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Georges Cravenne, créateur des César, des Molière et des 7 d'Or
Mon ex-beau-père Georges Cravenne, créateur des César, des Molière et des 7 d'Or
 

À 18 ans, de Besançon où j’habite chez mes parents, j’envoie une lettre à Georges Cravenne, le créateur des César, des Molière, des 7 d’Or, dans laquelle, je lui exprime mon désir de travailler avec lui, je trouve formidable sa façon de promouvoir le cinéma français. Il ne m’a jamais répondu.

 

Sept ans plus tard, je vis avec son fils aîné, Charles. Nous nous sommes rencontrés chez Castel. Nous étions ravis de faire partie des 1% de couples rencontrés en boîte de nuit. Nous avons vécu quinze ans ensemble. Charles est d’ailleurs toujours dans ma vie. Avec mon mari, ils s’adorent. Cela a été mon travail que mon ex et mon mari soient amis. J’ai du mal à éliminer les bonnes personnes de ma vie, je préfère les additionner, et que l’on fasse groupe tous ensemble autour de l’amour que l’on se porte. D’ailleurs, à l’instant où j’écris ces quelques lignes, Charles est à la maison en train de nous cuisiner un risotto délicieux. Il cuisine aussi bien qu’un grand chef.

 

Georges Cravenne que j’avais sollicité et qui ne m’a jamais répondu est donc devenu mon beau-père. On s’appréciait beaucoup. À l’époque, je travaillais en free-lance dans la communication. Je ne voulais pas être embauchée à plein temps. Je n’aimais que les missions ponctuelles, synonymes de liberté. Georges m’embauchait alors régulièrement pour gérer les invitations lors des César, des Molière et des 7 d’Or. C’était très rigolo. Le téléphone n’arrêtait pas de sonner. Tout Paris voulait y assister. Étant donné que j’étais la plus jeunes, ses vieilles assistantes, Colette, Anne, Micheline, Jacqueline, Yvette, me passait systématiquement les demandes les plus saugrenues, surtout celles qui revenaient chaque année, à l’instar de celles de Monique Lang qui me harcelait afin que son mari, Jack, soit bien assis dans l’angle des caméras pour qu’il soit vu plusieurs fois à la télévision lors de la retransmission en direct de l’émission.

 

De son côté, Georges, qui avait créé en 1975 l’Académie des arts et techniques du cinéma, s’occupait des stars françaises et américaines. Il les connaissait toutes. Son préféré était Kirk Douglas qui avait épousé Anne, sa petite amie, ce qui les avait soudés à vie. Comme Charles et mon mari. Des êtres généreux qui savent aller au-delà de la jalousie. Qui ont compris que le lien créé par l’amour est ce qu’il y a de plus fort. De mon côté, j’invitais mes parents, mes frères et, en cachette, mes amis comédiens qui rêvaient de participer à la soirée.

 

La cérémonie était longue, mais elle avait de la tenue, de l’élégance, de la classe. On n’était pas là pour rigoler, mais pour mettre à l’honneur le cinéma français. Tout était conçu et pensé pour offrir du rêve. Pour donner envie d’aller voir les films. Pour apporter de l’émotion. Je me souviendrai toujours de Bernard Blier, qui, lors de son hommage, était arrivé en chaise roulante dans les coulisses. Il était très malade, mais avait tenu à être présent. Au moment d’entrer en scène, comme par miracle, guidé par son amour pour son métier et son respect pour le public, sans l’aide de personne, il s’était levé afin de se présenter debout à la salle qui lui avait immédiatement fait une standing ovation. Tout le monde était en larmes. Vingt-cinq jours plus tard, Bernard mourrait. Il avait été digne jusqu’au bout.

 

Si je devais résumer en quelques mots la fascination que Georges Cravenne avait pour le cinéma, ce serait justement la dignité, mais aussi le respect, le talent, l’honneur, l’élégance. Georges vénérait les comédiens, les réalisateurs, les producteurs. Hormis les César, les Molière et les 7 d’Or, il organisait les plus prestigieuses avant-premières de Paris ainsi que les soirées les plus spectaculaires pour faire parler d’un nouveau produit, d’une nouvelle marque. Dès les débuts dans son métier de Relations Publiques, il avait inventé de créer l’évènement en invitant les personnes les plus célèbres associées aux plus riches, le tout dans des décors extraordinaires, fastueux et étonnants, afin d’obtenir le journal de 20 heures et un maximum de presse, les journalistes et photographes conviés étant fascinés par ce melting-pot mondain prêt à tout pour s’amuser car les soirées de Georges savaient marier humour et tenue.

 

Pour en revenir aux César, un autre joli souvenir date de 1990. Lorsque Kirk Douglas arrive au théâtre des Champs-Élysées, tous les visages sont emprunts d’admiration. Après avoir monté les escaliers, avant de répondre à une interview d'Antenne 2, il s’est retourné en riant et a offert son plus beau sourire et sa célèbre fossette aux invités médusés. On avait à la fois Spartacus, Van Gogh, le Colonel Dax des Sentiers de la gloire, et le côté tendre et complice du meilleur ami de Georges.

 

Après la cérémonie, un grand dîner très chic nous attendait au Fouquet’s. J’installais mes parents qui venaient spécialement de Besançon pour la soirée. J’étais fière de les avoir avec moi. Mon père qui était très drôle arrivait à sympathiser avec des producteurs américains alors qu’il ne parlait pas un mot d’anglais. Tout était dans le style et la gestuelle !

