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Schizofamily, une nouvelle de Sylvie Bourgeois Harel

Schizofamily

Ma maman est épuisée. J’ai 30 ans et je veux la sauver. J’emmène alors mes trois frères aînés qui vivent toujours chez nos parents consulter un psychiatre. Au dernier moment, maman décide de nous accompagner avec mon père paralysé qui ne peut plus parler depuis son AVC.

— Bonjour, bonjour, monsieur le psychiatre, je dis en arrivant, j’aimerais que nous fassions une psychothérapie familiale pour sauver ma maman.

— Très bien, qui êtes-vous ? me demande-t-il.

— Nous sommes une schizofamily.

— Pardon?

— Oui, c’est un peu compliqué, mais je vais essayer de vous résumer la situation. Mon frère Ferdinand, ici présent, est certainement schizophrène, il se prend pour un prince. Il se fait même appeler le prince O, alors qu’il est photographe. Quant à mon autre frère André, il doit être schizogame, il ne pense qu’à se reproduire, alors qu’il est architecte. Son grand leitmotiv est de dire qu’il aime autant créer l’habitat que l’habitant. Quant à mon frère aîné Gustave, il est sûrement schizothymique, il ne parle qu’aux poissons, c’est bien simple, il passe ses journées sous l’eau. Et quant à ma petite maman chérie, je pense qu’elle est schizoïde, elle ne veut plus sortir avec ses copines.

Le psychiatre se gratte la tête et nous invite à nous asseoir. Mais ma mère reste debout et s’approche de lui.

— Si vous saviez, docteur, comme j’ai hâte d’être dans le trou, elle lui dit, je n’en peux plus.

Je me lève à mon tour. Maman est l’amour de ma vie. Je ne peux pas l’entendre parler ainsi. Je la prends dans mes bras et l’aide à se rasseoir.

— Je dois vous expliquer, docteur, que mes trois frères qui sont pourtant grands, Gustave le sous-marin a 40 ans, André le reproducteur, 37, et Ferdinand le photographe qui est persuadé d’être photographe de terroristes, 34, habitent toujours à la maison. Ma mère n’en peut plus de devoir continuer de leur faire à manger pire que s’ils étaient des bébés, d’autant qu’ils ne lui donnent jamais d’argent et que mes parents sont ruinés.

Soudain, Ferdinand s'énerve et se met à hurler :

— Elle a beau jeu, Cécile, de dire ça, mais elle n’a jamais voulu en faire de bébés, et je sais pourquoi, mais je ne vous le dirai pas. En tout cas, pas là.

— Justement docteur, j’ajoute, je suis venue pour vous les refiler, les bébés, ma mère est épuisée, ils vont finir par la tuer.

— Il faut que vous sachiez docteur, intervient ma maman, que ma fille est persuadée d’être ma mère.

— Ben oui, ma petite maman, je lui dis en l’embrassant tendrement, tu es ma fille et je t’aime.

— N’empêche, hurle de nouveau Ferdinand, le premier bébé à soigner est Gustave, il est jaloux d’un poulpe qui a un plus gros zizi que lui.

— Je suis désolé, docteur, rougit Gustave, prince Ferdinand est en plein délire, et c’est comme ça toute la journée, vivement que je retourne sous l’eau.

— Ose dire que ce n’est pas vrai, continue de hurler Ferdinand, la preuve, tu ne t’en sers jamais de ton zizi.

— Ce n’est pas faux, ajoute ma mère, la première chose que Gustave fait lorsqu’il rencontre une sirène, il l’emmène à la messe, alors forcément, ça prête à confusion.

— Puis il faudra s’occuper d’André, se calme Ferdinand. Depuis que sa femme l’a quitté, il est devenu alcoolique.

— Oui, mais moi, dit André en riant, mon zizi, je sais m’en servir.

— Ah ça oui, approuve ma mère en riant également, il tient ça de son père, un vrai matou à mettre son zizi partout, alcoolique, lui aussi.

— C’est vrai, je bois beaucoup, confirme André, que voulez-vous, créer des maisons et leur faire des bébés, ça me donne soif.

