Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
/ / /

Je suis née à Monaco, ce qui fait la joie des douaniers lorsque je passe une frontière, je devrais plutôt dire lorsque j’allais à l’étranger, je n’ai plus envie de voyager, pourtant Dieu sait que j’ai aimé les avions. J’avais même appris à piloter à 16 ans sur un Robin. J’étais toute petite, je n’ai grandi qu’à 17 ans, 20 cm dans l’année, l’instructeur me mettait un coussin dans le dos et un sous les fesses afin que je puisse atteindre les pédales, c’était amusant, surtout lorsque je croisais un autre monomoteur dans le ciel, j’avais l’impression d’être sur une mobylette volante. J’adorais faire les atterrissages. Les décollages étaient plus simples, il suffisait de mettre les gaz et d’approcher à moi le manche à balai. Alors que l’atterrissage, c’était tout un art. J’arrivais à les faire en douceur, ce qui me valait, à chaque fois, les félicitations de mon instructeur.

 

J’ai fait mes 16 heures, accompagnée, et devais faire mes 4 heures, seule, le matin de mes 17 ans, puis passer mon brevet dans l’après-midi, afin de faire partie des plus jeunes pilotes de France, mais deux mois plus tôt, mon père et l’un de mes frères aînés ont eu un accident d’avion, sur le même Robin, avec un pilote du Club. Le monsieur pressé de revenir à Besançon n’a pas pris la météo, une rafale de vent s’est levée, l’avion s’est transformé en feuille morte pendant dix minutes au-dessus de l’aéroport de Bâle avant de décrocher sur l’aile droite et de s’écraser sur le tarmac. L’essence coulait sur la joue de mon père coincé sous le pilote, heureusement l’avion n’a pas pris feu. Ils sont restés de longs mois à l’hôpital.

 

Fini pour moi l’avion. Déjà, il n’y avait plus d’argent à la maison, nous avons appris plus tard que l’avion n’était pas assuré, nos cotisations avaient servi aux consommations d’alcool du Club, j’avais souvent remarqué que mes instructeurs avaient un coup dans le nez quand, en vol, ils m’apprenaient les décrochages, ils riaient comme des idiots. Et puis, ma maman, dorénavant, avait trop peur pour moi, déjà que j’avais échappé par miracle à cet accident, je devais être dans l’avion, mais au dernier moment, mon cher papa ne m’a pas réveillée, c’est l’aéroclub de Bâle qui m’a réveillée à midi, ado, je pouvais dormir douze heures d’affilée, pour m’apprendre le drame.

 

Tout ça pour vous dire qu’aux frontières des pays étrangers que j’ai visités ou dans lesquelles je suis allée travailler, les douaniers adoraient que je sois née à Monaco, les princesses, les princesses, ils me répétaient avec un grand sourire. Monaco a toujours fait rêver. Et même si la principauté a énormément changé, fini les jolies maisons Belle Époque, place maintenant aux grues, à des chantiers gigantesques comme cette avancée sur la mer pour gagner six hectares, à d’immenses immeubles très hauts, certainement des prouesses architecturales, mais pas toujours très beaux, même le mythique Sporting d’hiver construit par Charles Letrosne, sur la place du Casino, a été détruit, il y a quelques années, pour être remplacé par sept tours de verre et de métal dont les balcons des uns touchent pratiquement ceux d’en face.

 

C’est un véritable déchirement pour moi chaque fois que je vais à Monaco de constater à quel point la principauté ne s’est pas battue pour sauver sa beauté et son authenticité qui ont fait son charme et sa renommée. Oui, c’est un déchirement de traverser tous ces tunnels, de ne presque plus voir la mer, d’entendre les bruits des marteaux-piqueurs, mais que voulez-vous, j’aime toujours Monaco, c’est ma patrie, c’est comme un vieil ami qui vieillit mal, je l’aime toujours et lui pardonne ses sautes d’humeur, je suis fidèle en amitié, c’est mon luxe de savoir pardonner et d’oublier le mauvais, de ne me souvenir que du bon, de ne voir que les jolies choses.

 

Alors quand j’arrive à Monaco pleine de mes souvenirs d’enfant, je me précipite dans les lieux que j’aime, le marché où je me régale avec les barbajuans de chez Roca, en entrant à gauche, le rocher resté sublime, l’Hôtel de Paris et son délicieux chocolat chaud servi avec le lait brûlant et mousseux dans deux pots en argent avec les traditionnels petits biscuits, le Yacht-Club où je peux également déguster des barbajuans et, paradoxalement, parce que je suis faite aussi de contradictions, le Monte-Carlo Bay et sa piscine-lagon géante qui me fait penser à Los-Angeles.

 

Pour toutes ces raisons mêlant amour et déceptions, lorsque le Salon du Livre de Monaco m’a invitée à présenter mes romans les samedi et dimanche 15 et 16 avril 2023, j’ai tout de suite dit oui, je ne peux que dire oui à Monaco, et quand ils m’ont rappelée pour me demander de leur animer une chaîne YouTube qu’ils désiraient créer, sans moyens, ni sous, ni matériel, ni rien du tout, j’ai aussitôt dit oui aussi, car Monaco qui m’a vue naître ne peut que m’apporter du bonheur.

Sylvie Bourgeois Harel - Principauté de Monaco - Salon du Livre 2023

Sylvie Bourgeois Harel - Principauté de Monaco - Salon du Livre 2023

Sylvie Bourgeois Harel - Principauté de Monaco - Salon du Livre 2023

Sylvie Bourgeois Harel - Principauté de Monaco - Salon du Livre 2023

Partager cet article
Repost0
/ / /

Je n’arrive pas à dire que je suis écrivain. Même si ces quinze dernières années, j'ai publié dix romans et chez des éditeurs importants dont certains à l’étranger, chaque fois que l'on me demande ce que je fais, je réponds, en ce moment, j'écris. Ce n'est pas par excès d'humilité, je ne suis ni humble, ni prétentieuse, mais je n’arrive pas à me projeter dans un métier et encore moins à me définir par une passion d'autant que l'écriture n'est pas une passion, je n'ai jamais désiré écrire, mais j'écris. La seule chose dans laquelle je sais me projeter est mon mari. Je l’ai rencontré, il y a seize ans. Une semaine après la publication de mon premier roman. Depuis, à tout bout de champ, pratiquement tout le temps, je dis mon mari. Surtout lorsque je ne connais pas la personne qui s’adresse à moi, très vite, pour ne pas dire immédiatement, dès la première phrase, je lui parle de mon mari, mon mari a fait ci, mon mari a fait ça, mon mari m’aime, il m’épate tellement il m’aime, si, si, je vous assure, quoique je dise, quoi je fasse, il m’aime, j’ajoute en riant.

 

Dans ces cas, les femmes (plus enclines à croire aux histoires d’amour) m’envient surtout si une amie est là pour confirmer, je n’ai jamais vu un couple aussi fusionnel, il la regarde toute la journée avec des yeux remplis d’admiration, c’est très beau, elle a beaucoup de chance, j’aimerais tellement vivre la même chose. Les hommes sont plus sceptiques. Certains prennent cela pour une provocation lorsque j’affirme que je n’embrasserais plus personne d’autre que mon mari. Ils ne comprennent pas ma soif d’absolu. Ni l’exigence, ni la beauté, ni la tranquillité que je mets dans ma fidélité. Ils échafaudent alors toutes sortes d’arguments pour me déstabiliser ou me faire rougir comme si je leur avais proposé un challenge et mis en place une invitation à jouer. Ce n’est pas la réaction que je recherche. Je ne recherche rien d’ailleurs. C’est ce qu’ils ne comprennent pas. Que je ne veuille rien d’eux. Comme si ma fidélité les castrait ou était une atteinte à leur virilité. Celle-ci délimite seulement un territoire. Mon territoire. Je les positionne à l’extérieur. C’est tout. Et ils le seront toujours. À l’extérieur. De ça, j’en suis persuadée. Ils n’auront jamais la possibilité d’entrer. Il n’y a pas de clé. Pas de lumière pour se repérer. Mon intimité est interdite. À peine est-elle lisible ou détectable dans mes romans. Mais pas dans mes yeux.

 

C’est pour cela que j’aime dire, mon mari. C’est ma protection. Comme une porte. Un mur. Un mur qui m’encerclerait. Qui m'enfermerait. Me grandirait. Cette protection me rend forte. Je me sens en sécurité. Je suis en sécurité. Je peux dire ce que je veux. Tout ce qui me passe par la tête. Comme les enfants. C’est très satisfaisant. Mieux qu’un baiser volé. Il m’arrive aussi de parler de sexualité. En toute liberté. Ça me rassure de pouvoir offrir une possibilité. La possibilité de ce qui ne sera jamais. Comme un rêve. J’ouvre. Sans rien donner. Sans rien montrer. Sans ambiguïté. Pour me différencier. Pour installer ma particularité. Dessiner ma force. Me persuader de l’être. Me soigner. Voilà, je le dis, je l’affirme, je pourrais le crier, le hurler aussi, les deux mots, mon mari, me protègent de cet inconnu planté en face de moi. Un inconnu qui me plaît terriblement.

