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L'enfance fracassée, par Sylvie Bourgeois Harel

L'enfance fracassée

À la petite école, puis au collège où j’étais dans des établissements privés et religieux, le mot qui revenait constamment, me concernant, était impertinente. Sur mes bulletins scolaires, sur les rapports des conseils de discipline, sur les mots envoyés à mes parents, impertinente, impertinente, impertinente. Je me souviens surtout que je m’emmerdais fermement à l’école et au collège. C’est bien simple, je n’y ai rien appris. Tout ce que je sais, je l’ai appris avec mes parents. En les observant. En les regardant. En les écoutant. En les aimant. Grâce à eux, j’ai compris à quel point la liberté était la valeur la plus importante. La liberté et l’ouverture d’esprit. La curiosité aussi. Enfant, tout m’intéressait. Je passais mon temps dans les livres. Je lisais en permanence. J’ai très vite abandonné les romans de la Bibliothèque Rose pour me plonger dans les biographies de peintres célèbres. Le parcours de ces artistes me passionnait. À la maison, nous avions des peintures de mon père qui ne voulait plus peindre. Ses tableaux étaient superbes. Mon père m’impressionnait. Moi aussi, je dessinais bien, mais je n’osais pas dessiner de crainte de ne pas avoir son talent. Je ne voulais pas rivaliser avec lui, je préférais m’effacer et l’admirer. Les gens l’adoraient. Il était intelligent, généreux, doué, séducteur, et surtout terriblement drôle. Mes parents organisaient souvent des grands dîners où mon père, excellent conteur, narrait les histoires qu’il lui était arrivées. Il transformait un rien en une anecdote hilarante.

Puis, un jour, ma vie de petite fille heureuse a vacillé. Il y a eu ce déchirement. Cet effroi. Cette détresse. C’était pire qu’une douleur. Pire qu’une souffrance. Une sorte de mort. La mort de mon enfance. De mon innocence. De ma gaieté. Ce n’était pas mon papa. Mon papa ne savait pas. Ma maman non plus. Je me suis tue. Les mots étaient impossibles à prononcer. D’ailleurs, je continue de me taire. Je ne peux pas l’accuser. Il nierait. Il me tuerait. Je préfère rester vivante. J’avais 8 ans. Et oublier. Même si je n’arrive pas à oublier. L’onde de choc est toujours là. Avec ses dégâts irréversibles.

À partir de là, j’ai arrêté d’aimer. Et j’ai commencé à haïr. Je haïssais tout. À commencer par moi. Je me haïssais. J’ai haï aussi mon père, peut-être parce qu’il n’avait pas su me protéger. Il ne pouvait plus m’approcher, ni m’embrasser. Au travers du refus de son amour, je lui envoyais des appels au secours. Mais c’était impossible pour mon père de me comprendre, je ne laissais rien transparaître. Il en était malheureux. Souvent, il se plaignait à ma mère : Mais qu’est-ce qu’elle a Sylvie à toujours me repousser ? Je n’aimais que ma maman, mon chien Sam et ma meilleure amie, Nathalie.

Mon verbe est alors devenu violent. C’était ma façon d’éloigner ceux qui voulaient s’approcher trop près. Mes mots sont devenus mes bouées de secours. Ils me servaient de barricades. Dorénavant, la confiance, c’était fini. Je ne voulais compter que sur moi pour me protéger. J’étais toute petite, toute maigre, seule ma rage me rendait forte. Chaque mot que je prononçais vomissait le déchirement de mon ventre fracassé. Il vomissait mon effroi. Il vomissait ma détresse. Mes réparties m’apportaient de la vigueur, de l’espoir, de la grandeur. Alors, oui, à l’école, je suis devenue impertinente, insolente, indisciplinée. Je balançais mes mots pleins de fureur, de dégoût, de désespoir, à tous ceux qui voulaient m’imposer leur autorité. Pour ne pas m’effondrer dans ce monde où un grand m’avait détruite, je me débattais avec mes mots. Je hurlais ma rage pour que l’on m’entende. Pour que je sois le centre du monde. Pour que tous les regards soient braqués sur moi. Pour que quelqu’un comprenne à quel point j’étais brisée, cassée, salie, finie. Mais personne n’a jamais compris.

En 6ème, une psychologue désignée par mon collège est venue plusieurs fois à la maison me questionner afin de tenter d’expliquer mon comportement. Dans son rapport, elle avait écrit que j’étais trop gâtée. Elle a même parlé de mon chien Sam. Elle n’avait rien compris. Rien vu. Rien senti. Rien analysé. Elle s’était bêtement mise en rivalité avec cette jolie petite fille blonde aux grands yeux bleus qui ne voulait rien montrer de sa souffrance. Qui était provocante pour masquer sa douleur. Qui frimait pour faire illusion. Qui avait un verbe affuté pour que l’on me foute la paix.

Je détestais être obligée d’aller à l’école. Je n’avais qu’un rêve, rester auprès de ma mère. Je savais qu’auprès d’elle, rien ne pouvait m’arriver. J’aurais ainsi pu redevenir une petite fille douce et aimante. J’aurais tellement voulu rester plus longtemps une enfant. Une enfant qui aurait pu continuer d’admirer son papa plutôt que de le haïr. Paradoxalement, tout en le repoussant, pour attirer son attention et prendre le dessus sur lui, chaque jour, je mettais toute mon intelligence au service des bêtises que j’allais pouvoir inventer afin qu’ensuite il puisse les raconter lors des dîners avec ses copains. C’est ainsi que la provocation et le rire sont devenus mes meilleurs amis. Mes réparties m’ont alors apporté de la force, de l’espoir, de la grandeur, de la joie aussi. J’adorais quand mon père, qui n’aimait pas non plus l’autorité, répétait à ses invités mes idioties que je faisais subir à mes professeurs. Ça le faisait rire. Car j’étais devenue très bonne en bêtises et en réparties. Mes notes étaient souvent désastreuses lorsqu’il s’agissait d’apprendre par coeur des leçons qui ne m’intéressaient pas, en revanche, j’excellais en mathématiques et dès qu’il fallait faire preuve de logique, d’audace, d’inventivité, d’imagination, de sens pratique, de concentration.

Un grand m’a détruite. Le système scolaire m’a achevée. La joie que j'ai trouvé dans la force de mes mots m’a sauvée. Avec les années, les amours, les amitiés, ceux-ci se sont apaisés et m'ont adoucie.

Sylvie Bourgeois Harel

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Un Rodin, sinon rien

Un Rodin, sinon rien...
 
Durant cet été 2024, je suis en colère de voir ces gros objets dorés et clinquants, avec une tête de smiley qui, soi-disant, questionnent sur le rapport de l’argent et de l’amour, un des pipeaux habituels des artistes qui ont besoin de théoriser leurs lacunes et leurs laideurs qu’ils pondent de façon industrielle (mais qu’ils vendent bien sûr en édition limitée…), être érigés en œuvres d’art à Saint-Tropez, alors qu’ils ne devraient pas sortir des lieux privés des galeries qui les représentent et les vendent.
 
Étant très admirative des sculpteurs, des génies, des artistes talentueux, qui ont éduqué et forgé ma capacité de contemplation, je vis cela comme une véritable pollution visuelle.
 
Mais ce qui me désole le plus, c’est de voir les pauvres passants s’arrêter devant pour les photographier ou ricaner parce qu’ils trouvent rigolo de voir un gros bonhomme doré avec une tête de smiley, et mignon un cœur qui s’envole, pensant que c’est de l’art puisqu’on les expose de façon aussi imposante et présente, une sur le port, une autre devant l’hôtel de Paris, une devant le Musée de l'Annonciade (qui contient d'ailleurs de magnifiques toiles de Bonnard et de Kees Van Dongen), une devant le Musée de la Gendarmerie et du Cinéma, et celle-ci devant chez Sénéquier.
 
