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Georges Wilson - notre rencontre autour d'Eurydice, une pièce de Jean Anouilh

Nous sommes en mai 1989 (ou 88 ou 90, je ne sais plus). Je suis au Festival de Cannes. Je travaille en free-lance dans la communication depuis trois ans. Je suis embauchée par un éditeur de vidéo qui lance sa collection dans laquelle il désire rassembler toutes les Palmes d’Or. Avec Josée qui connaît tout le monde dans le cinéma, nous devons lui organiser des déjeuners au Majestic et quelques montées des marches. C’est ainsi que je rencontre Georges Wilson qui veut absolument me revoir à Paris d’autant que je lui ai confié mes désirs enfouis d’être comédienne, mes cours de théâtre chez Jean-Laurent Cochet, mon amour des textes, de la scène, du jeu.
 
Il m’invite à déjeuner dans un restaurant à deux pas du théâtre de l’œuvre, dans le 9ème, dont il est le directeur artistique. Il me raconte son passé, ses souvenirs, Jean Vilar, le TNP. Commence alors une jolie amitié.
 
Il m’appelle régulièrement, prend souvent de mes nouvelles, me demande de venir le voir au théâtre où il passe ses journées. On rit beaucoup. On s’amuse à rejouer des scènes de "Je ne suis pas rappaport", une pièce américaine que j’avais adorée, dans laquelle avec Jacques Dufilho, ils étaient deux vieux sur un banc à parler de la solitude, de la vieillesse, de la mort.
 
Puis un jour, Georges me confie son projet qui lui tient à cœur depuis longtemps, il désire monter Eurydice, une pièce de Jean Anouilh, mais c’est dur, il ne trouve pas les financements, malgré sa carrière. Il se plaint que les relations ont changé, il va avoir 70 ans, il a l’impression que maintenant c’est place aux jeunes dans le métier.
 
Soudain au cours d’un déjeuner, son visage s’éclaircit, il me propose de jouer Eurydice. Avec mon visage de tanagra, comme il aime me surnommer, je serai parfaite, fine, jolie, fragile, insouciante, profonde, les compliments pleuvent. Il m’offre le texte. Je rentre chez moi, émue, j’appelle ma maman. Je ne dors pas de la nuit. J’ai arrêté les cours de théâtre depuis cinq ans. Je vous expliquerai pourquoi (je ne sais d’ailleurs pas pourquoi, je sais seulement comment j’ai tout arrêté), mais c’est une autre histoire.
 
Avec Georges, nous nous voyons régulièrement, je connais le texte par cœur. Il me parle de la mise en scène qu’il imagine, son fils Lambert sera Orphée, mon amoureux jaloux, et lui, le père. Il assurera la mise en scène. Au théâtre de l’œuvre bien sûr.
 
Néanmoins, Georges est inquiet pour l’argent. Il a l’impression que tout est devenu plus difficile, que son nom ne suffit plus pour monter un projet, qu’on ne lui fait plus confiance. Il a peur d’être fini. Il en souffre. Il a 70 ans. Cinq ans de plus que mon père. Mon père qui d’ailleurs, soudain, arrive dans la conversation, alors que nous rêvons d’Eurydice depuis au moins six mois. Un peu énervé, alors que Georges a toujours été un homme adorable, il me demande quand est-ce que je vais enfin lui présenter mon père qui pourrait certainement nous aider.
- Mon papa, je lui réponds, je te le présente volontiers, il sera ravi de faire ta connaissance, ma maman aussi d’ailleurs, elle était tellement triste que j’arrête le théâtre, mais en quoi peut-il t’aider ?
- En tant que directeur de l’OBC, je pense qu’il peut me trouver des financements.
- L’OBC ?
- Oui, la Banque du Cinéma.
- Ah non, Georges, il y a erreur, mon papa est architecte et habite à Besançon.
- Mais pourquoi Josée m’a-t-elle dit à au festival de Cannes que ton père était le directeur de l’OBC ?
- Je n’en sais rien, moi, tu prends quoi comme dessert ?
 
Ce jour-là, Georges n’a pas pris de dessert. C’était également la dernière fois que je le voyais. Quand je l’appelais au théâtre, on ne me le passait plus. Je suis allée plusieurs fois le voir, mais on me répondait toujours qu’il était occupé. Un peu plus tard, j’ai appris qu’il avait donné le rôle à Sophie Marceau.
 
 
(comme on me l'a souvent demandé, je précise que sur la photo, il s'agit de moi et non de Sophie Marceau...)
 
Sylvie Bourgeois Harel
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Chroniques du monde d'avant par Sylvie Bourgeois Harel - 1

L’autre jour, en entrant chez Apple pour acheter un ordinateur, en voyant tout le service d’ordre à l’entrée, puis le jeune vendeur qui me conseillait de ne pas changer le mien, mais qui m’a demandé au bout de quinze minutes d’aller à l’autre bout du magasin où il me rejoindra pour continuer notre conversation car ils n’ont pas le droit de rester longtemps au même endroit et avec le même client, j’ai réalisé que notre monde s’était vraiment écroulé.
 
Quand exactement, je ne sais pas, peut-être cela s’est fait doucement, subrepticement, mais une chose est sûre, aujourd’hui, je ne pourrais jamais refaire tout ce que j’ai fait lorsque je travaillais en free-lance dans la communication.
 