Sylvie Bourgeois Harel

 

 

Sylvie Bourgeois Harel - Plage de Pampelonne - Ramatuelle

Sylvie Bourgeois Harel - Plage de Pampelonne - Ramatuelle

Sylvie Bourgeois Harel - Plage de Pampelonne - Ramatuelle

Sylvie Bourgeois Harel - Plage de Pampelonne - Ramatuelle

Partager cet article
Repost0
/ / /

Mon papa ne m’aime pas, sa femme non plus, sa fille encore moins. Peut-être que je sens mauvais ou que je suis très laid. Je n’ai jamais dormi dans sa maison qui est pourtant immense avec plein de fenêtres et chacun a sa voiture qui passe très vite matin et soir devant la mienne, sans même freiner pour me faire un petit coucou de la main, où je vis seul avec ma mère et mon chat qu’en cachette le soir lorsqu’il se couche contre ma joue j’appelle papa pour voir comment ça fait d’avoir un papa qui me fait des bisous et des câlins.


 

Mon chat a 8 ans comme moi. Il s’appelle Victor comme mon papa. C’est ma mère qui l’a baptisé ainsi afin de pouvoir lui crier dessus tout la journée et le disputer en lui disant qu’il est méchant. Elle aimerait aussi qu’il lui obéisse alors qu’on sait bien qu’un chat c’est comme un papa absent, ça n’obéit pas. C’est ma marraine spécialiste de poulpes et de poissons qui le lui a offert quand je suis né afin qu’elle ait deux bébés à s’occuper et qu’elle arrête de pleurer en pensant à mon papa qui ne l’aime pas non plus.


 

Dans la famille on ne s’aime pas, je demande mon cousin. Mon cousin, c’est moi qui ne l’aime plus depuis que je l’ai vu tuer les bébés que Poupoune la chatte de notre voisine a eu avec Victor, mon chat pas mon papa, quoi que mon papa, ça ne m’étonnerait pas qu’il soit, comme mon chat, un sacré matou à mettre son zizi partout et ensuite à ne pas savoir quoi faire de tous ses bébés que mon cousin a noyés dans le lavabo de sa salle de bains avant de les enfermer dans un sac plastique et de les balancer direction la grosse poubelle jaune au bout de la rue.


 

Quand j’ai vu leurs petites pattes qui se débattaient dans le vide, j’en ai été tout asphyxié à m’étouffer et à ne plus pouvoir respirer pire que si c’était moi qu’il noyait, ce qu’aurait, paraît-il, adoré faire mon père qui a hurlé mille fois à ma mère de m’avorter, m’a raconté exprès pour me faire pleurer mon cousin meurtrier de bébés qui ne savaient pas encore nager. Heureusement que ce criminel n’avait que 6 ans lorsque je suis né, sinon j’aurais terminé mort noyé dans le lavabo de sa salle de bains comme les pauvres chatons si mignons que Poupoune a longtemps cherchés, affolée, dans toutes les poubelles du quartier.


 

Parfois, le soir quand je vois la voiture de mon papa passer devant la fenêtre de ma chambre sans même qu’il me jette un regard, je suis si triste que pendant la nuit, je me réveille en nage et j’entends résonner entre les battements de mon cœur la haine de mon père qui hurle fort son désir de ma mort. Une nuit où ma marraine copine de poulpes et de poissons dormait à la maison, j’ai tellement pleuré qu’elle est venue me consoler dans mon lit qui était trempé de ma sueur de petit garçon pas aimé, elle sentait si bon avec ses longs cheveux blonds que je lui ai tout raconté, mon cousin qui a failli me noyer, les chatons assassinés de Poupoune, le zizi de mon papa qui ne n’aime pas.


 

Elle m’a expliqué que mon papa était un grand couillon, que ce n'était pas moi qu'il n’aimait pas, mais ma maman à qui il n’a jamais dit je t’aime, ni même invité au restaurant et encore moins qu’il voulait un enfant avec elle. D’où sa colère. Ce n’est pas pour l’excuser, mon petit chéri, a ajouté ma marraine en me caressant la joue, mais depuis que son amoureuse l’a quitté, il y a trente ans, ton papa fait n’importe quoi. Son amoureuse était très belle et très jeune, un matin, elle lui a dit qu’elle était trop jeune se marier, qu’elle préférait sa liberté et le soir-même, elle l’a quitté pour partir vivre à Paris. Ton papa ne s’en est jamais remis. Par dépit et par fierté, plutôt que de se battre pour aller la rechercher et la récupérer, il s’est marié quelque temps plus tard avec une fille qu’il n’aimait pas et a plongé dans son travail pour oublier le drame qui a ruiné sa vie. Mais mon petit Paul, a continué ma marraine, il est impossible d’oublier l’amour surtout quand c’est, comme pour ton papa, un grand amour, l’amour de sa vie, celui-ci a tellement besoin d’exister qu’il ressort par tous les pores de ton corps, il suffit que tu t’assoupisses un instant, et les images, l’odeur, la douceur, la beauté de l’être aimé, vont immédiatement revenir te narguer, te chatouiller les narines et te faire souffrir, certaines personnes d’ailleurs peuvent en mourir. Pour ne pas mourir, ton papa a noyé son chagrin dans le travail, mais quand il a compris que tout l’argent qu’il gagnait n’arriverait jamais à le consoler, il s’est vengé en couchant avec plein de filles qu’il n’aimait pas histoire de les faire souffrir autant que lui avait souffert. J’avoue que ce n’est pas très intelligent comme comportement, a souri ma marraine pour dédramatiser ma vie de petit garçon non désiré, mais beaucoup d’hommes sont comme ton papa, ils ont peur de leurs sentiments et font n’importe quoi.


 

Tandis que toi, mon petit Paul, a ajouté ma marraine qui sent si bon avec ses longs cheveux blonds, ce soir, je vais t’offrir un merveilleux pouvoir, même si tu n’es pas ce que l’on appelle à proprement parler un enfant de l’amour, sache qu’à partir de cette nuit, tu vas devenir un super-héros qui pourra activer son pouvoir autant de fois qu’il le voudra. Et ce pouvoir s’appelle l’Amour avec un grand A.


 

Pendant que je m'imaginais en Spiderman dont j’ai le déguisement dans le placard de ma chambre, ma marraine a ajouté que chaque fois que je sentirais monter en moi du chagrin ou de la colère, je devrais respirer profondément pour trouver le calme et la paix au fond de mon cœur et, comme par magie, des mots tout doux et tout gentils sortiront tout seuls de ma bouche, ils apaiseront ma souffrance et mes larmes, et aussi que c’était la peur que mon papa les quitte pour moi et me donne beaucoup de son argent qui avait rendu sa femme et sa fille si méchantes. Voilà mon petit Paul, a continué ma marraine fée, sois plus fort que ton papa pas là, sois plus fort que sa femme qui n’a jamais voulu te faire des crêpes dans sa grande maison, sois plus fort que ta sœur qui t’évite lorsqu’elle te croise au village, sois heureux Paul, sois heureux de tout l’amour que tu vas pouvoir leur donner, tu verras, l’univers te le rendra au centuple.


 

Je me suis senti devenir le fils de Dieu, le Jésus Christ de mon catéchisme mort sur la croix d’avoir pardonné à tous les papas aussi couillons que le mien de ne pas aimer leurs petits chatons non désirés. Un jour, j’en suis sûre, a repris ma marraine créatrice de super-héros, ton papa viendra te demander pardon et tu lui pardonneras, tu pleureras certainement car tu lui en voudras de ne pas avoir été là quand tu faisais tes premiers pas, mais tu verras, tu le prendras dans tes bras ton pauvre petit papa aussi malheureux que toi, comme s’il était ton enfant, et ton super pouvoir de l’Amour saura le consoler avec des mots tout doux et tout gentils qui sortiront tout seuls de ta bouche comme par magie.


 

Je l’aime bien ma marraine mais elle est partie loin vivre dans un lagon près de Tahiti avec un poulpe ou un poisson, je n’ai pas bien compris, dont elle est tombée amoureuse. Comme amie à qui je peux confier mes soucis, je n’ai plus que Victor et Mélanie, ma copine d’école, dont je suis amoureux mais qui ne peut pas m’embrasser pour le moment car elle est déjà en couple avec Kevin qui a la chance d’avoir, en plus des bisous de Mélanie, un vrai papa chez lui.


 

Tout à l’heure, je ne sais pas ce qu’il m’a pris, mais quand ma mère a de nouveau refusé de me donner de l’argent de poche que je voulais donner à la voisine afin que les nouveaux chatons que vient d’avoir Poupoune ne terminent pas comme moi noyés dans le lavabo de mon cousin meurtrier, d’autant que je voulais en offrir un à Mélanie pour qu’elle ait un peu de moi dans ses bras, je me suis mis en colère. En une seconde, je suis devenu mon père. Toute sa colère est sortie de mon corps. Ce ne sont pas des mots tout doux et tout gentils que la magie a fait sortir de ma bouche, mais ses quatre vérités bien salées que j'ai balancées à ma mère sans plus pouvoir m'arrêter.