Lorsque je suis devant une œuvre d’art, une vraie, je suis fascinée. En arrêt. Le temps s’arrête. Place au divin. Place à l’éternité. Place au calme. Place à la sérénité. Place à la paix, Place à la beauté, celle qui nous survivra, celle qui traversera les siècles, celle qui nous donne une raison d’espérer.
 
Je suis gênée par toute cette confusion mercantile qui veut nous faire croire que ces objets de consommation sont des œuvres d’art. De mon côté, je ne suis pas dupe, mais je suis triste de la duperie organisée en arnaque pour tous ces gamins à qui l’on ferait mieux de montrer un coucher de soleil, d’autant qu’ils sont particulièrement sublimes depuis le port de Saint-Tropez, un des rares ports de la Méditerranée à être face au soleil couchant.
 
En plus, ces objets ont des têtes de smiley, le degré zéro de la médiocrité qui a pratiquement remplacé le langage sur les réseaux sociaux. Ces smiley qui ont déjà suffisamment inondé la pauvreté des SMS sur les smartphones. Ces smiley qui, en un quart de seconde, ont pris la place des quelques mots que les adolescents, et les plus grands aussi, auraient pu écrire pour exprimer avec délicatesse leurs émotions, leurs fous-rires, leurs émois, leur amour, leurs désirs, leurs colères.
 
Je suis également écœurée par le message mensonger, soi-disant, plein d’amour et de poésie que ces gros objets manufacturés véhiculent, alors qu’ils appartiennent à 100% à la société de consommation, et à l’arnaque du marché de l’art contemporain que l’artiste veut nous faire croire qu’il dénonce.
 
C’est malhonnête de justifier une démarche commerciale avec un argument de bons sentiments, c’est digne des plus gros prédateurs. Il veut nous faire croire qu’il est hors-système alors qu’il est totalement dans le système qui, lui, a besoin de nous faire croire qu’il existe encore des vrais artistes sincères et talentueux.
 
Saint-Tropez est suffisamment beau. Saint-Tropez n’a pas besoin de ces anecdotes brillantes qui puent le fric et l’arnaque. A Noël, le gigantesque sapin posé devant chez Sénéquier était parfait, en été, un bel olivier, un immense laurier, ou un massif de lavande, symboles de la Provence, serait parfait aussi. Ou un Rodin. Ou rien. C’est très bien rien. C’est beaucoup mieux que ces gros cacas dorés.

Sylvie Bourgeois Harel
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Agrandissement du Musée de l'Annonciade à Saint-Tropez

Agrandissement du Musée de l'Annonciade à Saint-Tropez
 
Je suis bien triste et inquiète d’apprendre que cette petite maison très ancienne de Saint-Tropez, appelée par les uns maison des torpilleurs et par d’autres, maison des douanes, va être bientôt démolie afin que soit construit, à la place, l’extension du musée de l’Annonciade qui vient d'obtenir le label de musée d'Art Moderne. 
 
Triste car le village de Saint-Tropez est beau grâce à l’authenticité de ses vieux bâtiments et de ses anciennes maisons qui reflètent si bien son passé. Un passé qui nous rassure. Un passé simple et sans chichis. Un passé qui nous rappelle un mode de vie calme et joyeux. Un passé qui rayonne dorénavant dans le monde entier. C’est ça, Saint-Tropez, et pas autre chose. C’est un équilibre fragile fait avec juste quelques pâtés de vielles maisons qui ont miraculeusement résisté à la modernité grâce à certains artistes et esthètes qui, après la Seconde Guerre mondiale, ont acheté ces vieilles demeures qu’ils ont eu le bon goût de restaurer à l’identique. Grâce aussi à la vision de Louis Fabre, le maire de l'époque, qui s’est battu afin que les bâtiments bombardés du port soient reconstruits à la même hauteur qu’à l’origine, et qu’il n’y ait aucune spéculation financière de la part des propriétaires qui auraient bien aimé bâtir deux ou trois étages de plus.
 
Outre les mille Tropéziens qui sont partis, après avoir vendu leurs biens, dans les Années 50, certains amoureux de leur village sont restés et n’ont rien changé, habitant toujours dans la demeure de leurs parents et grands-parents qu’ils conservent avec fierté, ne cédant pas aux sirènes de l’argent. 
 
Aujourd’hui, il est inutile de vouloir changer Saint-Tropez, au contraire, le seul slogan possible pour Saint-Tropez doit être : "rien ne doit changer', et encore moins de le moderniser. Moderniser Saint-Tropez est un oxymore, une insulte à sa beauté. Si on change Saint-Tropez, si on essaye de le moderniser, le village perdra son âme, son charme, sa magie. En effet, je me répète, mais cette magie ne vient que de son passé, que des vestiges de son passé, avec ses petites ruelles et ses maisons de pêcheurs de la Ponche, aux couleurs des murs et des volets toutes différentes. 
 
La seule ambition de Saint-Tropez devrait de se battre uniquement pour réussir à le figer dans le temps. Et ce n’est pas une mince affaire quand on voit toutes les constructions, plus ou moins récentes, qui ont et continuent de saccager ses alentours. Fini les potagers, les petites maisons de maçons, les champs, la verdure, qui l’entouraient. Fini cette magie, place au béton. Quelle tristesse ! D’autant que ces abords verts et fleuris faisaient partie de la magie de Saint-Tropez. 
 
Le seul mot qui doit convenir à Saint-Tropez est préservation. Préservation. Préserver. Restaurer. Protéger. Sauvegarder. Il faut de toute urgence avoir la vision d’un Louis Fabre afin de laisser à nos enfants et nos petits-enfants, ce coin de beauté unique qu’est notre village. Ça relève du devoir, de l’éthique, de la transmission. Chaque détail compte.
 
On n’a pas besoin de bâtisseurs ou d’idées soi-disant de grandeur à Saint-Tropez. Saint-Tropez est grand tel qu’il est. Dès qu’une entreprise de construction ou un promoteur immobilier y touche, à chaque fois, on perd de son authenticité. Les Tropéziens sont fiers de leur devise : Ad Usque FidelisFidèle jusqu’au bout. Alors, à notre tour, soyons fidèles à cette devise. Soyons fidèles à Saint-Tropez. Personne ne devrait s’arroger le droit de le transformer, de le moderniser, de le gâcher, de le défigurer. Et surtout au nom de quoi ? Et puis, la beauté intemporelle, féérique et magique de Saint-Tropez, que nous envie le monde entier, est précieuse. Je n’ai à ma connaissance aucun exemple d’une construction jolie et réussie qui ait été bâtie à Saint-tropez depuis 1950. Aucune. Les bâtiments d'habitation érigés après cette date sont tous hideux. 
 
Saint-Tropez est un musée, un musée certes luxueux, mais un musée tout de même. Il doit être pensé comme un musée. Il est impossible de l’agrandir indéfiniment. Il n’y a pas la place. Il est impossible également de créer de nouvelles routes puisque nous sommes une presqu’île, sinon les voitures tourneraient en rond à la queue leu leu, sans jamais pouvoir se garer. C’est mathématique et physique, du pur bon sens !
 