 

Une fois tous les invités partis, avec Charles, Georges et Daniel Bart, son fidèle assistant, nous nous asseyions aux côtés de Maurice Casanova, l’adorable et rigolo propriétaire des lieux, un Corse, grand amoureux des stars lui aussi, et nous faisions le débriefing de la soirée. Les anecdotes pleuvaient. On riait, soulagés qu’elle soit réussie. Georges décompressait. Il souriait enfin. Au moment de récupérer nos manteaux au vestiaire, il remerciait Charles de sa présence. Charles travaillait dans la distribution de films américains, chez Columbia-Tristar, mais se libérait chaque année pour aider son père.

 

Parmi les choses que j'ai entendues sur les César, voici quelques petites précisions :

 

Jean-Paul Belmondo a longtemps boudé la cérémonie, vexé que Georges n’ait pas demandé à son père sculpteur ( jeune, ma maman posait pour lui afin de payer ses études, elle est d’ailleurs en ange dans la cathédrale d’Amiens ) de créer la statuette. Mais Georges a préféré choisir son ami César dont le nom avait la même consonance que les Oscar, et qui rappelait également le grand Marcel Pagnol.

 

Georges a toujours déclaré avoir créé les César par rapport aux Oscar. Il voulait la même cérémonie pour la promotion du cinéma français. La seule différence était que les Américains votaient uniquement dans leurs catégories, les acteurs pour les acteurs, les scénaristes pour les scénaristes… Georges avait tenu à ce que toute la profession vote pour toutes les catégories.

 

Georges n'a jamais dévoilé les résultats que pourtant il connaissait dès 16 heures lorsqu'il les découvrait chez l'huissier. Il repartait avec toutes les enveloppes cachetées qui n'étaient ouvertes que durant la cérémonie. Même Alain Delon qui le lui avait demandé, pourtant très proche de Georges, n'a jamais su à l'avance s'il avait le César ou pas. Une seule fois, Georges a cédé pour les 7 d’Or, sous la pression du patron de la chaîne de télévision qui diffusait la cérémonie. Il a donc appelé dans l’après-midi les animateurs qui recevraient un prix. Résultat, la moitié de la salle était vide. Ceux qui n’avaient pas de prix n’avaient pas daigné se déplacer, ne serait-ce que pour féliciter leurs collègues. Georges s’était juré de ne plus jamais recommencer.

 

Georges vieillissant, ses enfants, à ma grande déconvenue et malgré mes insistances, n’ont pas voulu reprendre le flambeau, a vendu sa société. Canal+ , puis France TV, se sont emparés des César. Le ton a changé. Fini l’élégance qui n’était, soi-disant, plus à la même mode. Dorénavant, il fallait se moquer, faire rire, faire jeune. Comme si se moquer, faire rire, faire jeune, était synonymes de qualité ! On est alors passé du grandiose à la blagounette et au ricanement. Des blagounettes tristes et du ricanement irrespectueux. Des blagounettes pas drôles. Ils ont tué l’excellence, le talent, l’élégance.

 

Pauvre Georges qui, comme le dit si bien Charles, se retournerait dans sa tombe s’il était encore vivant !

 

Sylvie Bourgeois Harel

Charles Cravenne Sylvie Bourgeois cérémonie des César dîner au Fouquet's

Charles Cravenne Sylvie Bourgeois cérémonie des César dîner au Fouquet's

Kirk Douglas Anne Buydens son épouse Georges Cravenne cérémonie des César

Kirk Douglas Anne Buydens son épouse Georges Cravenne cérémonie des César

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"... Je savais que c’était fini. Je l’aimais, alors je le savais.
 
Je suis retournée dans la chambre de ma mère. Au son de sa voix, j’ai compris qu’elle était soulagée de me savoir là. Elle m’a demandé de lui masser les pieds puis d’aller me coucher afin de ne pas être trop fatiguée le lendemain. Elle s’inquiétait au sujet de ma santé, trouvait que j’en faisais trop pour elle.
 
Je l’ai embrassée et fait semblant de sortir, mais, sans faire de bruit, je me suis allongée au pied de son lit. Je me suis emmitouflée dans une couverture à portée de main, et j’ai écouté son souffle. Le souffle rassurant d’une maman. Il m’a rappelé les dimanches où nous cherchions des champignons dans la forêt, chaussés de bottes en caoutchouc. Mon chien courait devant nous. Quand il est mort écrasé par une voiture, ma mère m’avait téléphoné en larmes. Je lui avais conseillé d’en acheter un autre. Elle avait été terriblement choquée par ma dureté. Pourtant j’ai adoré mon chien, mais je ne savais pas que la mort pouvait faire mal. Surtout, je venais d’avoir vingt-et-un ans et j’avais déjà pris goût à Paris où tout était si vite remplacé.
 
Soudain, ma mère a gémi. Je me suis redressée.
 
- Tu as besoin de quelque chose maman ?
- Tu es là ? Oui, je voudrais un verre d’eau, je suis déshydratée, j’ai l’impression d’étouffer… et aussi mon bassin pour faire pipi… mais ensuite tu iras te coucher, hein, promis ?
- Oui maman, je te promets.
- C’est bientôt le jour ?  
 
J’aurais aimé vivre intensément ces derniers moments. Mais ce n’était pas possible. L’intensité, elle est dans le quotidien, quand tout va bien, pas dans les moments extrêmes. J’en étais aux gouttes d’eau que je lui faisais glisser sur sa langue, à l’oreiller que je lui calais afin qu’elle ait moins mal au dos. Ses soins réclamaient de la précision et de la concentration, ils ne laissaient aucune place à l’émotion. Je devais également lutter à ne pas me laisser submerger par mon chagrin, ni éclater en sanglots, et encore moins succomber à la fatigue.
 
Ma mère a fini par s’endormir, mais au bout de quelques minutes, elle s’est réveillée, affolée, apeurée.
 