 

Je lui ai crié qu’elle n’avait jamais été aimée et qu’à cause d’elle, je n’avais pas le droit de jouer avec mon papa au volley sur la plage comme le fait tous les dimanches Kevin pendant que Mélanie l’admire en riant aux éclats et en l’applaudissant chaque fois qu’il gagne, et que j'étais né uniquement, ainsi que me l’a dit mon cousin qui cette fois ne pourra pas noyer les chatons de Poupoune car je les sauverai avant, pour toucher tous les mois un chèque conséquent de mon papa le plus riche de la région, et plutôt que de dépenser cet argent en virée avec ses copines divorcées trop maquillées, j’avais bien mérité de pouvoir acheter avec l’amour de Mélanie.


 

Avant de recevoir la claque que ma mère était prête à me donner, j’ai filé dans ma chambre que j’ai fermée à clé. J’ai enfilé ma combinaison de Spiderman sur laquelle j’avais dessiné au feutre un grand A sur la poitrine afin que tout le quartier sache que j'étais un super-héros de l’Amour, puis j’ai sauté par la fenêtre en rêvant un instant que mon papa absent passe au même moment, et j'ai couru jusqu'à la plage.


 

Je suis entré dans la mer. L’eau est gelée. Nous sommes le 31 janvier. Je continue d’avancer. J’ai besoin d’aller raconter mon chagrin aux poissons, et dire aux poulpes qui sont des animaux sous-marins dotés d’une aussi grande sensibilité que la mienne, m’a appris ma marraine, que j’ai encore souvent mal à mon papa pas là. L’eau est gelée mais je continue d’avancer. Je sais que de l’autre côté ma marraine m’attend, je veux la retrouver dans son lagon doré de Tahiti. Je nage tout habillé vers l’horizon aveuglé par le soleil qui guide ma destinée. Je suis heureux. Ma colère s’est apaisée. C’est décidé, je ne veux plus de ma mère. Je ne veux plus de mon père et encore moins de son argent. Je veux seulement un bébé chat de Poupoune que j’élèverai avec Mélanie et Victor à qui, dans la précipitation, j’ai oublié de dire au revoir.


 

Je me sens lourd. Ma combinaison est toute gonflée. J’ai froid. J’ai du mal à nager. Et à respirer. Je tremble. J’ai l’impression d’être un chaton dans le lavabo de mon cousin. Je tremble. J’ai froid. J’agite mes bras. Je crie. Papa ! Maman ! Mais personne ne m’entend. Je n’ai plus de force. Je coule. Des bulles sortent de ma bouche trop pleine du manque d’amour. Mon grand A sur la poitrine essaye de remonter à la surface. Je coule dans une eau noire. Il n’y a plus de bleu, plus de soleil. J’ai peur. Je ne suis pas un super-héros, juste un petit garçon de 8 ans.

Sylvie Bourgeois Harel

PAUL est l'une de mes nouvelles sur l'enfance.

 
 
Sylvie Bourgeois Harel. Avec Pompon et Hussard. Château de La Mole. VAr

Sylvie Bourgeois Harel. Avec Pompon et Hussard. Château de La Mole. VAr

Partager cet article
Repost0
/ / /

Mon papa, je le vois une heure par an, quand il va au Festival de Cannes pour s’occuper de stars de cinéma, je le retrouve dans un jardin public, celui qui est derrière l’hôtel Negresco et pendant ce temps, ma grand-mère m’attend. Pas longtemps. Je le vois aussi parfois en photo dans Paris-Match, mais jamais en entier, en général je ne vois que le bout de son nez comme s’il avait fait des acrobaties pour se retrouver à tout prix sur la photo alors qu’on voit bien que le sujet ce n’est pas lui, mais plutôt une actrice ou même un comédien. Ma grand-mère qui me fait office de papa et aussi de maman m’a expliqué que dans le cinéma, l’amour n’existe pas et que les gens, ils sont souvent obligés de faire des pieds et des mains pour avoir leur place sur la photo car c’est un métier qui les rend fous, à force de trop fréquenter des vedettes, ça les fait croire important. Alors que dans leur vraie vie, ils deviennent très vite tristes dès qu’ils ne sentent plus briller sur eux la lumière des célébrités, et après ils ne font qu’embêter leur famille à leur reprocher de ne pas être connues pour que leurs journées, elles soient plus rigolotes. C’est pour ça que mon papa, il ne m’aime pas. Parce que je ne suis qu’un petit garçon de huit ans, et il ne trouve pas ça très marrant. Il préférerait certainement que je sois un grand artiste de music-hall surdoué pour mon jeune âge à jouer déjà des claquettes, comme ça il serait fier de me promener partout dans les boutiques où les gens me demanderaient des autographes. Mais comme ma vie, c’est plutôt de jouer avec mon cousin et ma cousine, ça l’ennuie.

 

Avec ma grand-mère de toute façon, on s’en fiche complètement d’être deux abandonnés, elle, c’est son mari qui est parti, et même qu’on est très content que ceux qui sont censés nous aimer soit par monts et par vaux, comme ça on n’a que nous deux à s’occuper. Et on s’occupe très bien de nous. Ma grand-mère, je l’aime beaucoup. Je l’adore même. C’est une grand-mère enfant, dans le sens qu’elle rit tout le temps. C’est comme si elle avait mon âge, sauf qu’elle a le droit d’aller toute seule en ville, alors que moi, pas encore. Mais elle m’emmène souvent avec elle, et elle est très fière de me tenir par la main. C’est bien simple, elle dit à tous les commerçants que je suis le plus joli petit garçon de Nice. Ma grand-mère, c’est la maman de ma maman et ma maman, je ne la vois pas souvent non plus car elle était trop jeune quand je suis né pour porter ma responsabilité. Mais là maintenant c’est bien car elle a trouvé un nouveau mari et même qu’à la fin de la semaine je vais prendre le train pour aller la retrouver et vivre avec elle à Montpellier. Au téléphone, elle m’a dit mon chéri, on va enfin habiter ensemble. Et ça m’a fait très plaisir presque à en pleurer, mais je me suis retenu, je ne voulais pas montrer que j’étais content à ma grand-mère qui sera bientôt triste de ne plus pouvoir me faire à manger ou m’acheter des beaux habits. Car ma grand-mère souvent je l’ai entendu dire à ses copines en cachette sans savoir que j’étais là, que c’était pitié pour un petit d’être sans ses parents, mais qu’en même temps j’étais pour elle un cadeau des dieux tellement c’était merveilleux de pouvoir s’occuper d’un enfant quand on a soixante ans et suffisamment d’argent.

 

Il a été décidé que je prendrai le train avec ma tante mimi qui doit rendre visite à ses filles qui habitent aussi près de Montpellier, mais un peu plus loin sur la voie ferrée. Je me suis dit qu’il y avait certainement dans cette région un nid de maris pour les filles de notre famille, sinon je ne vois pas la raison.

 

Quand on est arrivé, ma maman m’attendait sur le quai de la gare et j’ai couru très vite pour me jeter dans ses bras et la serrer fort contre mon cœur, car même si je ne la vois pas souvent, c’est quand même ma maman et je l’aime. Je crois. Après elle m’a amené dans sa nouvelle maison et elle m’a présenté Roger qui allait être mon futur beau-papa, il a dit comme ça. Puis on a déjeuné, c’était bon, mais j’ai quand même demandé à téléphoner à ma grand-mère qui devait se faire du souci de me savoir pas en face d’elle comme tous les midis depuis que je suis né. Je l’ai sentie faire exprès d’être gaie, mais j’ai entendu des sanglots qu’elle cachait dans sa voix, alors je lui ai dit de ne pas s’inquiéter, que c’était juste la normalité qui s’installait entre nous, qu’un petit garçon, ça devait vivre avec sa maman, surtout quand il était encore un enfant, mais que promis, je viendrai la voir souvent et qu’elle pourrait aussi venir dormir ici, la maison semblait suffisamment grande, même si je n’avais pas encore vu ma chambre, ni accrocher mes habits dans un placard ainsi qu’elle me l’avait appris.

 

Puis ma maman m’a accompagné dans un jardin public pour me promener, je crois, je ne sais pas, je n’ai pas osé lui demander. Il n’y a pas encore entre nous la même intimité qu’avec ma grand-mère où l’on se dit tout et même des fois des grosses bêtises juste pour nous faire rire. Et après ma grand-mère, elle devient toute rouge et elle m’embrasse en me serrant fort contre son cœur que je suis si gentil.

 

Quand on est rentré, Roger nous a demandé de nous dépêcher, la route était longue quand même avant d’arriver. Ma maman ne m’a pas regardé quand je lui ai posé la question de notre destination, elle a juste dit à Roger de prendre alors le bagage du petit, ce à quoi, il a répondu qu’il était déjà dans le coffre de la voiture et qu’il n’attendait que nous. Puis il m’a souri. C’était la première fois de la journée. Vous me ramenez chez grand-mère ? J’ai dit ? On part déjà en vacances ? Super ! Où ? Aux Etats-Unis ? Mais ils n’ont pas ri, et je me suis allé m’asseoir à l’arrière de leur Renault, et ma maman devant, mais pas au volant. Pendant le trajet, j’ai regardé le paysage qui s’avançait dans la campagne, surtout des vignes, partout. Puis on a tourné après un village dans un grand parc où au bout, il y avait comme le château de La Belle au bois dormant que je ne lis pas vraiment car c’est plus un livre pour les filles, mais que j’aimais bien quand même quand ma grand-mère me le lisait au lit quand j’étais encore petit.

