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Sylvie Bourgeois Harel - Lily of the Valley - La Croix Valmer

Sylvie Bourgeois Harel - Lily of the Valley - La Croix Valmer

ÉMILIE

 

“Je m’appelle Émilie et j’ai le cerveau en bouillie. À l’instant encore, je viens de trouver la porte de mon réfrigérateur ouverte. Je l’ai regardée un instant, interloquée, ne comprenant pas pourquoi elle était ouverte. Je vis seule dans ma maison. Personne n’est venu me rendre visite. Et je ne suis pas retournée dans ma cuisine de la journée. En effet, j’ai été tellement occupée que je n’ai pas trouvé le temps de m’arrêter, ne serait-ce qu’un instant, pour me préparer un déjeuner. Puis je me suis souvenue que j’avais ouvert mon réfrigérateur ce matin pour sortir mon pot de confiture de framboises afin de me faire une tartine histoire d’accompagner ma deuxième tasse de thé que je n’ai pas bu puisqu’elle est toujours sur la table à côté de ma tartine beurrée et de mon pot de confiture que je n’ai pas ouvert, alors qu’il est presque 18 heures.

 

Lorsque j’ai compris que j’avais laissé mon réfrigérateur ouvert pendant plus de sept heures, je me suis effondrée sur mon canapé et je me suis mise à pleurer. À pleurer à chaudes larmes. À appeler ma maman, comme je le faisais enfant, sauf que je ne suis plus une enfant, j’ai 59 ans, et ma maman est morte, il y a cinq ans. J’ai alors téléphoné à Amandine, ma meilleure amie. Elle m’a dit de respirer doucement, que ce n’était pas bien grave. Et pour me faire rire, Amandine sait toujours me faire rire, elle m’a demandé si, cette fois, j’avais bien refermé la porte de mon réfrigérateur. Puis, elle m’a conseillée de prendre un papier et un crayon et d’écrire tout ce que j’avais fait dans la journée. 

 

Je me suis alors souvenue qu’en voyant la couleur de ma confiture, j’ai pensé à ma culotte de couleur framboise justement que j’avais posée dans le lavabo de ma salle de bains et que je n’avais toujours pas lavée. Je lave ma lingerie à la main. C’est le seul moyen pour la préserver longtemps et ne pas l’abimer. Et je dis réfrigérateur, jamais frigidaire qui, comme tout le monde le sait, est une marque de réfrigérateur, une marque, certes, qui est passée dans le langage courant, mais ma mère m’a appris que c’était aux détails d’un langage châtié que l’on reconnaissait les dames.

 

Je ne sais pas si je suis une dame, mais en me rendant dans ma salle de bains pour laver ma culotte, j’ai reçu sur mon téléphone que j’avais dans la poche de ma veste, une notification comme quoi un certain Jacky avait commenté ma publication sur Facebook. C’est Amandine qui m’a conseillée de m’inscrire sur Facebook lorsque mon mari m’a quittée. Non pas pour trouver un homme, mais pour avoir des contacts sociaux. J’avoue que c’est très rigolo. J’y passe des heures. Je regarde tout. Je lis tout. Je commente tout.

 

De mon côté, je ne publie que des photos de Benjamin, mon chat tigré qui m’a adoptée lorsque Julien est parti. Benjamin a tout compris de la vie, et de la mienne aussi. Il a compris qu’il y avait une place vide à prendre dans mon lit, il s’y est installé, et le soir, comme je le faisais pour Julien qui était très gourmand, je prépare à mon Benjamin chéri un bon petit plat à base de crevettes ou de poulet. C’est un amour. Benjamin pas Julien. Comme il a beaucoup de succès sur Facebook, Benjamin pas Julien qui ne publie que des photos de lui, heureux avec sa nouvelle femme, comme pour me narguer ou faire croire que nos vingt-sept années de mariage n’ont jamais existé, j’ai aussi créé un compte Instagram. J’allais répondre à ce Jacky qui me demandait l’âge de Benjamin quand réfléchir à l’âge de mon chat que je ne connais pas, m’a fait penser au mien que je connais bien et aussi à ma carte d’identité que je dois renouveler. 

 

J’ai donc pris mon ordinateur pour faire une demande en ligne, mais au moment d’ouvrir le site du service public, j’ai préféré répondre au mail que ma fille qui vit en Nouvelle-Zélande m’avait envoyé durant la nuit. J’allais lui écrire que j’aimerais bien lui rendre visite à Noël, mais avant de lui faire une fausse joie, j’ai voulu regarder les prix des billets d’avion pour Auckland où elle habite avec son mari. Je suis alors tombée sur un article qui titrait qu’il n’y avait pas de serpent en Nouvelle-Zélande, ce qui est une bonne nouvelle car j’en ai une trouille bleue. 

 

Parlant de trouille, je me suis alors rendue dans ma chambre pour évaluer si je pouvais réparer seule mon volet qui ferme mal, elle est au rez-de- chaussée, je ne voudrais pas qu’un individu mal intentionné pénètre la nuit pour me cambrioler, même s’il n’y a plus rien à prendre, Julien a tout pris. Je devrais peut-être acheter un chien de garde, mais alors seulement à mon retour d’Auckland, je ne saurais pas quoi en faire pendant mon voyage, je ne pourrais pas le laisser à Amandine qui a déjà un Husky très jaloux. Je suis donc descendue à la cave chercher des outils pour réparer mon volet lorsque je suis tombée sur mes chaussures de ski, je skiais beaucoup lorsque j’étais jeune, c’est d’ailleurs le seul sport où j’étais excellente. C’est ce qui avait plu à Julien lorsqu’il m’a connue à la montagne, j’étais plus rapide que lui. Ça l’a épaté, il m’a embrassée, puis c’est allé très vite entre nous, notre fille est née, nous nous sommes mariés, et il m’a quittée. 

 

Mes chaussures de ski étaient pleines de poussière, je les ai apportées dans mon jardin pour les nettoyer avec un chiffon. C’est ainsi que j’ai découvert que mon citronnier était rempli de cochenilles. J’en ai écrasé une avec le chiffon, c’est étrange lorsque l’on écrase ces petites boules blanches, ça fait des tâches orange comme si la cochenille avait du sang orange. Les extraterrestres ont peut-être aussi du sang orange, je me suis dit en allant chercher du vinaigre blanc et du papier absorbant pour tuer ces horribles insectes qui ont envahi mon citronnier. Le vinaigre blanc est épatant, je nettoie tout avec. Et je ne dis jamais Sopalin, mais papier absorbant, ma mère avait peut-être raison, je suis une dame.

 

C’est alors que j’ai reçu une notification sur Instagram comme quoi ma voisine avait liké une photo de Benjamin, les pattes en l’air, certainement pour se faire pardonner d’avoir demandé à la mairie de brûler les herbes, qu’elle se permet d’appeler des mauvaises herbes, qui poussent sur le trottoir devant ma maison alors que ce sont des résistantes très émouvantes, d’avoir trouvé la force de pousser dans le goudron. Une petite faille, de la lumière, un peu d’eau de pluie, et hop, elles ont grandi comme moi lorsque Julien m’a quittée. En effet, c’est dans les failles de mon cœur brisé que j’ai puisé la force de continuer de vivre sans son amour.