Plus jamais, par exemple, je ne pourrais faire atterrir les Tortues Ninja sur la plage du Carlton, durant le Festival de Cannes, à l’heure du déjeuner, afin de créer l’événement, et ça en a été un, les télévisions du monde entier ont repris les images de mon cameraman, c’était en mai 1991, sans autorisation bien sûr car je ne les aurais jamais obtenues, mais avec une équipe solide et ultra compétente de champions que ce challenge amusait.
 
En effet, c’était un véritable défi car les costumes, les mêmes qui avaient servi aux comédiens durant le tournage du film, pesaient 70 kilos chacun, et il ne fallait pas rester plus de quinze minutes dedans, tant l’épaisseur du plastique et de la mousse avec lesquels ils étaient fabriqués provoquaient une transpiration si intense que cela nécessitait ensuite plusieurs heures de séchage.
 
Mes parachutistes, des mecs super, ont tout accepté et surtout d'atterrir avec une vision réduite car les têtes des Tortues Ninja, non seulement étaient énormes et lourdes, mais avec des tout petits trous pour les yeux, ils ne voyaient presque rien. Avec leurs amis du Club aéronautique de Cannes-Mandelieu, on a balisé, au dernier moment pour ne pas dévoiler la surprise, un espace sur la plage afin de sécuriser l’atterrissage qui a vraiment créé l’événement.
 
C’était ça Cannes ! Pour promouvoir les films, il fallait être inventif, faire toujours plus, étonner, émouvoir.
 
Et mes Tortues Ninja ont eu un succès fou qui a dépassé les espérances d’UGC-Fox, le distributeur du film. Sur la Croisette où je les ai ensuite promenées assises à l’arrière d’un coupé que Mercedes m’avait prêtée pour la journée (est-ce que l’on peut encore se faire prêter pour une journée un Roadster Mercedes juste pour s’amuser, je ne pense pas...), les gens étaient hystériques, criaient leurs noms, Léonardo, Raphaël, Michelangelo, Donatello, leur demandaient des autographes, et mes parachutistes stoïques tenaient le coup dans leurs costumes, à mourir de chaleur.
 
Puis après une courte pause dans un local que j’avais loué pas loin où un déjeuner leur a été servi, au cours duquel on a essayé de sécher avec des sèche-cheveux l’intérieur des costumes qui étaient trempés, hop, de nouveau dans les costumes encore mouillés qui puaient, hop, dans la Mercedes, cette fois, avec un chauffeur. Grâce à mon amoureux, j'avais réussi à nous faire inscrire dans le cortège officiel et, là, je leur fais monter les marches où les photographes et la foule sont hystériques de voir les Tortues Ninja, à crier de nouveau leurs noms, et mes parachutistes sont toujours parfaits à jouer le jeu sans se plaindre, depuis des heures qui ont largement dépassé les quinze minutes recommandées, dans leurs costumes tellement trempés qu'ils sont devenus deux fois plus lourds, je les tiens d'ailleurs par la main car ils ne voient carrément plus rien, tant leur transpiration coule sur leurs yeux.
 
Le PDG de Columbia avec qui j’étais amie et qui distribuait le film m’engueule en haut des marches où il attend le réalisateur et ses comédiens car mes Tortues Ninja ont volé la vedette de toutes les stars américaines venues soutenir le jeune John Singleton considéré comme le nouveau génie d’Hollywood avec son film BOYZ’N IN THE WOOD, mais le soir lorsque nous dînons tous ensemble chez Tétou, à Golfe Juan, la bouillabaisse la plus chic du Festival (une institution qui n'existe plus non plus, la loi du Littoral l'a tout simplement supprimée... ), il éclate de rire. C’était ça Cannes, une équipe de seigneurs, et bravo à celui qui créait l’événement du jour !
 
Pour en revenir à Apple, un autre exemple de chose que je ne pourrais plus jamais réaliser. Nous sommes en 1994, je travaille pour Sony Software sur les premiers CD-Rom. J’organise à l’hôtel Raphaël une conférence de presse, sauf que Sony n’a pas d’ordinateur à me prêter. Peu importe, je gare ma petite Rover verte en double file devant la belle boutique Apple, avenue Georges V, je mets les warnings, et avec ma mini-jupe et mes bottes, je leur explique ma situation. Dix minutes plus tard, je sors avec trois Mac prêtés avec juste ma signature et le nom de Sony griffonnés sur un bout de papier, que les vendeurs m’installent dans ma voiture pendant que j’invite le directeur du magasin et son équipe à mon petit-déjeuner de presse. Le lendemain, j'ai ramené les trois Mac que je leur ai empruntés pendant un an, chaque fois que Sony sortait un nouveau CD-Rom, comme par exemple, les fiches-cuisine en partenariat avec Elle, je refaisais une conférence au Raphaël et j'avais besoin d'ordis.
 
Est-ce moi qui avais une capacité de persuasion ou est-ce que les rapports humains étaient plus simples, et surtout basés sur une confiance, une compétence, une assurance, un amour du travail bien fait ?
 
Quoi qu’il en soit, quand je vois qu’on ne peut plus entrer nulle part sans se faire fouiller son sac ou que des gens ont peur dès que quelqu’un tousse dans un train, je suis contente d’avoir fait le choix de quitter Paris que j’aime pourtant follement pour venir vivre dans le Sud, près de la nature, au bord de la Méditerranée.
 
