La Voix
Reste là
Reste là. Écoute. Écoute le silence. Écoute la solitude. Écoute le noir. Observe. Observe le silence. Observe sa lenteur. Observe sa blancheur. Il n’est pas pressé. Regarde. Regarde autour de toi. Regarde le malheur. Le malheur de ceux qui n’ont pas compris. Qui ne veulent pas comprendre. Qui ne veulent pas entendre. Je le lui avais dit, mais il ne m’a pas écoutée. Je l’avais prévenu, mais il ne m’a pas crue. J’ai voulu le réveiller, mais il m’a repoussée. Et depuis il pleure. Il souffre. Il erre. Il erre. Et je ne peux rien y faire. Écoute les moments. Il y a des moments pour tout. Écoute les heures. Écoute la forêt. Écoute la mer. Elles savent tout. Ne t’endors pas. Veille. Surveille. Admire. Admire la joie. Admire les sourires. Les rires. La vérité est là. Il était mon mari, mon ami, je l’aimais. Puis il a tué. Il a tué notre enfant. Il a tué sa pureté. Il a tué son innocence. Il a tué sa beauté. Détruit son avenir. Elle était si jolie. Toute petite et toute fine. Gaie et chantante. Jamais capricieuse. Elle disait toujours oui. Elle lui a dit oui, c’était son papa. Elle ne s’est pas méfiée. Elle ne m’a pas appelée. Il était son père. Son univers. Son repère. Il l’a emmenée en enfer. Dans l’enfer des enfants trompés. Dans l’enfer de l’enfance niée. Elle n’a pas pleuré. Ou alors je ne l’ai pas entendue. Ce n’est que la troisième nuit que je me suis réveillée. Et que j’ai vu l’inacceptable. L’impensable. L’horreur. Le crime. La mort. La mort de ma petite fille. Ma petite fille devenue une femme. Elle n’avait que huit ans. Son père était sur elle. Sa main sur sa bouche. Sa jolie bouche qui avait mangé des cerises et du gâteau au chocolat dans l’après-midi. Elle était inerte, morte, étonnée, interdite, flattée, douloureuse. J’ai failli m’écrouler. Mon monde s’écroulait. J’ai revu l’accouchement, puis ma vie s’est arrêtée. Mon âge est parti. Il ne m’a pas entendue. Il était sur elle. La recouvrant de toute sa beauté. Mon mari était beau. La tuant de toute sa grandeur. L’écrasant de toute sa responsabilité. C’est une larme qui m’a alertée. Une larme qui a coulé sur ma joue. Une larme qui m’a réveillée. Qui m’a montré le chemin. Il faisait nuit. Dans sa petite chambre, la pleine lune traversait les volets. Elle se reflétait dans une larme qui coulait des yeux de ma fille. Une larme pour me dire l’indicible. Une larme pour m’avertir. Une larme pour me mettre en colère. Je n’ai pas réfléchi. J’ai pris la chaise de bureau de mon enfant et j’ai tapé avec sur son bourreau de toutes mes forces. De toutes mes résistances qui ne voulaient pas croire ce que je venais de voir. De toute ma fragilité à n’avoir pas su la protéger. J’ai tapé avec l’aide de mon mariage foutu, de ma tromperie bafouée, de ma vie qui s’écroulait. Mes deux amours s’affrontaient. Mes deux raisons s’annihilaient. J’ai voulu mourir. Je l’ai tué. J’ai tué mon amour. J’ai tué le monstre. J’ai tué le noir. J’ai tué papa.
Et puis, on a dû faire comme si de rien n’était. Ma fille a continué sa vie de petite fille. Dans la violence. Dans la douceur. Dans la douleur. Plus jamais elle n’a trouvé le calme. La nuit, elle dormait avec moi. Je ne savais pas comment la consoler. Il est parti dans le salon. Il n’en a jamais parlé. Jamais demandé pardon. Il a commencé à picoler. Tout était fini. L’harmonie était finie. Partie. Achevée. Et moi, j’étais anéantie. Affaiblie. Apeurée. En colère. Mais je n’ai pas su parler. Les mots étaient trop faibles. Toujours trop faibles. Alors j’ai prié. Prié. Prié. Ma fille a grandi, mais dormait toujours dans mon lit. Mais un jour, la maison a brûlé et nous sommes morts tous les trois. Le feu nous a pris dans le sommeil. Les flammes ont lavé notre désespoir. Mais je n’en ai pas fini, la nuit, je surveille toutes les petites filles et si un méchant papa, un méchant grand frère, un méchant tonton, cousin, voisin ou ami approche, j’agis, je fais du bruit. J’allume une lumière. Je bouge un meuble. Je claque une porte. J’instaure la terreur pour sauver l’enfant car je n’ai pas pu sauver le mien. Tous les enfants sont miens dorénavant. Je suis le silence qui les observe. Je suis le noir qui les protège. Je suis le vent qui les écoute. Je suis le blanc qui surveille tous les papas, tous les frères, tous les tontons, tous les cousins, voisins et meilleurs amis, tous les faux gentils qui aiment salir l’innocence. Alors toi, Sylvie, dorénavant, écoute le silence des enfants, les silences de leurs mouvements, du mouvement de leurs cheveux, de la maladresse d’un geste, de la maladresse d’un regard, d’un sourire gêné, d’une bouche qui se déforme au lieu de rire, écoute et tu sauras et tu consoleras. Tu leur parleras. Tu leur donneras de la force. Du pouvoir. De l’espoir. Ta douceur les apaisera. Les calmera. Les consolera. Tu es la consolante. Écoute les silences. Nourris-toi de ces silences et insuffle ta force et ton amour dans tous les drames de ces enfants perdus. Sois leur naïveté. Sois leur innocence. Sois leur espoir. Dans le noir, la mort est là. Sois leur lumière et moi je serai leur maman qui les attend. Ta maman qui t’aime."
Ce texte est un extrait de mon prochain livre LA VOIX dans lequel je raconte comment trente-trois entités, comme dans le texte ci-dessus, m'ont soufflée dans mon oreille gauche le drame de leur vie, un drame toujours lié à l'amour, un besoin d'amour, un manque d'amour, une déception d'amour, une trahison...
Vous pouvez me contacter sur mon mail : slvbourgeois@wanadoo.fr. Ou au 0680644633.