— Il a même couché avec une terroriste qui habite dans notre quartier, s’affole de nouveau Ferdinand.

Le docteur me questionne du regard.

— Bon, docteur, je lui dis, accepteriez-vous de soigner ma schizofamily que j’aime quand même ?

— Dites-moi déjà, chacun votre tour, de quoi vous souffrez exactement, il me répond en nous scrutant bizarrement derrière ses lunettes baissées.

Contre toute attente, Gustave commence :

— Aux poulpes qui ont plein de zizis, avoue-t-il. Et aussi à André qui se sert plus du sien que moi, ça me rend fou. Et également à ma petite sœur qui ne veut pas vivre avec nous, alors que j’ai toujours voulu l’épouser. Sans compter la présence de Ferdinand qui passe ses journées, allongé à faire du canaping dans le salon de la maison, et qui dit toujours la vérité, c’est pour ça que je veux l’interner.

— Et bien moi, dit Ferdinand, je souffre à Gustave qui n’arrête pas de me taper. Il croit peut-être que ses coups vont remettre mes idées en place. N’importe quoi ! La violence n’a jamais résolu la jalousie, et vous le savez très bien, docteur. Je vous assure, ce n’est pas de ma faute si mon cerveau est cassé et si ma tête s’inquiète autant de toutes ces guerres qui vont finir par enflammer la planète. Et puis, je ne veux pas que Gustave réussisse à m’enfermer dans un asile pour cinglés, mon papa paralysé a besoin de moi. Oui, c’est moi qui aide toujours ma maman à pousser sa chaise roulante ou à les conduire faire des courses, ou même une promenade à la campagne. Il est content, mon papa, de voir des vaches ou la forêt, ajoute-t-il en mettant son bras devant le visage comme pour se protéger d’un éventuel coup de Gustave.

— Quant à moi, dit André, je souffre à mes clients qui pensent que sur mon front, il y a écrit couillon qui ne travaille que pour créer de la beauté et qui en profitent pour ne pas me payer. Et aussi à mon idiot de banquier qui n’arrête pas de m’appeler à cause de mon découvert. À force, il m’empêche de travailler. Merde, je suis architecte, pas comptable ! Qu’on me donne des maisons à dessiner, pas des chiffres à additionner. Je souffre également aux bouteilles de mon père que j’ai toutes finies, et à ma mère qui ne veut plus m’en acheter.

J’observe mes trois frères, étonnée de leur franchise.

— Quant à moi, je dis, je souffre à mes parents. Ils n’ont que 68 ans. Ils sont beaux, généreux, drôles, intelligents, jeunes encore. Ils nous ont appris la liberté, l’amour, la curiosité, l’art de ne jamais nous ennuyer, de savoir argumenter, d’être passionnés. Ils ne méritent pas toute cette schizofolie.

Ma maman me sourit. J’aime quand ma maman me sourit. J’ai l’impression de lui redonner un peu de vie.

— Quant à moi, dit-elle en parlant tout doucement, je souffre à mon mari paralysé qui ne peut plus me prendre dans ses bras, ni me dire qu’il m’aime, alors que nous avons été de si beaux amants. C’est fini, tout est fini.

Sur sa chaise roulante, mon père qui se demande depuis le début du rendez-vous ce qu’il fait là, dans le bureau de ce médecin qui ne l’a pas ausculté, pose sa tête sur l’épaule de ma mère. Je vois une larme qui coule de ses beaux yeux. De ses beaux yeux bleus. Une larme qui me dit qu’il est malheureux d’être ainsi enfermé dans le mutisme de sa maladie. Une larme qui me dit qu’il est inquiet de ne plus pouvoir protéger ses fils. Une larme qui me dit que, oui, je dois sauver maman, l’amour de sa vie. Son roc. Son repère. Son univers.

— Mmmaaannn, mmmaaannn, essaye de s’exprimer mon père qui a certainement beaucoup à dire.