 

On s’est garé et j’ai vu plein d’enfants qui ont couru pour venir me regarder comme si j’étais le pape que l’on ne voit jamais si ce n’est à la télévision. C’est quoi ? On est où ? J’ai demandé, mais encore une fois, je n’ai eu que leur silence comme réponse. J’ai essayé de m’énerver et de faire un de mes caprices qui fonctionne si bien avec ma grand-mère, mais ma maman m’a saisi la main qu’elle avait bien froide soudain et on a monté un grand escalier de pierres, pendant que Roger sortait ma valise. J’ai eu envie de pleurer, je vivais les mêmes images que j’avais déjà vues dans un vieux film au cinéma. Mais je n’en ai pas eu le temps car un monsieur est arrivé et m’a fixé droit dans les yeux en me souhaitant bienvenue dans son pensionnat. Ma vie s’est écroulée.

 

On est entré dans un bureau, puis ma maman m’a embrassé et Roger m’a serré l’épaule en me disant que j’allais me faire plein de camarades ici. J’ai failli lui répondre que des amis, ce n’était pas ce qui me manquait à Nice, j’avais Benoît, Anatole et Charles, je n’avais donc pas besoin des siens de sa région qui sent trop le vin, mais j’ai préféré l’ignorer. C’était mieux ainsi. Je venais surtout de comprendre que pour lui, je n’étais rien d’autre qu’une vieille chaussette qu’on peut abandonner n’importe où, histoire de pouvoir continuer d’embrasser ma maman à sa guise et même de lui glisser une main entre les jambes comme pendant le repas comme s’il croyait que je n’avais rien remarqué.

 

Et ma maman qui ne me parlait pas. Je me suis dit que finalement, une maman, ça ne servait à rien, à part de pouvoir souvent rêver à elle et d’imaginer combien ce serait bien si elle me coiffait les cheveux chaque matin avant que j’aille à l’école, en me déposant un baiser sur le front. Je suis un idiot, j’ai ajouté, car chaque fois que je pleure, c’est toujours ma maman que j’appelle dans mes sanglots en croyant qu’elle seule peut me sauver. Autant appeler le bon Dieu, je me suis dit. Le bon Dieu, il a fallu le prier quand nous sommes passés à table. C’était dégoûtant leur nourriture.

 

Quand je me suis couché sur mon lit en fer, rangé aligné, dans ce long dortoir qui allait dorénavant me faire office de maison, j’ai eu peur. Peur que ma vie, ça veut dire à présent être tout seul. J’ai eu peur aussi que ma grand-mère meurt sans que j’aie le temps de lui dire combien elle me manque déjà. C’est la première fois que j’ai pensé à ça, même si je me moquais souvent de son grand âge, je n’avais jamais imaginé qu’elle puisse un jour mourir pour de vrai, pour toujours. Ca m’a fait froid. Froid à en crier. Froid à vouloir me réfugier dans l’odeur de ses baisers un peu fanés. Froid à ne pas oser regarder les ombres flotter devant mes yeux. C’étaient les garçons de l’institution, ceux qui ont déjà l’habitude de vivre dans le noir de la nuit à se promener partout entre les lits sans que le surveillant ne les entende. Ils étaient venus m’embêter parce que je suis le dernier arrivé. Le petit nouveau. Ils n’ont pas arrêté de me chahuter, mais leurs pincements et leurs moqueries, ce n’était rien comparé aux fantômes et aux démons qui dansaient dans ma tête. Du coup, ils se sont lassés de mon immobilité et ils sont repartis se coucher. Et je me suis retrouvé enfin seul dans mon chagrin. Moi qui ai toujours cru que je descendais d’un cavalier noir sans peur et sans reproche, je me suis mis à trembler et j’ai regretté d’être né d’un papa dans le cinéma et d’une maman trop jeune.

 

Soudain, je me suis réveillé. Je me suis réveillé car j’étais mouillé. J’étais mouillé et ça sentait mauvais. Bouah ! Très mauvais même. J’ai soulevé mon drap. Et là, j’ai compris que j’étais encore trop petit pour affronter ma nouvelle réalité. Tout était parti. Tout. C’était dégoutant. J’avais tout évacué, ma douleur, ma colère, ma peur, mes regrets, ma mère, mon père, ils étaient tous sortis de mon univers. Pourtant j’avais toujours été un petit garçon bien propre. Alors je me suis levé, j’ai retiré mes draps et je suis allé les laver car je voulais que personne ne connaisse mon intimité si martyrisée. J’étais mouillé et sale, et j’ai eu honte. Terriblement honte. Honte d’aimer autant ma maman.

HENRI, une nouvelle de Sylvie Bourgeois. BRÈVES ENFANCES - Festival de Cannes
Partager cet article
Repost0
/ / /
Ma maman est collectionneuse et je n'ai pas de papa, mais j'ai un Basquiat. Na ! Ma maman me l'a acheté, il y a deux ans, dans une galerie de New York où il m’avait tout de suite plu. Elle me l'a offert pour me complimenter d’avoir autant de sensibilité. J'adore mon tableau. Il est rouge. Dessus, il y a un bonhomme carré assez mal dessiné qui regarde de côté et sur sa tête qui n'est pas très bien faite non plus, il y a une drôle de couronne. Ma maman m'a expliqué que la couronne, c'était la signature de Basquiat, un peu comme s'il était un roi. Le roi de son monde où il a le droit de dire ce qu'il veut. Et Basquiat, il disait ce qu'il voulait dans ses tableaux. Il faisait exprès aussi de mal les faire comme s’il ne savait pas dessiner. Par exemple, il faisait des bonshommes carrés alors qu’un bonhomme, tout le monde le sait, c’est toujours rond, mais c’était pour montrer que le monde dans lequel il vivait, il était mal fait aussi.
 
Voilà pourquoi j’aime mon Basquiat. Je l’aime parce que moi aussi, je trouve que le monde dans lequel je vis, il est mal fait. Regardez, je vis dans un grand appartement alors que je n’ai pas de papa et que ma maman n'est jamais là. C'est mal fait, je préférerais habiter avec plein de gens au lieu d’être toujours toute seule. J’en ai marre d’avoir personne avec qui parler. J’ai ma nounou, vous me direz, mais elle est bête. La preuve, chaque fois que je lui pose une question sur comment est fait le monde, elle ne sait pas quoi me répondre. Alors quand je m'ennuie trop, je vais regarder mon bonhomme carré. On se comprend. C'est juste dommage qu'il me tourne la tête car je préférerais le regarder dans les yeux, mais il me fait bien marrer quand même. C'est un peu comme s'il était timide.
 
Il y a pas mal de bavures qui coulent du dessin. Un jour que j'en avais marre que ça ne soit pas net, je les ai nettoyées avec de l'eau et du savon, mais j'ai eu beau frotter, ça n'est pas parti. Quand je serai plus grande pour aller toute seule dans les magasins, j'achèterai de la peinture et des pinceaux et je referai bien les contours pour que ça fasse moins brouillon. Je le terminerai en quelque sorte. Basquiat, il n'a pas eu le temps de terminer mon tableau car il est mort d'une overdose. Une overdose, c'est quand on prend trop de drogue d’un coup. Ma maman m'a expliqué que Basquiat, il était très malheureux et qu'il s'était drogué jusqu'à en mourir pour oublier sa vie et que même sa peinture, ça ne lui suffisait plus. Elle m’a dit aussi que les artistes, ils n’étaient jamais satisfaits et que souvent ils se droguaient pour trouver le bonheur qu’il n’arrivait pas à trouver, par exemple, dans les rapports familiaux normaux.
 
- Regarde, a ajouté ma maman, je t'ai, tu me rends heureuse alors je ne me drogue pas.
- Non, mais tu te fais vomir.
- Mais ça ne va, qui t'a dit ça?
- Personne, mais je le sais. Tu vas toujours aux toilettes après le repas, je t'ai déjà suivi plein de fois et j’ai trouvé les bruits que tu faisais tellement tristes que j’ai tout raconté à Mamy. Elle m'a expliqué que tu étais déglinguée depuis que tu avais eu ma grossesse. Tu vois maman, le monde, il est mal fait. Et c’est pour ça que je suis bien contente que tu m’aies acheté mon tableau car je comprends un peu mieux la vie en le regardant.
 
Comme je me posais encore plein de questions et que ma nounou était incapable de me répondre, j’ai tapé Basquiat sur Internet et j’ai lu qu’il avait 27 ans lorsqu'il est mort. Il est mort tout seul dans son grand appartement. Comme moi. J’ai vu aussi sa drôle de tête. Ça m’a fait de la peine d’imaginer sa drôle de tête posée sur son ventilateur quand il est mort, comme s’il avait besoin de respirer un air nouveau alors que c’est l’air de la mort qu’il a trouvé. Mon papa aussi, il est mort. Il est mort quand je suis née. Ou alors peut-être, il est mort parce que je suis née, ce qui expliquerait pourquoi ma maman se fait vomir. Elle doit vomir son malheur. Quand je serai grande, moi aussi je deviendrai artiste et je vomirai sur mes toiles le malheur de ma solitude. Mais j’espère qu’avant de mourir de l’overdose, j’aurais peint suffisamment de tableaux où j’aurais expliqué combien le monde est compliqué et mal fait.
 
