Chroniques du monde d'avant - 5 - L'Élysée, Jacques Lanzmann
Nous sommes en 1991.
— Je veux faire un livre sur l’Élysée, me dit Jacques Lanzmann, dont j’étais l’agent. Je désire raconter la vie des employés, des conseillers, des femmes de ménage, rien de politique, que du quotidien. Vois comment tu peux mettre cela en place. Appelle Jack Lang, il me connaît.
Un mois plus tard, la réponse du ministre de la Culture tombe, il trouve l’idée excellente d’autant qu’il admire le talent de Jacques, celui de l’écrivain mais aussi celui du parolier de Jacques Dutronc, Il est 5 heures, Paris s’éveille, fait d’ailleurs partie de ses chansons préférées.
La semaine d’après, je reçois un laisser-passer pour six mois durant lesquels je peux aller où je veux au Palais de l’Élysée. Mon rôle est d’organiser les interviews et les prises de vue, et de sélectionner ce qui pourrait être intéressant pour Jacques à raconter. J’adore. On me fait tout visiter. Et aussi, à titre tout à fait exceptionnel, les appartements privés de François Mitterrand, alors président de la République, décorés par Paulin. J’assiste aussi à une remise de Légion d’Honneur au cour de laquelle Mitterrand m’épate de connaître par coeur le discours pour les trente médaillés.
Me rendre régulièrement à l’Élysée est très joyeux d’autant que ma spontanéité et mes mini-jupes (ma maman me disait toujours que les shorts et les mini-jupes, c’était ce qui m’allait le mieux), sont très appréciées. En effet, de nombreux conseillers de François Mitterrand m’invitent à déjeuner dans les salons privés, c’est très beau et très doré. Le premier, pour m’épater, m’avait commandé un repas entièrement à base de truffes, je déteste les truffes, je n’avais rien mangé. Le chef Joël Normand me concocte des repas dans la cuisine, c’est très bon et impressionnant de voir notre table dressée pour deux devant son équipe qui ne parle que pour crier : Oui chef ! Le photographe attitré de l’Élysée me trouve très photogénique et veut absolument m’emmener en voyage officiel dans les avions du Glam, je refuse bien évidemment. Il désire également me présenter des amis afin que je devienne comédienne. Je refuse aussi. Alors que j’ai longtemps désiré être comédienne. Mais je ne voyais pas trop le rapport entre l’Élysée et le cinéma.
Quand le livre sort, l’éditeur me demande d’en faire la promotion. Je propose à Michel Drucker de monter une émission spéciale autour du livre. Il accepte aussitôt. En plus de Lanzmann, il aimerait également inviter Hubert Védrine, alors secrétaire général de la présidence de la République, mais celui-ci refuse de participer à une émission de variétés. Je prends rendez-vous et j’arrive à le convaincre. Trois jours avant le tournage, l’assistant de Drucker me téléphone pour me promettre qu’ils mettront bien en avant le livre, mais qu’ils ont trop d’invités, bref que Jacques Lanzmann n’est plus convié.
J’appelle Jacques pour le lui annoncer. Il se met à pleureur que plus personne ne l’aime, qu’il est blacklisté, qu’il est fini depuis que Dutronc l’a trahi après l’avoir convoqué un soir à minuit dans son studio pendant qu’il interprétait avec plaisir une chanson de son nouveau parolier. Jacques avait souffert pire que si sa femme l’avait fait venir dans un hôtel pendant qu’elle était en train de faire l’amour avec son amant. J’ai eu beau lui soutenir que cela n’avait rien à voir, qu’il était dans une confusion totale, il a continué de pleurer.
Comme je ne peux pas entendre un ami de 64 ans pleurer, ni une, ni deux, je téléphone à Hubert Védrine et lui demande s’il serait d’accord que j’annule sa présence chez Drucker.
— Tout ce que vous voulez Sylvie, me répond Védrine.
Puis je téléphone à l’assistant de Drucker pour décommander Védrine. Dix minutes plus tard, Drucker m’appelle.
— Vous ne pouvez pas me faire ça, Sylvie, s’il-vous-plaît, téléphonez à Hubert Védrine, il ne veut parler qu’à vous.