- Tu es toujours là ? C’est bientôt fini ? Je veux dire, la nuit ?
- Je t’aime maman.
- J’ai mal.  
 
J’ai passé la nuit ainsi, entre douleur et douceur, à essayer de la soulager.
 
                                                      *
 
Le lendemain matin, l’infirmière et l’aide-soignante sont venues lui donner ses soins quotidiens. J’ai profité de leur présence pour me préparer une tasse de thé dans la cuisine. Soudain, je les ai entendues crier :
 
- Marie, votre maman, votre maman, mon Dieu, venez vite Marie.
 
J’ai accouru dans la chambre de ma mère qui était assise sur son lit, les yeux perdus dans le vide, les bras tendus en avant, en train de crier : « ère, ère, ère ! » L’infirmière était affolée.
 
- Mon Dieu, votre pauvre maman, elle nous a pourtant bien parlé quand nous sommes arrivées ce matin, et voilà que… oh mon Dieu, votre pauvre maman.
- Que veux-tu maman ? Dis-moi. Tu veux ton verre ?
- Ére, ère, ère.
- Tu veux ton verre ? Tu veux ton père ? C’est ça ?
- Ére, ère.
- Tu veux ta mère ? Maman, essaye de me parler.
- Mon Dieu, ma pauvre Marie, j’appelle le médecin de garde.  
 
Les quelques heures précédant la mort de ma mère sont tellement intemporelles qu’aujourd’hui encore, je me vois dans sa chambre. Ma mère est là. Agitée. Elle a le regard fixe. Elle semble hypnotisée. Ses mains cherchent à attraper quelque chose au loin. Elle ne m’entend pas. Peut-être même ne me reconnait-elle déjà plus. Le docteur arrive à ce moment-là.
 
- C’est trop tard, je ne peux rien tenter, votre maman est en train de mourir.
- Elle souffre ?
 
L’infirmière et l’aide-soignante partent, bouleversées.

Je m’assieds près de ma mère sur le lit et je la prends dans mes bras. Elle crie toujours, très agitée, le regard perdu dans le néant. Déjà.
 
Soudain, ses bras retombent, sa tête se colle contre moi, son corps devient mou, mou comme une poupée de chiffons. Elle se met à gémir. Doucement. Une longue plainte.
 
- Son agonie va durer ainsi jusqu’à la fin, je suis désolée mademoiselle.
- Partez, je veux rester seule avec elle.  
 
J’ai besoin de serrer ma mère. Je l’embrasse. Sur le front. Les joues. Les paupières. Je l’embrasse intensément, qu’elle comprenne que je suis là. Je berce ma mère comme une enfant. Son cœur bat, mais ses yeux ne me répondent pas. Je pense à mon père. Il n’aurait pas supporté d’être sur sa chaise roulante et de regarder sa femme mourir sans pouvoir la prendre dans ses bras.
 
Il est midi. Je sens les battements du cœur de ma mère se ralentir, s’affaiblir. Ses inspirations ressemblent maintenant à un long et douloureux râle. Mon cœur se règle sur le sien. Ses expirations s’espacent de plus en plus comme si elle retenait son souffle. Je me mets à compter, un, deux, trois… huit secondes. Elle expire toutes les huit secondes. Seulement. Ce n’est pas suffisant. Je pense au temps. Au temps qui s’agrandit. Qui part. Un, deux, trois… dix secondes. C’est affolant. « Maman, non. Pas maintenant. Maman, non. » Un, deux, trois… quinze secondes. C’est le silence. « Non, maman. » Le rien. L’attente. Le non espoir. Le temps suspendu. Je veux retarder le moment de la fin. Je lui demande de respirer encore une fois. Pour moi. Pour nous. Pour la vie.
 
Ma mère est l’amour de ma vie. Je l’ai toujours protégée, adorée. J’ai besoin d’elle. Je le lui dis : « maman, j’ai besoin de toi. Respire maman. Respire. Respire ». Je suis si concentrée à tenter de la maintenir encore un peu en vie que je ne peux pas pleurer. « Respire maman. Respire. Respire. » Elle finit par inspirer un très long râle. Puis de nouveau, rien. Elle est calme. Silencieuse. Fermée. Je compte, un, deux, trois… dix secondes… vingt secondes. Ma tête est vide. Je ne pense qu’à compter les secondes qui la retiennent de l’éternité. « Respire maman. Respire. Respire encore une fois pour moi, maman. S’il te plait. Il le faut, il le faut. J’en ai besoin, maman. » Elle inspire alors une nouvelle fois, très profondément, comme si elle m’avait entendu et qu’elle était d’accord pour rester, avec moi, dans notre intimité si limitée par le temps qu’il nous restait. « Merci maman. Merci mon amour. Merci. »
 
Soudain sa tête glisse et vient se blottir contre ma poitrine. Sa bouche se fige. À moitié ouverte. Ses yeux se fixent. Grands ouverts. Je regarde l’heure. Treize heures. Ma mère est morte à treize heures. Son agonie aura duré trois heures. Je la tiens serrée dans mes bras. Je ne peux pas la quitter. Je caresse les joues de ma mère. Je lisse ses cheveux frisés. Ils sont trempés. Epuisés d’avoir lutté. Je veux imprimer son visage à jamais. Je la regarde. Je la regarde. Je la regarde. Je ne veux pas l’oublier. « Au revoir maman, je t’aime maman. Au revoir maman. Je t’aime maman. » Je pose ma main sur ses yeux et, avec mes doigts, je fais glisser ses paupières pour les fermer à jamais. C’est un geste que je n’ai jamais fait, que l’on ne m’a jamais appris, et que pourtant j’ai su faire. Ce geste me ramène à la réalité. Ma mère est morte et je n’ai plus personne à aimer. Je téléphone à Raphaël pour le lui annoncer.
 
