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ON OUBLIE TOUJOURS QUELQUE CHOSE - Sylvie Bourgeois Harel

ON OUBLIE TOUJOURS QUELQUE CHOSE - Sylvie Bourgeois Harel

« Lorsque j’écris une nouvelle, un style littéraire qui me convient parfaitement, je suis aussi concentrée que si je tirais à l’arc afin que ma flèche atteigne avec une rapidité fulgurante mon but : le cœur.C’est d’ailleurs de là d’où je pars. Le cœur. Je suis au cœur du cyclone, de la tempête que traversent mes personnages. Je suis au cœur de l’intime. Plus rien d’autre ne compte. Que l’intime et l’émotion. Je retire les descriptions et les mots inutiles. Je vais à l’essentiel. Je suis dans une urgence absolue. Je prends alors une longue et profonde inspiration, comme lorsque je plonge en apnée dans la mer. Et je remonte à la surface écrire, guidée uniquement par l’émotion et la musique de mes mots. Voilà, c’est exactement cela. Je travaille mon style tel une partition de musique. »

Après En attendant que les beaux jours reviennent, publié aux éditions les Escales, en poche chez Pocket, chez Piper en Allemagne, ou ma série des Sophie, Sophie à Cannes, Sophie au Flore…, commencée chez Flammarion, ou encore Brèves enfances aux éditions Au diable vauvert, j’ai choisi, pour mon dixième livre, de revenir avec un nouveau recueil de nouvelles, le deuxième que j’écris, un genre que j’adore.

Et qu’adore aussi ma meilleure amie d’enfance, Nathalie, que j’aime et qui m’aime depuis que nos deux mamans se sont rencontrées lorsque nous avions un an. Nous habitions la même maison à Besançon, sa famille au premier étage, la mienne au rez-de-chaussée. Nous ne nous sommes jamais quittées et encore moins fâchées. Jamais. C’est un amour pur. Inconditionnel. La plus belle déclaration d’amour que Nathalie m’ait faite, c’était il y a deux ans, un matin, elle m’a téléphoné en larmes me disant qu’elle avait fait un cauchemar, je ne respirais plus.

Tout ça pour vous dire que je dédie mon recueil à Nathalie qui n’arrive pas à lire des livres car elle s’endort toujours à la dixième page. Ouf, mes nouvelles ne dépassent jamais les huit à neuf pages ! D’ailleurs beaucoup de mes lecteurs sont comme ma Nathalie chérie qui aime lire une de mes courtes mais intenses histoires avant de partir dans les bras de Morphée.

Mon recueil On oublie toujours quelque chose comporte 19 nouvelles. De Schizofamily à L’Architecte en passant par Je suis bien chez toi ou John et Johnny, je les ai toutes écrites au “je’. En effet, la première question que je me pose dès que je commence un texte est de décider si j’emploie le “je”, ou la 3ème personne du singulier. Le “je” me permet d’être au coeur de mon sujet. Ce “je” est parfois la voix d’un homme perdu, d’un petit garçon malheureux, d’un architecte qui souffre d’un optimisme obsessionnel, d’un fantôme, d’une femme exaltée…

Tous mes personnages sont drôles, émouvants, étonnants et ont, en commun, un besoin effréné d’amour, et aussi beaucoup d’amour à offrir, d’amour à partager ainsi qu'une tonne d’incompréhension et de questionnements…

L’amour est mon terreau d’inspiration. L’amour, la beauté, la nature, la pensée, le rire, l’humour… Ça occupe mes journées. Voilà mon rythme, j’écris, je dessine, je lis puis je vais marcher une heure et nager dans la mer méditerranée qui m’a vue naître et que j’adore !

Sylvie Bourgeois Harel

VOUS POUVEZ AUSSI LE COMMANDER EN M'ENVOYANT UN MESSAGE SUR MON ADRESSE MAIL : slvbourgeois@wanadoo.fr

ON OUBLIE TOUJOURS QUELQUE CHOSE, recueil de nouvelle de Sylvie Bourgeois Harel
ON OUBLIE TOUJOURS QUELQUE CHOSE, recueil de nouvelle de Sylvie Bourgeois Harel
ON OUBLIE TOUJOURS QUELQUE CHOSE, recueil de nouvelle de Sylvie Bourgeois Harel

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Georges Cravenne, créateur des César, des Molière et des 7 d'Or
Mon ex-beau-père Georges Cravenne, créateur des César, des Molière et des 7 d'Or
 

À 18 ans, de Besançon où j’habite chez mes parents, j’envoie une lettre à Georges Cravenne, le créateur des César, des Molière, des 7 d’Or, dans laquelle, je lui exprime mon désir de travailler avec lui, je trouve formidable sa façon de promouvoir le cinéma français. Il ne m’a jamais répondu.