En attendant de me droguer, j’ai demandé à ma maman de m’emmener plus souvent avec elle dans les galeries où l’on vend de l’art. Les vendeuses, elles sont toujours très aimables avec nous, car ma maman, si elle le veut, elle peut acheter tout le magasin. J'aime bien sentir que les vendeuses, elles le savent, car ça me rend importante. Dans ces cas-là, je serre très fort la main de ma maman pour bien montrer que c'est la mienne et, que du coup, c'est un peu comme si c'était moi qui pouvait acheter tout le magasin. En plus, ma maman, elle me demande toujours mon avis, en disant aux vendeuses que sa fille, elle a l’œil.
 
J'ai tellement l'œil que ce matin, un monsieur est venu à la maison pour acheter mon Basquiat. Quand j’ai compris que je devais m’en séparer, j'ai pleuré. Beaucoup pleuré. Je ne voulais pas le laisser s'en aller.
 
- Mais on va gagner beaucoup d'argent en le vendant, m'a dit ma maman. Tu as l'œil ma fille, je suis fière, ce tableau coûte aujourd'hui très cher. Tu es encore un peu petite pour comprendre ce qu'est la spéculation, mais tu es suffisamment intelligente pour comprendre le métier de maman qui achète des tableaux pour les revendre quand leur valeur a dépassé le prix de leur achat, tu vois.
- Ce que je vois, je lui ai répondu, c'est que tu veux m'enlever mon tableau qui était mon cadeau pour mes 7 ans d'âge de raison. J'y suis attachée, moi, à mon bonhomme carré. En plus, donner, c'est donner et reprendre, c'est voler.
- Mais enfin Lily, qu'est-ce qu'il te prend? Avec tout l'argent que l'on va gagner, on va pouvoir s'acheter plein d'autres tableaux et peut-être même des encore plus beaux.
- Eh bien, dans ces cas-là, si je n'ai plus mon Basquiat, je veux partir vivre chez Mamy. En plus, je n'aime pas quand tu mets du rouge à lèvres pour recevoir des messieurs à la maison. Je n’aime pas ça, mais pas du tout.
 
Et je suis sortie de ma chambre en faisant exprès de bien faire claquer la porte. Ma maman m'a rattrapée pour me coller une fessée et m'a dit que ce n'était pas du haut de mes 8 ans que j'allais faire la loi à la maison. Je lui ai répondu que sa spéculation, ça n’apportait que du malheur et qu’il valait mieux que je me drogue tout de suite pour qu’ensuite je devienne très vite une artiste qui peindrait tout ce qui avait brisé mon cœur. Ma maman, en m’entendant, s'est mise à pleurer. Le monsieur est arrivé. Et je me suis excusée.
 
- Je suis désolée de t’avoir fait pleurer ma petite maman chérie. Je suis une mauvaise fille, certainement trop gâtée.
- Mais non, ma chérie, tout ça est de ma faute, t’élever toute seule, tu sais, ça ne m’est pas tous les jours facile.
 
Là, le monsieur de la spéculation a regardé ma maman avec un drôle d’air, du genre, si vous voulez ma jolie madame, je veux bien jouer au papa et à la maman avec vous. Je l’aurais volontiers mordu celui-là, je me suis dit. Et aussi quelle drôle d’idée, j’ai eu, a ajouté ma maman de te faire un cadeau à plusieurs millions d’euros. Puis on a pris le thé ensemble. Ça nous a tous calmés. Maman a décidé que le monsieur ne viendrait chercher mon Basquiat que le lendemain matin, ainsi j’aurais encore une nuit à passer auprès de lui pour m’habituer à l’idée que bientôt, je ne le reverrais plus.
 
Dès que le monsieur est parti, ma maman est sortie. J’ai profité que ma nounou faisait pipi pour filer. Je suis montée dans un taxi qui était étonné que je sois toute seule, mais je lui ai dit que chez moi, c’était comme ça, j’étais une petite fille riche, livrée à elle-même, mais pas malheureuse pour autant, la preuve, ma maman m’avait acheté un tableau pas du tout pour enfant, tellement il coûtait d’argent. Le taxi n’a rien compris, mais m’a quand même déposée au BHV. Là, en voyant la diversité des peintures et des couleurs, je me suis écroulée. Mon idée était de me dessiner en étoile filante avec des cheveux jaunes et un cœur bleu comme mes yeux sur mon tableau de Basquiat pour continuer de vivre un peu à ses côtés. Mais devant la difficulté à terminer mon Basquiat, je me suis mise à pleurer. Pleurer que décidément la vie, c'était beaucoup trop compliqué.
BASQUIAT fait partie des 34 nouvelles de mon recueil BRÈVES ENFANCES, paru aux éditions Au Diable Vauvert.
 
BASQUIAT. Une nouvelle de Sylvie Bourgeois. BRÈVES ENFANCES (éditions Au Diable Vauvert)
Partager cet article
Repost0
/ / /
Mon tonton Guillaume, il est fou, c’est mon papa qui me l’a dit, alors que Guillaume, c’est le meilleur en animal et en poissons, c’est bien simple, il passe ses journées sous l’eau à inspecter les poulpes et les murènes, et même que j’adorerais l’accompagner, mais ma maman, elle ne veut pas car elle trouve que Guillaume, il n’a pas les capacités pour être responsable d’un enfant de 8 ans sous la mer. La mer, j’ai le droit d’y aller, mais seulement avec ma mamy qui est un dauphin, elle adore nager, surtout s’il y a des grosses vagues, c’est pour noyer, je crois, son chagrin d’avoir un mari paralysé qui ne peut plus parler depuis un an. Il a eu un accident de sang dans les veines de son cerveau et depuis il est sur une chaise roulante à faire hanhan chaque fois qu’il veut l’appeler. Ma mamy, ça lui fait de la peine à en fait pleurer, elle est persuadée qu’il la prend pour sa maman, alors qu’il n’y a pas si longtemps, il l’embrassait encore sur la bouche.
 
Mon papy, tout le monde l’appelle Pillon car quand j’étais petit et qu’il était encore droit comme un I, il m’a appris les mots papy et papillon le même jour, et du coup, j’ai fait la contraction ou la confusion, je ne sais plus, mais je me souviens que quand il n’était pas détruit par sa maladie, mon papy, il était libre à toujours vouloir s’envoler de sa maison, même que ma mamy, elle n’arrêtait pas de lui demander où il allait encore. Maintenant, il ne va plus nulle part, et ses anciens amis, ils ne viennent plus jamais le voir. Ils doivent se dire que ce n’est pas facile de bavarder avec un handicapé qui ne peut plus parler, alors que quand il me caresse la joue, je comprends très bien qu’il pense à moi et ça me suffit pour l’aimer.
 
La vie de ma mamy, elle est très compliquée car elle doit aussi s’occuper de Guillaume qui a la maladie de dire ses quatre vérités à tous les gens qu’il croise et après tout le monde a peur de lui ou le déteste, et ma mamy, elle est encore plus seule. Elle a bien Bobby, c’est un labrador qu’elle a acheté pour aider son mari, mais la seule chose qu’il sait faire ce couillon, c’est poser ses deux pattes sur les genoux de mon papy et le pousser très vite sur sa chaise roulante dans le couloir de la maison. Bobby, ça le fait marrer, mais mon papy, ça lui fait peur, surtout qu’il ne peut pas l’arrêter, et ma mamy, après, elle met sa tête dans ses mains en disant qu’elle n’en peut plus. Je suis encore trop petit, mais dès que je serai grand, je promènerai mon papy partout en ville, et le Bobby, je lui apprendrai à obéir et j’achèterai aussi une femme de ménage à ma mamy pour qu’elle profite un peu de son grand âge à faire autre chose que de frotter sa maison ou de nettoyer les fesses de son Pillon.
 
Mais ce n’est pas demain la veille, car hier, pendant le déjeuner, Guillaume, il a dit à mon papa qu’il était con et qu’il n’arriverait jamais à la cheville du talent de leur père, et que c’était à cause de ça qu’il n’arrêtait pas d’embêter sa femme. Mon papa, ça l’a rendu fou d’entendre ces mots surtout que la veille, il s’était encore disputé avec ma maman. Du coup il a donné un coup de poing dans l’épaule de Guillaume qui lui a jeté son verre d’eau à la figure. Ç'a dégénéré très vite pire qu’à la récré, mon papa, il s’est levé et a cassé sa chaise sur Guillaume qui s’est écroulé par terre. Ma mamy a alors hurlé que ça ne servait à rien de le taper, vu que ce n’était pas les coups qui allaient remettre ses idées à la bonne place dans son cerveau cassé. Quand Guillaume s’est relevé, il a traité mon papa de pauvre naze et il est sorti dans le jardin. Je l’ai suivi et il m’a montré sa poule qu’il vient d’acheter car il a peur que mon papa lui cache ses médicaments qu’il ne veut plus prendre dans ses aliments, alors il ne mange plus que des œufs qu’il gobe. Sauf que sa poule, je ne sais pas où il l’a trouvée, mais elle est complètement folle car tous les matins, elle fait exprès de monter sur un arbre pour pondre, du coup, ses œufs, ils se cassent avant même que Guillaume puisse les avaler. Je lui ai dit qu’il n’avait qu’à pêcher des poissons, mais il m’a répondu qu’il en était hors de question, jamais il ne mangerait ses meilleurs amis, je lui ai alors proposé d'essayer les surgelés, mais il a préféré qu’on arrête cette conversation et il m’a appris tous les noms des oiseaux que l’on a croisés, ils les aiment tous, mais son préféré, ça reste la mésange bleue, peut-être parce qu’elle a les plumes de la couleur de ses yeux.
 