Lorsque le médecin est venu constater le décès, il m’a conseillé de mettre ma mère à la morgue.
 
- Pas question, elle reste avec moi, à la maison.
- Mais avec la chaleur, il vous sera difficile de garder son corps au frais.
- Les pompes funèbres vont apporter du matériel de réfrigération.
- Quand même.
- Quand même quoi ?
- C’est plus pratique dans une morgue.
- Laissez-moi, j’ai besoin d’être seule.  
 
Le service d’hospitalisation à domicile est venu récupérer son matériel, lit, table, perfusion, seringues, morphine. Je les ai remerciés pour leur humanité. L’embaumeur est arrivé en fin d’après-midi. Je lui ai demandé de rester. Il a refusé. J’ai insisté. Il m’a dit que je serais choquée. Le corps se vidait complètement. Les viscères, c’était dégoûtant. Il m’a demandé un seau et une serpillière. Je lui ai apporté aussi une jupe et un chemisier fleuris pour que ma mère parte dans l’éternité avec les couleurs qu’elle avait aimées.
 
Je suis partie à la plage. La mer était douce. J’ai nagé loin au large, comme je le faisais avec ma mère, on parlait des heures dans l’eau. La tension et l’exigence de ses derniers mois se relâchant, j’ai enfin pu pleurer. Puis j’ai retrouvé ma mère couchée au milieu des dizaines de bouquets de lys qu’elle avait déjà reçus. Je me suis allongée près d’elle et j’ai posé ma tête dans le creux de son cou pour retrouver son odeur, mais celle de la mort avait déjà pris place. Je l’ai embrassée.
- Je me repose un peu vers toi, maman.  
 
Et je me suis endormie.

 

(Extrait de mon roman En attendant que les beaux jours reviennent, paru aux Éditions Les Escales, chez Pocket et chez Piper en Allemagne, que j'ai signé sous le nom de Cécile Harel)

Hélène Bourgeois née Onimus - Cap-d'Ail 1926 - 1997

Hélène Bourgeois née Onimus - Cap-d'Ail 1926 - 1997

Hélène Bourgeois née Onimus - Cap-d'Ail 1926 - 1997

Hélène Bourgeois née Onimus - Cap-d'Ail 1926 - 1997

Hélène Bourgeois née Onimus - Cap-d'Ail 1926 - 1997

Hélène Bourgeois née Onimus - Cap-d'Ail 1926 - 1997

Hélène Bourgeois née Onimus - Cap-d'Ail 1926 - 1997

Hélène Bourgeois née Onimus - Cap-d'Ail 1926 - 1997

Lons-le-Saunier - Hélène Bourgeois née Onimus - Cap-d'Ail 1926 - 1997

Lons-le-Saunier - Hélène Bourgeois née Onimus - Cap-d'Ail 1926 - 1997

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Ma nouvelle Alliata fait partie de mon nouveau recueil qui paraîtra début avril 2024.

Alliata, princesse de mes fesses
Alliata, princesse de mes fesses
Alliata, princesse de mes fesses
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L'écrivain Sylvie Bourgeois Harel devant Alcyon durant les Voiles de Saint-Tropez - 2021

L'écrivain Sylvie Bourgeois Harel devant Alcyon durant les Voiles de Saint-Tropez - 2021

La Nioulargue de mon papa

En croquant dans une madeleine qui vient des Deux frères, ma boulangerie préférée de Saint-Tropez, assise devant Alcyon, un vieux gréement qui fête cette année ses 100 ans, je me souviens avec émotion d’une Nioulargue de mon père. Mon père était beau, drôle et généreux. Quand mon frère aîné, Gustave, à 14 ans, a voulu un voilier, il lui en a acheté un, un Shérif rouge de 6 mètres de long, comme ça, sans réfléchir, juste pour faire plaisir à son fils, au grand dam de ma mère qui aurait préféré qu’avec cet argent, mon père fasse repeindre la cuisine de notre maison. C’est ainsi que la passion de mon père pour la voile est née. Il faut dire qu’il a appris à nager à seulement 25 ans, le jour où ma mère l’a amené à Cap-d’Ail, près de Monaco, et qu’il voyait, pour la première fois de sa vie, la mer. 


Mon père est né pauvre, très pauvre, enfant, il ne se lavait qu’une fois par semaine dans la cuvette d’eau chaude familiale, et faisait 8 kilomètres à pied, chaque matin, pour se rendre à l’école. Dès qu’il a commencé à gagner de l’argent, il l’a dépensé allégrement et en a fait profiter ses amis. Tous les ans, il louait une goélette ancienne très élégante pour participer à la Nioulargue, une semaine de régates à Saint-Tropez qui conjuguait parfaitement son amour de la mer et de la fête. Son plus grand plaisir était de pouvoir s’amarrer devant chez Sénéquier. « Si, je vous assure, j’amarrais mon voilier juste devant les fauteuils rouges », il disait, en riant, à ses copains quand il rentrait à Besançon. C’était son bonheur que Gustave, qui travaillait pour cette course, contribuait à lui organiser.


Nous sommes en octobre 1986. Il est minuit quand, soudain un garde-côte entre affolé dans le restaurant où nous finissons de dîner.


— Le bateau de votre père a disparu, nous lance-t-il, affolé, il n’est toujours pas rentré au port, on a regardé partout dans la baie, mais rien, il ne répond pas non plus à sa radio, peut-être avez-vous eu de ses nouvelles ? 