 

J’ai alors imaginé ma voisine pas gentille face à des extraterrestres au sang orange. Ça m’a fait rire. Sur mon téléphone, j’ai tapé extraterrestre. Je suis tombée sur une interview qui avait l’air passionnante d’un Jean-Pierre Petit, très bel homme au demeurant, c’est un amoureux comme cela qu’il me faudrait rencontrer, je me suis dit en m’asseyant au soleil. Un instant, j’ai cru que j’étais, moi aussi, une petite plante résistante à qui le moindre rayon de lumière avait le pouvoir de lui redonner espoir. 

 

C’est la faim qui m’a sortie de ma rêverie, et le froid aussi, il était presque 18 heures. Je suis donc allée dans ma cuisine pour grignoter un bout de fromage et préparer les crevettes de Benjamin, lorsque j’ai découvert la porte de mon réfrigérateur ouverte. En relisant tout ce que j’avais fait dans la journée, j’ai de nouveau pleuré. Ma culotte couleur framboise n’est toujours pas lavée, je n’ai pas répondu à ce Jacky qui est presque aussi beau, en plus jeune, que le Jean-Pierre Petit des extraterrestres, je n’ai pas fait ma demande de carte d’identité, je n’ai pas répondu à ma fille, je n’ai pas réservé mon billet d’avion pour Auckland, je n’ai pas lu l’article sur les serpents non présents en Nouvelle-Zélande, je n’ai pas réparé mon volet, je n’ai pas nettoyé mes chaussures de ski, je n’ai pas retiré la cochenille de mon citronnier, je n’ai pas liké la publication de ma voisine pour lui faire comprendre que je ne lui en voulais pas, je n’ai pas écouté l’interview de Jean-Pierre Petit, je n’ai pas bu mon thé de ce matin, ni mangé ma tartine beurrée, je n’ai rien fait de la journée, et pourtant je suis épuisée tellement je n’ai pas arrêté.”

 

Sylvie Bourgeois Harel

Émilie fait partie des 19 nouvelles de mon recueil On oublie toujours quelque chose.

Pour le commander, vous pouvez m’envoyer un message à : slvbourgeois@wanadoo.fr

Sylvie Bourgeois Harel - Saint-Tropez - La Ponche

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Sylvie Bourgeois Harel - Plage de Pampelonne - Ramatuelle - Golfe de Saint-Tropez

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L'Architecte

"Le jour où mon père m’a expliqué que son métier consistait à faire sortir de terre de la beauté dans laquelle les hommes allaient habiter, il est devenu mon héros. Je me suis senti être un prince. Un prince né d’un architecte qui conduisait une Triumph et d’une sirène qui nageait avec les dauphins. J’avais 8 ans et j’ai juré de lui ressembler. J’ai aussitôt couru chez Rebecca, ma fiancée, pour lui annoncer que, quand je serai grand, je l’épouserai et deviendrai architecte afin de lui dessiner la plus belle des maisons.

Mais quinze ans plus tard, lorsque je lui ai montré les plans de notre future habitation, Rebecca m’a quitté sur le champ. Elle m’aimait, mais ne pouvait pas concevoir d’habiter dans un camion. J’ai eu beau lui expliquer qu’il me fallait voyager pour comprendre le monde et concevoir l’architecture de demain, Rebecca n’a pas voulu revenir sur sa décision. J’ai alors argumenté que la planète était trop grande pour que je dorme chaque soir au même endroit. Que la possession d’une maison signerait la fin de mon imagination. Que l’habitation idéale, il me fallait la fantasmer pour arriver à la créer. Que mon âme de nomade avait besoin de cette forme d’indépendance pour réussir à inventer une architecture novatrice.

— Et puis, il ne faut pas exagérer, Rebecca, j’ai ajouté, mon camion qui sera autant notre nid d’amour que mon atelier, merde, est vachement beau, regarde, rouge et immense comme ceux qui transportent les Formules 1, avec dessiné dessus un oiseau, un oiseau doré pour signifier mon besoin de liberté.                                                                                                                   — Oui, je le vois gros comme une maison, ton besoin de liberté, m’a répondu Rebecca, en tout cas, ne compte pas sur moi pour t’attendre le jour où, comme ton oiseau doré, tu voudras t’envoler de notre nid d’amour. Sincèrement, je préfère m’envoler avant toi, je te dis adieu, adieu André. 

Quand Rebecca m’a quitté, je me suis effondré. Je ne voulais plus construire, mais détruire. J’ai acheté un sifflet pour raconter mon désespoir aux dauphins et je suis parti voguer en mer. Pour ne pas couler, je me suis mis à baiser dans chaque port où j’amarrais mon voilier. À baiser les sirènes du monde entier et aussi celles de Besançon et de Monaco. J’étais assez efficace. Je les séduisais non pas pour moi, mais pour elles. Pour qu’elles croient à l’amour, pour qu’elles sachent qu’elles n’avaient qu’à dire oui pour tout obtenir, non pas de moi, non pas des autres hommes, mais d’elles et de la vie.

J’aimais la vie et le monde aussi, mais le monde était grand. Alors entre deux océans, j’ai créé les Cabines-Dodo, des petites chambres d’hôtel à installer partout dans les rues. Des petites chambres où j’aurais pu recevoir mes sirènes le temps de leur dire que je les aimais. Et c’est vrai, je les aimais le temps de l’amour qu’elles m’offraient. Avec mon concept du dodo pas cher, je revendiquais le droit au plaisir partout et pour tous. J’étais un prince. Le prince d’un monde que je venais de construire. Le prince de la concrétisation de la construction de mon architecture libidinale. 

Pendant ce temps, ma mère me tannait pour que j’achète un appartement. Je lui répondais que je ne voyais pas comment elle voulait que je devienne un architecte célèbre si son ambition était que j’habite dans un studio.

— Maman, je lui disais, pour concevoir grand, ma vie doit être immense. Ma maison, maman, c’est le monde. Tu comprends ? En n’ayant rien, tout m’appartient. Tu vois, maman ?

Elle voyait surtout que j’avais 30 ans et que je vivais toujours chez mes parents.

— D’accord, maman, je lui ai répondu, je vais installer un container au fond de ton jardin, et j’irai vivre dedans. Après tout, c’est le rêve de chaque architecte de savoir recréer de la simplicité. Le Corbusier a bien construit une cabane d’une seule pièce au Cap-Martin avec vue sur la mer, et bien, mon container sera au Cap-d’Ail avec vue sur ma mère. 

Ma mère m’a répondu qu’elle avait surtout peur que je n’arrive jamais à gagner suffisamment d’argent pour être indépendant.

— Aie confiance, ma petite maman, je lui ai dit, ne t’inquiète pas, tu verras, un jour, lorsque mes Cabines-Dodo seront vendues dans le monde entier, je deviendrai un architecte milliardaire, et un architecte entouré de millions de Rebecca. Vois-tu, maman, il y a trop de fesses, trop de seins, trop de sexes où je veux habiter pour me limiter à une seule fiancée. Chaque fille, vois-tu, maman, est comme une maison dans laquelle je peux travailler. J’y entre par son petit trou, je réfléchis entre ses reins, je dessine sur ses fesses, je construis entre ses cuisses et pour finir, je nidifie son sexe. L’homme, vois-tu maman, n’a rien inventé de mieux que le corps de la femme comme habitation. C’est la maison idéale. 

Ma mère m’a répondu que je devais avoir une sacrée envie de retourner vivre dans son ventre pour parler ainsi, et que si j’aimais autant naviguer, c’était certainement à cause du roulis des vagues qui devait me rappeler son mouvement fœtal.