Sylvie Bourgeois Harel
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Mon papa, je le vois une heure par an, quand il va au Festival de Cannes pour s’occuper de stars de cinéma, je le retrouve dans un jardin public, celui qui est derrière l’hôtel Negresco et pendant ce temps, ma grand-mère m’attend. Pas longtemps. Je le vois aussi parfois en photo dans Paris-Match, mais jamais en entier, en général je ne vois que le bout de son nez comme s’il avait fait des acrobaties pour se retrouver à tout prix sur la photo alors qu’on voit bien que le sujet ce n’est pas lui, mais plutôt une actrice ou même un comédien. Ma grand-mère qui me fait office de papa et aussi de maman m’a expliqué que dans le cinéma, l’amour n’existe pas et que les gens, ils sont souvent obligés de faire des pieds et des mains pour avoir leur place sur la photo car c’est un métier qui les rend fous, à force de trop fréquenter des vedettes, ça les fait croire important. Alors que dans leur vraie vie, ils deviennent très vite tristes dès qu’ils ne sentent plus briller sur eux la lumière des célébrités, et après ils ne font qu’embêter leur famille à leur reprocher de ne pas être connues pour que leurs journées, elles soient plus rigolotes. C’est pour ça que mon papa, il ne m’aime pas. Parce que je ne suis qu’un petit garçon de huit ans, et il ne trouve pas ça très marrant. Il préférerait certainement que je sois un grand artiste de music-hall surdoué pour mon jeune âge à jouer déjà des claquettes, comme ça il serait fier de me promener partout dans les boutiques où les gens me demanderaient des autographes. Mais comme ma vie, c’est plutôt de jouer avec mon cousin et ma cousine, ça l’ennuie.

 

Avec ma grand-mère de toute façon, on s’en fiche complètement d’être deux abandonnés, elle, c’est son mari qui est parti, et même qu’on est très content que ceux qui sont censés nous aimer soit par monts et par vaux, comme ça on n’a que nous deux à s’occuper. Et on s’occupe très bien de nous. Ma grand-mère, je l’aime beaucoup. Je l’adore même. C’est une grand-mère enfant, dans le sens qu’elle rit tout le temps. C’est comme si elle avait mon âge, sauf qu’elle a le droit d’aller toute seule en ville, alors que moi, pas encore. Mais elle m’emmène souvent avec elle, et elle est très fière de me tenir par la main. C’est bien simple, elle dit à tous les commerçants que je suis le plus joli petit garçon de Nice. Ma grand-mère, c’est la maman de ma maman et ma maman, je ne la vois pas souvent non plus car elle était trop jeune quand je suis né pour porter ma responsabilité. Mais là maintenant c’est bien car elle a trouvé un nouveau mari et même qu’à la fin de la semaine je vais prendre le train pour aller la retrouver et vivre avec elle à Montpellier. Au téléphone, elle m’a dit mon chéri, on va enfin habiter ensemble. Et ça m’a fait très plaisir presque à en pleurer, mais je me suis retenu, je ne voulais pas montrer que j’étais content à ma grand-mère qui sera bientôt triste de ne plus pouvoir me faire à manger ou m’acheter des beaux habits. Car ma grand-mère souvent je l’ai entendu dire à ses copines en cachette sans savoir que j’étais là, que c’était pitié pour un petit d’être sans ses parents, mais qu’en même temps j’étais pour elle un cadeau des dieux tellement c’était merveilleux de pouvoir s’occuper d’un enfant quand on a soixante ans et suffisamment d’argent.

 

Il a été décidé que je prendrai le train avec ma tante mimi qui doit rendre visite à ses filles qui habitent aussi près de Montpellier, mais un peu plus loin sur la voie ferrée. Je me suis dit qu’il y avait certainement dans cette région un nid de maris pour les filles de notre famille, sinon je ne vois pas la raison.

 

Quand on est arrivé, ma maman m’attendait sur le quai de la gare et j’ai couru très vite pour me jeter dans ses bras et la serrer fort contre mon cœur, car même si je ne la vois pas souvent, c’est quand même ma maman et je l’aime. Je crois. Après elle m’a amené dans sa nouvelle maison et elle m’a présenté Roger qui allait être mon futur beau-papa, il a dit comme ça. Puis on a déjeuné, c’était bon, mais j’ai quand même demandé à téléphoner à ma grand-mère qui devait se faire du souci de me savoir pas en face d’elle comme tous les midis depuis que je suis né. Je l’ai sentie faire exprès d’être gaie, mais j’ai entendu des sanglots qu’elle cachait dans sa voix, alors je lui ai dit de ne pas s’inquiéter, que c’était juste la normalité qui s’installait entre nous, qu’un petit garçon, ça devait vivre avec sa maman, surtout quand il était encore un enfant, mais que promis, je viendrai la voir souvent et qu’elle pourrait aussi venir dormir ici, la maison semblait suffisamment grande, même si je n’avais pas encore vu ma chambre, ni accrocher mes habits dans un placard ainsi qu’elle me l’avait appris.

 

Puis ma maman m’a accompagné dans un jardin public pour me promener, je crois, je ne sais pas, je n’ai pas osé lui demander. Il n’y a pas encore entre nous la même intimité qu’avec ma grand-mère où l’on se dit tout et même des fois des grosses bêtises juste pour nous faire rire. Et après ma grand-mère, elle devient toute rouge et elle m’embrasse en me serrant fort contre son cœur que je suis si gentil.