Je ne suis pas inquiète. Je me dis que mon père a dû profiter de la pleine lune pour passer la soirée en mer. De son côté, Gustave fulmine. Il déteste la tendance de mes parents, et la mienne aussi, à l’excentricité, la liberté, l’amusement. Mon père a bien fait de lui acheter un Shérif à 14 ans, il en a fait son métier, il est devenu skipper sur des Maxis, des voiliers de course parmi les beaux du monde. Gustave aurait pu aussi faire un excellent militaire. Il adore donner des ordres ou obéir aux ordres d’un chef, si une hiérarchie a été établie.


— Nous allons reprendre les recherches, continue le garde-côte, voulez-vous venir avec nous ?
— Bien chef ! répond Gustave en enfilant son ciré jaune. 


Pendant la Nioulargue, le ciré jaune était l’uniforme dans le village, aussi pour ceux qui ne naviguaient pas et qui avaient envie de ressembler à ces beaux marins aux cheveux blonds décolorés par le soleil et à la barbe envahie de sel de mer, les filles d’ailleurs en étaient folles, sauf moi, j’avais mon amoureux-chef de La Nioulargue en cachette. 


— Je pars avec vous, dis-je en croquant dans la tarte tropézienne que me tend mon amoureux.
— Non, c’est trop dangereux, me dit Gustave.
— Taratata, c’est mon papa aussi, j’y vais.

Une heure plus tard, nous arrivons au large de la plage de Pampelonne quand, soudain, nous entendons la Walkyrie de Wagner retentir dans la nuit. Nous nous dirigeons au son quand, eurêka, le bateau de mon papa est là, au mouillage, au milieu de la baie. Hop, nous montons à l’abordage. Et, là, mon père complètement saoul tend un verre de whisky de bienvenue au garde-côte étonné tandis que Sosthène, son copain-restaurateur qu’il emmène partout, nous propose une crêpe Suzette que j’accepte aussitôt. J’adore les crêpes et j’adore Sosthène, un petit bonhomme tout gros tout gentil tout rouge, qui adore nourrir mon père qui peut manger et boire ce qu’il veut sans prendre un gramme. Toute mon enfance, je ne me suis d’ailleurs nourrie que de crêpes et de baguettes beurrées avec du miel ou de la confiture rouge.

 

Pendant que Gustave crie après mon père qui n’écoute pas, occupé à offrir une tartine de cancoillotte, c’est le fromage tout mou très fort de notre région, la Franche-Comté, au garde-côte, Sosthène m’installe dans le carré du voilier, ravi que je sois la digne descendante de mon père qui apprécie sa bonne cuisine pleine de beurre, de gras et de sucre. 


— Ça suffit maintenant, je mets le moteur en marche, on rentre au port, assène Gustave, furieux de voir le garde-côte en grande discussion avec mon père sur la provenance de son whisky hors d’âge.

Mon père était un homme charmant, bienveillant et rigolo. Tout le monde l’adorait.


— Impossible, s’interpose mon père, on doit attendre Prieur.
— Ah oui, c’est vrai, où est Prieur ? dis-je en avalant ma troisième crêpe sous les yeux béats de Sosthène qui n’arrête pas de répéter en me pinçant la joue : « tu es une bonne petite, Sylvie, tel père, telle fille ! »


Prieur était le masseur-kinésithérapeute de mon père qu’il emmenait également chaque fois qu’il faisait du bateau.


— Il a plongé, il y a une heure, continue mon père en allumant une cigarette, une Disque bleu sans filtre.

Il en fumait tellement qu’il avait la dernière phalange de l’index tout marron.

— Son rêve a toujours été d’aller en Corse à la nage, continue-t-il. Après dîner, il s’est mis tout nu et il a plongé. Depuis on ne l’a plus revu. On ne peut pas le laisser, on doit l'attendre, on partira quand il sera revenu.
— S’il revient, j’ajoute.


Le garde-côte me questionne du regard.


— Ben oui, il est aveugle, Prieur, il a sauté sur une bombe lors de son service militaire. 
— C’est pour ça qu’on a mis la Walkyrie, argumente mon père, pour qu’il se repère au son de la musique. Il fonctionne ainsi au ski. Il descend les pistes noires à fond la caisse, et sa fille le guide devant avec un sifflet. 


Le skipper, un Polonais qui cuvait son vin sur une banquette, en profite pour se réveiller. Impressionné par l’uniforme et la casquette du garde-côte, il sort de sa cave personnelle une bouteille de vodka.

— Puisqu’on a les autorités portuaires avec nous, il faut fêter ça, hein chef, s’exclame-t-il en lui versant un verre.


C’est à ce moment-là que je me suis endormie dans la cabine de mon père, loin des effluves d’alcool et de cigarettes et des chants à la gloire de la Marine que le garde-côte et le Polonais n’ont pas tardé à enchaîner.


Trois heures plus tard, je suis réveillée par un bruit sourd et tonitruant. Prieur était revenu nu et trempé. Il saisit le verre de whisky que lui tend mon père, l'avale cul sec, puis s’écroule au sol, mort de fatigue.


C’était ça mon papa. 


Fin septembre 1994, mon père a 68 ans. il se prépare pour aller à La Nioulargue, mais sans bateau cette-fois. Il est ruiné. L’usine qui fabrique et commercialise les toilettes design et écologiques qu’il a dessinées et créées, pour lesquelles il a hypothéqué la maison afin de déposer un brevet au niveau mondial, ce qui est très coûteux, l’a escroqué et refuse de lui payer ses royalties qui sont sa retraite, en tant qu’architecte, il n’en a aucune.