Pour lui prouver qu’elle avait raison, je suis reparti voguer en mer. Mais au bout de deux années de liberté, entouré de milliers d’oiseaux dorés, mon voilier a coulé. J’ai été sauvé par des dauphins qui m’ont emmené sur une île où une civilisation inconnue de naufragés au cœur brisé habitait, cachée sous les cocotiers et les abricotiers. Pour les remercier de m’accueillir, je leur ai dessiné une cité idéale que nous avons commencée à construire tous ensemble. Mais, un jour, mes parents m’ont manqué, je suis alors rentré. En arrivant à la maison, je me suis empressé de dire à ma mère qu’elle sera fière d’apprendre que dans neuf mois, un enfant de moi naîtra dans chacune des maisons que j’avais créées.

— Le rêve suprême de l’architecte, maman, je lui ai dit en l’embrassant tendrement, concevoir l’habitat en même temps que l’habitant.

Mais ma mère n’avait plus la capacité de se réjouir de toute cette descendance non désirée, en effet, pendant mon absence, mon père avait eu un accident cérébral. Dorénavant, mon héros était paralysé et ne pouvait plus parler. Pour essayer de le sauver du mutisme dans lequel il était enfermé, j’ai arrêté les dauphins et je me suis remis au dessin. Mais ça n’a pas suffi, un soir, à minuit, il est mort d’une crise d’épilepsie dans les bras du docteur qui essayait de le réanimer. Ma mère, ruinée, fut obligée de vendre la maison et de partir vivre au bord de la mer chez ma petite sœur, amoureuse d’un poulpe.

N’ayant plus de chez-moi chez ma maman, je suis devenu le prince du chez-moi chez les autres. La nuit, rassuré par les atmosphères familiales que je n’avais pas à supporter, je m’endormais en rêvant à mon camion magique. Le matin, je prenais la Triumph de mon papa et mes larmes roulaient. Mes larmes roulaient pour aller là où je n’étais pas, là où la vie serait plus belle parce que j’aurais le plaisir de la découvrir. En roulant, je redessinais la France. Un monde de mutants du bonheur prenait forme sous mes roues qui, chaque jour, avalaient des kilomètres d’utopie. 

Comme ma maman m’avait appris à être autonome, j’avais toujours un slip propre dans ma mallette d’architecte. Les filles aiment bien les garçons soignés. C’est vrai, le mec qui a un slip de rechange avec lui, il marque des points, tout de suite, elles t’apprécient différemment. Puis quand j’en ai eu marre de me balader avec plein de sacs de slips sales, j’ai fait installer une machine à laver le linge dans le coffre de ma voiture. J’ai aussi inventé un tissu infroissable qui sèche rapidement afin d’être toujours impeccable. Avec, je me suis cousu une combinaison de super-héros, comme celle de Spider-Man, sauf que mon héros à moi, c’était mon papa. J’ai alors cousu un grand A sur ma poitrine, comme ça toutes les sirènes qui m’accueillaient dans leur maison sous l’eau savaient que j’étais un dauphin-architecte qui sautait de lit en lit, elles ne m’en voulaient pas lorsque je les quittais au petit matin pour remonter à la surface de mon chagrin. 

Mais un jour, ma maman est morte du cancer d’avoir tout perdu dans les bras de ma petite sœur qui venait de quitter son poulpe pour un poisson. J’ai crié. Crié très fort. Crié très fort tellement j’avais mal. Crié que je n’avais plus de repères. Pour ne pas être perdu, je me suis alors remis à rouler. À rouler encore plus vite. Partout et aussi dans ma tête. Surtout dans ma tête. C’est là que je roulais le plus vite. Je voyais même des dauphins qui vivaient dans des maisons sous-marines posées au bord des routes. Plus je roulais, plus j’en voyais.

Pour ne plus les voir, je me suis alors trouvé un container sur le port de Marseille, le même que j’avais installé dans le jardin de mes parents. Je me suis couché dedans en position fœtale. Je me suis fait tout petit pour pouvoir rentrer dans le ventre de ma maman. Je l’ai meublé d’un matelas et d’une caisse de vodka. C’était la cata. Plus aucune idée ne sortait de mes mains et mes crayons tombaient de ma tête. J’ai quand même réussi à dessiner une maison qu’on aurait dit un cul et deux chalets, des nichons.

Arrivé à ce stade de création, un vétérinaire spécialisé en animaux sous-marins décida de mettre au repos forcé mon cerveau cassé qui roulait beaucoup trop vite. À l’hôpital des cinglés où avait séjourné quelques années plus tôt l’un de mes frères, le prince O, après qu’il ait voulu récupérer une villa qu’avait donnée notre grand-père à sa maîtresse, Ferdinand avait d’ailleurs raison, sans la générosité de notre grand-père idiot, nous aurions pu y habiter tous les deux, j’ai dit au vétérinaire-psychiatre que j’avais 50 ans, que je ne comprenais pas ce que je faisais dans sa maison remplie de demeurés qui passaient leurs journées à se gratter les pieds, et que j’avais toujours vécu en bon viking, en bon viking qui ne connaissait pas la peur et qui rêvait de grandeur. 

— Mais là, tout viking que vous êtes, m’a dit le docteur, vous ne pouvez plus avancer. Je vous ai diagnostiqué, vous êtes un artiste qui souffrez d’optimisme obsessionnel frôlant l’hystérie, cela vous a mené à la dépression et la bipolarité.                                                                         — Ben oui, je lui ai répondu, j’ai toujours cru que j’étais heureux. Que voulez-vous, je suis un prince jouisseur pourvu de priapisme créatif dont chaque érection est une création. D’ailleurs, à force d’éjaculer des idées, j’ai l’idée de créer sur Internet un site pour protéger mes idées. Et je dois vous avouer, docteur, que je n’ai jamais su parler d’argent, au grand dam de mes parents que je n’ai pas pu sauver de leur naufrage financier. C’est bien simple, mes clients ont toujours cru que sur mon front, il y avait écrit couillon qui ne travaille que pour créer de la beauté, ils en profitaient pour ne pas me payer.

Le médecin des princes demeurés m’a pris par le bras et m’a dit de lutter. Il ne s’en rendait pas compte, mais je luttais. À ma manière. En nageant. En pleurant. En pleurant ma maman. En pleurant mon papa. En pleurant mon héros.

— Voilà, docteur, je suis un dauphin-architecte qui plonge dans ses larmes pour se cacher d’avoir tout raté. Je souffre aussi à mes souvenirs que je ne peux pas changer, et mes regrets me font terriblement mal, je suis foutu, foutu, je veux me noyer.

Au bout de six mois, le médecin m’a annoncé que je pouvais partir. J’étais content de pouvoir enfin rentrer chez moi. En voyant mon container qui m’attendait sur le port de Marseille, j’ai eu un pincement au cœur. Le docteur m’avait recommandé, en faisant la comparaison entre la structure de mon psychisme et celle d’une maison, de me structurer. Sinon à l’instar d’une habitation qui n’aurait pas d’ossature, je m’effondrerai à nouveau. Pour écouter le docteur, j’ai décidé de me structurer dans mon container. Le matelas avait un peu pourri, mais pas la vodka. Sauf que la vodka, je n’y avais plus droit.