 

Sept ans plus tard, je vis avec son fils aîné, Charles. Nous nous sommes rencontrés chez Castel. Nous étions ravis de faire partie des 1% de couples rencontrés en boîte de nuit. Nous avons vécu quinze ans ensemble. Charles est d’ailleurs toujours dans ma vie. Avec mon mari, ils s’adorent. Cela a été mon travail que mon ex et mon mari soient amis. J’ai du mal à éliminer les bonnes personnes de ma vie, je préfère les additionner, et que l’on fasse groupe tous ensemble autour de l’amour que l’on se porte. D’ailleurs, à l’instant où j’écris ces quelques lignes, Charles est à la maison en train de nous cuisiner un risotto délicieux. Il cuisine aussi bien qu’un grand chef.

 

Georges Cravenne que j’avais sollicité et qui ne m’a jamais répondu est donc devenu mon beau-père. On s’appréciait beaucoup. À l’époque, je travaillais en free-lance dans la communication. Je ne voulais pas être embauchée à plein temps. Je n’aimais que les missions ponctuelles, synonymes de liberté. Georges m’embauchait alors régulièrement pour gérer les invitations lors des César, des Molière et des 7 d’Or. C’était très rigolo. Le téléphone n’arrêtait pas de sonner. Tout Paris voulait y assister. Étant donné que j’étais la plus jeunes, ses vieilles assistantes, Colette, Anne, Micheline, Jacqueline, Yvette, me passait systématiquement les demandes les plus saugrenues, surtout celles qui revenaient chaque année, à l’instar de celles de Monique Lang qui me harcelait afin que son mari, Jack, soit bien assis dans l’angle des caméras pour qu’il soit vu plusieurs fois à la télévision lors de la retransmission en direct de l’émission.

 

De son côté, Georges, qui avait créé en 1975 l’Académie des arts et techniques du cinéma, s’occupait des stars françaises et américaines. Il les connaissait toutes. Son préféré était Kirk Douglas qui avait épousé Anne, sa petite amie, ce qui les avait soudés à vie. Comme Charles et mon mari. Des êtres généreux qui savent aller au-delà de la jalousie. Qui ont compris que le lien créé par l’amour est ce qu’il y a de plus fort. De mon côté, j’invitais mes parents, mes frères et, en cachette, mes amis comédiens qui rêvaient de participer à la soirée.

 

La cérémonie était longue, mais elle avait de la tenue, de l’élégance, de la classe. On n’était pas là pour rigoler, mais pour mettre à l’honneur le cinéma français. Tout était conçu et pensé pour offrir du rêve. Pour donner envie d’aller voir les films. Pour apporter de l’émotion. Je me souviendrai toujours de Bernard Blier, qui, lors de son hommage, était arrivé en chaise roulante dans les coulisses. Il était très malade, mais avait tenu à être présent. Au moment d’entrer en scène, comme par miracle, guidé par son amour pour son métier et son respect pour le public, sans l’aide de personne, il s’était levé afin de se présenter debout à la salle qui lui avait immédiatement fait une standing ovation. Tout le monde était en larmes. Vingt-cinq jours plus tard, Bernard mourrait. Il avait été digne jusqu’au bout.

 

Si je devais résumer en quelques mots la fascination que Georges Cravenne avait pour le cinéma, ce serait justement la dignité, mais aussi le respect, le talent, l’honneur, l’élégance. Georges vénérait les comédiens, les réalisateurs, les producteurs. Hormis les César, les Molière et les 7 d’Or, il organisait les plus prestigieuses avant-premières de Paris ainsi que les soirées les plus spectaculaires pour faire parler d’un nouveau produit, d’une nouvelle marque. Dès les débuts dans son métier de Relations Publiques, il avait inventé de créer l’évènement en invitant les personnes les plus célèbres associées aux plus riches, le tout dans des décors extraordinaires, fastueux et étonnants, afin d’obtenir le journal de 20 heures et un maximum de presse, les journalistes et photographes conviés étant fascinés par ce melting-pot mondain prêt à tout pour s’amuser car les soirées de Georges savaient marier humour et tenue.