— Docteur, continue ma mère en prenant la main droite inerte de mon père, maintenue par une bande sur une attelle, oui, c’est cela même, je souffre à mon mari que j’aime tellement. Je me sens impuissante et épuisée, et puis je ne supporte pas qu’il m’appelle maman, ça me rend folle qu’il puisse me prendre pour sa mère. Vous l’avez entendu docteur, et depuis son AVC, c’est comme ça toute la journée, il fait mmmaaannn, mmmaaannn, maman, maman, je n‘en peux plus, je ne suis pas sa maman, continue ma mère en pleurant.

J’ai 30 ans. Je ne veux pas entendre ma mère pleurer. C’est trop violent. Trop triste. Trop injuste. Je dois la sauver. Je veux lui dire qu’on va trouver une solution et que papa ne dit pas maman, papa fait mmmaaannn, mmmaaannn, car phonétiquement, c’est le son le plus facile à prononcer. Mais d’autres mots sortent tout seuls de ma bouche, d’autres mots que je n’ai pas désirés, d’autres maux dont je n’ai jamais parlé.

— Docteur, je dis, je souffre à l’homme qui a abusé de moi lorsque j’étais enfant, j’avais 8 ans, mais ce n’était pas mon papa.

— Moi, je sais qui c’est, intervient Ferdinand, mais je ne le dirai pas, sinon il me tuera. Je suis sûr d’ailleurs que c’est à cause de ça qu’aucun de nous ne va bien.

Avant même que ma mère ne puisse dire un mot, les miens de mots continuent tout seuls à sortir de ma bouche comme s’ils n’en pouvaient plus que je les aie gardés si longtemps secrets :

— Je souffre aussi à l’homme qui m’a violée à Saint-Tropez lorsque j’avais vingt ans.

Un silence s’établit dans le bureau du docteur. Ne voulant pas ajouter à nos schizoproblèmes, ma détresse, ce n’est pas le sujet, je suis ici pour sauver ma maman, pas pour parler de moi, et encore moins de mes drames que j’ai toujours cachés, justement pour ne pas faire souffrir ma mère, je reprends aussitôt la parole :

— Je souffre aussi à mon papa qui savait si bien me dessiner. C’est vrai, docteur, mon papa a un talent de fou. Même paralysé, il a réussi à faire mon portrait de la main gauche, le trait est parfait, j’ajoute en serrant mon père dans mes bras. Voilà, je souffre à mon papa à qui je n’ai jamais dit que je l’aimais. Nous étions toujours si pressés, si pressés, je répète, c’est ça la vraie folie de ne pas s’arrêter pour prendre le temps de dire que l’on s’aime.

Maman inspire profondément et dit :

— Je souffre au cancer généralisé que l’on vient de me détecter. J’en ai plus que pour quelques mois. Qui va s’occuper de mon mari paralysé et ruiné quand je serai dans le trou ? Je ne veux pas que Cécile prenne mon relais à faire à manger à ses frères et à son père, elle a mieux à faire.

Je vais pour parler, pour dire à ma maman que je vais trouver une solution, que je vais la soigner, qu’elle ne va pas mourir, mais ma maman enchaîne :

— Je souffre aussi à notre manque d’argent. Un client de mon mari l’a arnaqué, c’est pour ça qu’il a eu son AVC, ça l’a stressé, paniqué, inquiété, il est tombé et ne s’est jamais relevé. Avec Cécile, nous avons fait un procès, nous l’avons gagné, l’usine qui fabrique les toilettes design et écologiques que mon mari a créées nous doit des millions de francs, mais ils ont déposé le bilan pour ne pas nous payer, et ont construit une nouvelle usine juste à côté pour fabriquer les mêmes toilettes avec juste quelques différences afin qu’on ne puisse pas les accuser de plagiat. Je suis obligée de vendre la maison familiale.  Mes fils n’auront plus de toit. Avec mon mari, nous irons vivre chez notre fille Cécile.

Affolés, Ferdinand, André et Gustave se lèvent ensemble et crient en choeur :

— Mais maman, où allons-nous habiter si tu n’as plus de maison ? On ne veut pas terminer à la rue.

Un mois plus tard, mon papa est mort à minuit d’une crise d’épilepsie tandis qu’un docteur essayait de le réanimer. Neuf mois après, ma maman est morte de son cancer généralisé dans mes bras, dans la chambre de sa maison d’enfance où elle est née.