— Non, je lui réponds en mordant dans ma tartine beurrée pleine de miel, à 17 heures, où que je sois, je bois un goûter chocolat chaud avec des tartines. Puisque vous avez humilié mon Jacques Lanzmann si gentil, je suis obligée de vous punir, vous n’aurez pas Védrine qui n’avait accepté que pour me faire plaisir.
Au bout du fil, Drucker ne comprend pas. À sa décharge, il n’avait jamais vu mes mini-jupes qui, avec du recul, avaient, je pense, leur taux d’influence dans certaines prises de décision totalement irrationnelles de la part de mes interlocuteurs.
Drucker est furieux. J’éclate de rire. Je déteste qu’on me menace. Il tente autre chose et se met à pleurer.
— Ah non Michel, pas vous aussi, déjà que Jacques était en pleurs tout à l’heure, tout ça pour un bouquin sur l’Élysée, ça frise le ridicule.
— Ah bon, Jacques pleurait ? me demande Drucker en reniflant comme un enfant.
— Ben oui, il est persuadé que vous ne l’aimez plus.
— Dites-lui que je l’adore.
— Vous l’adorez peut-être, n’empêche vous ne l’invitez pas.
En fin de journée, Drucker me téléphone à nouveau.
— C’est bon Sylvie, dites à Jacques qu’il peut venir sur le plateau. Mais vous m’appelez Védrine, je le veux aussi.
Au bout du fil, Védrine me félicite de ma capacité de persuasion.
— Vous ne voulez pas venir faire de la politique, vous en avez le talent.
— Certainement pas, c’est pathologique de vouloir faire de la politique.
Le livre s’est bien vendu. L’éditeur est content. Jacques aussi. Et mon laisser-passer de six mois pour rentrer comme je veux à l’Élysée est terminé. Mais c’est sans compter sur l’influence et l’impact que mes mini-jupes laissent dans le souvenir de certains hommes. En effet, un conseiller m’appelle et me demande de venir le voir le lendemain. Dans son bureau, il prolonge mon laisser-passer de nouveau pour six mois sans me donner de raison particulière. D’ailleurs, quand les hommes me font des cadeaux irrationnels, je ne cherche jamais à avoir d’explications, je dis juste merci. Donc merci monsieur le conseiller de l’Élysée !
Youpi ! A moi les bons petits plats dans les salons dorés d’autant que je viens de m’installer rue du Colisée, à deux pas de l’Élysée, chez un nouveau client pour faire la promotion des vins de Pays.
Tous les matins, mon plaisir est d’aller à l’Élysée, de traverser la cour carrée, de monter les grands escaliers que l’on voit à la télé, de pénétrer dans le bâtiment du fond et d’aller faire pipi dans les toilettes, à gauche, sous la statue d’Arman. Ça m’amuse terriblement. Au passage, je salue le photographe officiel qui ne se lasse passe de me faire miroiter que, grâce à lui, je peux devenir comédienne et faire du cinéma, que j’ai le physique et le tempérament pour ça, il avait certainement raison ! Je fais également coucou aux quelques conseillers que je connais quand je les croise, aussi au talentueux et gentil chef Joël Normand, et à tous les corps de métier dont j’ai fait la connaissance et qui sont enchantés d’avoir été pris en photo dans le livre L’Élysée comme si vous étiez de Lanzmann.
Mais pas une seule fois, je me suis dit que, vue la chance que j’ai d’être autant appréciée (moi ou mes mini-jupes, je ne saurai jamais… ), dans cette enceinte du pouvoir, au coeur du gouvernement français, je pouvais peut-être essayer de me trouver un travail au service de la communication de l’Élysée.
Non, pas une seule fois, l’idée n’est montée à mon cerveau. Je pensais juste à aller faire pipi dans les toilettes de Mitterrand, ce qui m’amusait terriblement.
Sylvie Bourgeois Harel
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Sylvie Bourgeois - Jean-Jacques Goldman Chroniques du monde d'avant - 3 - Jean-Jacques Goldman Nous sommes en 1993. De Jean-Jacques Goldman, je ne connais aucune chanson. Je n'ai jamais écouté de...
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