 

Quand on est rentré, Roger nous a demandé de nous dépêcher, la route était longue quand même avant d’arriver. Ma maman ne m’a pas regardé quand je lui ai posé la question de notre destination, elle a juste dit à Roger de prendre alors le bagage du petit, ce à quoi, il a répondu qu’il était déjà dans le coffre de la voiture et qu’il n’attendait que nous. Puis il m’a souri. C’était la première fois de la journée. Vous me ramenez chez grand-mère ? J’ai dit ? On part déjà en vacances ? Super ! Où ? Aux Etats-Unis ? Mais ils n’ont pas ri, et je me suis allé m’asseoir à l’arrière de leur Renault, et ma maman devant, mais pas au volant. Pendant le trajet, j’ai regardé le paysage qui s’avançait dans la campagne, surtout des vignes, partout. Puis on a tourné après un village dans un grand parc où au bout, il y avait comme le château de La Belle au bois dormant que je ne lis pas vraiment car c’est plus un livre pour les filles, mais que j’aimais bien quand même quand ma grand-mère me le lisait au lit quand j’étais encore petit.

 

On s’est garé et j’ai vu plein d’enfants qui ont couru pour venir me regarder comme si j’étais le pape que l’on ne voit jamais si ce n’est à la télévision. C’est quoi ? On est où ? J’ai demandé, mais encore une fois, je n’ai eu que leur silence comme réponse. J’ai essayé de m’énerver et de faire un de mes caprices qui fonctionne si bien avec ma grand-mère, mais ma maman m’a saisi la main qu’elle avait bien froide soudain et on a monté un grand escalier de pierres, pendant que Roger sortait ma valise. J’ai eu envie de pleurer, je vivais les mêmes images que j’avais déjà vues dans un vieux film au cinéma. Mais je n’en ai pas eu le temps car un monsieur est arrivé et m’a fixé droit dans les yeux en me souhaitant bienvenue dans son pensionnat. Ma vie s’est écroulée.

 

On est entré dans un bureau, puis ma maman m’a embrassé et Roger m’a serré l’épaule en me disant que j’allais me faire plein de camarades ici. J’ai failli lui répondre que des amis, ce n’était pas ce qui me manquait à Nice, j’avais Benoît, Anatole et Charles, je n’avais donc pas besoin des siens de sa région qui sent trop le vin, mais j’ai préféré l’ignorer. C’était mieux ainsi. Je venais surtout de comprendre que pour lui, je n’étais rien d’autre qu’une vieille chaussette qu’on peut abandonner n’importe où, histoire de pouvoir continuer d’embrasser ma maman à sa guise et même de lui glisser une main entre les jambes comme pendant le repas comme s’il croyait que je n’avais rien remarqué.

 

Et ma maman qui ne me parlait pas. Je me suis dit que finalement, une maman, ça ne servait à rien, à part de pouvoir souvent rêver à elle et d’imaginer combien ce serait bien si elle me coiffait les cheveux chaque matin avant que j’aille à l’école, en me déposant un baiser sur le front. Je suis un idiot, j’ai ajouté, car chaque fois que je pleure, c’est toujours ma maman que j’appelle dans mes sanglots en croyant qu’elle seule peut me sauver. Autant appeler le bon Dieu, je me suis dit. Le bon Dieu, il a fallu le prier quand nous sommes passés à table. C’était dégoûtant leur nourriture.

 

Quand je me suis couché sur mon lit en fer, rangé aligné, dans ce long dortoir qui allait dorénavant me faire office de maison, j’ai eu peur. Peur que ma vie, ça veut dire à présent être tout seul. J’ai eu peur aussi que ma grand-mère meurt sans que j’aie le temps de lui dire combien elle me manque déjà. C’est la première fois que j’ai pensé à ça, même si je me moquais souvent de son grand âge, je n’avais jamais imaginé qu’elle puisse un jour mourir pour de vrai, pour toujours. Ca m’a fait froid. Froid à en crier. Froid à vouloir me réfugier dans l’odeur de ses baisers un peu fanés. Froid à ne pas oser regarder les ombres flotter devant mes yeux. C’étaient les garçons de l’institution, ceux qui ont déjà l’habitude de vivre dans le noir de la nuit à se promener partout entre les lits sans que le surveillant ne les entende. Ils étaient venus m’embêter parce que je suis le dernier arrivé. Le petit nouveau. Ils n’ont pas arrêté de me chahuter, mais leurs pincements et leurs moqueries, ce n’était rien comparé aux fantômes et aux démons qui dansaient dans ma tête. Du coup, ils se sont lassés de mon immobilité et ils sont repartis se coucher. Et je me suis retrouvé enfin seul dans mon chagrin. Moi qui ai toujours cru que je descendais d’un cavalier noir sans peur et sans reproche, je me suis mis à trembler et j’ai regretté d’être né d’un papa dans le cinéma et d’une maman trop jeune.