Alors j’ai pris mes médicaments et je me suis endormi. Quand je me suis réveillé, j’étais flottant. Mais ça, le docteur m’avait dit que ce serait normal de me sentir un peu flottant les premiers temps. Quand je me suis levé pour aller pisser, j’ai flotté encore plus comme si le sol s’était envolé. Puis quand j’ai ouvert la porte, j’ai vu le ciel. Et la mer. Le ciel et la mer. Mais pas le port. Je ne le voyais plus, le port. Je voyais juste des containers assez similaires au mien. Il y en avait plein, comme si nous avions été des centaines à avoir eu la même idée de nous structurer dans des containers. J’ai crié papa, maman, mais personne ne m’a répondu.

Voilà, moi qui venais enfin d’être d’accord pour avoir une vie structurée, pendant la nuit, mon container s’était fait embarquer sur un cargo, et malgré moi, je me suis retrouvé à voguer sur les flots vers ma cité idéale.”

Sylvie Bourgeois Harel

 

L'Architecte fait partie des 19 nouvelles de mon recueil On oublie toujours quelque chose. Si vous désirez le commander, vous pouvez m'envoyer un mail à : slvbourgeois@wanadoo.fr.

Sylvie Bourgeois Harel - Lily of the Valley - La Croix-Valmer

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Sylvie Bourgeois Harel - Saint-Tropez - La Ponche

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Sylvie Bourgeois - enfant - Besançon

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La Coiffeuse de ma maman

La coiffeuse de ma maman, elle coiffe tout le monde pareil. Avec des énormes chignons remontés sur le haut de la tête qui se terminent en bouclettes. Sur une maman, ça va, mais sur moi qui n’ai pas encore 8 ans, ça fait comme si j’étais naine. Déjà que je ne suis pas grande, mais avec ce casque sur la tête, on dirait que j’ai une tête de maman sur un corps d’enfant. Comme j’aime ma maman et qu’elle est très jolie avec son chignon, je n’ose pas lui dire que je ne trouve pas ça marrant d’aller chez sa coiffeuse surtout que ça doit lui coûter beaucoup d’argent vu le temps que ça me prend, je reste des heures assise à écouter les commérages des dames qui n'arrêtent pas de se plaindre de leur mari, et de regarder la coiffeuse qui leur répond oui oui en hochant de la tête comme si elle savait tout de la vie des grands, celle-là, déjà qu'elle sait à peine manier les bigoudis vu le désastre qu'elle a fait sur ma tête.
Comme ce soir, c’est le mariage du papa de Sophie, ma meilleure amie, la coiffeuse de ma maman, elle s’en ait donnée à cœur joie, encore plus que d'habitude pour me faire belle. Elle a commencé par me mettre des bigoudis pour me faire une mise en plis, puis elle m'a crêpé les cheveux afin de leur donner du volume, alors qu'on sait très bien qu'avec des cheveux plats et filasses comme les miens,  il n'y a rien à faire, ils restent plats, se plaint toujours ma maman qui aurait préféré que j'aie des belles boucles ondulées comme celles de mon frère Vincent, puis elle a planté trois milles barrettes dans ma tête à me faire mal, et elle a fini par m'asphyxier en me balançant une tonne de laque pour que ça tienne, tout en parlant avec la dame d'à côté que son mari était un salopard et qu'elle voulait le quitter mais qu'elle ne pouvait pas à cause des quittances de son salon qu'elle n'avait pas fini de payer. Je suis sortie avec un chignon gigantesque, plus grand que moi. C’était affreux. En plus, c'était tout dur, crac crac, ça faisait quand je touchais mes cheveux qui étaient devenus tout sombres, on ne voyait même plus que j'étais blonde.

 

Le papa de Sophie se marie donc ce soir. Il est très méchant car la maman de Sophie vient de mourir, et il se marie déjà avec une autre femme que ma meilleure amie n’aime pas du tout. C’est une véritable sorcière, la femme pas ma Sophie, elle a aussi une fille de notre âge qui est une grosse peste. C'est bien simple, elle se croit tout permis parce qu’elle n'a pas de papa. Je crois bien d'ailleurs que son idée est de voler celui de Sophie car elle n'arrête pas d'être gentille avec lui. En plus, la future belle-mère de Sophie n’arrête pas de se vanter d’avoir couché avec Joe Dassin Pfut ! Je m'en fiche, je n'aime aucun chanteur, mon idole est René Dumont, un vieux monsieur qui parle toujours de la nature à la télé avec son pull col roulé toujours.

- Vous n’aviez qu’à l’épouser votre Joe Dassin, ça aurait bien arrangé Sophie, je lui ai dit un jour à table où elle m'avait encore énervée avec ses coucheries qui font que sa fille n'a pas de papa.

Ca a été aussitôt rapporté à ma maman qui m'a grondée que je n'avais pas le droit d'être mal aussi mal élevée, même si ce n'est pas totalement faux, elle m'a ensuite dit en riant. J'ai ajouté que dire ses quatre vérité à cette femme qui faisait la maline, c'était ma façon de protéger ma meilleure amie Sophie comme je l'avais protégée, elle, la fois où j'avais mal parlé à mon papa que j'avais vu embrasser une autre femme que ma maman. Ce jour-là, ça m'avait très mal dans le ventre. Pour sûr, je ne me marierai jamais. 

 

Dimanche dernier, j'ai dit au papa de Sophie que sa fille n’avait qu’à venir habiter chez moi, comme ça, ça lui ferait moins d’ennui, vu que Sophie n’arrête pas d’embêter sa future femme. Ca me semblait parfait comme projet, à Sophie aussi, à ma maman également qui était d'accord, mais ça n’a pas marché. Il m'a même grondée d’avoir d’aussi drôles idées car pour le papa de Sophie, il n’y a que moi comme enfant dans le quartier qui sache faire autant de bêtises. D’ailleurs, il ne m’aime pas car, à lui aussi, depuis qu'il a décidé de se remarier aussi vite, je lui dit parfois ses quatre vérités en face. Je ne sais pas pourquoi, mais je n’arrive jamais à faire de la diplomatie comme Sophie qui répond toujours oui oui en souriant, un peu comme la coiffeuse de ma maman, quand son papa lui demande de faire quelque chose et qui, par derrière, n’en fait qu’à sa tête, et n'obéit jamais.

 

En rentrant à la maison avec mon horrible chignon gros comme une maison qui me fait ressembler à une enfant qui rêve d'être une maman, j’ai croisé le cousin de Sophie que je ne vois pas souvent car il habite à Paris et moi à Besançon, et que je trouve très joli garçon, j'en suis même un peu amoureuse. J'ai eu tellement honte de ne plus ressembler à la petite fille avec des couettes qu'il avait connue durant l'été, car en plus la coiffeuse de ma maman m'avait maquillée les yeux avec du bleu et du doré sur les paupières, une horreur, que j’ai couru m’enfermer dans les toilettes, c'est vrai, quoi, ce n’était pas possible qu’il me voie avec ce chignon de vieille dame de Besançon, si au moins j'avais ressemblé à ma maman qui est belle, mais pas du tout, même à moi, je faisais peur.

 

A travers la porte, il m’a demandé si je voulais descendre jouer dans la cour avec lui et Sophie, mais j'ai répondu que j'étais trop occupée. Ce n'était pas vrai bien sûr car à part de pleurer sur mon sort que j'étais devenue trop laide alors que d'habitude j'étais plutôt mignonne avec mes cheveux raides et filasses, je n'avais rien d'autre à faire que de vouloir mourir. Le beau cousin que je rêve d'embrasser est alors parti.