Il est urgent de penser Saint-Tropez dans le « moins de monde » et non pas « dans le plus de monde » qui est destructeur. Lors des siècles passés, les habitants ont su vaillamment combattre les pirates et les envahisseurs venus de toutes parts qui désiraient se l’approprier. À notre tour, sachons repousser les envahisseurs d’aujourd’hui qui s’appellent modernité, restructuration, immeubles…
 
Alors, oui, quand j’apprends que cette jolie petite maison ancienne et toute brinquebalante va être démolie au nom de l’agrandissement du musée de l’Annonciade et de sa modernité afin d’attirer plus de visiteurs, je suis inquiète. Ce musée avec ses 30000 personnes qui le visitent par an, c’est déjà énorme, pourquoi en vouloir 80000 tel que cela a été annoncé ? Oui pourquoi ? Cela me fait penser à la fable de Jean de La Fontaine, La grenouille qui se veut faire plus grosse que le boeuf
 
Comme dans toute réflexion sérieuse, j’aime revenir à la base, à la source. Donc je reviens en 1922 lorsque les peintres Paul Signac, Henri Person et André Turin, tombés amoureux du village où ils étaient venus peindre et s'installer, décidèrent de créer un Musée d’Art Moderne à Saint-Tropez, qu’ils baptisèrent le Museon Tropelen, et qu’ils installèrent dans une salle de la mairie, après avoir demandé à chacun de leurs amis qui avaient peint Saint-Tropez d’offrir une toile. Ce n’est qu’en 1937 que l’héritier et collectionneur Georges Grammont décida de réhabiliter le premier étage du bâtiment de l’Annonciade que venait de quitter un chantier naval qui, devant ses problèmes financiers, décida de ne garder que le rez-de-chaussée. En effet, la loi du libre échange provoqua beaucoup de faillites parmi cette profession, les armateurs préféraient dorénavant faire construire leurs bateaux en Grèce ou dans des pays aux prix plus compétitifs. Bref, en 1950 lorsque le chantier naval a mis définitivement la clef sous la porte, Grammont a réhabilité le bâtiment en entier. Le 7 août 1955, jour de l’inauguration, le musée de l’Annonciade était né dans sa configuration actuelle. Le pauvre Grammont qui donna 57 de ses oeuvres n’en profita pas longtemps car il décéda très rapidement après. 
 
C’est donc grâce à l’amour et à la connaissance de la peinture de Signac, de Person, de Turin et de Grammont, que ce musée existe et qu’il est merveilleusement doté de chefs d’oeuvre. C’est leur inspiration et leur désir de laisser une trace qui font la force et le caractère de ce musée. Il est essentiel de le laisser tel quel. de leur rester fidèles. Chaque été, des expositions temporaires se succèdent, nécessitant, j'imagine, un peu de déménagement et d’organisation pour les employés, mais ça fait aussi partie du charme. 
 
Et quant à cette petite maison, elle aussi fait partie du charme du lieu. Au lieu de la recouvrir de panneaux signalétiques qui ne lui font pas honneur, il serait préférable de les retirer et de ne mettre qu’un joli texte expliquant son histoire et l’histoire des chantiers naval qui ont fait la réputation de Saint-tropez où les plus belles tartanes étaient fabriquées. Et de ne surtout pas la détruire. Elle aussi fait partie du patrimoine de Saint-Tropez. On aura quoi à la place, un bâtiment bien droit, tout propre, façon Gifi ou Ikéa, quelle horreur ! Quelle désolation. Quelle pauvreté d’architecture ! Ce pauvre cher Paul Signac doit se retourner dans sa tombe !
 
Sylvie Bourgeois Harel 
Agrandissement du Musée de l'Annonciade à Saint-Tropez
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Chroniques du monde d'avant - 6 - Les César créés par Georges Cravenne

Chroniques du monde d'avant - 6 -

Les César créés par Georges Cravenne

À 18 ans, de Besançon où j'habitais chez mes parents, j'envoie une lettre à Georges Cravenne, le créateur des César, des Molière, des 7 d’Or, dans laquelle, je lui exprime mon désir de travailler avec lui car je trouve formidable sa façon de promouvoir le cinéma français. Il ne m'a jamais répondu.

« Sept ans plus tard, je vis avec son fils aîné, Charles. Nous nous sommes rencontrés chez Castel. Nous étions ravis de faire partie des 1% de couples rencontrés en boîte de nuit. Nous avons vécu quinze ans ensemble. Charles est d’ailleurs toujours dans ma vie. Avec mon mari, ils s’adorent. Cela a été mon ambition et mon travail de faire en sorte que mon ex et mon mari soient amis. J’ai du mal à éliminer les bonnes personnes de ma vie, je préfère les additionner, et que l’on fasse groupe tous ensemble autour de l’amour que l’on se porte. D’ailleurs, à l’instant où j’écris ces quelques lignes, Charles est à la maison en train de nous cuisiner un risotto délicieux. Il cuisine aussi bien qu’un grand chef. 

Georges Cravenne que j’avais sollicité et qui ne m’a jamais répondu est donc devenu mon beau-père. On s’appréciait beaucoup. À l’époque, je travaillais en free-lance dans la communication. Je ne voulais pas être embauchée à plein temps. Je n’aimais que les missions ponctuelles, synonymes de liberté. Georges m’embauchait alors régulièrement pour gérer les invitations lors des César, des Molière et des 7 d’Or. C’était très rigolo. Le téléphone n’arrêtait pas de sonner. Tout Paris voulait y assister. Étant donné que j’étais la plus jeunes, ses vieilles assistantes, Colette, Anne, Micheline, Jacqueline, Yvette, me passait systématiquement les demandes les plus saugrenues, surtout celles qui revenaient chaque année, à l’instar de celles de Monique Lang qui me harcelait afin que son mari, Jack, soit bien assis dans l’angle des caméras pour qu’il soit vu plusieurs fois à la télévision lors de la retransmission en direct de l’émission. 

De son côté, Georges, qui avait créé en 1975 l’Académie des arts et techniques du cinéma, s’occupait des stars françaises et américaines. Il les connaissait toutes. Son préféré était Kirk Douglas qui avait épousé Anne, sa petite amie, ce qui les avait soudés à vie. Comme Charles et mon mari. Des êtres généreux qui savent aller au-delà de la jalousie. Qui ont compris que le lien créé par l’amour est ce qu’il y a de plus fort. De mon côté, j’invitais mes parents, mes frères et, en cachette, de nombreux amis comédiens qui rêvaient de participer à la soirée. 

La cérémonie était longue, mais elle avait de la tenue, de l’élégance, de la classe. On n’était pas là pour rigoler, mais pour mettre à l’honneur le cinéma français. Tout était conçu et pensé pour offrir du rêve. Pour donner envie d’aller voir les films. Pour apporter de l’émotion. Je me souviendrai toujours de Bernard Blier, qui, lors de son hommage, était arrivé en chaise roulante dans les coulisses. Il était très malade, mais avait tenu à être présent. Au moment d’entrer en scène, comme par miracle, guidé par son amour pour son métier et son respect pour le public, sans l’aide de personne, il s’était levé afin de se présenter debout à la salle qui lui avait immédiatement fait une standing ovation. Tout le monde était en larmes. Vingt-cinq jours plus tard, Bernard mourrait. Il avait été digne jusqu’au bout. 

Si je devais résumer en quelques mots la fascination que Georges Cravenne avait pour le cinéma, ce serait justement la dignité, mais aussi le respect, le talent, l’honneur, l’élégance. Georges vénérait les comédiens, les réalisateurs, les producteurs. Hormis les César, les Molière et les 7 d’Or, il organisait les plus prestigieuses avant-premières de Paris ainsi que les soirées les plus spectaculaires pour faire parler d’un nouveau produit, d’une nouvelle marque. Dès les débuts dans son métier de Relations Publiques, il avait inventé de créer l’évènement en invitant les personnes les plus célèbres associées aux plus riches, le tout dans des décors extraordinaires, fastueux et étonnants, afin d’obtenir le journal de 20 heures et un maximum de presse, les journalistes et photographes conviés étant fascinés par ce melting-pot mondain prêt à tout pour s’amuser car les soirées de Georges savaient marier humour et tenue. 

Pour en revenir aux César, un autre joli souvenir date de 1990. Lorsque Kirk Douglas arrive au théâtre des Champs-Élysées, tous les visages sont emprunts d’admiration. Après avoir monté les escaliers, avant de répondre à une interview d’Antenne 2, il s’est retourné en riant et a offert son plus beau sourire et sa célèbre fossette aux invités médusés. On avait à la fois Spartacus, Van Gogh, le Colonel Dax des Sentiers de la gloire, et le côté tendre et complice du meilleur ami de Georges. 

Après la cérémonie, un grand dîner très chic nous attendait au Fouquet’s. J’installais mes parents qui venaient spécialement de Besançon pour la soirée. J’étais fière de les avoir avec moi. Mon père qui était très drôle arrivait à sympathiser avec des producteurs américains alors qu’il ne parlait pas un mot d’anglais. Tout était dans le style et la gestuelle !