 

Soudain, je me suis réveillé. Je me suis réveillé car j’étais mouillé. J’étais mouillé et ça sentait mauvais. Bouah ! Très mauvais même. J’ai soulevé mon drap. Et là, j’ai compris que j’étais encore trop petit pour affronter ma nouvelle réalité. Tout était parti. Tout. C’était dégoutant. J’avais tout évacué, ma douleur, ma colère, ma peur, mes regrets, ma mère, mon père, ils étaient tous sortis de mon univers. Pourtant j’avais toujours été un petit garçon bien propre. Alors je me suis levé, j’ai retiré mes draps et je suis allé les laver car je voulais que personne ne connaisse mon intimité si martyrisée. J’étais mouillé et sale, et j’ai eu honte. Terriblement honte. Honte d’aimer autant ma maman.

HENRI, une nouvelle de Sylvie Bourgeois. BRÈVES ENFANCES - Festival de Cannes
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Sophie à Ramatuelle... ou... en route vers la révolution paysanne...
Sophie à Ramatuelle... ou... en route vers la révolution paysanne...
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1990. Mon premier Festival de Cannes  

Je suis amoureuse de Sylvain depuis deux mois.

Il veut bien me voir de temps en temps, mais pas pendant le Festival de Cannes. Je pars donc me faire consoler chez ma mère. À Monaco. Du coup, je vais faire un tour à Cannes, et fais une entrée remarquée dans le bureau de Sylvain au Carlton, lunettes noires, foulard assorti à mon rouge à lèvres, talons de dix. Je ne sais pas si c’est à cause du playboy bronzé en Porsche qui m’accompagne, mais Sylvain devient subitement très disponible, et me propose de rester dormir avec lui.

J’ai gagné son cœur et des places au balcon.

 

Mon deuxième festival

Je dis à Sylvain que je ne veux plus jamais de places au balcon, mais en bas près des stars. Sylvain râle, mais comme maintenant il m’aime, il m’installe entre Madonna et Naomi.

 

Mon troisième

Je veux moi aussi faire comme tout le monde, être pressée, courir, avoir l’air débordé. J’organise un atterrissage en parachute des tortues Ninja sur la plage du Carlton. Je les promène aussi sur la croisette en roadster Mercedes framboise et leur fais monter les marches du film Boyz’n the Hood pour voler la vedette aux stars blacks venus de LA soutenir John Singleton. Le distributeur du film est furieux, Sylvain aussi. Je m’en fous, j’ai obtenu la Une du journal télé.

 

Mon quatrième

Je ne veux plus travailler à Cannes, je préfère m’amuser.

Sylvain a maintenant cinq talkie, trois portables et cent passes autour du cou.

Je l’appelle toutes les cinq minutes.

 

- Nathalie voudrait une invit, Séverine aussi, et Mélanie, cinq. Tu me les déposes à l’hôtel ? Tu nous envoies aussi une limousine pour aller au ciné ? C’est leur première fois, ça les fera marrer.

- Tu crois que je n’ai que ça à faire Sophie ? Je suis avec Stallone sur le toit d’une voiture, ce con a voulu se promener sur la croisette, on a été assailli par la foule.  

- Bon quand tu auras fini de faire le cacou, tu m’apporteras aussi des tee-shirts et des casquettes Cliffhanger pour mon plagiste du Gray d’Albion ? 

 

Mon cinquième

Je suis dans une Mercedes assise à côté d’un Américain et de son épouse. Je décide de mener la conversation.

 

- Hi ! I’m Sophie. You are family of Bruce ?

- No.

- You work with him ?

- No.

- What are you doing in this car so ?

- We want to go to restaurant Colombe d’Or. 

 

Sylvain et ses gardes du corps ont été si pressés de faire sortir Bruce Willis de l’hôtel du Cap qu’ils ont embarqué dans le cortège officiel ce couple de retraités endiamantés qui attendaient sagement leur taxi pour aller dîner à Saint-Paul de Vence.

 

Mon sixième

Cheveux au vent, sur un yacht avec Sylvain, Sharon Stone, et une nuée d’Américains.

 

- You are family of Sharon ? me demande un big Jim.

- No.

- You work with her ?

- No.

- What are you doing on this boat so ?

- I just want you to drop me at Palm Beach.

 

Mon septième 

Le star system a tellement déteint sur moi que je me suis foulée le bras en dormant. Avec mon plâtre, il suffit que je raconte mon anecdote pour déclencher l’hilarité. Un producteur hollywoodien adore pitcher ce qu’il m’est arrivé, ah ah ah she brokes her arm while sleeping ah ah ah ! Il veut même en faire un film !

 

Mon huitième

- Allo, monsieur le directeur de l’hôtel Gray d’Albion, je vous explique, d’ici une heure, je vais vous appeler pour vous commander un petit-déjeuner, ce sera en fait un code pour que vous appeliez les pompiers, je les ai déjà prévenus, ils attendent votre coup de téléphone pour venir chercher un ami qui a une crise de bouffées délirantes.

- Dans mon hôtel ?

- N’ayez pas peur, monsieur, il n’est pas dangereux, il adore seulement le cinéma. 

 

Deux heures plus tard, mon copain qui se prend pour le fils de John Lennon entouré de ses gardes du corps, exige qu’on le fasse sortir par la grande porte de l’hôtel.

 

- Ça ne va pas se passer comme ça, je vais me plaindre à Sophie, elle dirige le Festival de Cannes. 

 

Mon neuvième                      

- C’est qui monsieur Poulet ?

- Un ami de Sophie, certainement un producteur important, répond Sylvain à son assistante. 

