Nous sommes en septembre 1998. Je suis au Festival de Deauville avec mon fiancé qui travaille pour Sony Pictures. Nous descendons toujours au Royal. Le matin, je fais du cheval sur la plage. À cette époque, le festival était encore très convivial, très friendly comme disent les Américains.
Ce soir, c’est la projection en avant-première de Zorro. Antonio Banderas et Catherine Zeta Jones sont venus le présenter. L’après-midi, l’attachée de presse française de Warner téléphone à mon fiancé, Michaël Douglas désire être invité au dîner que Sony Pictures organise au Trois Mages après le film. Autant dire qu’il répond oui immédiatement. Un nouveau plan de table est immédiatement imaginé.
Avant la fin de la projection, je m’éclipse avec mon fiancé qui veut vérifier que tout est en place au restaurant. La salle est déserte, les clients sont encore au cinéma. Trois tables sont dressées pour accueillir la cinquantaine d’invités de Sony. Et là, que voyons-nous ? Michaël Douglas qui, tranquillou, les mains dans les poches, en sifflotant l’air de rien, avec son charmant air coquin, est en train de réorganiser complètement le plan de table en changeant les noms inscrits sur des bristol pour être assis à côté de Catherine Zeta Jones pour laquelle, je l’apprendrai des années plus tard par mon ami Alberto, il a complètement craqué la veille lorsque Régine la lui a présentée dans sa boîte de nuit située sous le casino.
Ça y est, l’équipe du film arrive suivi du staff français et américain. Tout le monde prend sa place indiquée par les bristols. Nous venons de finir l’entrée quand soudain j’éclate de rire.
— Non mais tu as vu le bordel qu’a mis Michaël Douglas dans ton dîner qui ne ressemble plus à rien, je dis à mon fiancé. Regarde, le patron monde de Sony Pictures est maintenant assis entre le coiffeur et le dealer, il y avait toujours un dealer habillé trop chic qui accompagnait les talents, Banderas tire la gueule car il est assis entre les deux nains de 7 ans du producteur à qui il n’a strictement rien à dire, Mélanie Griffith est furieuse d’avoir été reléguée à l’autre bout de la table et Philippe de Broca, très ému à l’idée de retrouver la belle Catherine Zeta Jones qu’il a fait tourner huit ans plus tôt dans Les mille et une nuits, est très déçu de ne pas pouvoir l’approcher, le seul qui est content, c’est Michaël.
Et il avait bien raison Michaël d’être content, ce soir-là, il a 54 ans, il est resplendissant comme un Dieu et il vient de séduire la deuxième femme de sa vie dont il est toujours amoureux vingt-six ans plus tard.
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J’ai toujours aimé faire rire les hommes. Je ne les ai jamais dragués. Je n’ai jamais cherché non plus à les séduire pour obtenir des avantages pécuniaires, sociaux, professionnels, financiers. Non. J’adore juste les faire rire. C’est con, mais je trouve qu’un homme qui rit devient tout de suite gentil. En le faisant rire, je le sors immédiatement de son carcan d’homme adulte et responsable. Je n’attends rien de lui. Je le replonge juste dans son adolescence. Nous redevenons deux adolescents.
Une adolescence que je n’ai pas vraiment connue. Je travaillais déjà. Je n’ai pas connu l’insouciance des bandes de copains, des soirées-guitare sur la plage, des virées en camping. Je n’avais pas le temps. Et puis, j’étais cassée. Mais ça, c’est une autre histoire. Alors, oui, lorsque je rencontre un homme, immédiatement, j’ai envie de le faire rire. Même les chauffeurs de bus à Paris. Plusieurs fois, pour me remercier de les avoir fait rire et offert une parenthèse de légèreté, ils m’ont déposée à l’endroit précis où j’allais en déviant légèrement leur parcours. Je vous jure, même mon mari a été témoin. Un soir, un bus nous a attendus à minuit devant un endroit précis qui n’était pas sur sa trajectoire, pas loin, mais pas sur sa route, pour nous ramener à la maison tellement je l’avais fait rire à l’aller.