Sa valise est prête. Sosthène et Prieur l'attendent. Soudain, mon père tombe inerte au sol devant ma mère affolée. Les pompiers arrivent. Il a un AVC. Après trois semaines, inconscient, à l’hôpital, il se réveille, mais ne peut plus parler, il est paralysé de tout le côté droit. Il restera ainsi, sur sa chaise roulante, sans dire un mot, mais avec son beau regard bleu et toujours vif, pendant deux ans. Jusqu’au 4 octobre 1996, exactement où il est mort à minuit. Pendant ce temps, avec ma mère, nous avons gagné le procès que nous avions intenté contre l'usine qui, pour ne pas payer les millions de francs de royalties qu'elle nous devait, a déposé le bilan, et a reconstruit une autre usine juste à côté pour fabriquer les mêmes toilettes avec quelques légères modifications afin de ne pas être accusée de plagiat.


À Saint-Tropez, il n’y a plus de Nioulargue depuis l’année précédente, suite à un accident mortel survenu entre Mariette, une goélette aurique de 42 mètres et Taos Brett, un 6 Mètres JI, causant le décès d’un des coéquipiers.

Le lendemain, à midi, Gustave a demandé à tous les bateaux présents dans le port de Saint-Tropez de faire sonner leurs sirènes pendant cinq minutes afin de rendre un dernier hommage au marin Pierre Bourgeois, mon papa.


Pierre Bourgeois 1926 - 1996 

Sylvie bourgeois Harel

La Nioulargue de mon papa fait partie des 19 nouvelles de mon recueil On oublie toujours quelque chose.

 

L'architecte Pierre Bourgeois à Besançon avec sa fille Sylvie

L'architecte Pierre Bourgeois à Besançon avec sa fille Sylvie

Sylvie Bourgeois - Août 1984 - Ramatuelle

Sylvie Bourgeois - Août 1984 - Ramatuelle

Sylvie Bourgeois 1986 - Saint-Tropez

Sylvie Bourgeois 1986 - Saint-Tropez

Sylvie Bourgeois 1985

Sylvie Bourgeois 1985

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Hélène Bourgeois (née Onimus) 31 janvier 1926 - 7 juillet 1997 - Cap-d'Ail. Mon chien Sam et la chatte Pyramide

Hélène Bourgeois (née Onimus) 31 janvier 1926 - 7 juillet 1997 - Cap-d'Ail. Mon chien Sam et la chatte Pyramide

Ma mère aurait eu 95 ans aujourd’hui. Elle est morte à 70 ans d’un cancer du cardia. Elle est morte à la maison (dans laquelle elle est née), dans mes bras. J’en avais décidé ainsi. Il était hors de question qu’elle meure dans l’anonymat d’un hôpital. Elle m’a donnée la vie, je l’ai accompagnée aux portes de la mort. C’était mon devoir, mais aussi ma fierté et la continuité de mon amour. Jamais je n’aurais pu l’abandonner sans mes larmes sur ses joues, dans lesquelles se reflétait la lumière du Sud de ce 7 juillet, et qui ont, j'en suis sûre, illuminé le chemin qu'elle a pris pour se rendre dans cet autre ailleurs. Pour pouvoir rester à ses côtés, la soigner, la nourrir, la faire rire, j’ai réduit mon activité professionnelle, je faisais constamment des AR express à Paris (c’était encore agréable et facile de prendre l’avion avec la navette Paris-Nice, je sautais dedans au dernier moment… ). Je me suis beaucoup battue pour pouvoir la garder à la maison, ce qui était son souhait, et aussi le mien. Je me suis, entre autres, battue contre la clinique dans laquelle elle ne devait passer que deux jours afin qu’on lui pose deux cathéters pour les futures perfusions de morphine, et qui ne voulait plus me la rendre. Je me souviens des trois copropriétaires qui me disaient avec des trémolos dans la voix : « votre pauvre maman est bien malade, on va la garder ici », et moi de leur répondre : « ma pauvre maman, comme vous dites, n’est pas bien malade, elle est mourante et elle ne mourra pas chez vous, elle mourra à la maison, comme elle me l’a demandé, et dans mes bras, alors soit vous me la rendez, soit j’envoie demain ses deux ambulanciers qui l’adorent, la chercher et me la ramener, et je vous promets qu'ils ne repartiront pas sans elle ». Je ne remercierai jamais assez le professeur Jacques Belghiti, un grand chirurgien de l’hôpital Beaujon, doté d’une humanité exceptionnelle, qui m’avait annoncé que ma mère avait un cancer généralisé, qu’il n’y avait rien à faire excepté commencer très rapidement les anti-douleur, qu’elle allait mourir dans les quatre mois, et qu’elle ne voulait pas savoir qu’elle était condamnée. À distance, il m’apprenait l’avancée de sa maladie afin que je puisse anticiper chaque geste et chaque soin. Grâce à lui et aux soignants de l’hospitalisation à domicile, j’ai pu offrir à ma mère mon dernier cadeau d’amour. Un cadeau que je me suis fait aussi, un cadeau qui, aujourd’hui, est devenu ma force et ma paix. Au revoir maman, je t’aime maman.