Quand on est rentré à la maison, tout le monde faisait la sieste. Guillaume m’a alors fait voir les certificats médicaux que mon papa avait cachés dans un dossier, et aussi une lettre dans laquelle il avait demandé à une ambulance de venir chercher Guillaume dès le lendemain matin pour l’emmener à Saint-Julien. Guillaume m’a expliqué que c’était un asile où l’on mettait les fous, puis il a ajouté que l’hôpital psychiatrique, plus jamais, il ne voulait y retourner car après, il devait attendre des mois avant de pouvoir en ressortir, et que sa seule liberté, là-bas, c’était d’avoir le droit de fumer ses cigarettes que lui achetait sa maman, et qu’il méritait quand même d’avoir une vie meilleure que de passer ses journées à attendre la visite de sa mère dans un couloir fermé à clef et gardé par un infirmier costaud. Et qu'il ne voulait plus de tous ses médicaments et piqûres qui l'empêchaient de penser et le faisaient grossir.
 
Puis il s’est énervé que mon papa, c’était un salaud qui avait toujours été méchant avec lui. Soudain, il m’a embrassé et m’a dit au revoir mon petit, je m’en vais, je suis très triste de quitter mon papa et ma maman qui sont les deux seules personnes qui m’aiment sur cette putain de terre, mais je dois partir, je ne peux pas rester dans une maison où mon frère veut m’interner. Je lui ai demandé où il comptait aller, vu qu’il n’avait pas de métier, ni d’argent. Il m’a répondu aux États-Unis et qu’il gagnerait des sous en faisant un dessin animé sur un poisson rouge amoureux d’une mésange bleue. Et il est sorti en n'emmenant avec lui que sa combinaison de plongée.
 
Un mois plus tard, mon papy est mort. J’ai beaucoup pleuré et ma mamy aussi. Elle m’a dit que pour se consoler, on irait planter un petit sapin sur sa tombe, comme ça les racines, elles se nourriront du corps de Pillon qui est dans la même terre en dessous, et puis quand l’arbre, il aura grandi, et bien, on en coupera une branche que l’on ramènera à la maison pour avoir toujours un peu de mon papy avec nous. Mais on n’a pas eu le temps d’y aller, car ma mamy, elle est morte peu de temps après, je crois, du cancer du chagrin, elle a été mise au cimetière dans le même trou que Pillon.
 
J’ai alors écrit à Guillaume pour lui dire qu’il devait revenir à la maison pour s’occuper de Bobby, et qu’il ne devait pas le gronder qu’il lui ait tué sa poule. Puis j’ai donné l’enveloppe à ma maman pour qu’elle la poste dans la boîte des États-Unis. Elle m’a caressé la tête et m’a dit que j’étais un bon petit garçon de penser ainsi à mon oncle qui n’avait pas eu la permission du docteur de sortir de l’hôpital psychiatrique pour assister aux enterrements de son papa et de sa maman.
 
GUILLAUME fait partie des 34 nouvelles de mon recueil BRÈVES ENFANCES paru aux éditions Au Diable Vauvert .
 
 
GUILLAUME, une nouvelle de Sylvie Bourgeois. BRÈVES ENFANCES
Partager cet article
Repost0
/ / /

Avant, je l’aimais bien Monsieur Montmort. C’est mon maître d’école. J’ai 10 ans et je suis en CM2 à l’école de la rue Voltaire à Montluçon. Mais maintenant c’est fini, je ne l’aime plus. C’a commencé le jour où j’ai surpris mon papa tout nu entre les jambes d’une femme à la peau très blanche dans le salon de notre maison et la situation ne portait pas à confusion. Normalement, je n’aurais pas dû être rentrée à cette heure-là et ç’a fait tout un drame. Le pire, c’est que j’ai dû changer de dentiste parce que c’était sa femme qui embrassait mon papa. Ca m’a bien ennuyée car il devait me faire un sourire de star. C’était notre secret. Il me disait que j’étais jolie et que dans la vie, les dents, ça faisait tout. Je lui avais aussi confié que plus tard, je voulais être comédienne et il m’avait cru et même encouragé, pas comme mes idiots de frères qui n’arrêtent pas de m’embêter qu’ils vont me marier avec un homme très riche pour qu’ensuite, ils puissent venir habiter chez moi sans avoir à payer de loyer. Mon dentiste m’avait dit que si je voulais réussir, il fallait que j’aie les dents bien alignées. J’ai la mâchoire trop petite et ma canine du haut fait de l’escalade et en bas, c’est fouillis. Ce n’est pas joli et quand je pose pour des photos de publicités, je fais bien attention à garder la bouche fermée. Clic Clac, je tiens une tirelire. Clic Clac, je me retrouve sur une affiche. Clic Clac, j’aime bien voir ma photo en vitrine des magasins. Clic Clac, ça fait comme si j’étais une religieuse au chocolat dans une pâtisserie et ça me donne envie de moi. Clic Clac, je préfère faire des photos que d’embrasser les garçons. Clic Clac, je les trouve tous cons à Montluçon. Clic Clac, je m’en trouverai un de bien quand je serai comédienne.

 

Du théâtre, j’en fais depuis pas longtemps avec des grands qui ont 20 ans. Je suis allée me présenter avec mes sandales compensées pour gagner quelques années. Mais ils m’ont trouvé trop jeune. J’ai insisté que je voulais faire mes preuves. Ils m’ont répondu qu’ils étaient en séance d’improvisation, que je n’avais qu’à me joindre à eux, le thème était la famille. Je me suis aussitôt jetée par terre en criant et en bavant que j’aimais ma maman, mais que j’étouffais avec mes cinq grands frères idiots et aussi plein d’autres bêtises qui me faisaient souffrir et qui sortaient en urgence de mon ventre sans réfléchir. Les étudiants m’ont applaudi, genre, j’étais un cas et m’ont immédiatement intégré à leur troupe. Même qu'en fin d’année, je jouerais au théâtre un enfant-roi dans une pièce de Ionesco. Youpi !

 

Mon dentiste devait me faire un appareil pour redresser mes dents et ensuite venir me voir jouer dans le monde entier. Comme depuis cette histoire avec mon papa, je ne sais plus de quoi sera fait mon avenir, j’écris. Mon journal intime. La semaine dernière, j’étais en train d’écrire qu'au Japon les habitants respiraient leur pollution avec des masques à gaz et que si nous ne changions pas nos voitures, nous serions bientôt obligés de vivre voilés, quand soudain Monsieur Montmort est arrivé à ma hauteur. J’ai tout de suite dissimulé mon journal entre mes jambes, mais il m’a regardé noir dans les yeux et a ordonné que je répète ce qu'il était en train de dire. Comme je suis intelligente, j’ai répété sa leçon. Il a alors crié que je devais lui donner mon carnet, mais j’ai refusé. Ces écrits étaient ma vie privée, il n'y avait aucune raison. Il est devenu tout rouge et a plongé sa main entre mes jambes. J’ai hurlé qu'il violait mon intimité. Il a pris sa règle en fer et a exigé mes doigts. Mes mêmes doigts qui se préoccupaient tant de l'avenir du monde. Je n’en suis pas revenue, alors j’ai serré les dents et j’ai souri. Ça l’a rendu fou. Il m’a tapée encore plus fort. Plus il tapait, plus je souriais. Je me sentais devenir une autre et soudain j’ai ri. J’ai ri car je venais de comprendre que j’avais le pouvoir de ne pas lui montrer qu’il me faisait mal et que ses coups, jamais ils ne m’influenceraient à pleurer.

 

Quand je suis rentrée à la maison, j’ai exigé d’aller chez le coiffeur. Comme ma maman est très obéissante, elle m’a donné cent francs et j’ai demandé à la coiffeuse de me couper les cheveux très courts. C’était affreux. Je ressemblais à un garçon et à un garçon pas beau. Ma maman, quand elle m’a vue, elle a même pleuré et mes frères, ils m’ont appelé Thierry. Thierry Millet qu’ils n’ont pas arrêté de répéter pour m’embêter. Tu es aussi moche que Thierry Millet. Je leur ai tiré la langue pour leur montrer que je m’en fichais qu’il se moque de moi et qu’ils n’avaient qu’à me taper, ainsi je sentirais de nouveau sur moi le pouvoir de ne pas montrer quand on me fait mal. 