Bref, le rire est ma forme de politesse, ma façon de vivre, de rentrer en contact, de télépathie aussi. Rire, rire aux larmes, éclater de rire, est ma libération. Proche du divin. Avec Alain Delon, cela a été pareil. En 2009, avec mon mari, le réalisateur Philippe Harel, nous sommes invités à un dîner caritatif. Pendant le cocktail, je présente à Alain Delon que je ne connais pas une jolie comédienne que je ne connais pas non plus. Il avait des envies de théâtre. Je leur dis qu’ils feraient un beau couple sur scène. La jeune comédienne est ravie. De son côté, il éclate de rire. Puis, la jeune comédienne s’éloigne, émue.
Avec Alain Delon, nous restons finalement tous les deux à papoter. Á se raconter des trucs rigolos. Des trucs simples et faciles. Je l’emmène alors en adolescence. On a soudain 15 ans. Nous sommes deux adolescents à se raconter des conneries d’ados. Plus rien n’a d’importance que les bêtises que nous nous racontons pour faire rire l’autre. Très vite, il doit se sentir en confiance car il me raconte des choses que je ne veux pas répéter, des choses que je ne dévoilerai jamais, des choses à nous, des choses d’ados, des secrets d’ados. Il me parle aussi des femmes, des femmes qu’il a aimées. Il me raconte alors trois anecdotes très drôles en me donnant gentiment des petits coups sur l’épaule, comme le font les bons copains quand ils ont trouvé une histoire encore plus épatante à raconter.
Il faut ensuite passer dans la salle du dîner. Il est le président d’honneur de cette soirée. Nous sommes à sa table. J’ai failli échanger mon nom pour m’asseoir à ses côtés, puis je me suis ravisée, je ne voulais pas être mal élevée. Je suis donc à deux personnes de lui. Il y a la place vide d’une femme qui n’est pas encore arrivée, mon mari et moi, ça va, je me dis. Les autres convives fument dehors. Nous continuons donc de rire. Sur tout. Et aussi sur les médicaments qu’il prend. Quand je le questionne, il relève un sourcil pour m’impressionner :
— Vous êtes bien curieuse, Sylvie.
— Evidemment, Alain, je lui réponds, il n’y a que l’intimité qui m’intéresse, alors, c’est quoi ces pilules ?
Il éclate alors de nouveau de rire et dans un sublime sourire, il me dit :
— Si vous croyez qu’à mon âge, on tient debout tout seul.
Soudain la salle se remplit. Deux jolies filles choisies pour leur plastique prennent place à ses côtés. Il se couche pratiquement sur mon mari pour continuer notre conversation. Pour que l’on puisse continuer de se dire des bêtises sans importance. Pour rester encore un peu dans notre adolescence. Mais il y a du bruit. Les filles l’accaparent. Elles lui posent des questions sur ses films. Il ne répond pas. Il n’a pas envie de parler de ses films. Il les connaît par cœur ses films. Des journalistes s’approchent. Des invités aussi. Il se ferme. Toutes ces personnes qui l’encerclent lui rappellent qu’il est Alain Delon, notre plus grande star, le plus bel homme du monde.
Il me regarde d’un air désolé. On s’est compris. Fini nos 15 ans. En un quart de seconde, il redevient un homme à qui la société demande beaucoup. Il revêt alors aussitôt sa carapace de star pour se protéger de toutes ses intrusions. Le charme est rompu. La soirée est foutue.
Je m’en fiche, je l’ai retrouvé la nuit même dans l'un de mes rêves, nous avions 15 ans.
Ce dimanche 18 août 2024, Alain Delon est décédé. Avec sa mort, c’est toute une époque du cinéma français qui disparaît à tout jamais. Mille fois, j’ai demandé à mon mari que l’on écrive ensemble un film pour faire jouer Alain Delon qui ne désirait plus tourner. Mon mari est un merveilleux directeur d’acteur et réalisateur. Qui sait filmer l’indicible. Qui sait filmer la pudeur. Qui sait filmer l’intimité. Ils auraient été parfaits l’un et l’autre. D’autant que mon mari adore Alain Delon. Pour lui, c’est le plus grand des acteurs. Mais je n’ai réussi à le convaincre. Mon mari m’aime, mais ne m’écoute pas.