Je n’ai pas pu sauver mes parents. Je n’ai su que les aimer.

Sylvie Bourgeois Harel

Schizofamily fait partie des 19 nouvelles de mon recueil On oublie toujours quelque chose. Vous pouvez le commander en m'envoyant un mail à : slvbourgeois@wanadoo.fr.

 

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MONICA - ON OUBLIE TOUJOURS QUELQUE CHOSE - Un recueil de nouvelles de Sylvie Bourgeois Harel

MONICA

Je ne sais jamais quoi offrir à mon mari que j’aime d’amour, j’ai toujours l’impression que ça lui fait ni chaud, ni froid. Tandis que moi, les cadeaux, j’adore les recevoir, c’est même tout un art, je deviens si joyeuse que c’est un véritable plaisir de m’en faire. Si. Je dis toujours merci même s'ils ne me plaisent pas, je ne fais jamais la tête, non, au contraire, je deviens gaie comme une enfant. Mon côté enfant, même avec le temps, n’a d'ailleurs jamais totalement disparu, j’aime encore le rose, les cœurs et dépenser l’argent de mon mari comme si c’était celui que me donnait ma maman. C’est peut-être une histoire de confiance. Mes économies, je les garde au cas où il me quitterait, je me consolerai avec. Si je ne sais jamais quoi lui acheter, c’est peut-être pour lui offrir, par anticipation, sa liberté. Ça peut paraître compliqué, mais je me comprends.

En revanche, pour ses 50 ans, je dois marquer le coup. Je suis bien ennuyée d’autant que Magali, sa nouvelle employée, est drôlement bien roulée. En plus, elle n’arrête pas de lui dire combien il est intelligent, talentueux, formidable. Et les hommes, le mien comme les autres, c’est fragile. À force de trop le flatter, elle va finir par me le gâter. Ce serait dommage car c’est un bon mari, gentil et toujours heureux de me voir, je ne dois pas le décevoir. Surtout pas ce soir...

(...)

Vous pouvez lire la suite de MONICA dans mon recueil de nouvelles ON OUBLIE TOUJOURS QUELQUE CHOSE. Vous pouvez le commander en m'envoyant un mail à : slvbourgeois@wanadoo.fr.  

 

Sur les liens ci-dessous, vous pouvez écouter une courte lecture d'un extrait de mon roman En attendant que les beaux jours reviennent (que j'ai signé Cécile Harel) par la comédienne Manoëlle Gaillard, mes nouvelles Mon papa est curé, Henri, La dame Bleue,  parues dans mon recueil Brèves enfances, aux éditions Au diable vauvert, lues par les comédiens Alain Guillo et François Berland. Et également deux interviews faites par ma petite Marcelline l'aubergine qui me questionnent sur mon écriture.

MONICA - ON OUBLIE TOUJOURS QUELQUE CHOSE - Un recueil de nouvelles de Sylvie Bourgeois Harel
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Quand j’avais 1 an, ma maman pour plaire aux parents de mon papa, elle a fait couper mon zizi. C’est ma mamie maternelle qui me l’a dit. C’était ça ou ils ne leur donnaient plus d’argent pour leurs études. Mon papa et ma maman étaient à la faculté quand je suis né, mon prépuce a payé leur scolarité. Quand ma mamie a appris que le rabbin m’avait coupé le zizi, ni une ni deux, elle m’a fait baptiser par le curé d’autant plus que le petit Jésus, c’est son meilleur ami, avec je crois Michel Drucker qu’elle ne rate jamais de regarder à la télévision. Elle m’a amené en cachette à l’église parce qu’il paraît qu’entre les Juifs et les Chrétiens, c’est parfois très compliqué. Ma maman a essayé plein de fois de me l’expliquer, mais je n’ai toujours pas compris. Pour moi, il y a l’amour et la haine, les copains et les cons, les bonnes notes et les punitions. Mais pour les chrétiens, il y a le messie qui est venu les sauver, tandis que les juifs, ils l’attendent toujours. Les sauver de quoi ? Ma foi, je ne sais pas, mais je sais que ça fiche la confusion parce que Noël, on ne le fête pas pareil.

