J’aime la langue française pour sa précision et je m’efforce toujours de ne parler que de ce que je connais. Et le viol, je connais. J’ai été violée à 20 ans. Dans une voiture fermée à clef. Un cran d’arrêt sous la gorge. Je me suis débattue mais la lame était là, contre ma peau, bloquant ma respiration, signant ma mort si je bougeais trop. Ce drame a détruit ma féminité. Je n’en ai jamais parlé. J’avais trop honte. Tout était de ma faute. Si je n’avais pas fait de stop. Si je n’avais pas été aussi idiote. Si je ne fuyais pas constamment ma famille. J’étais dans l’incapacité de le raconter. La seule personne à qui j’aurais pu le raconter était ma mère. Mais je ne voulais pas lui imposer ma honte et encore moins ma douleur.
Alors je me suis tue. Pendant 20 ans. Je n’ai commencé à en parler, et qu’à demi-mots pour ne pas réveiller justement cette douleur tapie dans le bas de mon ventre, que dans mon premier roman. Mon écriture a ceci que même lorsque je veux taire des sujets, ils ressortent entre les phrases, comme si les mots tapaient à la porte de mon cerveau en hurlant : et bien si tu ne veux pas parler, nous, on parlera à ta place.
Puis j’ai vécu ma vie. J’ai longtemps fui les hommes qui m’aimaient. J’allais vers ceux qui allaient me détruire encore un peu plus. J’ai donc eu des mauvaises expériences. Et je peux affirmer qu’une mauvaise expérience, ce n’est pas un viol. Une mauvaise expérience, c’est coucher avec un homme juste parce que celui-ci en a envie, parce que l’on croit que ça va être bien, parce que l’on a besoin d’être aimé ou pour des tas d'autres raisons. On en sort évidemment sali, frustré, déçu, triste, dégoûté, effaré, mais ce n’est pas un viol, on peut même avoir envie de le refaire, de revoir la personne, de revenir voulant croire que la deuxième fois sera mieux, fantasmant quelque chose qui n’existe pas, mais ce n’est pas un viol.
Il ne faut pas confondre viol et mauvaise expérience. Et c’est là que la richesse de la précision du vocabulaire de la langue française intervient ou devrait intervenir pour ne pas tomber dans une confusion qui frise l’hystérie, qui incite à l’excès, qui entraîne presque au mensonge afin d’exacerber encore plus l’émotion de l’horreur pour exciter les foules.
Viol et mauvaise expérience expriment des situations radicalement différentes. Le viol est un drame d’une violence inouïe dont l’on ne sort jamais indemne. La mauvaise expérience est certes désagréable mais, si l’on veut être honnête, et c’est primordial d’être honnête vis-à-vis de soi-même, et quelques soient les raisons, on y est allé consciemment, on a accepté, on s’est peut-être fait avoir, mais on y croyait un peu, on en est donc un peu responsable aussi. Ce qui n’excuse pas le comportement des sales types. Mais parfois, on peut être attiré, et pour trois mille raisons, par un sale type. C’est donc à soi-même qu’il faut se poser cette question.
Et qui a dit que la vie était facile, et que les hommes et les femmes étaient des anges ? Qui veut nous faire croire qu’il y aurait une assurance tous risques pour toutes nos relations ?
Pour le respect des victimes de viol, ne confondons jamais viol et mauvaise expérience, ni violeur et sale type ou sale femme, car les femmes aussi peuvent agresser, ce n’est pas l’apanage de l’homme.
Sylvie Bourgeois Harel
POUPÉE. BRÈVES ENFANCES (nouvelle) - Sylvie Bourgeois fait son blog
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