Sylvie Bourgeois Harel
Jack Nicholson, un été à Saint-Tropez
J’ai 41 ans, je suis à Nice lorsque mon téléphone sonne, je décroche et j’entends une petite voix me dire : bonjour Sylvie, on m’a donné vos coordonnées, il paraît que vous pouvez m’aider, vous êtes voyante, c’est ça ? Euh, non, je réponds, dites-moi quand même quel est votre problème. La petite voix m’explique qu’elle souffre car son amant ne quitte pas sa maîtresse officielle alors qu’il lui promet qu’il va le faire, elle est désespérée et ne fait que pleurer. La petite voix est une héritière très riche, divorcée d’un milliardaire né dans une famille dont, me dit-elle, on ne divorce jamais, mais elle, avec sa petite voix, elle a osé partir.
Par chance, un ami travaille chez la maîtresse en question. Je peux donc avoir toutes les infos nécessaires sur les nombreux déplacements de l’amant, qu’il dit être strictement professionnels alors que ce sont souvent des week-ends d’amoureux avec sa maîtresse. Évidemment, la petite voix ne sait pas d’où viennent mes précieuses infos qui s’avèrent toujours justes dès qu’elle désire coincer son amant sur ses nombreux mensonges.
Au bout d’un mois, la petite voix que je ne connais toujours pas m’invite au George V pour me remercier. À la fin du dîner, elle me confie qu’elle est contente que nous ayons parlé philosophie car elle avait un peu peur que nous ne parlions que d’habits, ce qu’elle fait d’habitude avec ses amies. Ravie, elle m’invite à passer le mois d’août avec elle à Saint-Tropez. Euh, non, un mois c’est trop, je lui réponds, je viendrai deux ou trois jours, non, non, non, elle insiste en tapant des pieds comme une petite fille gâtée, je veux que tu viennes un mois. Je négocie deux semaines, ça me suffit.
La maison qu’elle a louée est sublime, les pieds dans l’eau, avec ponton privé d’où je plonge chaque matin après mon footing quotidien, à cette époque, je suis anorexique et je fais trois heures de sport par jour pour sécher mon corps. Dommage, je n’écrivais pas encore sinon je ne serais jamais sortie de ce paradis, tandis que là, dès 8 heures, je file en scooter chez Sénéquier retrouver mes copains jusqu’à l’heure du déjeuner sur une plage ou nous allons souvent en bateau.
La petite voix est invitée à toutes les soirées mondaines où je n’ai aucune envie de l’accompagner, les dîners placés y sont trop longs et ennuyeux, ça ne parle que d’habits, d’achats, de restaurants et de nouveaux hôtels formidaaables. Néanmoins, comme je l’adore et que je suis devenue sa poupée, je la laisse m’habiller avec ses très jolis vêtements de grandes marques, mais arrivées dans les sublimes propriétés, j’enlève discrètement nos noms des tables. Après quelques bisous et small talk, je cache la petite voix contente de retrouver ses 10 ans dans les toilettes et hop, de là, nous filons à la voiture. En route, je téléphone au cuisinier afin qu’il nous prépare des frites avec un œuf plongé dans la friteuse, un régal, et qu’il installe notre table sur le ponton. Après le repas, nous plongeons nues dans la nuit, un délice. La petite voix est heureuse que je lui apprenne ma simplicité des bons moments.
Un matin, la petite voix ravie qu’Yves Rénier se soit épris de moi, il ne me quitte plus et m’appelle tout le temps, décide de faire un cocktail dînatoire le soir-même en mon honneur, elle trouve ça très gai son coup de foudre alors que je n’ai jamais fait le moindre bisou à Yves avec qui d’ailleurs je suis restée très amie.
En début d’après-midi, Jack Nicholson débarque en short à la maison avec sa fiancée Lara Flynn Boyle, Willy Rizzo qui a amarré son Riva devant le ponton et son épouse Dominique. Autour d’un café sur la terrasse, j’explique à Jack que la petite voix a organisé un cocktail mais s’il veut avoir la paix, qu’il se sente à l’aise, il n’est pas obligé d’y participer. You are explaining to me that you would prefer I not be present ? me demande l’homme que le monde entier, j’imagine, aimerait avoir à sa table. Le ton est mis.
Durant la soirée qui, évidemment, n’est pas placée, Jack, très cool, s’installe en short, chemise hawaïenne et casquette à la table des enfants et joue tranquillou avec eux. C’est top, il a fallu un certain temps avant que les invités le reconnaissent.