 

Manoëlle Gaillard - En attendant que les beaux jours reviennent - Éditions Les Escales. Piper (Allemagne). Pocket (livre de poche)

En attendant que les beaux jours reviennent. Éditions Les Escales - Piper (Allemagne) - Pocket (livre de poche)

En attendant que les beaux jours reviennent. Éditions Les Escales - Piper (Allemagne) - Pocket (livre de poche)

Extrait En attendant que les beaux jours reviennent ( éditions Les Escales. Piper (Allemagne). Pocket (livre de poche)

En attendant que les beaux jours reviennent

En attendant que les beaux jours reviennent

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Sylvie Bourgeois à 8 ans - à Besançon par Pierre Bourgeois architecte

Sylvie Bourgeois à 8 ans - à Besançon par Pierre Bourgeois architecte

par Pierre Bourgeois - Beaux-Arts de Paris 1948

par Pierre Bourgeois - Beaux-Arts de Paris 1948

Pierre Bourgeois - Architecte Besançon - 1926 1996 - Sylvie Bourgeois à 12 ans

Pierre Bourgeois - Architecte Besançon - 1926 1996 - Sylvie Bourgeois à 12 ans

Pierre Bourgeois - Architecte Besançon - 1926 1996 - Sylvie Bourgeois à 5 ans

Pierre Bourgeois - Architecte Besançon - 1926 1996 - Sylvie Bourgeois à 5 ans

Pierre Bourgeois - Architecte Besançon - 1926 1996 - Sylvie Bourgeois à 33 ans, dessinée de la main gauche, suite à un AVC, Pierre Bourgeois est paralysé de tout le côté droit et ne peut plus parler depuis deux ans. Pierre Bourgeois meurt une semaine après ce portrait.

Pierre Bourgeois - Architecte Besançon - 1926 1996 - Sylvie Bourgeois à 33 ans, dessinée de la main gauche, suite à un AVC, Pierre Bourgeois est paralysé de tout le côté droit et ne peut plus parler depuis deux ans. Pierre Bourgeois meurt une semaine après ce portrait.

Pierre Bourgeois - 1929 1996 - Architecte Besançon - Les poules

Pierre Bourgeois - 1929 1996 - Architecte Besançon - Les poules

Pierre Bourgeois - Architecte Besançon - 1926 1996 - Les daurades

Pierre Bourgeois - Architecte Besançon - 1926 1996 - Les daurades

Sylvie Bourgeois - Pierre Bourgeois 1926 - 1996

Sylvie Bourgeois - Pierre Bourgeois 1926 - 1996

EN ATTENDANT QUE LES BEAUX JOURS REVIENNENT

Roman de Sylvie Bourgeois

sous le nom de Cécile Harel

paru aux Éditions Les Escales - Pocket - PIPER (Allemagne) - ADORA

... L'année de ma terminale, je suis tombée malade. Je n’avais peut-être que ça à faire pour tenter de changer de voie. J’ai été hospitalisée, opérée, et envoyée en maison de repos. Quand je suis revenue à Barnezon, mes parents m’ont emmenée manger une truite dans un restaurant au bord d’une rivière.

- Papa, pourquoi tu ne peins plus ? ai-je demandé à mon père.

Je venais de découvrir au grenier d’anciennes toiles qu’il avait peintes pendant ses études aux beaux-Arts. Elles étaient là, abandonnées, depuis des années. Émue par son talent et l’émotion de son coup de crayon, je les ai vernies, encadrées et exposées partout dans ma chambre.

- Cela me provoque des maux de tête, je suis trop vieux pour souffrir.

- Tu bois tout le temps, ça devrait t’aider à supporter.

- Dis donc Marie, tu veux être polie avec ton père ?

- Je voudrais que tu arrêtes de travailler.

- Tu crois que c’est facile ?

- Enferme-toi au grenier et ne pense à rien d’autre qu’à peindre.

- Mais je dois gagner ma vie. Cela coûte cher, quatre enfants.

- Eh bien, arrête de tout payer à tes idiots de fils.

- Parlons plutôt de ton bac. Ta mère t’a trouvé une école d’été pour que tu puisses le présenter en septembre.

- Je m’en fous de mon bac, je veux travailler.

- Et tu vas faire quoi sans diplôme ?

- Je serai ta secrétaire.

- Je ne veux pas de toi comme secrétaire.

- Alors remets-toi à peindre et je vendrai tes tableaux.

- Tu crois que nous avons gâché notre vie en ayant fait tous ces enfants ? a soudain demandé ma mère.

- Tu es folle, pourquoi dis-tu cela ? a rétorqué mon père.

- Si je n’étais pas tombée enceinte de Virgil, tu n’aurais jamais arrêté de peindre. Aujourd’hui, tu serais reconnu, j’en suis sûre, je n’ai jamais douté de ton talent. Tu te souviens quand nous nous sommes rencontrés ? Tu peignais. Je travaillais. Nous étions pauvres, mais qu’est-ce que nous étions heureux. Tu te souviens ?

- Elle a raison maman, ce serait rigolo d’avoir un père artiste.

- Peux-tu demander à ta fille qu’elle se taise.

- Laisse-la s’exprimer, pour une fois que vous vous parlez.

- Elle ne me parle pas, elle m’agresse.

- Je ne t’agresse pas papa, je veux que tu peignes. De toute façon, c’est nul de faire des gosses quand on a du talent. Il faut laisser ça aux gens qui n’ont rien d’autre pour remplir leur vie. Tu as 53 ans, mais si c’est pour te voir gâcher tes prochaines années en te saoulant tous les soirs, eh bien, ça sera sans moi. Je pars travailler.

- Si tu préfères gagner ta vie alors que je me démène pour pouvoir te payer des études afin que tu mettes du savoir dans ta petite cervelle vide de bécasse qui ne pense qu’à s’acheter des santiags à étoiles dorées et des minijupes, je t’émancipe.

Le lendemain, mon père ne se souvenait plus de notre dispute, mais, j’étais déjà partie avec la voiture de ma mère à Sainte-Estelle où j’ai trouvé un job de serveuse sur une plage. Ferdinand venait d’arrêter la faculté sous prétexte que c’était un repaire de pourris qui ne lui offrirait aucun débouché, et m’avait accompagnée, avec le dessein de photographier les poulpes, ses anciens complices. Ce fut surtout moi, cet été-là, qui lui servis de modèle.