 

Pour en revenir aux César, un autre joli souvenir date de 1990. Lorsque Kirk Douglas arrive au théâtre des Champs-Élysées, tous les visages sont emprunts d’admiration. Après avoir monté les escaliers, avant de répondre à une interview d'Antenne 2, il s’est retourné en riant et a offert son plus beau sourire et sa célèbre fossette aux invités médusés. On avait à la fois Spartacus, Van Gogh, le Colonel Dax des Sentiers de la gloire, et le côté tendre et complice du meilleur ami de Georges.

 

Après la cérémonie, un grand dîner très chic nous attendait au Fouquet’s. J’installais mes parents qui venaient spécialement de Besançon pour la soirée. J’étais fière de les avoir avec moi. Mon père qui était très drôle arrivait à sympathiser avec des producteurs américains alors qu’il ne parlait pas un mot d’anglais. Tout était dans le style et la gestuelle !

 

Une fois tous les invités partis, avec Charles, Georges et Daniel Bart, son fidèle assistant, nous nous asseyions aux côtés de Maurice Casanova, l’adorable et rigolo propriétaire des lieux, un Corse, grand amoureux des stars lui aussi, et nous faisions le débriefing de la soirée. Les anecdotes pleuvaient. On riait, soulagés qu’elle soit réussie. Georges décompressait. Il souriait enfin. Au moment de récupérer nos manteaux au vestiaire, il remerciait Charles de sa présence. Charles travaillait dans la distribution de films américains, chez Columbia-Tristar, mais se libérait chaque année pour aider son père.

 

Parmi les choses que j'ai entendues sur les César, voici quelques petites précisions :

 

Jean-Paul Belmondo a longtemps boudé la cérémonie, vexé que Georges n’ait pas demandé à son père sculpteur ( jeune, ma maman posait pour lui afin de payer ses études, elle est d’ailleurs en ange dans la cathédrale d’Amiens ) de créer la statuette. Mais Georges a préféré choisir son ami César dont le nom avait la même consonance que les Oscar, et qui rappelait également le grand Marcel Pagnol.

 

Georges a toujours déclaré avoir créé les César par rapport aux Oscar. Il voulait la même cérémonie pour la promotion du cinéma français. La seule différence était que les Américains votaient uniquement dans leurs catégories, les acteurs pour les acteurs, les scénaristes pour les scénaristes… Georges avait tenu à ce que toute la profession vote pour toutes les catégories.

 

Georges n'a jamais dévoilé les résultats que pourtant il connaissait dès 16 heures lorsqu'il les découvrait chez l'huissier. Il repartait avec toutes les enveloppes cachetées qui n'étaient ouvertes que durant la cérémonie. Même Alain Delon qui le lui avait demandé, pourtant très proche de Georges, n'a jamais su à l'avance s'il avait le César ou pas. Une seule fois, Georges a cédé pour les 7 d’Or, sous la pression du patron de la chaîne de télévision qui diffusait la cérémonie. Il a donc appelé dans l’après-midi les animateurs qui recevraient un prix. Résultat, la moitié de la salle était vide. Ceux qui n’avaient pas de prix n’avaient pas daigné se déplacer, ne serait-ce que pour féliciter leurs collègues. Georges s’était juré de ne plus jamais recommencer.

 

Georges vieillissant, ses enfants, à ma grande déconvenue et malgré mes insistances, n’ont pas voulu reprendre le flambeau, a vendu sa société. Canal+ , puis France TV, se sont emparés des César. Le ton a changé. Fini l’élégance qui n’était, soi-disant, plus à la même mode. Dorénavant, il fallait se moquer, faire rire, faire jeune. Comme si se moquer, faire rire, faire jeune, était synonymes de qualité ! On est alors passé du grandiose à la blagounette et au ricanement. Des blagounettes tristes et du ricanement irrespectueux. Des blagounettes pas drôles. Ils ont tué l’excellence, le talent, l’élégance.

 

Pauvre Georges qui, comme le dit si bien Charles, se retournerait dans sa tombe s’il était encore vivant !