 

Tant pis, je préfère m’ennuyer toute seule dans ma chambre plutôt qu'il me voie avec ma tête de celle qui veut être une autre et qui a tout raté. Ca fait un peu celle qui a passé des heures à être la plus belle pour le séduire et qui est devenue la plus moche. Je n'ai jamais eu aussi honte. Tout ça à cause d'une coiffeuse qui n'ose pas divorcer. Je vous jure. De toute façon, jamais je ne me marierai, jamais, j'ai trop honte. Une heure plus tard, le beau cousin est venu de nouveau me chercher pour que, cette fois, j'aille en voiture avec lui et ses parents à la cérémonie. Ma maman a  répondu oui, mais moi depuis la salle de mains où je m'étais de nouveau enfermée, j'ai hurlé NON, et que l’on se verrait là-bas.

 

Pendant la fête, j’ai essayé de faire comme si je n’avais rien sur la tête, mais ça n’a pas marché, personne n’est venu me parler. Forcément, avec mon chignon, les gens ne devaient pas savoir si j’étais une enfant ou une maman. Alors pour ne pas se tromper, ils ont préféré ne pas s’intéresser à moi. Je vous jure, je la retiens la coiffeuse de ma maman, surtout que quand le cousin de Sophie, il m’a vue, il a fait comme s’il ne m’avait pas reconnue, et il est retourné parler à Emmanuelle avec qui il a dansé toute la soirée. Je crois même qu’il l’a embrassée.

 

Même Sophie qui était pourtant si furieuse que son papa veuf se marie aussi vite avec une femme qu'elle n'aime pas, m'a ignorée toute la soirée alors que j'avais pourtant toujours bien dézingué, à chaque fois qu'elle me le demandait, sa future belle-mère. Elle n’a pas arrêté de s’amuser, de rire, de danser tout comme mes parents qui ont passé la nuit sur la piste avec les autres invités à faire des rocks, des jerks et même des slows. Il n’y a que moi avec mon gros chignon laqué de vieille bisontine aigrie, qui suis restée toute seule sur ma chaise à finir les gâteaux, c'est au moins ça, j'adore les pièces montées. Mais je déteste les fêtes. Je déteste les mariages. Je déteste les coiffeuses.

 

Ce qui serait bien, je me suis dit, c'est que je me trouve un ami qui soit aussi malheureux que moi, comme ça, je pourrais le consoler, et ça, ce serait vraiment bien ! 

Sylvie Boourgeois Harel

 

La coiffeuse de ma maman fait partie des 34 nouvelles de mon recueil BREVES ENFANCES, paru aux Editions Au diable vauvert.

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ON OUBLIE TOUJOURS QUELQUE CHOSE - Sylvie Bourgeois Harel

ON OUBLIE TOUJOURS QUELQUE CHOSE - Sylvie Bourgeois Harel

« Lorsque j’écris une nouvelle, un style littéraire qui me convient parfaitement, je suis aussi concentrée que si je tirais à l’arc afin que ma flèche atteigne avec une rapidité fulgurante mon but : le cœur.C’est d’ailleurs de là d’où je pars. Le cœur. Je suis au cœur du cyclone, de la tempête que traversent mes personnages. Je suis au cœur de l’intime. Plus rien d’autre ne compte. Que l’intime et l’émotion. Je retire les descriptions et les mots inutiles. Je vais à l’essentiel. Je suis dans une urgence absolue. Je prends alors une longue et profonde inspiration, comme lorsque je plonge en apnée dans la mer. Et je remonte à la surface écrire, guidée uniquement par l’émotion et la musique de mes mots. Voilà, c’est exactement cela. Je travaille mon style tel une partition de musique. »

Après En attendant que les beaux jours reviennent, publié aux éditions les Escales, en poche chez Pocket, chez Piper en Allemagne, ou ma série des Sophie, Sophie à Cannes, Sophie au Flore…, commencée chez Flammarion, ou encore Brèves enfances aux éditions Au diable vauvert, j’ai choisi, pour mon dixième livre, de revenir avec un nouveau recueil de nouvelles, le deuxième que j’écris, un genre que j’adore.

Et qu’adore aussi ma meilleure amie d’enfance, Nathalie, que j’aime et qui m’aime depuis que nos deux mamans se sont rencontrées lorsque nous avions un an. Nous habitions la même maison à Besançon, sa famille au premier étage, la mienne au rez-de-chaussée. Nous ne nous sommes jamais quittées et encore moins fâchées. Jamais. C’est un amour pur. Inconditionnel. La plus belle déclaration d’amour que Nathalie m’ait faite, c’était il y a deux ans, un matin, elle m’a téléphoné en larmes me disant qu’elle avait fait un cauchemar, je ne respirais plus.

Tout ça pour vous dire que je dédie mon recueil à Nathalie qui n’arrive pas à lire des livres car elle s’endort toujours à la dixième page. Ouf, mes nouvelles ne dépassent jamais les huit à neuf pages ! D’ailleurs beaucoup de mes lecteurs sont comme ma Nathalie chérie qui aime lire une de mes courtes mais intenses histoires avant de partir dans les bras de Morphée.

Mon recueil On oublie toujours quelque chose comporte 19 nouvelles. De Schizofamily à L’Architecte en passant par Je suis bien chez toi ou John et Johnny, je les ai toutes écrites au “je’. En effet, la première question que je me pose dès que je commence un texte est de décider si j’emploie le “je”, ou la 3ème personne du singulier. Le “je” me permet d’être au coeur de mon sujet. Ce “je” est parfois la voix d’un homme perdu, d’un petit garçon malheureux, d’un architecte qui souffre d’un optimisme obsessionnel, d’un fantôme, d’une femme exaltée…

Tous mes personnages sont drôles, émouvants, étonnants et ont, en commun, un besoin effréné d’amour, et aussi beaucoup d’amour à offrir, d’amour à partager ainsi qu'une tonne d’incompréhension et de questionnements…

L’amour est mon terreau d’inspiration. L’amour, la beauté, la nature, la pensée, le rire, l’humour… Ça occupe mes journées. Voilà mon rythme, j’écris, je dessine, je lis puis je vais marcher une heure et nager dans la mer méditerranée qui m’a vue naître et que j’adore !

Sylvie Bourgeois Harel

VOUS POUVEZ AUSSI LE COMMANDER EN M'ENVOYANT UN MESSAGE SUR MON ADRESSE MAIL : slvbourgeois@wanadoo.fr

ON OUBLIE TOUJOURS QUELQUE CHOSE, recueil de nouvelle de Sylvie Bourgeois Harel
ON OUBLIE TOUJOURS QUELQUE CHOSE, recueil de nouvelle de Sylvie Bourgeois Harel
ON OUBLIE TOUJOURS QUELQUE CHOSE, recueil de nouvelle de Sylvie Bourgeois Harel

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Entre ambiguïtés et contradictions, pourquoi j'écris ?

 

Ma nouvelle Prologue sera dans mon prochain recueil de nouvelles à paraître début avril 2024.