 

Pourtant quand je suis né, il paraît que ma maman, elle a tenu tête à mon papa en lui disant qu’il fallait qu’il laisse mon zizi tranquille et que je prendrai tout seul la décision de ma religion quand je serai suffisamment grand. Mais à cause de son manque d’argent, elle a fini par accepter de me faire couper. Faut dire, qu’elle était très jeune pour prendre la responsabilité d’un bébé né hors de toute religiosité.

 

Ma mamie m’a dit qu’après je n’avais pas arrêté de saigner et pendant même plusieurs jours. Le rabbin, je ne sais pas ce qu’il m’a fait, mais, il me l’a mal fait car j’ai 10 ans et je n’ai toujours pas de zizi. Enfin, si j’ai un zizi, mais un tout petit. À la plage, mon maillot de bain, il ne fait pas de bosse. Alors que celui de mon copain David, oui. Pourtant David a le même âge que moi, mais il a de la chance d'être juif en entier tandis que moi je ne le suis qu’à moitié. C’est comme pour mon zizi, je n’en ai qu’une moitié. Je serai peut-être toute ma vie partagé. David, lui son bout de peau, c’était clair et net qu’il fallait le lui couper. Schlak ! Moi, on a hésité et maintenant, je suis tout plat comme une fille. 

 

Les filles, je m’y intéresse. Évidemment. Brigitte, elle voulait toujours que je l’embrasse. Alors on l’a fait une fois, à la plage. Quand je me suis frotté contre elle, elle a ri en me disant qu’avec David, elle sentait son gros machin et qu’avec moi, c’était comme du gazon. Ou un truc comme ça. Ça m’a drôlement vexé et je suis allé pleurer vers ma mamie. C’est là qu’elle m’a raconté le rabbin qui m’a trop coupé. Avec leur religion, mon pauvre petit, ils t’ont bien esquinté, qu’elle n’arrêtait pas de répéter ma mamie adorée. J’étais bien embêté d’autant plus que mon papa a divorcé de ma maman quand j’avais 5 ans et que je ne vois plus jamais mes grands-parents du côté du rabbin. Je trouve que c’est un beau gâchis de zizi car mes cousins chrétiens, eux et bien, ils n’ont pas rien dans leur caleçon de bain. Leurs bosses de garçons, elles se voient bien. Ils veulent toujours qu’on fasse la compétition de celui qui pissera le plus loin, mais moi, j’ai trop honte de ne pas avoir la même religion qu’eux, alors j’ai dit à ma maman que je ne voulais plus jamais les voir. Elle n’a pas compris et elle m’a grondé d’être si méchant. Je ne suis pas méchant, je souffre tellement de ne pas être pareil que les autres petits garçons que je n'aime plus personne.

 

Il y a un mois, j’ai glissé ma main dans la culotte de mon petit frère. Il a deux ans de moins que moi et sa zézette, elle est déjà plus grande que la mienne. Je lui ai dit qu’entre frères, nos quéquettes avaient bien le droit de jouer ensemble, et que comme la mienne était cassée à cause de la religion de papa qui n’était pas la même que celle de maman, il fallait qu’il m’aide à la réparer. Mais que ça devait rester notre secret.

 

Alors avec tout le sérieux des enfants, il a pris ma bistouquette et l’a touché pour voir si je n’avais pas un bouton ou une infection. Il a continué de l’ausculter bien sagement en se concentrant. L’entendre respirer très fort avec la bouche ouverte, c’est con, mais ça m’a foutu des frissons partout dans le dos. Des frissons où je sentais le plaisir caresser aussi le derrière de ma tête. Quand c’est devenu trop chaud, j’ai fermé les yeux et je lui ai demandé de frotter très fort mon zizi dans sa main. Il a fait ça tellement bien que je me suis mis à rêver que j’avais plein de petits frères qui criaient partout mon nom sur la plage. Quand le liquide est sorti, mon petit frère a été surpris et moi, j’ai été ébloui. Je lui ai dit merci docteur de m’avoir si bien soigné et que s’il savait se taire, on allait pouvoir bien se marrer tous les deux.