 

Puis j’ai voulu des lunettes. Chez le docteur, j’ai fait exprès de dire que je ne voyais plus rien et de prendre les T pour des F et les N pour des M afin que le médecin dise à ma maman qu’il me fallait des lunettes immédiatement. Et ce matin, j’ai jeté dans les toilettes les appareils d'orthodontie que m’avait faits mon nouveau dentiste. Je ne l’aime pas car dans sa salle d’attente, je ne suis qu’une enfant parmi d’autres dents. Je me sens mal à l’aise dans ce lieu où je n’existe pas. Surtout qu’il ne m’a jamais demandé quel métier je voulais faire plus tard pour me faire les dents qui allaient avec. J’ai trouvé ça louche son manque d’intérêt de qui j’étais en train de devenir. Alors son appareil, je l’ai jeté dans les toilettes. Et j’ai tiré la chasse d’eau sur mon ambition d’être belle et actrice. Ah quoi bon ? Je préfère jouer la comédie de dire que je n’ai pas mal et je me suis mis à détester le monde entier sauf ma maman et ma copine Nathalie. J’ai décidé que plus jamais, je ne sourirai, ni j’écrirai, ni je chanterai. Je me battrai. Avec mes dents mal alignées comme sur un champ de bataille, je me battrai contre tous les Monsieur Montmort. Et plus je me battrai, plus je rirai. Mais toutefois en gardant la bouche fermée pour que personne ne voie le désordre intérieur de ma vie qui regrette d’avoir vu trop tôt le sexe nu de mon papa prisonnier des jambes d’une femme de dentiste. Je déteste les dentistes et leurs sourires trop blancs. Vivement qu’on porte tous des masques pour cacher ça.

MONSIEUR MONTMORT fait partie des 34 nouvelles de mon recueil Brèves Enfances, paru aux Éditions Au Diable-Vauvert.

Sylvie Bourgeois Harel - Cap Taillat - Cap Lardier - L'Escalet - Ramatuelle

Sylvie Bourgeois Harel - Cap Taillat - Cap Lardier - L'Escalet - Ramatuelle

Partager cet article
Repost0
/ / /

Je n’arrive pas à dire que je suis écrivain. Même si ces quinze dernières années, j'ai publié dix romans et chez des éditeurs importants dont certains à l’étranger, chaque fois que l'on me demande ce que je fais, je réponds, en ce moment, j'écris. Ce n'est pas par excès d'humilité, je ne suis ni humble, ni prétentieuse, mais je n’arrive pas à me projeter dans un métier et encore moins à me définir par une passion d'autant que l'écriture n'est pas une passion, je n'ai jamais désiré écrire, mais j'écris.

 

La seule chose dans laquelle je sais me projeter est mon mari. Je l’ai rencontré, il y a seize ans. Une semaine après la publication de mon premier roman. Depuis, à tout bout de champ, pratiquement tout le temps, je dis mon mari. Surtout lorsque je ne connais pas la personne qui s’adresse à moi, très vite, pour ne pas dire immédiatement, dès la première phrase, je lui parle de mon mari, mon mari a fait ci, mon mari a fait ça, mon mari m’aime, il m’épate tellement il m’aime, si, si, je vous assure, quoique je dise, quoi je fasse, il m’aime, j’ajoute en riant. Dans ces cas, les femmes (plus enclines à croire aux histoires d’amour) m’envient surtout si une amie est là pour confirmer, je n’ai jamais vu un couple aussi fusionnel, il la regarde toute la journée avec des yeux remplis d’admiration, c’est très beau, elle a beaucoup de chance, j’aimerais tellement vivre la même chose. Les hommes sont plus sceptiques. Certains prennent cela pour une provocation lorsque j’affirme que je n’embrasserais plus personne d’autre que mon mari. Ils ne comprennent pas ma soif d’absolu. Ni l’exigence, ni la beauté, ni la tranquillité que je mets dans ma fidélité. Ils échafaudent alors toutes sortes d’arguments pour me déstabiliser ou me faire rougir comme si je leur avais proposé un challenge et mis en place une invitation à jouer. Ce n’est pas la réaction que je recherche. Je ne recherche rien d’ailleurs. C’est ce qu’ils ne comprennent pas. Que je ne veuille rien d’eux. Comme si ma fidélité les castrait ou était une atteinte à leur virilité. Celle-ci délimite seulement un territoire. Mon territoire. Je les positionne à l’extérieur. C’est tout. Et ils le seront toujours. À l’extérieur. De ça, j’en suis persuadée. Ils n’auront jamais la possibilité d’entrer. Il n’y a pas de clé. Pas de lumière pour se repérer. Mon intimité est interdite. À peine est-elle lisible ou détectable dans mes romans. Mais pas dans mes yeux.

 

C’est pour cela que j’aime dire, mon mari. C’est ma protection. Comme une porte. Un mur. Un mur qui m’encerclerait. Qui m'enfermerait. Me grandirait. Cette protection me rend forte. Je me sens en sécurité. Je suis en sécurité. Je peux dire ce que je veux. Tout ce qui me passe par la tête. Comme les enfants. C’est très satisfaisant. Mieux qu’un baiser volé. Il m’arrive aussi de parler de sexualité. En toute liberté. Ça me rassure de pouvoir offrir une possibilité. La possibilité de ce qui ne sera jamais. Comme un rêve. J’ouvre. Sans rien donner. Sans rien montrer. Sans ambiguïté. Pour me différencier. Pour installer ma particularité. Dessiner ma force. Me persuader de l’être. Me soigner. Voilà, je le dis, je l’affirme, je pourrais le crier, le hurler aussi, les deux mots, mon mari, me protègent de cet inconnu planté en face de moi. Un inconnu qui me plaît terriblement.

Sylvie Bourgeois Harel - Château de La Mole - Var - 83 - Massif des Maures

Sylvie Bourgeois Harel - Château de La Mole - Var - 83 - Massif des Maures

Partager cet article
Repost0
/ / /

Quand j’avais 1 an, ma maman pour plaire aux parents de mon papa, elle a fait couper mon zizi. C’est ma mamie maternelle qui me l’a dit. C’était ça ou ils ne leur donnaient plus d’argent pour leurs études. Mon papa et ma maman étaient à la faculté quand je suis né, mon prépuce a payé leur scolarité. Quand ma mamie a appris que le rabbin m’avait coupé le zizi, ni une ni deux, elle m’a fait baptiser par le curé d’autant plus que le petit Jésus, c’est son meilleur ami, avec je crois Michel Drucker qu’elle ne rate jamais de regarder à la télévision. Elle m’a amené en cachette à l’église parce qu’il paraît qu’entre les Juifs et les Chrétiens, c’est parfois très compliqué. Ma maman a essayé plein de fois de me l’expliquer, mais je n’ai toujours pas compris. Pour moi, il y a l’amour et la haine, les copains et les cons, les bonnes notes et les punitions. Mais pour les chrétiens, il y a le messie qui est venu les sauver, tandis que les juifs, ils l’attendent toujours. Les sauver de quoi ? Ma foi, je ne sais pas, mais je sais que ça fiche la confusion parce que Noël, on ne le fête pas pareil.

 

Pourtant quand je suis né, il paraît que ma maman, elle a tenu tête à mon papa en lui disant qu’il fallait qu’il laisse mon zizi tranquille et que je prendrai tout seul la décision de ma religion quand je serai suffisamment grand. Mais à cause de son manque d’argent, elle a fini par accepter de me faire couper. Faut dire, qu’elle était très jeune pour prendre la responsabilité d’un bébé né hors de toute religiosité.

 

Ma mamie m’a dit qu’après je n’avais pas arrêté de saigner et pendant même plusieurs jours. Le rabbin, je ne sais pas ce qu’il m’a fait, mais, il me l’a mal fait car j’ai 10 ans et je n’ai toujours pas de zizi. Enfin, si j’ai un zizi, mais un tout petit. À la plage, mon maillot de bain, il ne fait pas de bosse. Alors que celui de mon copain David, oui. Pourtant David a le même âge que moi, mais il a de la chance d'être juif en entier tandis que moi je ne le suis qu’à moitié. C’est comme pour mon zizi, je n’en ai qu’une moitié. Je serai peut-être toute ma vie partagé. David, lui son bout de peau, c’était clair et net qu’il fallait le lui couper. Schlak ! Moi, on a hésité et maintenant, je suis tout plat comme une fille. 

 

Les filles, je m’y intéresse. Évidemment. Brigitte, elle voulait toujours que je l’embrasse. Alors on l’a fait une fois, à la plage. Quand je me suis frotté contre elle, elle a ri en me disant qu’avec David, elle sentait son gros machin et qu’avec moi, c’était comme du gazon. Ou un truc comme ça. Ça m’a drôlement vexé et je suis allé pleurer vers ma mamie. C’est là qu’elle m’a raconté le rabbin qui m’a trop coupé. Avec leur religion, mon pauvre petit, ils t’ont bien esquinté, qu’elle n’arrêtait pas de répéter ma mamie adorée. J’étais bien embêté d’autant plus que mon papa a divorcé de ma maman quand j’avais 5 ans et que je ne vois plus jamais mes grands-parents du côté du rabbin. Je trouve que c’est un beau gâchis de zizi car mes cousins chrétiens, eux et bien, ils n’ont pas rien dans leur caleçon de bain. Leurs bosses de garçons, elles se voient bien. Ils veulent toujours qu’on fasse la compétition de celui qui pissera le plus loin, mais moi, j’ai trop honte de ne pas avoir la même religion qu’eux, alors j’ai dit à ma maman que je ne voulais plus jamais les voir. Elle n’a pas compris et elle m’a grondé d’être si méchant. Je ne suis pas méchant, je souffre tellement de ne pas être pareil que les autres petits garçons que je n'aime plus personne.