 

Sylvie Bourgeois Harel - Plage de Pampelonne - Ramatuelle

Sylvie Bourgeois Harel - Plage de Pampelonne - Ramatuelle

Sylvie Bourgeois Harel - Plage de Pampelonne - Ramatuelle

Sylvie Bourgeois Harel - Plage de Pampelonne - Ramatuelle

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Avant, je l’aimais bien Monsieur Montmort. C’est mon maître d’école. J’ai 10 ans et je suis en CM2 à l’école de la rue Voltaire à Montluçon. Mais maintenant c’est fini, je ne l’aime plus. C’a commencé le jour où j’ai surpris mon papa tout nu entre les jambes d’une femme à la peau très blanche dans le salon de notre maison et la situation ne portait pas à confusion. Normalement, je n’aurais pas dû être rentrée à cette heure-là et ç’a fait tout un drame. Le pire, c’est que j’ai dû changer de dentiste parce que c’était sa femme qui embrassait mon papa. Ca m’a bien ennuyée car il devait me faire un sourire de star. C’était notre secret. Il me disait que j’étais jolie et que dans la vie, les dents, ça faisait tout. Je lui avais aussi confié que plus tard, je voulais être comédienne et il m’avait cru et même encouragé, pas comme mes idiots de frères qui n’arrêtent pas de m’embêter qu’ils vont me marier avec un homme très riche pour qu’ensuite, ils puissent venir habiter chez moi sans avoir à payer de loyer. Mon dentiste m’avait dit que si je voulais réussir, il fallait que j’aie les dents bien alignées. J’ai la mâchoire trop petite et ma canine du haut fait de l’escalade et en bas, c’est fouillis. Ce n’est pas joli et quand je pose pour des photos de publicités, je fais bien attention à garder la bouche fermée. Clic Clac, je tiens une tirelire. Clic Clac, je me retrouve sur une affiche. Clic Clac, j’aime bien voir ma photo en vitrine des magasins. Clic Clac, ça fait comme si j’étais une religieuse au chocolat dans une pâtisserie et ça me donne envie de moi. Clic Clac, je préfère faire des photos que d’embrasser les garçons. Clic Clac, je les trouve tous cons à Montluçon. Clic Clac, je m’en trouverai un de bien quand je serai comédienne.

 

Du théâtre, j’en fais depuis pas longtemps avec des grands qui ont 20 ans. Je suis allée me présenter avec mes sandales compensées pour gagner quelques années. Mais ils m’ont trouvé trop jeune. J’ai insisté que je voulais faire mes preuves. Ils m’ont répondu qu’ils étaient en séance d’improvisation, que je n’avais qu’à me joindre à eux, le thème était la famille. Je me suis aussitôt jetée par terre en criant et en bavant que j’aimais ma maman, mais que j’étouffais avec mes cinq grands frères idiots et aussi plein d’autres bêtises qui me faisaient souffrir et qui sortaient en urgence de mon ventre sans réfléchir. Les étudiants m’ont applaudi, genre, j’étais un cas et m’ont immédiatement intégré à leur troupe. Même qu'en fin d’année, je jouerais au théâtre un enfant-roi dans une pièce de Ionesco. Youpi !

 

Mon dentiste devait me faire un appareil pour redresser mes dents et ensuite venir me voir jouer dans le monde entier. Comme depuis cette histoire avec mon papa, je ne sais plus de quoi sera fait mon avenir, j’écris. Mon journal intime. La semaine dernière, j’étais en train d’écrire qu'au Japon les habitants respiraient leur pollution avec des masques à gaz et que si nous ne changions pas nos voitures, nous serions bientôt obligés de vivre voilés, quand soudain Monsieur Montmort est arrivé à ma hauteur. J’ai tout de suite dissimulé mon journal entre mes jambes, mais il m’a regardé noir dans les yeux et a ordonné que je répète ce qu'il était en train de dire. Comme je suis intelligente, j’ai répété sa leçon. Il a alors crié que je devais lui donner mon carnet, mais j’ai refusé. Ces écrits étaient ma vie privée, il n'y avait aucune raison. Il est devenu tout rouge et a plongé sa main entre mes jambes. J’ai hurlé qu'il violait mon intimité. Il a pris sa règle en fer et a exigé mes doigts. Mes mêmes doigts qui se préoccupaient tant de l'avenir du monde. Je n’en suis pas revenue, alors j’ai serré les dents et j’ai souri. Ça l’a rendu fou. Il m’a tapée encore plus fort. Plus il tapait, plus je souriais. Je me sentais devenir une autre et soudain j’ai ri. J’ai ri car je venais de comprendre que j’avais le pouvoir de ne pas lui montrer qu’il me faisait mal et que ses coups, jamais ils ne m’influenceraient à pleurer.

 

Quand je suis rentrée à la maison, j’ai exigé d’aller chez le coiffeur. Comme ma maman est très obéissante, elle m’a donné cent francs et j’ai demandé à la coiffeuse de me couper les cheveux très courts. C’était affreux. Je ressemblais à un garçon et à un garçon pas beau. Ma maman, quand elle m’a vue, elle a même pleuré et mes frères, ils m’ont appelé Thierry. Thierry Millet qu’ils n’ont pas arrêté de répéter pour m’embêter. Tu es aussi moche que Thierry Millet. Je leur ai tiré la langue pour leur montrer que je m’en fichais qu’il se moque de moi et qu’ils n’avaient qu’à me taper, ainsi je sentirais de nouveau sur moi le pouvoir de ne pas montrer quand on me fait mal. 

 

Puis j’ai voulu des lunettes. Chez le docteur, j’ai fait exprès de dire que je ne voyais plus rien et de prendre les T pour des F et les N pour des M afin que le médecin dise à ma maman qu’il me fallait des lunettes immédiatement. Et ce matin, j’ai jeté dans les toilettes les appareils d'orthodontie que m’avait faits mon nouveau dentiste. Je ne l’aime pas car dans sa salle d’attente, je ne suis qu’une enfant parmi d’autres dents. Je me sens mal à l’aise dans ce lieu où je n’existe pas. Surtout qu’il ne m’a jamais demandé quel métier je voulais faire plus tard pour me faire les dents qui allaient avec. J’ai trouvé ça louche son manque d’intérêt de qui j’étais en train de devenir. Alors son appareil, je l’ai jeté dans les toilettes. Et j’ai tiré la chasse d’eau sur mon ambition d’être belle et actrice. Ah quoi bon ? Je préfère jouer la comédie de dire que je n’ai pas mal et je me suis mis à détester le monde entier sauf ma maman et ma copine Nathalie. J’ai décidé que plus jamais, je ne sourirai, ni j’écrirai, ni je chanterai. Je me battrai. Avec mes dents mal alignées comme sur un champ de bataille, je me battrai contre tous les Monsieur Montmort. Et plus je me battrai, plus je rirai. Mais toutefois en gardant la bouche fermée pour que personne ne voie le désordre intérieur de ma vie qui regrette d’avoir vu trop tôt le sexe nu de mon papa prisonnier des jambes d’une femme de dentiste. Je déteste les dentistes et leurs sourires trop blancs. Vivement qu’on porte tous des masques pour cacher ça.

MONSIEUR MONTMORT fait partie des 34 nouvelles de mon recueil Brèves Enfances, paru aux Éditions Au Diable-Vauvert.

Sylvie Bourgeois Harel - Cap Taillat - Cap Lardier - L'Escalet - Ramatuelle

Sylvie Bourgeois Harel - Cap Taillat - Cap Lardier - L'Escalet - Ramatuelle

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Ma nouvelle Prologue fait partie des 16 nouvelles de mon prochain recueil à paraître début avril 2024.