 

Depuis je ne pense plus qu’à ça et chaque jour, je trouve un moment où je lui demande de faire le médecin pour me sauver. Mon messie, c’est lui. Mon petit frère, il vaut toutes les Brigitte de la terre.

 

Maintenant quand je vais à la plage, je ne suis plus jamais triste d’avoir un petit zizi. Si jamais une fille, elle veut m’embrasser, et bien, pour me venger de mon infirmité, je la pousse dans le sable en lui disant qu’elle est trop moche pour moi. Et que même si on jouait au docteur, je n’en voudrais pas comme infirmière. Et quand elle se met à pleurer, je lui dis que c’est bien fait. Oui, c’est bien fait, je lui dis. Et je ris. Plus jamais une fille n’aura le droit de toucher à mon zizi. Voilà. J’aimerais tellement les enfants que je n’en aurais jamais. Voilà mon secret.

Sylvie Bourgeois Harel - Brèves enfances - Recueil de nouvelles - éditions au Diable Vauvert

Sylvie Bourgeois Harel - Brèves enfances - Recueil de nouvelles - éditions au Diable Vauvert

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Sylvie Bourgeois Harel

Sylvie Bourgeois Harel

Ma nouvelle Prologue sur l'écriture fait partie de mon nouveau recueil qui paraîtra début avril 2024.

Sylvie Bourgeois Harel

Sylvie Bourgeois Harel

Sylvie Bourgeois Harel - Le Club 55 - Plage de Pampelonne - Ramatuelle - Hiver 2012

Sylvie Bourgeois Harel - Le Club 55 - Plage de Pampelonne - Ramatuelle - Hiver 2012

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J’ai eu peur et pourtant je n’ai rien dit. Je ne dis jamais rien. Au début, j’ai crié, mais personne ne m’a entendu. Ou ne m’a répondu, je ne sais plus. Pourtant j’ai eu peur et aussi très froid. C’est sa main sur ma bouche qui m’a entraînée. Pas très loin, mais quand même, suffisamment pour que je ne puisse pas appeler ma maman. J’ai toujours rêvé d’être fille unique. Mais je suis la dernière de six garçons, ça n’aurait jamais marché. Dans l’intervalle où j’ai eu mal, j’ai pensé à la mort. J’ai 9 ans et l’année dernière, ma mémé est morte d’un cancer. Elle a beaucoup souffert. Pauvre vieille mémé. En même temps, elle n’a jamais eu de frère aîné. Vivement que je sois vieille.

J’ai eu peur et froid, mais je n’ai rien dit. Pour ne plus avoir mal, j’ai pensé à la petite souris qui allait passer juste au moment où je n’étais plus dans mon lit. Du coup, elle ne me laissera pas d’argent pour ma dent que j’avais glissée sous mon oreiller. J’étais bien embêtée car si elle se plaignait à ma maman de ne pas m’avoir trouvée, je me ferai gronder. Je m’en fiche, quand je serai grande, je serai curé. J’ai crié et il m’a tapée. Non, je serai une poupée. Toujours bien coiffée et maquillée. Et je cracherai dans la bouche des garçons qui voudront m’embrasser, le souvenir de cette nuit où j’ai cessé de rêver. Le prince charmant, je vous assure, il n’a rien de marrant.

La terre a vacillé. Mon ventre s’est fracassé. Un verre s’est cassé. Ma lèvre a saigné. J’ai passé ma langue sur le trou de ma dent en moins. Si mon chien avait été là, il l’aurait mordu. Mais il était attaché dehors. Le pauvre. Il devait avoir froid. Et peur aussi. Même s’il a les yeux pour voir la nuit. D’ailleurs, au Japon, il paraît qu’il y a tellement de pollution que les hommes doivent mettre des masques à gaz pour respirer. Demain, je me coudrai les jambes pour ne plus être tâchée. En Chine, ils font ça avec les petites filles, ils leur cousent les pieds. Comme ça, elles ne peuvent plus marcher. Elles restent à la maison. Elles tricotent. Ma maman aussi, elle m’a tricoté un pull rose, mais elle ne l’a pas encore terminé. Elle a toujours trop à faire avec mes frères à qui elle doit faire à manger. Ma maman, je l’aime alors je me tais. Ça lui ferait trop de peine si elle savait.