 

Il y a un mois, j’ai glissé ma main dans la culotte de mon petit frère. Il a deux ans de moins que moi et sa zézette, elle est déjà plus grande que la mienne. Je lui ai dit qu’entre frères, nos quéquettes avaient bien le droit de jouer ensemble, et que comme la mienne était cassée à cause de la religion de papa qui n’était pas la même que celle de maman, il fallait qu’il m’aide à la réparer. Mais que ça devait rester notre secret.

 

Alors avec tout le sérieux des enfants, il a pris ma bistouquette et l’a touché pour voir si je n’avais pas un bouton ou une infection. Il a continué de l’ausculter bien sagement en se concentrant. L’entendre respirer très fort avec la bouche ouverte, c’est con, mais ça m’a foutu des frissons partout dans le dos. Des frissons où je sentais le plaisir caresser aussi le derrière de ma tête. Quand c’est devenu trop chaud, j’ai fermé les yeux et je lui ai demandé de frotter très fort mon zizi dans sa main. Il a fait ça tellement bien que je me suis mis à rêver que j’avais plein de petits frères qui criaient partout mon nom sur la plage. Quand le liquide est sorti, mon petit frère a été surpris et moi, j’ai été ébloui. Je lui ai dit merci docteur de m’avoir si bien soigné et que s’il savait se taire, on allait pouvoir bien se marrer tous les deux.

 

Depuis je ne pense plus qu’à ça et chaque jour, je trouve un moment où je lui demande de faire le médecin pour me sauver. Mon messie, c’est lui. Mon petit frère, il vaut toutes les Brigitte de la terre.

 

Maintenant quand je vais à la plage, je ne suis plus jamais triste d’avoir un petit zizi. Si jamais une fille, elle veut m’embrasser, et bien, pour me venger de mon infirmité, je la pousse dans le sable en lui disant qu’elle est trop moche pour moi. Et que même si on jouait au docteur, je n’en voudrais pas comme infirmière. Et quand elle se met à pleurer, je lui dis que c’est bien fait. Oui, c’est bien fait, je lui dis. Et je ris. Plus jamais une fille n’aura le droit de toucher à mon zizi. Voilà. J’aimerais tellement les enfants que je n’en aurais jamais. Voilà mon secret.

Sylvie Bourgeois Harel - Brèves enfances - Recueil de nouvelles - éditions au Diable Vauvert

Sylvie Bourgeois Harel - Brèves enfances - Recueil de nouvelles - éditions au Diable Vauvert

Partager cet article
Repost0
/ / /
Mon papa est curé. Tout le monde le sait, mais personne ne le dit. Je suis dans une école privée que le diocèse a payé. Je le sais. C’est comme ça que sont élevés les enfants des curés. Il paraît qu’on est nombreux à attendre que notre père change de métier. Moi je voudrais qu’il soit pompier. C’est peut-être dangereux comme métier, mais au moins j’aurais un papa. Quand mes copains me demandent comment s’appelle mon père, je dois répondre que je n’en ai pas. C’est dur de dire que je n’ai pas de papa alors que quand même tous les soirs, j’embrasse le curé de la paroisse.
Quand je vais à confesse, j’ai peur de faire une gaffe du genre de demander à mes amis si mon père, il a été gentil avec eux. Je n’ai pas de frère, ni de sœur, mais mon curé de père, il dit qu’on est tous frères sur la terre. Alors moi ça me fout la confusion surtout quand mes potes l’appellent mon père. Dans ces cas-là, je préfère encore me taire. Notre père qui êtes aux cieux, notre père qui êtes dans le pieu de ma mère, faites en sorte que Marie m’aime. Marie, c’est ma copine d’école. C’est une sainte-nitouche que j’ai seul le droit d’embrasser. Elle n’a pas de papa non plus. Quand j’ai demandé à mon père, Père Jean-Pierre, si je pouvais me marier avec Marie, il est devenu blême. Marie comment ? Il m’a demandé. Marie comme sa maman, je lui ai répondu, elle n’a pas de papa. Ma maman a alors demandé à son curé d’amant pourquoi il s’intéressait à cette Marie. Sainte-Marie, mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs. Que son nom soit sanctifié et pourquoi elle ne viendrait pas jouer avec le petit ? A demandé ma maman. Mon père a fait les gros yeux. Marie, il a répété, Marie ! Ben oui, qu’elle vienne goûter à la maison, a insisté ma mère. Soudain elle a crié Marie ! Cette Marie ? Puis elle s’est tue et m’a demandé d’aller ranger ma chambre en priant le petit Jésus que tout cela rentre dans l’ordre. Je ne veux pas rentrer dans les ordres, moi, je veux être coureur cycliste. Même que hier soir à la télé, j’ai vu un film dans lequel un curé faisait du vélo et que ça m’a bien fait marrer. Mon père, il n’a pas de vélo, il marche à pied. C’est plus facile je crois pour porter sa croix.
Quelle drôle d’idée il a eu mon très saint-père d’avoir fait vœu de chasteté. Du coup, ma mère vit dans le péché. Je crois que j’aurais préféré encore qu’elle couche avec le Père Noël qui n’existe pas. Cela m’aurait posé moins de problèmes existentiels. Parce que la chrétienté de mon Père éternel, faut pas croire mais elle m’est difficile à gérer. Je dois prier à genoux, adorer le miserere, réciter le bénédicité. Confiteor Pater Ave Maria et tout ça ! Je n’ai pas encore dix ans et Amen pour moi c’est vraiment de l’hébreu.
Dans la boutique où mon copain David achète de la viande casher, il y a écrit boucher de père en fils. J’espère qu’au-dessus de ma tête, il n’y a pas écrit curé de père en fils, sinon je serai mal barré pour épouser Marie. Je ne veux pas lui faire de bébé dans l’illégalité de la religiosité. Mais plutôt dans la position du missionnaire, n’arrête pas de me répéter pour m’embêter David depuis que je lui ai confié mon hérédité.
Ce matin, mon père m’a emmené loin au fond du jardin pour m’expliquer que je ne devais pas aimer Marie car elle était ma sœur. Enfin à moitié ma sœur si je voyais ce qu’il voulait me dire. Je ne comprends rien mon père, vous m’avez toujours dit qu’on devait tous s’aimer les uns les autres puisque nous étions tous frères et sœurs sur la terre. Alors là, mon saint père s’est énervé comme je ne l’avais jamais vu encore s’énerver. Je ne devais pas jouer au plus futé avec lui qu’il me répétait, la situation était déjà suffisamment compliquée entre les deux mamans. Il était un Père, mais aussi un homme et du coup, enfin façon de parler, le père de deux enfants.
Alors pour ne pas pleurer d’avoir été des enfants du péché, j’ai décidé d’emmener Marie jouer à Adam et Eve avec moi au Paradis. Au milieu des pommiers et des serpents, nous fonderons une Sainte Famille. Viens Marie, je lui ai dit en ouvrant la fenêtre de mon appartement. Nous sommes Vendredi saint et nous allons voler vers le Paradis. N’aie pas peur Marie, je t’aime ma Sainte Vierge, nous sommes deux anges innocents et arrière grand-père, père de Dieu, père de papa nous attend au royaume des Saints. Si notre vie à cause de notre amour ne peut se faire ici-bas, alors là-haut nous réussirons, toi dans la chanson et moi dans le vélo.
Viens ma bien aimée, nous allons nous envoler dans la félicité vénérée de la divinité sacrée. Viens nous allons rejoindre les bienheureux dans les cieux. Mais c’est haut, m’a dit Marie. Oui, mais rien n’est trop haut ni trop beau pour te conquérir, je lui ai répondu en lui prenant la main et en l’entraînant dans le vide. Nous nous sommes écrasés dans la cour de la récré aux pieds de mon père et de David qui, bouches bées, nous ont regardé tomber. Mon père a fait le signe de croix. Adieu mon papa que, pour la première fois, j’ai le droit d’appeler papa.
Sylvie Bourgeois Harel - Chateau de la Mole - 2019

Sylvie Bourgeois Harel - Chateau de la Mole - 2019

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Sylvie Bourgeois fait son blog
  • : Sylvie Bourgeois Harel, écrivain, novelliste, scénariste, romancière Extrait de mes romans, nouvelles et articles sur mes coups de cœur
  • Contact

Profil

  • Sylvie Bourgeois Harel
  • écrivain, scénariste, novelliste
  • écrivain, scénariste, novelliste

Texte Libre

Recherche

Archives

Pages

Liens