Sylvie Bourgeois Harel - Château de La Mole - Var - 83 - Massif des Maures

Sylvie Bourgeois Harel - Château de La Mole - Var - 83 - Massif des Maures

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Quand j’avais 1 an, ma maman pour plaire aux parents de mon papa, elle a fait couper mon zizi. C’est ma mamie maternelle qui me l’a dit. C’était ça ou ils ne leur donnaient plus d’argent pour leurs études. Mon papa et ma maman étaient à la faculté quand je suis né, mon prépuce a payé leur scolarité. Quand ma mamie a appris que le rabbin m’avait coupé le zizi, ni une ni deux, elle m’a fait baptiser par le curé d’autant plus que le petit Jésus, c’est son meilleur ami, avec je crois Michel Drucker qu’elle ne rate jamais de regarder à la télévision. Elle m’a amené en cachette à l’église parce qu’il paraît qu’entre les Juifs et les Chrétiens, c’est parfois très compliqué. Ma maman a essayé plein de fois de me l’expliquer, mais je n’ai toujours pas compris. Pour moi, il y a l’amour et la haine, les copains et les cons, les bonnes notes et les punitions. Mais pour les chrétiens, il y a le messie qui est venu les sauver, tandis que les juifs, ils l’attendent toujours. Les sauver de quoi ? Ma foi, je ne sais pas, mais je sais que ça fiche la confusion parce que Noël, on ne le fête pas pareil.

 

Pourtant quand je suis né, il paraît que ma maman, elle a tenu tête à mon papa en lui disant qu’il fallait qu’il laisse mon zizi tranquille et que je prendrai tout seul la décision de ma religion quand je serai suffisamment grand. Mais à cause de son manque d’argent, elle a fini par accepter de me faire couper. Faut dire, qu’elle était très jeune pour prendre la responsabilité d’un bébé né hors de toute religiosité.

 

Ma mamie m’a dit qu’après je n’avais pas arrêté de saigner et pendant même plusieurs jours. Le rabbin, je ne sais pas ce qu’il m’a fait, mais, il me l’a mal fait car j’ai 10 ans et je n’ai toujours pas de zizi. Enfin, si j’ai un zizi, mais un tout petit. À la plage, mon maillot de bain, il ne fait pas de bosse. Alors que celui de mon copain David, oui. Pourtant David a le même âge que moi, mais il a de la chance d'être juif en entier tandis que moi je ne le suis qu’à moitié. C’est comme pour mon zizi, je n’en ai qu’une moitié. Je serai peut-être toute ma vie partagé. David, lui son bout de peau, c’était clair et net qu’il fallait le lui couper. Schlak ! Moi, on a hésité et maintenant, je suis tout plat comme une fille. 

 

Les filles, je m’y intéresse. Évidemment. Brigitte, elle voulait toujours que je l’embrasse. Alors on l’a fait une fois, à la plage. Quand je me suis frotté contre elle, elle a ri en me disant qu’avec David, elle sentait son gros machin et qu’avec moi, c’était comme du gazon. Ou un truc comme ça. Ça m’a drôlement vexé et je suis allé pleurer vers ma mamie. C’est là qu’elle m’a raconté le rabbin qui m’a trop coupé. Avec leur religion, mon pauvre petit, ils t’ont bien esquinté, qu’elle n’arrêtait pas de répéter ma mamie adorée. J’étais bien embêté d’autant plus que mon papa a divorcé de ma maman quand j’avais 5 ans et que je ne vois plus jamais mes grands-parents du côté du rabbin. Je trouve que c’est un beau gâchis de zizi car mes cousins chrétiens, eux et bien, ils n’ont pas rien dans leur caleçon de bain. Leurs bosses de garçons, elles se voient bien. Ils veulent toujours qu’on fasse la compétition de celui qui pissera le plus loin, mais moi, j’ai trop honte de ne pas avoir la même religion qu’eux, alors j’ai dit à ma maman que je ne voulais plus jamais les voir. Elle n’a pas compris et elle m’a grondé d’être si méchant. Je ne suis pas méchant, je souffre tellement de ne pas être pareil que les autres petits garçons que je n'aime plus personne.

 

Il y a un mois, j’ai glissé ma main dans la culotte de mon petit frère. Il a deux ans de moins que moi et sa zézette, elle est déjà plus grande que la mienne. Je lui ai dit qu’entre frères, nos quéquettes avaient bien le droit de jouer ensemble, et que comme la mienne était cassée à cause de la religion de papa qui n’était pas la même que celle de maman, il fallait qu’il m’aide à la réparer. Mais que ça devait rester notre secret.

 

Alors avec tout le sérieux des enfants, il a pris ma bistouquette et l’a touché pour voir si je n’avais pas un bouton ou une infection. Il a continué de l’ausculter bien sagement en se concentrant. L’entendre respirer très fort avec la bouche ouverte, c’est con, mais ça m’a foutu des frissons partout dans le dos. Des frissons où je sentais le plaisir caresser aussi le derrière de ma tête. Quand c’est devenu trop chaud, j’ai fermé les yeux et je lui ai demandé de frotter très fort mon zizi dans sa main. Il a fait ça tellement bien que je me suis mis à rêver que j’avais plein de petits frères qui criaient partout mon nom sur la plage. Quand le liquide est sorti, mon petit frère a été surpris et moi, j’ai été ébloui. Je lui ai dit merci docteur de m’avoir si bien soigné et que s’il savait se taire, on allait pouvoir bien se marrer tous les deux.

 

Depuis je ne pense plus qu’à ça et chaque jour, je trouve un moment où je lui demande de faire le médecin pour me sauver. Mon messie, c’est lui. Mon petit frère, il vaut toutes les Brigitte de la terre.

 

Maintenant quand je vais à la plage, je ne suis plus jamais triste d’avoir un petit zizi. Si jamais une fille, elle veut m’embrasser, et bien, pour me venger de mon infirmité, je la pousse dans le sable en lui disant qu’elle est trop moche pour moi. Et que même si on jouait au docteur, je n’en voudrais pas comme infirmière. Et quand elle se met à pleurer, je lui dis que c’est bien fait. Oui, c’est bien fait, je lui dis. Et je ris. Plus jamais une fille n’aura le droit de toucher à mon zizi. Voilà. J’aimerais tellement les enfants que je n’en aurais jamais. Voilà mon secret.

Sylvie Bourgeois Harel - Brèves enfances - Recueil de nouvelles - éditions au Diable Vauvert

Sylvie Bourgeois Harel - Brèves enfances - Recueil de nouvelles - éditions au Diable Vauvert

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Normalement, tous les ans, on va passer Noël à Saint-Tropez, c’est là où ma maman est née au bord de la Méditerranée. C’est très joli et on se baigne dans la mer car ma maman, c’est une sirène dauphin qui sait très bien faire les crêpes. Mais cette année, on reste à Besançon parce que mon grand-père du côté de mon papa est malade, et ma maman ne veut pas laisser Henriette toute seule, même si elle a 50 ans. Henriette est grande et maigre, et ses parents sont morts quand elle avait 8 ans. Ses frères aînés, qui avaient déjà la majorité, ont dit au juge qu’ils allaient la garder et s’en occuper aussi bien que si elle était leur fille. Ils devaient avoir une drôle de notion de la famille car ils l’ont enfermée dans un placard, et ils ne la sortaient que pour lui faire faire le ménage et la violer. Ils habitaient une ferme dans le Haut-Doubs et là-bas, à part de la neige en hiver et des vaches en été, vous avez beau crier, personne ne vous entend. Le Haut-Doubs, c'est très beau, mais c'est très froid aussi. Et les paysans, c'est bien simple, ils mangent de la saucisse de Morteau avec du comté, puis ils vont se coucher à la même heure que leurs poules. Elles sont comme leurs bœufs, elles pondent leur lait très tôt.