- Je le mets au carré cinéma ?

- Ben oui. 

 

C’est ainsi que mon vendeur de poulets fermiers s’est retrouvé assis à côté d’Emmanuelle Béart et d’Harvey Keitel. L’été d’avant, ayant adoré ma casquette Men in Black, il m’avait dit que son rêve serait de monter les marches du Festival. Depuis, il s’est lancé dans l’organisation de soirées à Saint-Tropez.


Mon dixième

Allongée sur un matelas de la plage du Carlton, j’explique à une amie qui veut devenir comédienne le lexique codé de Cannes.

 

QUAND QUELQU’UN TE DIT :

Tu es descendu où ?

EN VRAI, ÇA VEUT DIRE : 

Dis-moi où tu en es dans ton ascension sociale ?

Tu es venue toute seule ? :

Je te sauterai bien.

J’ai un projet qui pourrait t’intéresser :

Idem précédent.

Tu as la carte pour la boîte d’Albane ? :

Je veux savoir si tu es  has been ou pas ?

Tu as des places pour le film de ce soir ? :

Tu en as une pour moi ?

Tu as des places en bas ou au balcon ? :

Fais-tu partie des gens qui comptent ?

Tu as une invit pour la soirée Canal ? :

Est-ce que je peux te coller ?

Tu as une invit pour le dîner de Martin Scorcese ? :

N’oublie pas que je suis ton pote… mais que je t’oublierai une fois assis à table.

Il faut absolument que l’on se voie :

Je cherche du travail, je suis désespéré.

On s’appelle à Paris ? :

Lâche-moi ! De toute façon, je ne t’appellerai jamais, je n’ai pas ton numéro de téléphone.

Tu es arrivé quand ? :

Décidément, depuis dix ans que l’on se connaît, on a vraiment rien à se dire.

Tu es dans un appartement ?

Je peux te squatter ?

Tu es au Carlton ? :

Qui a pu l’inviter ?

Tu es à l’hôtel du Cap ? :

Merde, il a fait une meilleure année que moi.

Tu vas où ? :

Tu m’invites à déjeuner ?

Tu as des projets en ce moment ? :

J’essaye de te mettre mal à l’aise, car moi aussi je galère.

Tu restes tout le festival ? :

Merde, il est plus riche que moi ou bien il doit chercher du boulot.


Mon onzième

J’ai quitté Sylvain, mais on continue de se voir.

Un ami producteur m’invite trois jours pour un projet de boulot. En arrivant à Cannes, je m’aperçois que c’est dans sa chambre. Je deviens folle.

 

- Connard, je m’en fous, je reste, je vais faire mettre deux lits, et tu vas souffrir. Ah oui, et puis même si tu ne me sautes pas, tu as intérêt à m’emmener déjeuner et dîner partout avec toi. 

 

Le dernier soir, je dîne avec Sylvain qui ne digère pas.

 

Mon douzième

A force de se voir tous les jours, Sylvain et moi, sommes de nouveau ensemble. A Cannes, il s’occupe si bien de moi que Nicole Kidman a fini par se plaindre. 

 
Mon treizième   

Sylvain et moi, c’est vraiment fini.  Depuis que j’ai monté ma société de production, il n’a pas supporté d’être devenu mon assistant.

            

 

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... — Je vais te raconter le lexique codé du festival de Cannes dit une invitée à Sophie, par exemple, quand quelqu’un te dit, tu es descendu où ? En fait, ça veut dire, dis-moi où tu en es dans ton ascension sociale ? S’il te demande si tu es venue toute seule ? Ça veut dire, je te sauterais bien. J’ai un projet qui pourrait t’intéresser. Pareil. Tu as la carte de la boîte d’Albane ? Je veux savoir si tu es has been ou pas. Tu as des places pour le film de ce soir ? Tu en as une pour moi ? Tu as des places en bas ou au balcon ? Fais-tu partie des gens qui comptent ? Tu as une invit pour la soirée Canal ? Est-ce que je peux te coller ? Tu as une invit pour le film de Scorcese ? N’oublie pas que je suis ton pote... mais que je t’oublierai une fois assis à table. Il faut absolument que l’on se voie. Je cherche du travail, je suis désespéré. On s’appelle à Paris ? Lâche-moi, je ne t’appellerai jamais, de toute façon je n’ai pas ton numéro de téléphone. Tu es arrivé quand? Décidément, depuis dix ans que l’on se connaît, on a vraiment rien à se dire. Tu es dans un appartement ? Je peux te squatter ? Tu es au Carlton ? Qui a pu l’inviter ? Tu es à l’Hôtel du Cap ? Merde, il a fait une meilleure année que moi. Tu vas où ? Tu m’invites à déjeuner ? Tu as des projets en ce moment ? J’essaye de te mettre mal à l’aise car moi aussi je galère. Tu restes tout le festival ? Zut, il est plus riche que moi, ou bien il doit chercher du boulot....

4ème de couverture
Sophie à Cannes - Flammarion - Sylvie Bourgeois

 

À la suite d’une rupture amoureuse, Sophie, quarante ans, se retrouve « malgré elle » coincée à Cannes pendant le festival sans connaître les usages et coutumes du milieu du cinéma qui fascine tant son amie Géraldine.