Une fois tous les invités partis, avec Charles, Georges et Daniel Bart, son fidèle assistant, nous nous asseyions aux côtés de Maurice Casanova, l’adorable et rigolo propriétaire des lieux, un Corse, grand amoureux des stars lui aussi, et nous faisions le débriefing de la soirée. Les anecdotes pleuvaient. On riait, soulagés qu’elle soit réussie. Georges décompressait. Il souriait enfin. Au moment de récupérer nos manteaux au vestiaire, il remerciait Charles de sa présence. Charles travaillait dans la distribution de films américains, chez Columbia-Tristar, mais se libérait chaque année pour aider son père.

Parmi les choses  entendues sur les César, voici quelques petites précisions : 

Jean-Paul Belmondo a longtemps boudé la cérémonie, vexé  que Georges n’ait pas demandé à son père sculpteur ( jeune, ma maman posait pour lui afin de payer ses études, elle est d’ailleurs en ange dans la cathédrale d’Amiens ) de créer la statuette. Mais Georges a préféré choisir son ami César dont le nom avait la même consonance que les Oscar, et qui rappelait également le grand Marcel Pagnol. 

Georges a toujours déclaré avoir créé les César par rapport aux Oscar. Il voulait la même cérémonie pour la promotion du cinéma français. La seule différence était que les Américains votaient uniquement dans leurs catégories, les acteurs pour les acteurs, les scénaristes pour les scénaristes… Georges avait tenu à ce que toute la profession vote pour toutes les catégories. 

Georges n’a jamais dévoilé les résultats que pourtant il connaissait dès 16 heures lorsqu’il les découvrait chez l’huissier. Il repartait avec toutes les enveloppes cachetées qui n’étaient ouvertes que durant la cérémonie. Même Alain Delon qui le lui avait demandé, pourtant très proche de Georges, n’a jamais su à l’avance s’il avait le César ou pas. Une seule fois, Georges a cédé pour les 7 d’Or, sous la pression du patron de la chaîne de télévision qui diffusait la cérémonie. Il a donc appelé dans l’après-midi les animateurs qui recevraient un prix. Résultat, la moitié de la salle était vide. Ceux qui n’avaient pas de prix n’avaient pas daigné se déplacer, ne serait-ce que pour féliciter leurs collègues. Georges s’était juré de ne plus jamais recommencer.

Georges vieillissant, ses enfants, à ma grande déconvenue et malgré mes insistances, n’ont pas voulu reprendre le flambeau, a vendu sa société. Canal+ , puis France TV, se sont emparés des César. Le ton a changé. Fini l’élégance qui n’était, soi-disant, plus à la même mode. Dorénavant, il fallait se moquer, faire rire, faire jeune. Comme si se moquer, faire rire, faire jeune, était synonymes de qualité ! On est alors passé du grandiose à la blagounette et au ricanement. Des blagounettes tristes et du ricanement irrespectueux. Des blagounettes pas drôles. Ils ont tué l’excellence, le talent, l’élégance. 

Pauvre Georges qui, comme le dit si bien Charles, se retournerait dans sa tombe s’il était encore vivant » ! 

Sylvie Bourgeois Harel

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La joie, et si transmettre de la joie était ma mission sur terre ?

La joie, et si transmettre de la joie était ma mission sur terre ?

 

Hier, un très bon ami m’a conseillé d’écrire un livre de développement personnel sur ma façon de communiquer dans laquelle j’essaye toujours de mettre mon interlocuteur dans la joie. La joie est l’attitude la plus enthousiasmante que je connaisse. Elle ouvre le coeur. Et j’aime ouvrir les coeurs. J’aime offrir la possibilité à chacun de connaître son potentiel de joie. J’aime aussi le délivrer, le temps de notre rencontre, de sa colère, de son énervement, de sa frustration, de ses déceptions. Lui montrer également qu’il peut profiter de chaque instant et ne pas devenir une victime collatérale de l’ambiance souvent morose des grandes villes.

Lorsque j’habitais à Paris, et même lorsque j’y retourne, je parle toujours avec les chauffeurs de bus. Un jour de grève, le bus est bondé, je vais pour payer mon ticket - on pouvait encore payer en liquide ses tickets, maintenant il faut deux Passes Navigo, un pour le bus et un pour le métro car il paraît que la RATP va être privatisée et scindée en deux, les bus d’un côté, les métros de l’autre -, mais le chauffeur qui est énervé m’envoie bouler :

— Va falloir patienter, je m’occupe de la dame qui était là avant vous.

Au lieu de lui répondre sur le même ton, je lui souris et lui dis gentiment :

— Bien chef !

Estomaqué, il se retourne vers moi qui ai gardé mon sourire, il éclate de rire :

— Ce n’est pas demain la veille que ça va m’arriver d’être chef !

À partir de là, nous avons une longue conversation sur les métiers que l’on effectue pour gagner notre vie, mais qui ne doivent pas nous définir en tant qu’être humain, seules nos valeurs le peuvent.

— Vous allez où ? me demande-t-il.
— Chez Dalloyau, rue du Faubourg-Saint-Honoré.
— Ce n’est pas sur mon parcours, ça.
— Non, je marcherai un peu.
— Mais il pleut.
— Vous savez, j’ai grandi à Besançon, la pluie ne m’effraye pas.
— Taratata, une si gentille dame qui a ébloui ma journée, je vous dépose.
— Comment ça vous me déposez ?
— Je fais un petit détour et, hop, je vous dépose devant Dalloyau, c’est un magasin très chic, non ?
— Oui, ils font les meilleures viennoiseries du monde. Je vais les voir car ils m’offrent un cocktail pour la sortie de mon prochain livre.
— Je suis sûr que l’on doit souvent vous faire des cadeaux.
— Je dois reconnaître que oui, et je dis toujours merci, j’ajoute en riant.
— Je le comprends, vous incarnez la joie. Vous m’avez fait un bien fou aujourd’hui !

Alors que le chauffeur me dépose pile-poil devant chez Dalloyau, une femme âgée râle que ce n’est pas le bon trajet, pendant que sa voisine, aussi vieille qu’elle, opine de la tête. Ce à quoi, le chauffeur leur répond très aimablement que la vie est belle malgré la pluie et qu’elles n’ont pas à s’inquiéter.

Un autre jour, nous sommes invités à un mariage très mondain auquel je n’ai pas envie de me rendre. En effet, une amie épouse un homme très riche qu’elle n’aime pas. Sans la juger, célébrer cette union ne me réjouit pas.

— On prendra le bus, j’annonce à mon mari qui est en train de se préparer.

Mon mari, qui préférerait prendre un taxi, ne me contredit pas. Il sait que quand je n’ai pas envie d'aller quelque part, je l’oblige à prendre le bus.

À 21 heures, nous montons donc dans le bus. Oui, je l’oblige aussi à arriver en retard. Pendant que mon mari s’assied sur un siège au fond, je reste près du chauffeur.

— Nous allons au mariage d’une amie qui épouse un homme riche dont elle n’est pas vraiment amoureuse, ça me chagrine, je n’aime que les mariages d’amour. Mon mari, par exemple, je l’ai épousé par amour.
— Ma femme aussi, je l’ai épousée par amour, me confie-t-il, ça fait quinze ans que nous sommes ensemble, et je l’aime comme au premier jour.

Et nous voilà partis à converser sur l’amour.