Le lendemain matin, c’est la cacophonie, tous les téléphones se mettent à sonner, même le mien, d’Eddie Barclay à Tony Murray, toute la presqu’île veut inviter Nicholson. Sentant qu’il veut être tranquille avec Lara, je lui propose de prendre ma réservation pour deux au 55, puisque qu’elle est à mon nom, aucun paparazzi ne saura qu’il va déjeuner là-bas, je lui laisse même ma BX avec mon vélo dedans, oui, chaque soir, j’allais pédaler une heure, pour être totalement incognito. Good idea, me dit-il en m’embrassant sur le front. Come with us, I invite you, you’re fun. No, no, je réponds. Pourquoi ? Je ne sais pas. Toute ma vie tient peut-être justement dans mes choix bizarres.
Le soir, au moment de partir dîner à l’Auberge de La Mole dont les plats sont trop copieux et trop gras pour une anorexique comme moi, je suis vautrée sur le canapé en pyjama en soie choisie par la petite voix quand Jack me demande pourquoi je ne suis pas prête. I’m tired, I said en baillant, I prefer to stay at home. Pas habitué à ce qu’on lui dise non, Jack me soulève par les épaules : Sylvie, stop always saying no. C’est très mignon de sa part. Hop, je saute dans une paire de mules en sequins de la petite voix afin de transformer mon pyjama de soie en tenue de soirée, hop, je me retrouve assise à ses côtés dans la voiture, hop, avec Lara aussi maigre que moi, au resto, c’est top, en voyant le menu foie gras, on se comprend aussitôt, hop, ni vu, ni connu, on se trouve un gentil chien pour finir nos assiettes, sauf pour le dessert, la mousse au chocolat mélangée à de la crème fraîche, aucune anorexique ne peut résister.
Le lendemain matin, en rentrant de mon footing, j’ai couru une heure de plus afin d’éliminer mon excès de mousse au chocolat, je retrouve la maisonnée au petit-déjeuner servi sur la terrasse quand Jack m’annonce que nous sommes invités à déjeuner chez Barclay, avant même que j’ouvre la bouche, don’t say no little girl, me dit-il en croquant dans sa tartine.
Dans le Riva, pendant que Dominique et Lara bronzent sur la banquette arrière, je raconte à Willy et Jack mon amour pour Schopenhauer. Soudain, je réalise que je suis en train de traduire l’un pour l’autre nos pensées philosophiques. Don't tell me you don't speak French and Willy no English, je dis à Jack en éclatant de rire. You are the first who noticed it, éclate-t-il de rire à son tour. Depuis le temps que ces deux meilleurs amis se connaissant, et bien, il ne se parlent qu’en faisant des yéé yéé franco-anglais ou des claques sur l’épaule, c’est peut-être ça d’ailleurs le secret d’une amitié qui dure, se parler par télépathie.
Chez Barclay, après le déjeuner, Jack m’entraîne dans le jardin pour continuer de converser sur le sens à donner à notre vie, ma question de toujours, pourquoi quelque chose plutôt que rien ? Puis nous allons tous les cinq nous baigner au mouillage devant Pampelonne, à sauter dans la mer depuis le Riva, les habituelles photos que l’on voit tous les étés dans Paris-Match.
Le soir, après le dîner à la maison, vautrée en robe longue de soirée sur le canapé du salon, je lance le sujet sur l’amour, le sexe et l’argent. Lara me dit que nous, les Françaises, sommes idiotes car nous donnons gratuitement aux hommes l’escalade de nos prouesses sexuelles, contrairement aux Américaines qui le monnayent, genre tu veux un blow job, ok, déjà, jamais le premier soir, et ensuite combien tu es prêt à donner pour atteindre le nirvana que tu attendras le temps qu’il faudra ? Effarée, je regarde Jack qui me montre le magnifique bracelet en diamant autour du poignet tout maigre de Lara. Ah oui, quand même, putain, je me dis, c’est sûr que je suis différente…
Le lendemain, Jack, Lara, Willy au volant de son joli Riva et Dominique repartent à Saint-Jean-Cap-Ferrat. Sur le ponton, je leur dis de bien faire attention aux rochers qui sont un peu plus loin, que l’on ne voit pas à fleur d’eau, car vu que j’ai faites toutes les manoeuvres du bateau la veille pour accoster et repartir de chez Barclay, je crains que Willy ne soit fatigué. Une heure plus tard, le téléphone sonne, ils se sont plantés exactement au même endroit.