Quand je serai grande, je me noierai. Pour le moment, je suis trop petite et je n’ai pas le droit d’aller toute seule à la mer. C’est pour ça aussi qu’il m’a pris par la main pour me faire descendre à la cave. Pourtant, j’ai les mêmes yeux que mon chien pour voir la nuit et j’ai très bien vu ses yeux qui faisaient du bruit comme s’il était essoufflé alors que c’est moi qui aurais dû crier. Le monde, il est mal fait, il est à l’envers. Qu’est-ce que je serai bien sans mes frères. Il y a une fille dans mon école qui est fille unique. Je n’en suis pas jalouse, mais je l’envie. La journée, elle peut se promener avec sa maman, tandis que la mienne, elle est toujours fatiguée.

Je ne sais pas qui choisit notre vie. Mais quand je serai grande, je lui dirai que ce n’est pas vrai, ce n’est pas à cheval, la première fois où j’ai saigné. Même si c’est vrai que je ne monte plus de poney et qu’un jour, mon papa, il m’achètera une jument, ce n’est pas à cause de l’équitation que je n’apprends plus mes leçons. Je suis molle, molle comme la poupée que j’ai confectionnée et que j’ai habillée avec ma robe d’été. Elle a des cheveux jaunes comme les miens sont blonds. Et des grands yeux bleus qui savent que cette nuit n’était pas normale. Et sa bouche aussi se tait comme la mienne pour ne pas faire de peine à ma maman. Quand je serai grande, j’apprendrai à pleurer. Et aussi à écrire. Pour le décrire.

(nouvelle parue dans mon recueil Brèves enfances, aux éditions Au Diable-Vauvert)

Sylvie Bourgeois Harel

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Sylvie Bourgeois - Besançon - Inauguration Exa - Pierre Bourgeois

Sylvie Bourgeois - Besançon - Inauguration Exa - Pierre Bourgeois

En fin d’après-midi, j’ai demandé à ma maman la permission d’aller au village avec ma copine Sandrine pour acheter des bonbons. Elle m’a dit oui et de ne pas traîner. Je me suis habillée avec mon short en coton rayé rose et vert qui fait un peu comme une culotte mais qui est quand même un short et mes sandales que ma maman m’a achetées chez Bailly. Elles sont très belles. Quand je les ai essayées, j’avais retenu ma respiration et fait le vœu que ma maman dise oui. Elle m’a juste demandé si j’étais sûre que je n’allais pas me tordre les pieds avec. J’ai dix ans et ce sont mes premières compensées.

 

Quand nous sommes arrivés au Miramar, c’est l’immeuble qui délimite la fin de notre quartier d’été où il n’y a que des maisons de vacances au bord de la mer, un monsieur nous a abordé. Bonjour, je suis un ami de vos papas, il nous a dit. Ah bon ? On lui a répondu sans s’intéresser à lui. Mais il a insisté qu’il connaissait bien nos papas, et nos mamans aussi et il s’est mis entre nous deux. Et comment ils vont vos papas ? Il nous a demandé. Et vos mamans ? Et nous, comme on est polies avec les amis de nos parents, on lui a répondu qu’ils allaient très bien d’autant plus qu’il était grand et un peu terrifiant.

 

Soudain, j’ai senti la main du monsieur dans mon short qui faisait un peu culotte, mais qui était quand même un short. J’ai regardé Sandrine, mais elle était partie à lui raconter sa vie avec ses quatre sœurs. J’ai essayé de l’interrompre, mais elle regardait droit devant elle à continuer de parler en faisant la maligne car c’est le genre de copine à vite faire la maligne. Ca ne m’étonnerait pas d’ailleurs qu’elle ait déjà embrassé un garçon en cachette de ne me l’avoir dit car une année de vacances d’été, on s’adore, et l’année d’après, on se déteste, c’est parce qu’elle est jalouse que je sois fille unique avec mes parents qui sont très beaux. Forcément, elle m’envie, et en même temps, je la comprends, je préfère ma vie à la sienne.