— Il est où votre mariage ? me demande-t-il soudain.
— Loin, on doit marcher longtemps après l’arrêt du bus. On va arriver en retard, mais je m’en fiche, je n’ai pas envie de cautionner cette union, surtout qu’elle est très belle mon amie, elle aurait dû épouser un homme qu’elle aimait à la folie.
— Vous avez raison, vous savez quoi, je vous dépose.
— Comment ça, vous nous déposez ?
— Je vais faire un petit détour, comme ça, je vous laisse juste devant l’entrée de l’hôtel où se déroule votre mariage.
— Trop chic, merci.
— Ça me fait plaisir, ce n’est pas tous les jours que je peux parler d’amour, et encore moins au boulot, vous savez, les gens sont souvent stressés, fatigués, énervés, moi, je dois absorber toutes leurs mauvaises énergies. Tandis qu’avec vous, le trajet a été tellement joyeux.
— Je vais vous faire une confidence, je ne vais pas rester au dîner, à minuit, hop, je retire discrètement nos noms sur la table, hop, je prends mon mari par la main et, hop, on s’éclipse.
— Et hop, je serai là, me répond le chauffeur en se marrant.
— Comment ça, vous serez là, je lui demande, incrédule.
— À minuit, c’est mon dernier service, je serai devant votre hôtel.
— Chiche ?
— Chiche !
— Génial. Et vive l’amour, je lui balance en descendant du bus.

À minuit moins cinq, après avoir retiré discrètement nos noms de la table où nous devions nous installer, je prends mon mari par la main et, hop, nous quittons discrètement la réception au moment où tout le monde allait s’asseoir.

Mon mari s’apprête à héler un taxi.

— Attends un instant, s’il-te-plaît.
— Ne me dis pas que tu veux rentrer à pied.

Oui, j’adore marcher la nuit dans Paris, mon mari pas du tout.

— Non, pas ce soir, mais attends, je veux vérifier quelque chose.

Deux minutes plus tard, à minuit pile, un bus arrive dans le noir et stoppe juste devant nous. Étonné, mon mari me regarde :

— Qu’est-ce que tu as encore fait ? me questionne-t-il, incrédule.
— Promis, juré, rien, mais monte.
— Vous voyez, j’ai tenu parole ? me dit le chauffeur tout ragaillardi malgré l’heure tardive.
— Je n’en ai pas douté un seul instant, on voit que vous êtes un homme sur qui on peut compter, je lui réponds en riant.

Soudain, une dame âgée se met à râler que ce n’est pas le bon chemin. À croire qu’il y toujours une dame âgée qui râle dans les bus parisiens, peut-être une espionne de la RATP qui surveille les chauffeurs trop gentils.

Au moment de démarrer, le chauffeur reconnaît mon mari.

— Oh, c’est vous, Les Randonneurs, lui -dit-il tout content, j’adore votre film qui m’a tellement fait marrer. J’ai dû le regarder au moins dix fois. Mais vous savez, si je suis revenu vous chercher, c’est pour votre femme, ce n’est pas parce que vous êtes connu. D’ailleurs, avec votre chapeau, je ne vous avais pas remarqué. Mais votre femme, continue-t-il, vous avez bien fait de l’épouser. C’est une belle personne. Elle est gentille. Elle incarne la joie, mais surtout, ce soir, elle m’a offert le plus beau des cadeaux. Elle m’a offert la possibilité d’être libre et de faire ce que je voulais, et ça, c’est un cadeau inestimable.

 

Sylvie Bourgeois Harel

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L'Élysée - Sylvie Bourgeois

L'Élysée - Sylvie Bourgeois

Chroniques du monde d'avant - 5 - L'Élysée, Jacques Lanzmann

Nous sommes en 1991.

— Je veux faire un livre sur l’Élysée, me dit Jacques Lanzmann, dont j’étais l’agent. Je désire raconter la vie des employés, des conseillers, des femmes de ménage, rien de politique, que du quotidien. Vois comment tu peux mettre cela en place. Appelle Jack Lang, il me connaît.

Un mois plus tard, la réponse du ministre de la Culture tombe, il trouve l’idée excellente d’autant qu’il admire le talent de Jacques, celui de l’écrivain mais aussi celui du parolier de Jacques Dutronc, Il est 5 heures, Paris s’éveille, fait d’ailleurs partie de ses chansons préférées.

La semaine d’après, je reçois un laisser-passer pour six mois durant lesquels je peux aller où je veux au Palais de l’Élysée. Mon rôle est d’organiser les interviews et les prises de vue, et de sélectionner ce qui pourrait être intéressant pour Jacques à raconter. J’adore. On me fait tout visiter. Et aussi, à titre tout à fait exceptionnel, les appartements privés de François Mitterrand, alors président de la République, décorés par Paulin. J’assiste aussi à une remise de Légion d’Honneur au cour de laquelle Mitterrand m’épate de connaître par coeur le discours pour les trente médaillés.

Me rendre régulièrement à l’Élysée est très joyeux d’autant que ma spontanéité et mes mini-jupes (ma maman me disait toujours que les shorts et les mini-jupes, c’était ce qui m’allait le mieux), sont très appréciées. En effet, de nombreux conseillers de François Mitterrand m’invitent à déjeuner dans les salons privés, c’est très beau et très doré. Le premier, pour m’épater, m’avait commandé un repas entièrement à base de truffes, je déteste les truffes, je n’avais rien mangé. Le chef Joël Normand me concocte des repas dans la cuisine, c’est très bon et impressionnant de voir notre table dressée pour deux devant son équipe qui ne parle que pour crier : Oui chef ! Le photographe attitré de l’Élysée me trouve très photogénique et veut absolument m’emmener en voyage officiel dans les avions du Glam, je refuse bien évidemment. Il désire également me présenter des amis afin que je devienne comédienne. Je refuse aussi. Alors que j’ai longtemps désiré être comédienne. Mais je ne voyais pas trop le rapport entre l’Élysée et le cinéma.

Quand le livre sort, l’éditeur me demande d’en faire la promotion. Je propose à Michel Drucker de monter une émission spéciale autour du livre. Il accepte aussitôt. En plus de Lanzmann, il aimerait également inviter Hubert Védrine, alors secrétaire général de la présidence de la République, mais celui-ci refuse de participer à une émission de variétés. Je prends rendez-vous et j’arrive à le convaincre. Trois jours avant le tournage, l’assistant de Drucker me téléphone pour me promettre qu’ils mettront bien en avant le livre, mais qu’ils ont trop d’invités, bref que Jacques Lanzmann n’est plus convié.

J’appelle Jacques pour le lui annoncer. Il se met à pleureur que plus personne ne l’aime, qu’il est blacklisté, qu’il est fini depuis que Dutronc l’a trahi après l’avoir convoqué un soir à minuit dans son studio pendant qu’il interprétait avec plaisir une chanson de son nouveau parolier. Jacques avait souffert pire que si sa femme l’avait fait venir dans un hôtel pendant qu’elle était en train de faire l’amour avec son amant. J’ai eu beau lui soutenir que cela n’avait rien à voir, qu’il était dans une confusion totale, il a continué de pleurer.

Comme je ne peux pas entendre un ami de 64 ans pleurer, ni une, ni deux, je téléphone à Hubert Védrine et lui demande s’il serait d’accord que j’annule sa présence chez Drucker.

— Tout ce que vous voulez Sylvie, me répond Védrine.

Puis je téléphone à l’assistant de Drucker pour décommander Védrine. Dix minutes plus tard, Drucker m’appelle.

— Vous ne pouvez pas me faire ça, Sylvie, s’il-vous-plaît, téléphonez à Hubert Védrine, il ne veut parler qu’à vous.

— Non, je lui réponds en mordant dans ma tartine beurrée pleine de miel, à 17 heures, où que je sois, je bois un goûter chocolat chaud avec des tartines. Puisque vous avez humilié mon Jacques Lanzmann si gentil, je suis obligée de vous punir, vous n’aurez pas Védrine qui n’avait accepté que pour me faire plaisir.

Au bout du fil, Drucker ne comprend pas. À sa décharge, il n’avait jamais vu mes mini-jupes qui, avec du recul, avaient, je pense, leur taux d’influence dans certaines prises de décision totalement irrationnelles de la part de mes interlocuteurs.

Drucker est furieux. J’éclate de rire. Je déteste qu’on me menace. Il tente autre chose et se met à pleurer.

— Ah non Michel, pas vous aussi, déjà que Jacques était en pleurs tout à l’heure, tout ça pour un bouquin sur l’Élysée, ça frise le ridicule.

