PAN fait partie des 19 nouvelles de mon nouveau recueil ON OUBLIE TOUJOURS QUELQUE CHOSE. Si vous désirez le lire, vous pouvez m'envoyer un mail à : slvbourgeois@wanadoo.fr
PAN
Pan ! Je suis morte. Pan ! Pan ! Dans mon beau visage. Pan ! Pan ! Bon, ça va maintenant ? Pan ! Pan ! C’est vraiment con, les hommes !
Quand je me suis levée ce matin, j’étais déterminée. Je n'avais pas fermé l’œil de la nuit tant j’étais excitée. Ah, il ne voulait pas divorcer ? Et bien, il allait voir ce qu’il allait voir ! Tout était organisé. Julie et Marc iraient chez ma mère. Ma lettre était rédigée. J’étais assez fière du passage ou je traitais mon mari de bâton merdeux. Non mais, ce n'est pas parce qu’il fréquente le Tout-Paris qu’il va me dicter sa loi. Le salaud, quand j’y pense.
J’ai embrassé Marc et Julie en leur promettant d’être de retour le soir-même pour regarder ensemble le journal télévisé de 20 heures.
- On va bien rigoler, je leur ai dit.
Je n’avais plus qu’à y aller. Je n’avais pas peur. J'étais en Dior. J’ai mis le fusil de mon mari en pièces détachées dans mon Kelly. Je n’ai rien pris d’autre. À quoi bon ? Je ne suis pas une criminelle. Pourquoi des balles ? Je ne veux pas tuer. Juste me faire entendre. C'est pour ça qu'au dernier moment, j'ai ajouté un pistolet d'alarme. Pour tirer l'alarme que rien ne va plus.
Zizi n’arrêtait pas d’aboyer.
- Mais qu’est-ce que tu veux, mon petit Zizi ? Mais oui, tu viens avec maman en voyage. Tu es trop mignon. Si seulement mon mari pouvait te ressembler. Allez, hop ! Zizi, monte dans la Mini de maman. Allez, hop ! Direction l’aéroport d’Orly.
Pauvre petit Zizi ! Il n'a rien dû comprendre. À l’embarquement je l’ai mis dans mon Kelly, sur les pièces du fusil. Les contrôleurs n’ont rien vu. En même temps, avec mon manteau Chanel, je n’avais pas une tête de criminelle. Zizi a été très sage, sauf au décollage. Je lui ai massé les oreilles. Les chiens n’aiment pas prendre l’avion m’a dit un jour son vétérinaire qui a une émission à la télévision. Mon mari avait tenu à ce que le vétérinaire de Zizi soit connu. Pour mon mari, soit t'es connu, soit t'es riche, soit tu n'es rien. Pauvre con ! Je regrette d’avoir choisi l'avion pour Marseille. Si j'avais pris celui pour Nice, je ne serais peut-être pas morte ?
Après le décollage, je me suis enfermée dans les toilettes. J’étais très motivée. J’étais sûre que j’allais gagner. J’ai glissé ma lettre sous la porte et j'ai appelé une hôtesse. Je voulais qu’elle la donne au commandant de bord. C’était simple, il devait la lire au journal de 20 heures ou je faisais sauter l’avion. C’était pour du faux bien sûr, mais je leur ai fait croire que c’était pour du vrai. Zizi était avec moi. On a attendu longtemps dans les toilettes. J’en ai profité pour lui faire faire son petit pipi. C’est ce qu’il y a de bien avec les petits chiens, ils nécessitent peu d’entretien.
Soudain l’avion s’est posé. Quelqu'un a crié aux passagers de se dépêcher pour débarquer. Je les ai entendu courir. Cela faisait beaucoup de bruit.
Mon mari m’avait expliqué que pour faire connaître un produit, il fallait créer un événement suffisamment important pour que l’on en parle au journal de 20 heures. Mon produit, c’était l’humanité. Je voulais que le présentateur lise ma lettre qui demandait qu’on stoppe le nucléaire et la guerre et qu’on s’occupe enfin de l'écologie et de la nature. En Post-Scriptum, j’ai ajouté que je voulais divorcer et que mon mari, même s’il était l'ami de Pompidou, le Président de la République, devait l’accepter. Je disais aussi qu’il me trompait depuis le début de notre mariage et que je méritais mieux.
Soudain l’avion a été très calme. J’étais fatiguée. Lasse. Cette journée m’avait épuisée. Je me souviens que j’étais triste. Très triste. Mes enfants me manquaient. Mon mari aussi. Il aurait su quoi me dire, quoi faire. On a frappé à ma porte. C’était le commandant de bord qui me disait que je pouvais sortir. Qu’il n’était pas armé. Qu’il était seul avec la chef-hôtesse et un steward. Que ma lettre était très belle et que le gouvernement était en train de chercher une solution pour la télévision.
Je tremblais. J’avais froid. Je voulais mon mari. J’ai ouvert la porte. Le commandant m’a regardé, étonné. Il pensait peut-être que j’étais un monstre sanguinolent et bavant ? N’importe quoi, j’étais parmi les plus belles femmes de Paris. Il a pris mon Kelly. Quand il a vu mon fusil en pièces détachées, il m’a de nouveau regardé en hochant la tête. Il pensait quoi ? Que j’allais le faire sauter, son avion ?
Il m’a assise au premier rang de l’appareil. Zizi était sur mes genoux. Je pleurais. La tête me tournait. Je voulais mon mari.
- Monsieur le commandant de bord, je lui ai dit, pouvez-vous s’il vous plait téléphoner à mon mari pour lui expliquer ce que j’ai fait ? Voici son numéro. Mon mari est un homme très important. Téléphonez-lui, qu’il vienne me jeter en prison. Vous savez, je ne voulais pas le faire tomber, votre avion. Je veux juste que la vie soit meilleure. Si personne ne s’occupe de prendre soin de notre planète, nos enfants vivront dans quoi, monsieur le Commandant de bord?
- Vous avez faim madame ? m’a demandé la chef-hôtesse.
Je l’ai regardé, sans répondre.
- Ou soif peut-être ? Votre mari va arriver. Vous devez l’attendre ici. En l’attendant, mangez ou buvez quelque chose.
- Pourquoi pas ? j'ai répondu. Je voulais lui montrer que j’étais conciliante.
La chef-hôtesse a caressé la tête de Zizi qui s’est mis à grogner. J'aurais du me méfier. C’était la première fois que mon chien, plutôt mondain, grognait.
Quatre hommes équipés façon armée sont montés m’apporter à manger. J’allais les remercier quand soudain j’ai remarqué, caché sous leur plateau-repas, le canon d’un fusil.
Pan ! Je suis morte. Pan ! Pan ! Dans mon beau visage. Pan ! Pan ! Bon, ça va maintenant. Pan ! Pan ! C’est vraiment con, les hommes !
Sylvie Bourgeois Harel
Sylvie Bourgeois, Brèves enfances, La dame bleue, nouvelle - Écrivain
Marcelline lit La dame bleue, une nouvelle de la romancière Sylvie Bourgeois, parue dans son recueil BRÈVES ENFANCES publié au Diable Vauvert, maison d'édition créée par Marion Mazauric. Écr...