Avec Lara, nous nous écrivons quelques mails rigolos, on s’échange nos adresses de restos où l’on peut ne manger qu’une carotte et perdre encore un kilo, elle m’invite chez elle à LA, je n’y suis jamais allée. Pourquoi ? Je ne sais pas. La petite voix me demande de rester plus longtemps à Saint-Tropez, jusqu’à fin septembre, elle a prolongé la location, l’arrière-saison est superbe, elle ajoute que c’est chouette que je fasse du 35 comme elle et que je puisse porter ses habits, elle veut d’ailleurs m’emmener faire du shopping au village, bien sûr, c’est elle qui payera tout. Non, non, je lui réponds, j’ai dit deux semaines, c’est bon, je veux maintenant rentrer dans ma vie et aller m’acheter un jean XXXS chez Gap.
Épisode 5 - Marcelline réalisatrice du clip pour son association
Le chef-opérateur Matthieu Poirot Delpech, le chef-opérateur son François de Morant, le régisseur Éric Aufevre, le machiniste Olivier Bouyssou, le 1er assistant Rodolphe Kriegel, la chef coiff...
Matthieu Poirot Delpech sur le tournage d'Un adultère de Philippe Harel
Nous on s'aime, une chanson de Georges Chelon
Tous les prénoms ont été changés un roman de Sylvie Bourgeois Harel
Henri
Mon papa, je ne le vois qu'une heure par an, quand il va au Festival de Cannes pour s’occuper de stars de cinéma. Je le retrouve dans un jardin public derrière l’hôtel Negresco. Pendant ce temps, ma grand-mère m’attend. Pas longtemps. Mon papa est toujours pressé. Je le vois aussi parfois en photo dans Paris-Match, mais jamais en entier, en général je ne vois que le bout de son nez comme s’il avait fait des acrobaties pour se retrouver à tout prix sur la photo alors qu’on voit bien que le sujet ce n’est pas lui, mais plutôt une actrice très connue ou un comédien que l'on voit à la télé.
Ma grand-mère qui me fait office de maman et de papa m’a expliqué que dans le cinéma, l’amour n’existe pas et que les gens, ils sont souvent obligés de faire des pieds et des mains pour avoir leur place sur la photo car c’est un métier qui les rend fous, à force de trop fréquenter des vedettes, ça les fait croire importants. Alors que dans leur vraie vie, ils deviennent très vite tristes dès qu’ils ne sentent plus briller sur eux la lumière des célébrités, et après ils ne font qu’embêter leur famille à leur reprocher de ne pas être des stars pour que leurs journées, elles soient plus rigolotes.
C’est pour ça que mon papa, il ne m’aime pas. Parce que je ne suis qu’un petit garçon de huit ans, et il ne trouve pas ça très marrant. Il préférerait certainement que je sois un grand artiste de music-hall surdoué pour mon jeune âge à jouer déjà des claquettes, comme ça il serait fier de me promener partout dans les boutiques où les gens me demanderaient des autographes. Mais comme ma vie, c’est plutôt de jouer avec mon cousin et ma cousine, ça l’ennuie.
Avec ma grand-mère de toute façon, on s’en fiche complètement d’être deux abandonnés, elle, c’est son mari qui est parti. Et même qu’on est très content que ceux qui sont censés nous aimer soit par monts et par vaux, comme ça on n’a que nous deux à s’occuper. Et on s’occupe très bien de nous deux. Ma grand-mère, je l’aime beaucoup. Je l’adore même. C’est une grand-mère enfant, dans le sens qu’elle rit tout le temps. C’est comme si elle avait mon âge, sauf qu’elle a le droit d’aller toute seule en ville, alors que moi, pas encore. Mais elle m’emmène souvent. Elle est très fière de me tenir par la main. C’est bien simple, elle dit à tous les commerçants que je suis le plus joli petit garçon de Nice. Ma grand-mère, c’est la maman de ma maman et ma maman, je ne la vois pas souvent non plus car elle était trop jeune quand je suis né pour porter ma responsabilité. Mais là maintenant c’est bien car elle a trouvé un nouveau mari et même qu’à la fin de la semaine je vais prendre le train pour aller la retrouver et vivre avec elle à Montpellier. Au téléphone, elle m’a dit : mon chéri, on va enfin habiter ensemble. Et ça m’a fait très plaisir presque à en pleurer, mais je me suis retenu, je ne voulais pas montrer que j’étais content à ma grand-mère qui sera bientôt triste de ne plus pouvoir me faire à manger ou m’acheter des beaux habits. Car ma grand-mère souvent, je l’entends dire à ses copines en cachette sans savoir que je suis là, que c’est pitié pour un petit garçon d’être sans ses parents, mais qu’en même temps je suis pour elle un cadeau des dieux tellement c’est merveilleux de pouvoir s’occuper d’un enfant quand on a soixante ans et suffisamment d’argent.