— Ah bon, Jacques pleurait ? me demande Drucker en reniflant comme un enfant.

— Ben oui, il est persuadé que vous ne l’aimez plus.

— Dites-lui que je l’adore.

— Vous l’adorez peut-être, n’empêche vous ne l’invitez pas.

En fin de journée, Drucker me téléphone à nouveau.

— C’est bon Sylvie, dites à Jacques qu’il peut venir sur le plateau. Mais vous m’appelez Védrine, je le veux aussi.

Au bout du fil, Védrine me félicite de ma capacité de persuasion.

— Vous ne voulez pas venir faire de la politique, vous en avez le talent.

— Certainement pas, c’est pathologique de vouloir faire de la politique.

Le livre s’est bien vendu. L’éditeur est content. Jacques aussi. Et mon laisser-passer de six mois pour rentrer comme je veux à l’Élysée est terminé. Mais c’est sans compter sur l’influence et l’impact que mes mini-jupes laissent dans le souvenir de certains hommes. En effet, un conseiller m’appelle et me demande de venir le voir le lendemain. Dans son bureau, il prolonge mon laisser-passer de nouveau pour six mois sans me donner de raison particulière. D’ailleurs, quand les hommes me font des cadeaux irrationnels, je ne cherche jamais à avoir d’explications, je dis juste merci. Donc merci monsieur le conseiller de l’Élysée !

Youpi ! A moi les bons petits plats dans les salons dorés d’autant que je viens de m’installer rue du Colisée, à deux pas de l’Élysée, chez un nouveau client pour faire la promotion des vins de Pays.

Tous les matins, mon plaisir est d’aller à l’Élysée, de traverser la cour carrée, de monter les grands escaliers que l’on voit à la télé, de pénétrer dans le bâtiment du fond et d’aller faire pipi dans les toilettes, à gauche, sous la statue d’Arman. Ça m’amuse terriblement. Au passage, je salue le photographe officiel qui ne se lasse passe de me faire miroiter que, grâce à lui, je peux devenir comédienne et faire du cinéma, que j’ai le physique et le tempérament pour ça, il avait certainement raison ! Je fais également coucou aux quelques conseillers que je connais quand je les croise, aussi au talentueux et gentil chef Joël Normand, et à tous les corps de métier dont j’ai fait la connaissance et qui sont enchantés d’avoir été pris en photo dans le livre L’Élysée comme si vous étiez de Lanzmann.

Mais pas une seule fois, je me suis dit que, vue la chance que j’ai d’être autant appréciée (moi ou mes mini-jupes, je ne saurai jamais… ), dans cette enceinte du pouvoir, au coeur du gouvernement français, je pouvais peut-être essayer de me trouver un travail au service de la communication de l’Élysée.

Non, pas une seule fois, l’idée n’est montée à mon cerveau. Je pensais juste à aller faire pipi dans les toilettes de Mitterrand, ce qui m’amusait terriblement.

Sylvie Bourgeois Harel

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Sylvie Bourgeois - Jean-Jacques Goldman

Sylvie Bourgeois - Jean-Jacques Goldman

Chroniques du monde d'avant - 3 - Jean-Jacques Goldman

Nous sommes en 1993.

De Jean-Jacques Goldman, je ne connais aucune chanson. Je n’ai jamais écouté de variété française. Ce qui me causait bien des soucis à la petite école quand, à la récré, les filles me demandaient quel était mon chanteur préféré, elles étaient toutes amoureuses de Claude François ou de Johnny Hallyday, moi d’aucun, je n’avais pas d’idole. Et surtout pas de Johnny Hallyday qui me cassait les oreilles lorsque mon frère aîné montait sur le rebord de la fenêtre du salon, et avec un micro branché sur la chaîne de nos parents, hurlait Que je t’aime, que je t’aime, en chantant faux, d’autant que j’étais obligée de l’écouter et de l’applaudir.

Mais un lundi matin, décidée à établir un lien social avec mes petites camarades, je leur ai dit que j’aimais bien Gérard Lenormand. En effet, le samedi soir, mes parents étaient sortis dîner chez des amis, j’avais regardé une émission dans laquelle il avait chanté La Balade des gens heureux. Ce genre de conversation ennuyeuse n’avait pas duré, je m’en foutais totalement de leurs stars, je préférais être la star de la corde à sauter, ce qui m’a valu la jalousie de deux filles qui, énervées que je gagne toujours, ont essayé de me tuer en me passant la corde autour du cou et en tirant chacune d’un côté de toutes leurs forces. Je suis tombée dans les pommes, en sang, je m’en souviens encore.

Lorsqu’à 30 ans, on me propose de m’occuper de la presse d’un beau livre dans lequel se trouve l’album Rouge de Jean-Jacques Goldman, illustré par Lorenzo Mattoti et accompagné de nouvelles de son beau-frère Sorj Chalandon, journaliste à Libération, j’accepte. Je ne sais pas que Jean-Jacques Goldman est une star.

À l’époque, je travaille dans la communication en free-lance. Je disais à mes clients que ma spécialité était de ne pas être spécialisée. J’ai de la chance. À chaque mission, un chef d’entreprise me repère. Je m’installais toujours dans sa société le temps de mon contrat.

J’ai donc mon bureau chez Sony Music depuis une heure lorsque une fille affolée vient me dire que, demain, elle m’emmène à Canal + :

— Jean-Jacques fait une télé, ajoute-t-elle, excitée, ce qu’il n’a pas fait depuis trois ans, il n’aime pas ça.

Je le comprends totalement, moi-même, je n’ai pas la télé. Je ne supporte pas l’idée que des gens que je ne connais pas parlent entre eux dans mon salon sans que je puisse leur répondre. C’est un concept inacceptable. Et puis le soir, je préfère aller danser que regarder la télé.

Le lendemain, je pénètre donc avec cette fille chez Canal + dans une loge bondée où une cinquantaine de personnes sont entassées.

— Bonjour ! lance-t-elle gaiement à Jean-Jacques Goldman qu’elle croise à l’entrée. Je suis Nathalie, tu te souviens de moi ?

Dans la voiture, elle m’avait dit que dans le milieu de la musique, tout le monde se tutoyait et s’appelait par son prénom, même ceux qui ne se connaissaient pas, qu’ils formaient en quelque sorte une famille. Je lève les yeux au ciel. Une famille, j’en ai déjà une, et les groupes, passé quatre personnes, ça me fatigue. Quant au vouvoiement, je trouve cela follement sexy autant que mes minijupes que je porte, été comme hiver, avec des vestes cintrées et décolletées.

— Non, lui répond Jean-Jacques Goldman, je ne me souviens pas.

— Mais si, insiste-t-elle, on s’est vus hier, je suis Nathalie de Sony Music, je m’occupe de la télé.

— Tu sais quoi, la prochaine fois que tu me vois, tu dis Nathalie Télé, ajoute-t-il en mimant avec ses mains un carré censé représenter un écran de télévision.

N’ayant aucune envie de lui parler, je file, sans le saluer, rejoindre son frère Robert, dont j’avais fait la connaissance la veille, et qui me fait des grands signes sympathiques.

Je suis en train d’avaler un dixième four, les petits fours étaient délicieux chez Canal+, quand un jeune assistant équipé d’un talkie-walkie arrive en tordant des fesses :

— Jean-Jacques, c’est à toi, on t’attend sur le plateau.

Toujours cette obsession de se tutoyer !

Le chanteur va pour le suivre quand, du fond de la loge, je lui crie :

— Monsieur Goldman, il y a un problème !

Je suis comme les enfants, je n’ai pas de filtre, je dis tout ce qui me passe par la tête, je suis toujours très spontanée, je ne sais pas faire autrement.

Un silence s’établit immédiatement. Tous les regards se tournent vers moi. je me dis qu’ils doivent trouver ravissant mon tailleur minijupe en drap de cachemire baby rose de chez Scooter, un ensemble que j’adore et que je porte avec des bottes plates de chez Free-Lance et des collants noirs opaques.