Un jour, un de ses frères violeur est mort. Henriette, qui avait alors 45 ans, a réussi à s’échapper. Elle a couru très loin jusqu’à Pontarlier où elle s’est cachée derrière une poubelle remplie de papiers cadeaux et d’emballages de foie gras. C’était un 25 décembre, et tous ces restes de fête, ça lui a fait un peu comme un réveillon. C’est l’assistance des hôpitaux qui l’a trouvée. Elle était gelée, recroquevillée, à même pas savoir pleurer puisqu’elle n’avait jamais eu quelqu’un pour la consoler.

Quand elle s’est réchauffée, elle a commencé à venir jouer aux Dames chez mon grand-père qui était veuf. Pour la faire bénéficier de sa retraite de douanier, il l’a épousée. Mon papa n'était pas content alors qu’il est le premier à faire des bêtises, et avec des femmes qui ne sont même pas ma mère. Et quand ma maman l’apprend, elle lui crie dessus et le traite de Matou de Montrapon. Montrapon, c’est le quartier où l’on habite à Besançon. Puis elle découpe sa tête des photos de famille qui sont posées sur l’étagère à côté du téléphone, et elle accroche son pyjama avec une punaise sur la porte d’entrée qu’elle ferme à clé, comme ça, mon papa est obligé d’aller dormir à l’hôtel. Bien fait ! Si seulement il pouvait emmener mon frère aîné avec lui ! Le lendemain, il rentre tout penaud avec la même tête que mon chien quand il a fait une bêtise du genre tuer une poule. Ma maman attend trois jours, puis elle passe l’éponge car elle l’aime et lui aussi, et tout redevient comme avant, mon frère aîné recommence à m’embêter ou à m'enfermer. Faut dire, il est dans l’âge bête où à part de me demander de lui obéir, il ne fait rien de ses journées. Même mon chien ne peut plus le supporter.

Et puis un jour, je ne sais pas pourquoi, mais tout repart de plus belle. Les poules tuées, ma maman trompée, les photos découpées, les pyjamas punaisés, les portes fermées, mon papa à l'hôtel, mon frère aîné excité. Je vous jure, j’ai 8 ans comme Henriette dans son placard, et chez moi, aussi, la vie est compliquée. Chez mon grand-père nouveau marié, c’est très calme. J’y ai passé une semaine l’été dernier pour aller respirer l'air pur de la montagne parce que j’avais trop toussé durant l’année. Mon grand-père me couchait à 7 heures, encore plus tôt que les poules du Haut-Doubs alors que je ne ponds pas. J’entendais les enfants des voisins jouer dans la cour. J’avais envie de les retrouver, mais je ne disais rien parce que j’aime mon grand-père. La journée, il fabrique dans son établi des petites seilles en bois sur lesquelles il grave en italique Pontarlier, puis il les vend aux touristes de Oye-et-Pallet. Dedans, on peut y mettre ce que l’on veut, des trombones, des bonbons. Ma mamy y range son dentier sur sa table de nuit, mais ce n'est pas pratique car quand elle dort, mon chien le lui vole, et le matin, quand elle rit sans ses dents, on dirait qu’elle a 100 ans, je l'aime car c'est une grand-mère enfant qui s'amuse tout le temps.

Mais depuis un mois, mon grand-père est malade du cancer du sang à l’hôpital de Besançon, et peut-être même, m'a dit ma maman, qu’Henriette sera veuve de douanier sans pouvoir toucher à la retraite car ils ne sont pas mariés depuis assez longtemps, ce serait dommage car elle n'est pas encore habituée à être une dame de Pontarlier à dire bonjour aux commerçants. Hier, quand je suis rentrée sans frapper dans la chambre de mon grand-père, j’ai vu une infirmière qui lui plantait une aiguille dans le cœur, je ne veux pas qu’il meure.

J’ai déjà vu un mort. C’était une morte. La femme du parrain de mon frère idiot. Elle était allongée sur un canapé. On aurait dit une enfant. Quand le parrain m’a obligée d’aller l’embrasser, j’ai compris que la mort c’était aussi froid que le Haut-Doubs quand mes parents louent une ferme et qu'on se lave avec de l'eau glacée avant d'aller faire du ski de fond.

Ce soir, c’est Noël, et je ne veux pas que mon grand-père devienne gelé comme le lac de Saint-Point sur lequel je fais du patin avec juste mes bottes aux pieds, sinon Henriette sera obligée de retourner dans son placard, alors que, depuis un mois, elle ne tremble plus et ose enfin me parler. Mon Dieu, faites que mon vœu soit exaucé, et aussi que mon frère arrête de m'embêter. Mais quand j'ai levé les yeux au ciel pour regarder si Dieu m'écoutait, j'ai surtout vu mon papa qui, ayant entendu le téléphone sonner, descendait de l'escabeau où il avait accroché une étoile au sommet de notre immense sapin qui vient directement du Haut-Doubs où les sapins sont les plus hauts et les plus beaux du monde. C'était l’hôpital. Pour la première fois, j’ai vu mon papa pleurer.

Le lendemain, nous étions tellement tristes que ma maman m'a emmenée aux Founottes, c’est le quartier de Besançon où vivent entassées les familles défavorisées, et j’ai donné mon vélo bleu flambant neuf et mes jouets à des enfants nombreux qui vivaient dans une seule pièce. C'était sale et ça ne sentait pas bon, mais quand j'ai vu les sourires de tous ces petits de mon âge qui me disaient merci, je me suis sentie devenir grande et importante, et différente. J'étais le messie et je volais au paradis. J'avais chaud au coeur, et même les problèmes avec mon idiot frère aîné n'existaient plus. J’ai pensé à mon grand-père parti aux cieux, et à Henriette qui n'avait jamais eu de cadeau.

A l’école, quand les filles de ma classe m’ont demandé ce que j’avais eu à Noël, je leur ai répondu que j’avais offert à des pauvres mal habillés tous les jouets que j’avais reçus et aussi tous les anciens avec lesquels je ne m'amusais plus, et j’ai ajouté que, grâce à ma maman, j'avais appris que savoir donner était le plus beau des cadeaux.

Sylvie Bourgeois

Brèves enfances (recueil de 34 nouvelles)

Éditions au Diable Vauvert

 

 

Sylvie Bourgeois - Besançon

Sylvie Bourgeois - Besançon

Évelyne Bouix - Sylvie Bourgeois Harel - Librairie L'Ecume des Pages - Saint-Germain-des-Prés - Paris

Évelyne Bouix - Sylvie Bourgeois Harel - Librairie L'Ecume des Pages - Saint-Germain-des-Prés - Paris

Sylvie Bourgeois enfant. École rue Fanart - 25000 Besançon

Sylvie Bourgeois enfant. École rue Fanart - 25000 Besançon

Sylvie Bourgeois - Besançon

Sylvie Bourgeois - Besançon

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  • : Sylvie Bourgeois Harel, écrivain, novelliste, scénariste, romancière Extrait de mes romans, nouvelles, articles sur la nature, la mer, mes amis, mes coups de cœur
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