs milliers de kilomètres. Entre les forages pour l’industrie pétrolière, le bruit des bateaux, les expériences acoustiques militaires, les cétacés qui communiquent entre eux par des sons très précis, sont désorientés. Affolés, perdus, ainsi que l’explique Greenpeace qui milite pour la création de sanctuaires afin de protéger les baleines, il arrive que ces grands cétacés remontent tellement vite à la surface pour fuir ces bruits qui les effrayent, les stressent et les déboussolent, que cela fait éclater leurs vaisseaux sanguins, ou qu’ils meurent d’une intoxication à l’azote comme le plongeur qui n’aurait pas effectué ses paliers. 

 

Et puis toute cette souffrance animale, que ce soit les baleines ou les abattoirs industriels de bœuf, veaux, cochons, toute cette industrialisation de la mort des animaux, participe à la souffrance humaine. Beaucoup de personnes se plaignent de déprime, de mal-être, de manque de sens à leur existence, mais c’est normal, ils ne peuvent pas vivre impunément entourées de tous ces massacres.

 

Sylvie Bourgeois Harel

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Paul Watson, Patrice de Colmont, Sylvie Bourgeois Harel au Club 55 à Ramatuelle, dans le Golfe de SAint-Tropez

Paul Watson, Patrice de Colmont, Sylvie Bourgeois Harel au Club 55 à Ramatuelle, dans le Golfe de SAint-Tropez

Je suis bouleversée d’apprendre que mon ami, le capitaine Paul Watson, le seul défenseur des baleines, a été arrêté ce dimanche 21 juillet 2024, au Groenland par les autorités danoises sur la base de la notice rouge d’Interpol, mise en place en 2013, suite au mandat d’arrêt du Japon, a annoncé Sea Shepherd France, alors qu’avec son bateau, le John Paul de Joria, et son équipe, ils faisaient escale à la capitale Nuuk afin de se ravitailler en carburant.

 

La mission de l’expédition de Paul Watson était d’intercepter le nouveau et immense baleinier japonais, le Kangei Maru, de cent mètres de long, qui avait quitté le Japon en mai 2024, dans le but de tuer 200 baleines par an en Antarctique.

 

J’ai connu Paul Watson et son épouse Yana, maman de leurs deux jeunes garçons, dont l’aîné est déjà un talentueux joueur d’échecs, en 2016, lorsque j’ai commencé à travailler à mi-temps au château de La Mole, dans le Var, pour mon vieux copain Patrice de Colmont, propriétaire avec sa soeur Véronique du Club 55, un restaurant sur la plage de Pampelonne à Ramatuelle, qui a hébergé Paul et sa femme dans la maison à côté du château où j’habitais lorsque je venais dans la Sud. 

 

Paul est un homme que je trouve formidable, intègre, courageux, qui ne fait aucun compromis. Son combat me paraît exemplaire et essentiel. En effet, outre le côté triste, dramatique, émotionnel, à pleurer, que les baleines soient tuées avec des harpons explosifs, ne leur laissant aucune chance de s’échapper, Paul m’a appris que la baleine contribue à notre survie pour deux raisons. Leurs matières fécales, qu’elles déversent en grand nombre, vu leur taille, contiennent de l’azote, du fer et du phosphore, nécessaires au développement du phytoplancton. Ces créatures microscopiques produisent au moins 50% de l’oxygène de notre atmosphère tout en absorbant environ 40% de la production totale de CO2, soit l’équivalent de 1700 milliards d’arbres (4 forêts amazoniennes… ). Plus il y a de phytoplancton, plus il y a de captage de CO2. Plus il y a de baleines, plus il y a de phytoplancton qu’elles nourrissent et aident à se reproduire sur les mers et océans du monde entier lors de leurs migrations. 

 

Mais ce n’est pas tout. Grâce à sa taille énorme, la baleine capte énormément de carbone dans l’atmosphère et le stocke. Plus elle vit longtemps, plus elle en accumule. Et quand elle meurt de mort naturelle, elle entraîne dans sa carcasse tout le carbone qu’elle a capté, au fond des océans où celui-ci s’intègre aux sédiments marins et participe aux écosystèmes des grands fonds. Et c’est toujours ça de moins dans l’atmosphère.

 

Paul m’a expliqué que son combat gênait évidement le Japon où il était accusé d’éco-terrorisme, le royaume du Danemark où il se battait contre le massacre annuel de 500 dauphins aux îles Féroé, les baleiniers, mais aussi les industries mondiales liées à la pêche intensive qu’il combat également. Car Paul est un vrai combattant, un pirate comme il aime à se définir, qui s’interpose vraiment physiquement, avec ses équipes, entre les baleines et les harpons des  baleiniers, au risque de leur vie. Ce qui suscite mon admiration et mon respect.

 

Paul, après avoir été contraint de démissionner de Sea Shepherd Global, l’ONG qu’il avait créée il ya plus de quarante ans, qui s’était fait noyauter par des financiers contre lesquels il se battait, a créé, il y a deux ans, la Fondation Paul Watson afin de pouvoir poursuivre son combat sur la mer pour sauver les baleines dont le nombre a diminué de façon alarmante et dramatique, de pratiquement 3/4, passant de 4 à 5 millions auparavant à 1,3 million aujourd’hui. 

 

Si comme moi, vous aimez la mer, les baleines, les dauphins, les poissons, et que vous désirez soutenir le combat essentiel de Paul Watson et l’aider à payer les frais de justice, vous pouvez envoyer vos dons à : paulwatsonfoundation.org/donate

 

Sylvie Bourgeois Harel

 

Voici le lien pour regarder la vidéo de ma petite Marcelline l’aubergine qui interviewe Lamya Essemlali, alors présidente de Sea Shepherd France :

https://youtu.be/f2CczMVmjuo?feature=shared

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  • : Sylvie Bourgeois Harel, écrivain, novelliste, scénariste, romancière Extrait de mes romans, nouvelles, articles sur la nature, la mer, mes amis, mes coups de cœur
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