Deux à trois fois par semaine, en été, je suis catastrophée de voir ces gigantesques paquebots stationner devant Saint-Tropez, au beau milieu de l’une des plus belles baies du monde.
Je suis catastrophée et inquiète. Inquiète pour la pollution que ces navires aux dimensions démesurées créent dans la mer.
Je vais vous raconter une histoire. Un couple sonne à la porte d’une jolie maison entourée d’un beau jardin. Le lieu n’est pas grand, mais il est vraiment sublime. Quand les propriétaires ouvrent, le couple leur dit qu’ils ont eu un coup de coeur pour leur maison et qu’ils aimeraient l’acheter. Les propriétaires refusent. Le couple propose un bon prix. Les propriétaires refusent de nouveau. Le couple double le prix. Les propriétaires hésitent. Le couple quadruple le prix. Les propriétaires réfléchissent, mais refusent quand même. Le couple leur fait alors une proposition financière mirobolante. Les propriétaires finissent pas accepter en disant qu’en effet, c’est une proposition financière qu’ils ne peuvent pas refuser. Qu’avec tout cet argent, ils vont pouvoir s’acheter une maison plus grande et peut-être même encore plus belle.
Le couple tout content s’installe alors dans leur nouvelle maison. Quelques jours plus tard, survient la fin du monde. Le couple qui avait le pouvoir de voyager dans le temps, en allant dans le futur, avait vu que la fin du monde allait arriver, et qu’une seule maison serait épargnée. Celle qu’ils ont achetée.
Cette métaphore correspond bien à ce qu’il se passe aujourd’hui dans mon beau pays. Mon pays qui est un paradis. Mon pays qui s’appelle la côte d’Azur où je suis née, à Monaco. Mon pays qui s’appelle aujourd’hui le Golfe de Saint-Tropez et plus particulièrement Saint-Tropez où j’habite dorénavant. Saint-Tropez que j’aime passionnément. Mon pays trop souvent pollué par ces gigantesques paquebots qui peuvent accueillir, suivant les compagnies, jusqu’à 6000 personnes.
Á bord de ces véritables villes flottantes, se trouvent des casinos inspirés de ceux de Las Vegas, une dizaine de piscines, des halls en marbre, des restaurants, des cinémas, des salles de jeux. La décoration est clinquante, brillante. Elle n’a rien à voir avec l’authenticité, le charme et les couleurs provençales de ma Méditerranée sur laquelle ces monstres marins naviguent, salissant tout sur leur passage.
Le credo des constructeurs de ces monstres marins est que leurs clients ne doivent jamais s’ennuyer. C’est amusant, lorsque je m’assieds au bord de la mer et que je la contemple, je ne m’ennuie jamais. Au contraire, je suis dans l’émerveillement face à la beauté de cet infini bleu. Ah oui, c’est vrai, j’oubliais que les clients de ces gigantesques paquebots ne voient pas vraiment la mer, puisque pour ne pas qu’ils s’ennuient, je reprends les arguments des constructeurs, ils sont, la plupart du temps, dans les restaurants ou dans les salles de cinéma, de concert, de jeux vidéo, et même de simulation de conduite de F1, ou à plonger dans les piscines, tout est là pour les divertir. Finalement, la mer ne leur sert pas à grand-chose, juste à promener leur ennui.
Et puis, imaginez si chaque passager descendait à Saint-Tropez pour faire popo à terre, la station d’épuration risquerait de sauter, elle n’est pas conçue pour autant de monde. Ce ne serait alors plus le joli Saint-Tropez luxueux, ce serait une infection insalubre qu’il faudrait des mois à réparer avec des interdictions de se baigner et des odeurs nauséabondes. Je ne voudrais jamais voir ça. Nous avons déjà suffisamment d’insalubrités à terre à gérer l'été, créées par la chaleur, l'afflux de touristes, les embouteillages, l’hygiène qui laisse parfois à désirer, en effet, beaucoup de gens sont sales et irresponsables déposant leurs poubelles un peu partout dans le village, les services de nettoyage ne passant pas assez souvent dans la journée, les déchets s'envolant alors dans les rues pour terminer dans la mer.