Je comprends seulement aujourd’hui à quel point j’ai été injuste avec mon père et combien j’ai été idiote de refuser ce qu’il m’offrait. Non seulement il a été le premier supporter de ses enfants et ne s’est jamais opposé à aucun de nos désirs, mais il a fait son possible pour nous donner les moyens de nos ambitions. Sauf qu’à cette époque, j’avais besoin du conflit pour exister. D’aller au choc. Comme avec mon petit copain. Il était venu me retrouver à Sainte-Estelle. Cela m’avait énervée.

- Je vais te présenter des filles.

- Non, je suis venu pour te voir.

- À ton âge, on doit sortir avec plein de nanas.

- Mais c’est toi que j’aime.

- Oui, mais moi je n’ai pas le temps, je dois faire autre chose de ma vie.

- Tu te souviens qu’en septembre, on part en Egypte ?

- Sans moi.

- Tu as rencontré quelqu’un ?

- Oh tu sais, les garçons, ça ne m’intéresse pas, je préfère trouver ma voie.

- Tu veux faire quoi ?

- Les Beaux-Arts.

- Et ça t’empêche d’être avec moi ?

- Oui.

- Pourquoi ?

- J’ai besoin d’être triste.

Il est reparti le lendemain. Malheureux. Jurant de ne plus jamais tomber amoureux.

*

Ma colère primait sur mes intérêts. Je gâchais tout. Encore aujourd’hui, avec mes phrases assassines, comme les appelait ma mère, je suis capable de faire exploser une relation de dix ans en dix secondes. Mon mari dit que je suis un marteau-piqueur. J’aurais pu me calmer, rester à Barnezon, réussir mon bac, profiter du confort de la maison, m’épanouir grâce à l’amour de mes parents, aller à Paris, prendre des cours de théâtre, présenter le concours du Conservatoire. Mes parents auraient été ravis de me louer un studio. Je me serais fait des amis de mon âge. Au lieu de cela, je me suis épuisée à gagner ma vie, à trouver des endroits où dormir, à éloigner les hommes qui voyaient en moi une proie facile. J’étais dans le court terme. Je me projetais à un mois. Jamais plus.

Pierre Bourgeois - 1926 1996 - Architecte Besançon - Sylvie Bourgeois et Nathalie Miserez à 30 ans

Pierre Bourgeois - 1926 1996 - Architecte Besançon - Sylvie Bourgeois et Nathalie Miserez à 30 ans

Pierre Bourgeois 1926/1996 - Architecte Besançon - Bouilloire rue des Lavaux. Pontarlier

Pierre Bourgeois 1926/1996 - Architecte Besançon - Bouilloire rue des Lavaux. Pontarlier

Pierre Bourgeois 1926-1996. 1/2 (demande en mariage... )

Pierre Bourgeois 1926-1996. 1/2 (demande en mariage... )

Pierre Bourgeois 1926 - 1996 . 2/2 (demande en mariage... )

Pierre Bourgeois 1926 - 1996 . 2/2 (demande en mariage... )

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EN ATTENDANT QUE LES BEAUX JOURS REVIENNENT (roman que j'ai signé cécile Harel) Extrait

Je me réveille dans le bus 63 pour rentrer chez moi. Le 63 est un bus épatant. Chaque fois que je vais quelque part, il m’y emmène. À quelques sièges devant moi se trouve une dame, de dos, avec les mêmes cheveux frisés que ma mère. À force de la regarder, soudain, je suis sûre que c’est elle. Je ferme à demi les paupières et je me plais à imaginer que je ne l’ai pas vue depuis sept ans, je la retrouve par hasard. « Maman, mais que fais-tu là ? » Elle me répond qu’elle a toujours eu envie de vivre à Paris, à Saint-Germain-des-Près, et, voilà, maintenant, elle y habite, mais elle ne doit pas traîner, son nouveau mari l’attend. Il ne supporte pas qu’elle soit en retard. « Je dois y aller Marie ! » Elle me fait une bise, rapide : « Je n’ai pas le temps de rester avec toi. » Elle porte un panier de commissions et descend du bus, sans se presser, sans me poser de questions non plus. J’aurais souhaité lui dire que j’écrivais un livre sur l’amour que je lui ai toujours porté, mais au travers de mes yeux pleins de larmes, je ne la vois déjà plus.

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Sam, mon chien quand j'étais enfant

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Ma mère, Hélène Bourgeois, décédée le 7 juillet 1997

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  Hélène Bourgeois, à 16 ans

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  Hélène Bourgeois (née Onimus), à 22 ans, à Nermier (Jura)

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Mon père, Pierre Bourgeois, décédée le 4 octobre 1996

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Pierre Bourgeois, enfant dans le Haut-Doubs

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Mes grands-parents paternels, Achille et Cécile Bourgeois

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Mes grands parents maternels

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Bébé

 

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À 2 ans avec ma mère

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À l'inauguration de l'atelier de mon père

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Avec ma Nathalie qui est toujours ma meilleure amie

 

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À 23 ans

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Sur Shenandoah pendant une Nioulargue

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Sylvie Bourgeois - Shenandoah - Nioulargue

Sylvie Bourgeois 2003

Sylvie Bourgeois 2003

Sylvie Bourgeois 1998

Sylvie Bourgeois 1998

Sylvie Bourgeois 2003

Sylvie Bourgeois 2003

Sylvie Bourgeois 1998

Sylvie Bourgeois 1998

Sylvie Bourgeois 1998

Sylvie Bourgeois 1998

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  • : Sylvie Bourgeois fait son blog
  • : Sylvie Bourgeois Harel, écrivain, novelliste, scénariste, romancière Extrait de mes romans, nouvelles, articles sur la nature, la mer, mes amis, mes coups de cœur
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  • Sylvie Bourgeois Harel
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