 

Sylvie Bourgeois Harel

Charles Cravenne Sylvie Bourgeois cérémonie des César dîner au Fouquet's

Charles Cravenne Sylvie Bourgeois cérémonie des César dîner au Fouquet's

Kirk Douglas Anne Buydens son épouse Georges Cravenne cérémonie des César

Kirk Douglas Anne Buydens son épouse Georges Cravenne cérémonie des César

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"... Je savais que c’était fini. Je l’aimais, alors je le savais.
 
Je suis retournée dans la chambre de ma mère. Au son de sa voix, j’ai compris qu’elle était soulagée de me savoir là. Elle m’a demandé de lui masser les pieds puis d’aller me coucher afin de ne pas être trop fatiguée le lendemain. Elle s’inquiétait au sujet de ma santé, trouvait que j’en faisais trop pour elle.
 
Je l’ai embrassée et fait semblant de sortir, mais, sans faire de bruit, je me suis allongée au pied de son lit. Je me suis emmitouflée dans une couverture à portée de main, et j’ai écouté son souffle. Le souffle rassurant d’une maman. Il m’a rappelé les dimanches où nous cherchions des champignons dans la forêt, chaussés de bottes en caoutchouc. Mon chien courait devant nous. Quand il est mort écrasé par une voiture, ma mère m’avait téléphoné en larmes. Je lui avais conseillé d’en acheter un autre. Elle avait été terriblement choquée par ma dureté. Pourtant j’ai adoré mon chien, mais je ne savais pas que la mort pouvait faire mal. Surtout, je venais d’avoir vingt-et-un ans et j’avais déjà pris goût à Paris où tout était si vite remplacé.
 
Soudain, ma mère a gémi. Je me suis redressée.
 
- Tu as besoin de quelque chose maman ?
- Tu es là ? Oui, je voudrais un verre d’eau, je suis déshydratée, j’ai l’impression d’étouffer… et aussi mon bassin pour faire pipi… mais ensuite tu iras te coucher, hein, promis ?
- Oui maman, je te promets.
- C’est bientôt le jour ?  
 
J’aurais aimé vivre intensément ces derniers moments. Mais ce n’était pas possible. L’intensité, elle est dans le quotidien, quand tout va bien, pas dans les moments extrêmes. J’en étais aux gouttes d’eau que je lui faisais glisser sur sa langue, à l’oreiller que je lui calais afin qu’elle ait moins mal au dos. Ses soins réclamaient de la précision et de la concentration, ils ne laissaient aucune place à l’émotion. Je devais également lutter à ne pas me laisser submerger par mon chagrin, ni éclater en sanglots, et encore moins succomber à la fatigue.
 
Ma mère a fini par s’endormir, mais au bout de quelques minutes, elle s’est réveillée, affolée, apeurée.
 
- Tu es toujours là ? C’est bientôt fini ? Je veux dire, la nuit ?
- Je t’aime maman.
- J’ai mal.  
 
J’ai passé la nuit ainsi, entre douleur et douceur, à essayer de la soulager.
 
                                                      *
 
Le lendemain matin, l’infirmière et l’aide-soignante sont venues lui donner ses soins quotidiens. J’ai profité de leur présence pour me préparer une tasse de thé dans la cuisine. Soudain, je les ai entendues crier :
 
- Marie, votre maman, votre maman, mon Dieu, venez vite Marie.
 
J’ai accouru dans la chambre de ma mère qui était assise sur son lit, les yeux perdus dans le vide, les bras tendus en avant, en train de crier : « ère, ère, ère ! » L’infirmière était affolée.
 
- Mon Dieu, votre pauvre maman, elle nous a pourtant bien parlé quand nous sommes arrivées ce matin, et voilà que… oh mon Dieu, votre pauvre maman.
- Que veux-tu maman ? Dis-moi. Tu veux ton verre ?
- Ére, ère, ère.
- Tu veux ton verre ? Tu veux ton père ? C’est ça ?
- Ére, ère.
- Tu veux ta mère ? Maman, essaye de me parler.
- Mon Dieu, ma pauvre Marie, j’appelle le médecin de garde.  
 