— On m’a dit que vous n’aviez pas fait de télévision depuis trois ans, je lui lance, mais la façon dont vous êtes habillé, ça ne va pas du tout. Votre veste est trop grande pour vos petites épaules, c’est moche, retirez-la, vous avez une jolie chemise en dessous, vous serez plus à l’aise.

Les 50 regards tournés vers moi se changent en 50 regards de haine, me faisant comprendre que je ne dois pas parler ainsi à la star qui fait vivre financièrement Sony Music France.

Jean-Jacques Goldman s’arrête à l’entrée de la loge. Pendant que l’assistant le presse de le suivre, chuchotant à son talkie-walkie que, oui, oui, il arrive, le chanteur me regarde sans dire un mot. Je suis comme dans un western lorsque les cow-boys se confrontent les yeux dans les yeux, avant de se tirer dessus, devant tout le saloon médusé qui les admirent de peur, en silence. Je me dis que ma mission de m’occuper de la sortie de son livre Rouge va s’arrêter le soir-même. Une fois de plus, j’ai parlé trop vite. Une fois de plus, j’ai été trop spontanée. Que je devrais apprendre à me taire. En même temps, je n’ai pas envie de changer ma façon d’être, j’aime bien laisser mon coeur agir et s’exprimer. De toute façon, même si je le voulais, je n’y arriverai pas.

Au bout d’une minute qui a semblé une éternité, Goldman commence à marcher vers moi. Tout doucement. Il prend son temps. Les autres s’écartent sur son passage pour le laisser passer. Il s’arrête à ma hauteur.

 — Qui es-tu ? me demande-t-il.

 — Je m’appelle Sylvie, je réponds.

De nouveau, un long silence. Très long. J’ai le temps de penser que je dois absolument acheter du lait au Monoprix de Neuilly qui ferme à 22 heures. J’ai envie de manger des crêpes. J’adore les crêpes. Mon amoureux aussi.

Soudain, Jean-Jacques Goldman retire sa veste et me sourit. Il est très charmant, je me dis, vraiment très charmant, il devrait sourire plus souvent.

— Tiens, je te la donne, continue-t-il en me la tendant, je l’ai acheté 30 francs aux Puces. Ah oui, et merci Sylvie, ajoute-t-il en plongeant son adorable sourire dans mes yeux, ça fait quinze ans que l’on n’a pas été aussi sincère avec moi, merci.

Ce n’est plus 50 regards de haine que j’ai de la part du groupe, mais 50 regards de double-haine, tous apeurés à l’idée que je leur pique leur place privilégiée auprès de la star.

Ils n’ont juste pas compris qui je suis. Jean-Jacques, si, il a tout compris. En effet, j’aime être compétente dans mon travail, m’amuser aussi en bossant, mais ensuite, je veux qu’on me foute la paix. Je fuis. Je pars. Je rentre chez moi. j’ai besoin d’être seule pour pleurer mes chagrins jamais consolés de petite fille abusée (ce n’était pas mon papa) et de jeune femme violée.

C’est ce que j’ai fait d’ailleurs. Je n’ai pas entendu la fin de l’interview. Je suis partie. J’ai quitté les 50 regards en attente de l’amour de la star, et je suis allée acheter mon lait pour mes crêpes au Monoprix de Neuilly avant qu’il ne ferme, la veste de Jean-Jacques sous le bras, dorénavant, je peux l’appeler Jean-Jacques puisqu’il m’appelle Sylvie.

Sylvie Bourgeois Harel

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Chroniques du monde d'avant - 4 - Cartier rue de la Paix

Chroniques du monde d'avant - 4 - Cartier rue de la Paix

 

J’ai 23 ans. Je suis à Paris.

Je viens de donner ma démission et je veux un nouveau travail. Plus exactement, il me faut tout de suite un nouveau travail. Je ne supporte pas de ne rien faire et surtout j’ai besoin de gagner de l’argent. Mais j’aime aussi accumuler les expériences professionnelles afin d’apprendre un maximum.

N’ayant pas fait d’études et ayant commencé à travailler très jeune, à 12 ans, je n’ai que le choix de répondre à des annonces. J’en repère une : Cartier cherche du personnel féminin pour son service après-vente. Je me rends rue de la Paix et je suis immédiatement embauchée. Les autres filles qui sont là ont eu droit, la semaine auparavant, à trois tailleurs Mugler avec les chemisiers assortis afin qu’elles soient toujours impeccables. Pour moi, c’est trop tard, il n’y a plus de budget. Je dois donc me débrouiller avec ma garde-robe qui est composée de deux vestes décolletées serrées à la taille que je mets avec des mini-jupes que je me fais moi-même avec du tissu tubulaire que j’achète au mètre et sur lequel je couds de chaque côté des galons en coton de couleur différentes. C’est très sexy. J’adore être sexy. Je les mets avec des collants opaques et des chaussures plates.

Nous sommes derrière un grand comptoir au fond du magasin où les clients viennent déposer leurs montres à réparer. Les filles mesurent toutes un mètre soixante-quatorze et portent des talons. Avec mon mètre soixante-quatre mètre et à plat, j’ai l’impression d’être vraiment tout petite. Peu importe, j’assume. De toute façon, ma vie n’est pas le jour chez Cartier, non, ma vie, c’est la nuit chez Castel où je vais danser chaque soir et m’amuser. Je rentre à 6 heures du matin, je m’écroule sur mon lit, puis je prends une douche, je change ma jupe en tubulaire et je pars au boulot en avalant deux pains au chocolat.

Très rapidement, les clients les plus importants viennent vers moi, certains même attendent afin que je les serve, je dois les faire rire, je crois, et puis, je viens de Besançon, la capitale de la montre, je m’y connais, et surtout, je ne me la pète pas tandis que les autres filles font les malines de travailler chez Cartier et de porter du Mugler qu’elles n’ont pas acheté, elles rêvent d’ailleurs toutes qu’un client fortuné les épouse.

Puis un jour arrive ce qu’ils appellent un VIP, un comédien archi connu qui fonce direct sur moi. Je lui dis que je vais appeler la directrice car je n’ai pas le droit de m’occuper de lui. C’est la règle, seule la directrice doit servir les personnalités. Il me répond non, non, vous êtes très bien. Je l’emmène donc dans l’un des quatre salons privés qui se trouvent de chaque côté.

Le lendemain, un autre VIP fonce sur moi et ainsi de suite, ils veulent absolument être servis par moi alors que je suis la plus petite derrière le grand comptoir avec ma veste décolletée marine, ma préférée, serrée à la taille, ma mini jupe en tubulaire à six francs le mètre, et mes bâillements incessants à force de ne pas dormir assez.

A la fin de la semaine, remontrance de la directrice. Je n’aime pas les remontrances d’autant que je travaille trois fois plus que les autres filles, que je suis méga compétente, et que je n’ai pas eu droit aux jolis tailleurs Mugler avec les chemisiers assortis.

Pendant trois mois, je sympathise avec plein de personnalités, des hommes, je précise. Dans les salons privés, je leur parle de la nature, des étoiles, des âmes, mes sujets favoris, ils rient et s’amusent, me confient aussi parfois leurs soucis, certains m’offrent des chocolats, du parfum, d’autres m’invitent à dîner, j’adore. Mais la directrice pas du tout, elle fulmine.

Au bout de ma période d’essai, elle me convoque dans son bureau et m’explique qu’avec mon caractère enjoué et ma spontanéité, je ne suis pas faite pour Cartier où la retenue est de rigueur. En revanche, elle me trouve si efficace qu’elle a parlé de moi à son mari qui est le patron du Comité Colbert, qui réunit toutes les grandes marques françaises du luxe, je serais parfaite pour travailler avec lui où une vraie carrière évolutive m’attend.

Au lieu de lui répondre merci madame, je vais téléphoner à votre mari, dont elle m’avait donné les coordonnées et qui attendait mon appel pour me rencontrer, je me suis mise en colère. Mais dans une vraiment grosse colère. J’étais choquée que l’on puisse me reprocher d’être souriante, spontanée et compétente. Je l’ai engueulée. Carrément engueulée, qu’elle n’avait qu’à se garder son mari pour elle, et que jamais mon sourire et ma spontanéité ne seront au service de qui ce soit.