Il a été décidé que je prendrai le train avec ma tante mimi qui doit rendre visite à sa fille qui habitent aussi près de Montpellier, mais un peu plus loin sur la voie ferrée. Je me suis dit qu’il y avait certainement dans cette région un nid de maris pour les filles de notre famille, sinon je ne vois pas la raison.
Quand on est arrivé, ma maman m’attendait sur le quai de la gare et j’ai couru très vite pour me jeter dans ses bras et la serrer fort contre mon cœur, car même si je ne la vois pas souvent, c’est quand même ma maman et je l’aime. Enfin, je crois. Après elle m’a amené dans sa nouvelle maison. Elle m’a présenté Roger qui allait être mon futur beau-papa, il a dit comme ça. Puis on a déjeuné, c’était bon, mais j’ai quand même demandé à téléphoner à ma grand-mère qui devait se faire du souci de me savoir pas en face d’elle comme tous les midis depuis que je suis né. Je l’ai sentie faire exprès d’être gaie, mais j’ai entendu des sanglots qu’elle cachait dans sa voix, alors je lui ai dit de ne pas s’inquiéter, que c’était juste la normalité qui s’installait entre nous, qu’un petit garçon, ça devait vivre avec sa maman, surtout quand il était encore un enfant, mais que promis, je viendrai la voir souvent et qu’elle pourrait aussi venir dormir ici, la maison semblait suffisamment grande, même si je n’avais pas encore vu ma chambre, ni accrocher les habits qu'elle m'avait achetés dans un placard ainsi qu’elle me l’avait appris.
Puis ma maman m’a accompagné dans un jardin public pour me promener, je crois, je ne sais pas, je n’ai pas osé lui demander. Il n’y a pas encore entre nous la même intimité qu’avec ma grand-mère où l’on se dit tout et même parfois des grosses bêtises juste pour nous faire rire. Et après ma grand-mère, elle devient toute rouge et elle m’embrasse en me serrant fort contre son cœur que je suis si gentil.
Quand on est rentré, Roger nous a demandé de nous dépêcher, la route était longue quand même avant d’arriver. Ma maman ne m’a pas regardé quand je lui ai posé la question de notre destination. Elle a juste dit à Roger de prendre le bagage du petit, ce à quoi, il a répondu qu’il était déjà dans le coffre de la voiture et qu’il n’attendait que nous. Puis il m’a souri. C’était la première fois de la journée que je le voyais sourire.
- Vous me ramenez chez grand-mère ? J’ai dit ? On part en vacances ? Super ! Où ? Aux Etats-Unis ?
Mais ils ne m’ont pas répondu. Ils n'ont pas ri non plus. Je me suis allé m’asseoir à l’arrière de leur Renault, ma maman devant, mais pas au volant. Pendant le trajet, j’ai regardé le paysage qui s’avançait dans la campagne, surtout des vignes, partout. Puis on a tourné après un village dans un grand parc où il y avait un château, comme celui de La Belle au bois dormant que je ne lis plus car c’est un livre pour les filles, mais que j’aimais bien quand même quand ma grand-mère me le lisait au lit quand j’étais encore petit.
On s’est garé. Plein d’enfants ont couru pour venir me regarder comme si j’étais le pape que l’on ne voit jamais si ce n’est à la télévision.
- C’est quoi ? On est où ? j’ai demandé.