Les quelques heures précédant la mort de ma mère sont tellement intemporelles qu’aujourd’hui encore, je me vois dans sa chambre. Ma mère est là. Agitée. Elle a le regard fixe. Elle semble hypnotisée. Ses mains cherchent à attraper quelque chose au loin. Elle ne m’entend pas. Peut-être même ne me reconnait-elle déjà plus. Le docteur arrive à ce moment-là.
 
- C’est trop tard, je ne peux rien tenter, votre maman est en train de mourir.
- Elle souffre ?
 
L’infirmière et l’aide-soignante partent, bouleversées.

Je m’assieds près de ma mère sur le lit et je la prends dans mes bras. Elle crie toujours, très agitée, le regard perdu dans le néant. Déjà.
 
Soudain, ses bras retombent, sa tête se colle contre moi, son corps devient mou, mou comme une poupée de chiffons. Elle se met à gémir. Doucement. Une longue plainte.
 
- Son agonie va durer ainsi jusqu’à la fin, je suis désolée mademoiselle.
- Partez, je veux rester seule avec elle.  
 
J’ai besoin de serrer ma mère. Je l’embrasse. Sur le front. Les joues. Les paupières. Je l’embrasse intensément, qu’elle comprenne que je suis là. Je berce ma mère comme une enfant. Son cœur bat, mais ses yeux ne me répondent pas. Je pense à mon père. Il n’aurait pas supporté d’être sur sa chaise roulante et de regarder sa femme mourir sans pouvoir la prendre dans ses bras.
 
Il est midi. Je sens les battements du cœur de ma mère se ralentir, s’affaiblir. Ses inspirations ressemblent maintenant à un long et douloureux râle. Mon cœur se règle sur le sien. Ses expirations s’espacent de plus en plus comme si elle retenait son souffle. Je me mets à compter, un, deux, trois… huit secondes. Elle expire toutes les huit secondes. Seulement. Ce n’est pas suffisant. Je pense au temps. Au temps qui s’agrandit. Qui part. Un, deux, trois… dix secondes. C’est affolant. « Maman, non. Pas maintenant. Maman, non. » Un, deux, trois… quinze secondes. C’est le silence. « Non, maman. » Le rien. L’attente. Le non espoir. Le temps suspendu. Je veux retarder le moment de la fin. Je lui demande de respirer encore une fois. Pour moi. Pour nous. Pour la vie.
 
Ma mère est l’amour de ma vie. Je l’ai toujours protégée, adorée. J’ai besoin d’elle. Je le lui dis : « maman, j’ai besoin de toi. Respire maman. Respire. Respire ». Je suis si concentrée à tenter de la maintenir encore un peu en vie que je ne peux pas pleurer. « Respire maman. Respire. Respire. » Elle finit par inspirer un très long râle. Puis de nouveau, rien. Elle est calme. Silencieuse. Fermée. Je compte, un, deux, trois… dix secondes… vingt secondes. Ma tête est vide. Je ne pense qu’à compter les secondes qui la retiennent de l’éternité. « Respire maman. Respire. Respire encore une fois pour moi, maman. S’il te plait. Il le faut, il le faut. J’en ai besoin, maman. » Elle inspire alors une nouvelle fois, très profondément, comme si elle m’avait entendu et qu’elle était d’accord pour rester, avec moi, dans notre intimité si limitée par le temps qu’il nous restait. « Merci maman. Merci mon amour. Merci. »
 
Soudain sa tête glisse et vient se blottir contre ma poitrine. Sa bouche se fige. À moitié ouverte. Ses yeux se fixent. Grands ouverts. Je regarde l’heure. Treize heures. Ma mère est morte à treize heures. Son agonie aura duré trois heures. Je la tiens serrée dans mes bras. Je ne peux pas la quitter. Je caresse les joues de ma mère. Je lisse ses cheveux frisés. Ils sont trempés. Epuisés d’avoir lutté. Je veux imprimer son visage à jamais. Je la regarde. Je la regarde. Je la regarde. Je ne veux pas l’oublier. « Au revoir maman, je t’aime maman. Au revoir maman. Je t’aime maman. » Je pose ma main sur ses yeux et, avec mes doigts, je fais glisser ses paupières pour les fermer à jamais. C’est un geste que je n’ai jamais fait, que l’on ne m’a jamais appris, et que pourtant j’ai su faire. Ce geste me ramène à la réalité. Ma mère est morte et je n’ai plus personne à aimer. Je téléphone à Raphaël pour le lui annoncer.
 