 

Soudain les doigts du copain de mon papa ont caressé mon minou et ont même essayé de rentrer dedans. Quelle drôle d’idée, je me suis dit et je n’ai pas osé lui demander ce qu’il faisait car j’avais peur de me faire gronder par mon papa qui aime que je sois bien élevée. Le monsieur, il avait des ongles mal coupés et qui devaient certainement être sales car j’ai senti une boule remonter dans ma gorge. J’ai même eu mal au cœur et je ne pouvais plus respirer tant j’étais oppressée, quand soudain j’ai pensé je ne sais pas comment à lui demander le prénom de mon papa qu’il connaissait si bien. Il m’a répondu Léon, puis Roger, puis Bernard tout en allant encore plus loin dans mon short et très vite et ça commençait à m’énerver vraiment cette intrusion. Quand j’ai compris qu’il ne connaissait pas mon papa et donc qu’il n’y avait aucune raison qu’il caresse mon minou, j’ai pris la main de Sandrine et je l’ai entraînée à courir très vite avec moi jusqu’à ma maison. Tant pis pour mes bonbons.

 

J’ai couru jusqu’à ma maman et je lui ai tout raconté. Elle a hurlé. Puis elle est allée chercher mon papa et m’a demandé de lui montrer où tout cela s’était passé. On a laissé Sandrine car elle n’avait pas eu les doigts du monsieur dans sa culotte. Faut dire qu’elle est beaucoup moins jolie que moi car elle a du poil sur les fesses et aussi de la moustache parce qu’elle est très brune. Je trouve d’ailleurs que pour une petite fille, c’est plus joli d’être blonde avec les yeux bleus comme moi, la preuve, le monsieur, il ne s’y est pas trompé.

 

Avec mes parents, on est rentré partout dans les immeubles pour chercher le monsieur que ma maman appelle le satyre. Puis quand on est allé dans un bar-tabac pour parler avec le patron, soudain, je l’ai vu passer dans la rue. J’ai essayé de le montrer à mes parents, mais je n’y arrivais pas tellement j’étais sans voix. Finalement, j’ai réussi à tirer la manche de ma maman et elle a compris que c’était lui. Elle lui a aussitôt couru après, suivi de mon papa, puis du patron et aussi de tous les clients qui voulaient savoir ce qu’il se passait. Finalement, ils ont réussi à l’attraper et ma maman lui a posé plein de questions, elle était remontée comme ce n’était pas possible. Après un moment, il s’est avéré que c’était un pauvre garçon qui passait ses vacances tout seul. Un garçon pas très malin d’après ce que j’ai compris. Enfin quand même suffisamment malin pour comprendre qu’un short c’est bien pratique pour y mettre sa main. Ils ont discuté pendant longtemps même qu’à un moment, je me suis dit que j’avais le temps d’aller m’acheter mes bonbons. Mais les gendarmes sont arrivés et on est rentré à la maison.

 

Le soir, j’ai eu le droit de dormir dans le lit de ma maman qui m’a expliqué ce qu’était un satyre et que je ne devais plus jamais forcément croire ce que me disaient les grands et que même si elle m’avait éduqué le respect des adultes, et bien, parfois il y en avait comme ce pauvre garçon qu’il ne fallait pas écouter. Et que dorénavant pour tout simplifier, je ne devais plus jamais parler à qui que ce soit que je ne connaissais pas s’il était âgé que moi. Je lui ai répondu que je pouvais aussi me mettre à détester tous les garçons, comme ça je ne ferais plus jamais de confusion et ce serait encore plus pratique pour mon éducation. Que c’était même la meilleure solution.

 

Ce fut ma plus belle nuit. J’adore dormir avec ma maman. Ca ne m’arrive pas assez souvent. Le satyre, il peut bien revenir, comme ça mon papa, il dormira encore sur le divan.

 

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  • : Sylvie Bourgeois Harel, écrivain, novelliste, scénariste, romancière Extrait de mes romans, nouvelles, articles sur la nature, la mer, mes amis, mes coups de cœur
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