 

Son sens de la répartie et sa débrouillardise lui suffiront-ils à éviter les nombreux obstacles et déconvenues qu’une jolie fille livrée à elle-même et un peu perdue ne manque pas de rencontrer dans ce type de manifestations ?

 

Dans un style alerte et plein d’humour, Sylvie Bourgeois nous fait pénétrer avec fantaisie et justesse dans les coulisses du plus grand festival de cinéma du monde.

 

Scénariste, novelliste et romancière, Sylvie Bourgeois signe ici son quatrième livre qui est le premier volume d’une série dans laquelle nous retrouverons Sophie, surprenante quadragénaire bien dans s appeau qui aime par-dessus sa liberté.

 

PREMIER CHAPITRE

 

 

Une dernière bougie et voilà c’est parfait ! Sophie a toujours aimé poser des bougies un peu partout. Même si Sylvain lui a expliqué cent fois que c’était mauvais pour la santé - les aromatisées dégageaient des molécules cycliques style benzène qui étaient neurotoxiques - elle adore en allumer avant de passer à table, les Diptyques surtout, Opopanax et Ambre sont ses parfums préférés. Elle jette un dernier coup d’œil pour vérifier s’il ne manque rien, puis s’affale sur le canapé et rit de s’intéresser autant aux détails de sa maison. C’est bien simple, pour Sophie chaque repas doit ressembler à une fête et tous les matins, elle est heureuse de se réveiller auprès de François, de lui préparer son petit-déjeuner et, quand il part travailler, de l’embrasser et lui souhaiter une bonne journée.

 

Elle est contente d’avoir du temps. C’est son luxe. Hier encore lors d’un dîner, elle a adoré dire à son voisin qu’elle ne faisait rien. En général, les opportunistes lui tournent immédiatement le dos, là, ce capitaine d’industrie lui a demandé avec un air coquin ce qu’elle faisait alors.

- Je lis, je tricote, j’écoute du Zucchero, je fais du vélo, je téléphone beaucoup aussi.

- Vous avez donc le temps de déjeuner avec moi ?

- Si c’est dans l’idée de me sauter, non.

- Vous êtes très sûre de vous.

- Je vis avec François, vous savez votre ami, au bout de la table, le joli garçon qui a une barbe de trois jours.

- Pourtant il ne vous a pas épousée.

- Vous cherchez déjà la bagarre ? Dommage, on commençait à s’amuser.

 

   Néanmoins, il s’est débrouillé pour lui laisser ses coordonnées.

 

- On ne sait jamais ce que la vie nous réserve. Faites comme moi Sophie, vivez ! Vivez à cent à l’heure !

- Je n’ai pas votre aptitude.

- On se ressemble pourtant.

- Je suis le contraire d’une aventurière, j’adore le quotidien, je suis même la reine du quotidien. Faire tous les jours la même chose m’excite.

- Vos yeux disent le contraire.

- C’est ce que vous avez envie d’y voir.

- Je ne me trompe jamais.

- Au revoir Paul sinon nous allons déraper et je ne veux pas me retrouver sous votre couette.

- Et dessus ?

- Pfut ! 

- Vous devez être belle nue.

- Vous ne lâchez jamais ?

- Si, le jour où je vous embrasserai. On est de la même race.

 

Sophie jette pensive la carte de visite de Paul Young dans le tiroir de son bureau où elle accumule ses papiers administratifs qu’elle ne range qu’une fois par mois. De toute façon, à part sa mutuelle, le relevé de son compte à la Banque Postale et sa facture mensuelle d’Orange, elle n’est pas envahie par la paperasserie. Depuis qu’elle n’a plus de revenus, c’est François qui gère les finances de la maison. Elle lui a souvent proposé de s’occuper des factures, mais il a toujours refusé. Il aime tout contrôler, pas par radinerie - il est généreux, lui a donné une carte bleue et ne pose jamais la moindre question sur ses dépenses - mais peut-être à cause d’un vieux machisme primaire qui lui dicte que c’est à l’homme de rédiger les chèques et à la femme de faire à manger.

Sophie se met soudain à penser qu’elle a oublié sa tarte aux poires dans le four. Elle se précipite dans la cuisine au moment où la porte d’entrée s’ouvre sur François.

 

- Bonsoir mon chéri.

- Il faut que je te parle.

- Oui, oui, j’arrive.

- Assieds-toi, c’est important. 

- Attends mon amour, j’éteins le four avant.

- On s’en fout de ton four. 

- Mais j’ai fait ma tarte que tu adores.

- Tu m’emmerdes avec ta bouffe, je t’ai déjà dit mille fois que je veux maigrir.

- Tu as fait faillite ?

- Je ne vois pas le rapport.

- Ça justifierait que tu sois aussi désagréable.

- Toi et moi, c’est fini.

- Pfut, n’importe quoi !

 

François ouvre la porte-fenêtre donnant sur un balcon suffisamment grand pour accueillir une table et deux chaises, et allume une cigarette.

 

- Tu fumes maintenant ?

- Oui, à cause de toi.

- Tu ne vas vraiment pas bien.

- Tu ne veux donc pas m’écouter ? 

 

François n’a pas le temps de terminer sa phrase que Sophie est dans la cuisine à sortir sa tarte du four avant qu’elle ne brûle. Elle en profite pour mélanger la ratatouille qui cuit à feu doux, puis introduit dans sa machine à découper les spaghettis la boule de pâte qui attendait sur le plan de travail en granit noir. Elle remplit une grande casserole d’eau qu’elle sale et met à chauffer sur sa cuisinière à induction. Toute à son affaire, elle ne remarque pas François entrer et se positionner les bras croisés derrière elle. Excédé, il hurle.