Lorsque le médecin est venu constater le décès, il m’a conseillé de mettre ma mère à la morgue.
 
- Pas question, elle reste avec moi, à la maison.
- Mais avec la chaleur, il vous sera difficile de garder son corps au frais.
- Les pompes funèbres vont apporter du matériel de réfrigération.
- Quand même.
- Quand même quoi ?
- C’est plus pratique dans une morgue.
- Laissez-moi, j’ai besoin d’être seule.  
 
Le service d’hospitalisation à domicile est venu récupérer son matériel, lit, table, perfusion, seringues, morphine. Je les ai remerciés pour leur humanité. L’embaumeur est arrivé en fin d’après-midi. Je lui ai demandé de rester. Il a refusé. J’ai insisté. Il m’a dit que je serais choquée. Le corps se vidait complètement. Les viscères, c’était dégoûtant. Il m’a demandé un seau et une serpillière. Je lui ai apporté aussi une jupe et un chemisier fleuris pour que ma mère parte dans l’éternité avec les couleurs qu’elle avait aimées.
 
Je suis partie à la plage. La mer était douce. J’ai nagé loin au large, comme je le faisais avec ma mère, on parlait des heures dans l’eau. La tension et l’exigence de ses derniers mois se relâchant, j’ai enfin pu pleurer. Puis j’ai retrouvé ma mère couchée au milieu des dizaines de bouquets de lys qu’elle avait déjà reçus. Je me suis allongée près d’elle et j’ai posé ma tête dans le creux de son cou pour retrouver son odeur, mais celle de la mort avait déjà pris place. Je l’ai embrassée.
- Je me repose un peu vers toi, maman.  
 
Et je me suis endormie.

 

(Extrait de mon roman En attendant que les beaux jours reviennent, paru aux Éditions Les Escales, chez Pocket et chez Piper en Allemagne, que j'ai signé sous le nom de Cécile Harel)

Hélène Bourgeois née Onimus - Cap-d'Ail 1926 - 1997

Hélène Bourgeois née Onimus - Cap-d'Ail 1926 - 1997

Hélène Bourgeois née Onimus - Cap-d'Ail 1926 - 1997

Hélène Bourgeois née Onimus - Cap-d'Ail 1926 - 1997

Hélène Bourgeois née Onimus - Cap-d'Ail 1926 - 1997

Hélène Bourgeois née Onimus - Cap-d'Ail 1926 - 1997

Hélène Bourgeois née Onimus - Cap-d'Ail 1926 - 1997

Hélène Bourgeois née Onimus - Cap-d'Ail 1926 - 1997

Lons-le-Saunier - Hélène Bourgeois née Onimus - Cap-d'Ail 1926 - 1997

Lons-le-Saunier - Hélène Bourgeois née Onimus - Cap-d'Ail 1926 - 1997

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Sam, mon chien quand j'étais enfant

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Ma mère, Hélène Bourgeois, décédée le 7 juillet 1997

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  Hélène Bourgeois, à 16 ans

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  Hélène Bourgeois (née Onimus), à 22 ans, à Nermier (Jura)

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Mon père, Pierre Bourgeois, décédée le 4 octobre 1996

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Pierre Bourgeois, enfant dans le Haut-Doubs

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Mes grands-parents paternels, Achille et Cécile Bourgeois

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Mes grands parents maternels

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Bébé

 

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À 2 ans avec ma mère

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À l'inauguration de l'atelier de mon père

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Avec ma Nathalie qui est toujours ma meilleure amie

 

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À 23 ans

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Sur Shenandoah pendant une Nioulargue

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Sylvie Bourgeois - Shenandoah - Nioulargue

Sylvie Bourgeois 2003

Sylvie Bourgeois 2003

Sylvie Bourgeois 1998

Sylvie Bourgeois 1998

Sylvie Bourgeois 2003

Sylvie Bourgeois 2003

Sylvie Bourgeois 1998

Sylvie Bourgeois 1998

Sylvie Bourgeois 1998

Sylvie Bourgeois 1998

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Présentation

  • : Sylvie Bourgeois fait son blog
  • : Sylvie Bourgeois Harel, écrivain, novelliste, scénariste, romancière Extrait de mes romans, nouvelles, articles sur la nature, la mer, mes amis, mes coups de cœur
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