Mais encore une fois, je n’ai eu que leur silence comme réponse. J’ai essayé de m’énerver et de faire un de mes caprices qui fonctionne si bien avec ma grand-mère, mais ma maman m’a saisi la main qu’elle avait bien froide et on a monté un grand escalier de pierres, pendant que Roger sortait ma valise. J’ai eu envie de pleurer. Je vivais les mêmes images que j’avais déjà vues dans un vieux film au cinéma. Mais je n’en ai pas eu le temps car un monsieur long et fin est arrivé. Il m’a fixé droit dans les yeux en me souhaitant bienvenue dans son pensionnat. Ma vie s’est écroulée.
On est entré dans le bureau du monsieur long et fin. Ma maman m’a embrassé. Roger m’a serré l’épaule en me disant que j’allais me faire plein de camarades ici. J’ai failli lui répondre que des amis, ce n’était pas ce qui me manquait à Nice, j’avais Benoit, Anatole, Charles. Je n’avais donc pas besoin des siens de sa région qui sent trop le vin avec toutes ses vignes, mais j’ai préféré l’ignorer. C’était mieux ainsi. Je venais surtout de comprendre que pour lui, je n’étais rien d’autre qu’une vieille chaussette qu’on peut abandonner n’importe où, histoire de pouvoir continuer d’embrasser ma maman à sa guise et même de lui glisser une main entre les jambes comme s’il croyait que je n’avais rien remarqué pendant le déjeuner.
Ma maman ne me parlait pas. Je me suis dit que, finalement, une maman, ça ne servait à rien, à part de pouvoir souvent rêver à elle et d’imaginer combien ce serait bien si elle me coiffait les cheveux chaque matin avant d'aller l’école, en me déposant un baiser sur le front. Je suis un idiot, j’ai ajouté car chaque fois que je pleure, c’est toujours ma maman que j’appelle dans mes sanglots en croyant qu’elle seule peut me sauver. Autant appeler le bon Dieu, je me suis dit. Le bon Dieu, il a fallu le prier quand nous sommes passés à table. C’était dégoûtant leur nourriture.
Quand je me suis couché sur mon lit en fer, rangé, aligné, dans ce long dortoir qui allait dorénavant me faire office de maison, j’ai eu peur. Peur que ma vie, ça veut dire à présent être tout seul. J’ai eu peur aussi que ma grand-mère meurt sans que j’aie le temps de lui dire combien elle me manque déjà. C’est la première fois que j’ai pensé à ça, même si je me moquais souvent de son grand âge, je n’avais jamais imaginé qu’elle puisse un jour mourir pour de vrai, pour toujours. Ca m’a fait froid. Froid à en crier. Froid à vouloir me réfugier dans l’odeur de ses baisers un peu fanés. Froid à ne pas oser regarder les ombres flotter devant mes yeux. C’étaient les garçons de l’institution, ceux qui ont déjà l’habitude de vivre dans le noir de la nuit à se promener partout entre les lits sans que le surveillant ne les entende. Ils étaient venus m’embêter parce que je suis le dernier arrivé. Le petit nouveau. Ils n’ont pas arrêté de me chahuter, mais leurs pincements et leurs moqueries, ce n’était rien comparé aux fantômes et aux démons qui dansaient dans ma tête. Du coup, ils se sont lassés de mon immobilité et ils sont repartis se coucher. Je me suis retrouvé enfin seul dans mon chagrin. Moi qui ai toujours cru que je descendais d’un cavalier noir sans peur et sans reproche, je me suis mis à trembler et j’ai regretté d’être né d’un papa dans le cinéma et d’une maman trop jeune.
Soudain, je me suis réveillé. Je me suis réveillé car j’étais mouillé. J’étais mouillé et ça sentait mauvais. Bouah ! Très mauvais même. J’ai soulevé mon drap. Et là, j’ai compris que j’étais encore trop petit pour affronter ma nouvelle réalité. Tout était parti. Tout. C’était dégoutant. J’avais tout évacué, ma douleur, ma colère, ma peur, mes regrets, ma mère, mon père, ils étaient tous sortis de mon univers. Pourtant j’avais toujours été un petit garçon bien propre. Alors je me suis levé, j’ai retiré mes draps et je suis allé les laver car je voulais que personne ne connaisse mon intimité si martyrisée. J’étais mouillé et sale, et j’ai eu honte. Terriblement honte. Honte d’aimer autant ma maman.
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Henri fait partie des trente-quatre nouvelles de mon recueil Brèves enfances, publié aux éditions Au diable vauvert.
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