 

- Sophie !

- Ouh ! Idiot, tu m’as fait peur.

- Tu es trop conne, je te dis que je te quitte et ta seule réaction est de retourner dans ta putain de cuisine pour faire des nouilles.

- On ne dit que des bêtises quand on a le ventre vide. Va te laver les mains, ça sera prêt dans cinq minutes.

- J’ai rencontré quelqu’un.

- Ma mère m’a appris à ne jamais aborder de sujets délicats avec un homme avant de passer à table.

- Tu es folle ma pauvre fille.

- Un mec qui a faim est insupportable, voire irritable. Une fois nourri, il s’adoucit et tu peux tout obtenir.

- N’importe quoi.

- Pousse-toi, tu me gênes pour ouvrir le placard.

- D’accord, j’ai compris, tu joues à celle qui ne veut rien entendre, c’est bon, je sors, je vais manger dehors. 

 

François n’a pas le temps de faire un pas que Sophie lui barre le passage et lui montre du doigt la salle à manger.

 

- Ce n’est pas parce que tu es fils unique que ça te donne le droit de me faire chier, tu vas t’asseoir, tu bouffes et ensuite on parle.

- Je pensais que tu allais t’effondrer en larmes.

- Tais-toi. 

 

Interloqué, François prend place autour de la grande table Knoll en marbre blanc veiné de marron et ouvre la bouteille de Chasse-Spleen. Par habitude, il met la serviette de papier posée à côté de son assiette sur ses genoux quand son téléphone portable annonce l’arrivée d’un texto, il le mate immédiatement. « Courage mon amour, sois fort, je sais que ce n’est pas facile, mais ce que tu vas faire ce soir, souviens-toi que tu le fais pour le NOUS que nous allons construire. Je t’aime et t’embrasse partout. Irina. »

Sophie est plantée devant lui.

 

- Alors, on en est là ?

- Je vais t’expliquer Sophie.

- Laisse tomber.

- Tu ne veux pas savoir ?

- Il me semble que tu as tout dit.

- Tu es exaspérante de faire la fière.

- Je réfléchis à mon avenir.

- Je te laisse l’appartement trois mois, ça te donnera le temps de trouver autre chose.

- Et sans fiches de paye, je fais comment ?

- Avoue que tu es déconcertante, tu ne dis pas un mot sur tes sentiments.

- Tu n’y as plus droit.

- Tu m’énerves d’avoir réponse à tout.

- Laisse-moi au moins ça. Tu veux partir ? Pars. Je pleurerai quand je serai seule, je peux ?

- Sophie.

- J’aimerais aussi que tu me laisses un peu d’argent, tu sais très bien que je n’en ai pas.

- En ce moment, je ne peux pas, j’ai trop de frais.

- Évidemment, un nouvel amour, ça coûte cher ! Laisse tomber, je me débrouillerai, merci pour l’appartement. Tu t’en vas quand ?

- Je pensais demain ?

- Je préfèrerais ce soir.

- Il me faut du temps pour préparer mes affaires.

- Fais comme tu veux, après tout, tu es chez toi.

- Je suis désolé.

- Tu crois vraiment ce que tu dis ?

- On était dans la routine toi et moi, tu te doutais bien que ça ne pouvait pas durer.

- Alors tes grands discours sur notre amour qui allait durer toujours, c’était du vent ? J’aurais dû me méfier de tes beaux mots. En même temps, je ne les regrette pas, ils me rendaient belle et heureuse. J’ai juste été pomme d’y croire.

- Avec tes qualités et tes relations, je ne m’inquiète pas pour toi, tu vas vite te trouver un job. Tu as toujours su te débrouiller, c’est ce qui me plaisait en toi.

- Bien sûr mon chéri ! Pourquoi alors m’as-tu demandé d’arrêter de travailler ?

- Tu n’étais pas obligée d’accepter.

- Avoue que tu as su être convaincant quand tu me disais qu’il était hors de question que tu deales l’accès à ton bonheur avec mon patron, tu voulais que je sois disponible pour t’accompagner dans tous tes déplacements professionnels, tu te souviens ?

- Non.

- Et quand tu m’as confié que ça ne te plaisait pas de vivre avec une femme qui gagnait en un mois ce que tu pouvais dépenser en une soirée, tu ne t’en souviens pas non plus ?

- Tu ne vas quand même pas me reprocher tes choix ?

- Je rêve !

- Si tu regrettes, tant pis pour toi. Tu n’avais qu’à écouter tes désirs, pas les miens. On se serait arrangé. Tu aurais pris des congés sans solde. Tu serais partie moins souvent. De toute façon c’est du passé. On ne peut pas le changer.

- T’es un bel enfoiré de me dire ça. Sylvain a toujours pensé que tu étais limite question honnêteté.

- Parce que tu lui racontais notre vie ? Retourne chez lui, je suis sûr qu’il sera content de te récupérer.

- Laisse-moi s’il te plaît décider seule de ma vie. 

- Ce que je dis, c’est pour toi. Je te souhaite d’être heureuse. Vraiment.

- Pauvre con ! 

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