Que faire alors pour que ces paquebots monstrueux ne viennent plus polluer nos eaux, plus salir notre paradis, plus détruire notre lieu de vie ? D’ailleurs quand j’en parle autour de moi, toutes les personnes, que ce soit des Tropéziens, des touristes, des étrangers, des saisonniers, tous sont d’accord pour dire que ces énormes paquebots sont un danger pour la Méditerranée qui est déjà suffisamment polluée. Je n’ai jamais entendu quelqu’un me dire que c’était bien.
David Lisnard, le maire de Cannes, et président de l’Association des maires de France, essaye d'agir dans ce sens. Il demande à ce que les tous les maires de la Côte d’Azur dont les communes sont au bord de la Méditerranée, puissent obtenir le droit d’interdire à ces énormes paquebots, mais aussi aux bâtiments commerciaux et aux navires-plateformes de restauration et de loisirs nautiques, d’escaler en face de leurs villes, une décision qui estt du ressort du domaine maritime, donc exclusivement de l’état.
Les arguments de David Lisnard sont probants. Même s’il reconnaît que ces énormes paquebots peuvent apporter des retombées économiques, il est surtout conscient qu’ils enlaidissent les baies et qu’ils constituent un véritable problème de pollution.
De son côté, Christian Estrosi, maire de Nice, au nom de l'urgence climatique, la protection de la biodiversité marine, la promotion d'un tourisme raisonné et la protection du patrimoine, a émis un arrêté le 9 juillet 2025 pour interdire d'escale à Nice les paquebots de plus de 450 passagers et de limiter dans la baie de Villefranche, le nombre de navires transportant plus de 2 500 passagers à 65 par an et un seul par jour. Mais le dimanche 13 juillet, le tribunal administratif de Nice, saisi par le préfet des Alpes-Maritime,a suspendu l'arrêté pris par Christian Estrosi, argumentant que celui-ci n’était pas compétent pour édicter de telles mesures et que seul le préfet des Alpes-Maritimes pouvait, dans le cadre de ses pouvoirs de police du plan d'eau, organiser les entrées, les sorties et les mouvements des navires.
J’espère que David Lisnard et Christian Estrosi pourront continuer leur combat pour lutter contre le tourisme de masse, un tourisme de masse qu'il est grand temps de repenser différemment. Mon rêve serait de créer une réserve naturelle dans le Golfe de Saint-Tropez afin de préserver ce paradis unique au monde. Ce serait, certes, radical, mais pourquoi ne pas être radical lorsqu’on a la chance de vivre dans de la beauté ? En effet, que resterait-il de Saint-Tropez si jamais la mer devenait polluée au point de ne plus pouvoir s’y baigner ? Ce serait dramatique. Pourquoi ne pas essayer d’arrêter maintenant l’escalade catastrophique de la pollution quand il en est encore temps ? Et puis, il est toujours bon de rappeler que dans le monde entier, chaque année, ce surplus de flotte maritime qu'elle soit touristique, commerciale, de transports ou militaire, tue plus de 20000 baleines par an. La baleine, comme chacun ne sait peut-être pas, est l'animal essentiel à notre survie. Déjà, elle capte énormément de carbone, encore plus que les forêts amazoniennes, mais ses déjections nourrissent le phytoplancton qui nourrit, à son tour, le zooplancton qui produit des quantités énormes d'oxygène.
Comme le disait Oscar Wilde : Les gens connaissent le prix de toute chose et la valeur d’aucune. Et comme le dit mon histoire qui apporte plusieurs thèmes intéressants de réflexion, les anciens propriétaires ont gagné beaucoup d’argent, mais avec cet argent, ils n’ont pas pu acheter de rester en vie. Ou encore, ils habitaient un paradis qu’ils ont vendu au plus offrant. À leur décharge, ils ne savaient pas qu’ils habitaient dans un paradis, alors que nous, les Tropéziens, nous le savons ».
Sylvie Bourgeois Harel