Le lendemain, j’ai commencé mes cours de théâtre chez Jean-Laurent Cochet. Le soir, pour gagner ma vie, je travaillais au restaurant le Petit Poucet sur l’île de la Jatte, puis j’allais danser chez Castel ou aux Bains Douches avec mes mini-jupes à trois francs. J’ai gardé quelques personnalités comme amis. Et aussi mon sourire et ma spontanéité. Et je me suis achetée une chemise Mugler. Non mais !

Sylvie Bourgeois Harel

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Chroniques du monde d'avant - 2 - Festival de Cannes, Georges Wilson

Chroniques du monde d'avant - 2 - Festival de Cannes, Georges Wilson

Nous sommes en mai 1989 (ou 88 je ne sais plus).

Je suis au Festival de Cannes. Je travaille en free-lance dans la communication depuis trois ans. Je suis embauchée par un éditeur de vidéo qui lance sa collection dans laquelle il désire rassembler toutes les Palmes d’Or.

Avec Josée qui connaît tout le monde dans le cinéma, nous devons lui organiser des déjeuners au Majestic et quelques montées des marches. C’est ainsi que je rencontre Georges Wilson qui veut absolument me revoir à Paris d’autant que je lui ai confié mes désirs enfouis d’être comédienne, mes cours de théâtre chez Jean-Laurent Cochet, mon amour des textes, de la scène, du jeu.

Il m’invite à déjeuner dans un restaurant à deux pas du théâtre de l’œuvre, dans le 9ème, dont il est le directeur artistique. Il me raconte son passé, ses souvenirs, Jean Vilar, le TNP. Commence alors une jolie amitié.

Il m’appelle régulièrement, prend souvent de mes nouvelles, me demande de venir le voir au théâtre où il passe ses journées. On rit beaucoup. On s’amuse à rejouer des scènes de « Je ne suis pas rappaport », une pièce américaine que j’avais adorée, dans laquelle avec Jacques Dufilho, ils étaient deux vieux sur un banc à évoquer la solitude, la vieillesse, la mort.

Puis un jour, Georges me parle de son projet qui lui tient à cœur depuis longtemps, il désire monter Eurydice, une pièce de Jean Anouilh, mais c’est dur, il ne trouve pas les financements, malgré sa carrière. Il se plaint que les relations aient changé, il va avoir 70 ans, il a l’impression que maintenant c’est place aux jeunes dans le métier.

Soudain au cours d’un déjeuner, son visage s’éclaircit, il me propose de jouer Eurydice. Avec mon visage de tanagra, comme il aime me surnommer, je serai parfaite, fine, jolie, fragile, insouciante, profonde, les compliments pleuvent. Il m’offre le texte. Je rentre chez moi, émue, j’appelle ma maman. Je ne dors pas de la nuit. J’ai arrêté les cours de théâtre depuis cinq ans. Je vous expliquerai pourquoi ( je ne sais d’ailleurs pas pourquoi, je sais seulement comment j’ai tout arrêté ), mais c’est une autre histoire.

Avec Georges, nous nous voyons régulièrement, je connais le texte par cœur. Il me parle de la mise en scène qu’il imagine, son fils Lambert sera Orphée, mon amoureux jaloux, et lui, le père. Il assurera la mise en scène. Au théâtre de l’œuvre bien sûr.

Néanmoins, Georges est inquiet pour l’argent. Il a l’impression que tout est devenu plus difficile, que son nom ne suffit plus pour monter un projet, qu’on ne lui fait plus confiance. Il a peur d’être fini. Il en souffre. Ses 70 ans reviennent souvent dans nos discussions. Il a cinq ans de plus que mon père. Mon père qui d’ailleurs, soudain, arrive dans la conversation, alors que nous rêvons d’Eurydice depuis au moins six mois. Un peu énervé, alors que Georges a toujours été un homme adorable, il me demande quand est-ce que je vais enfin lui présenter mon père qui pourrait certainement nous aider.

– Mon papa, je lui réponds, je te le présente volontiers, il sera ravi de faire ta connaissance, ma maman aussi d’ailleurs, elle était tellement triste que j’arrête le théâtre, mais en quoi peut-il t’aider ?

– En tant que directeur de l’OBC, je pense qu’il peut me trouver des financements.

– L’OBC ?

– Oui, la Banque du Cinéma.

– Ah non, Georges, il y a erreur, mon papa est architecte et habite à Besançon.

– Mais pourquoi Josée m’a-t-elle dit à au festival de Cannes que ton père était le directeur de l’OBC ?

– Je n’en sais rien, moi, tu prends quoi comme dessert ?

Ce jour-là, Georges n’a pas pris de dessert. C’était également la dernière fois que je le voyais. Quand je l’appelais au théâtre, on ne me le passait plus. Je suis allée plusieurs fois le voir, mais on me répondait toujours qu’il était occupé. Un peu plus tard, j’ai appris qu’il avait donné le rôle à Sophie Marceau.

Sylvie Bourgeois Harel

Comme on me l’a souvent demandé, je précise que sur la photo c’est moi et pas Sophie Marceau à laquelle je ressemble sur l’image de mon composite que j’avais fait faire lorsque je prenais mes cours de théâtre auprès de Jean-Laurent Cochet, un grand professeur qui a formé entre autres Fabrice Luchini, Gérard Depardieu, Sabine Azéma, Richard Berry…

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Chroniques du monde d'avant - 1 - Tortues Ninja, Apple, Sony Music, Festival de Cannes

Chroniques du monde d'avant - 1

Tortues Ninja, Apple, Sony Music, Festival de Cannes

L’autre jour, en entrant dans un grand magasin pour acheter un ordinateur, en voyant tout le service d’ordre à l’entrée, puis le jeune vendeur qui me conseillait de ne pas changer le mien, mais qui m’a demandé au bout de quinze minutes d’aller à l’autre bout de la boutique où il me rejoindra pour continuer notre conversation car ils n’ont pas le droit de rester longtemps au même endroit et avec le même client, j’ai réalisé que notre monde s’était vraiment écroulé.

Quand exactement, je ne sais pas, peut-être cela s’est fait doucement, subrepticement, mais une chose est sûre, aujourd’hui, je ne pourrais jamais refaire tout ce que j’ai fait lorsque je travaillais en free-lance dans la communication.

Plus jamais, par exemple, je ne pourrais faire atterrir les Tortues Ninja sur la plage du Carlton, durant le Festival de Cannes, à l’heure du déjeuner, afin de créer l’événement, et ça en a été un, les télévisions du monde entier ont repris les images de mon cameraman, c’était en mai 1991, sans autorisation bien sûr car je ne les aurais jamais obtenues, mais avec une équipe solide et ultra compétente de champions que ce challenge amusait.

En effet, c’était un véritable défi car les costumes, les mêmes qui avaient servi aux comédiens durant le tournage du film, pesaient 70 kilos chacun, et il ne fallait pas rester plus de quinze minutes dedans, tant l’épaisseur du plastique et de la mousse avec lesquels ils étaient fabriqués provoquaient une transpiration si intense que cela nécessitait ensuite plusieurs heures de séchage.

Mes parachutistes, des mecs super, ont tout accepté et surtout d’atterrir avec une vision réduite car les têtes des Tortues Ninja, non seulement étaient énormes et lourdes, mais avec des tout petits trous pour les yeux, ils ne voyaient presque rien. Avec leurs amis du Club aéronautique de Cannes-Mandelieu, on a balisé, au dernier moment pour ne pas dévoiler la surprise, un espace sur la plage afin de sécuriser l’atterrissage qui a vraiment créé l’événement.

C’était ça Cannes ! Pour promouvoir les films, il fallait être inventif, faire toujours plus, étonner, émouvoir.

Et mes Tortues Ninja ont eu un succès fou qui a dépassé les espérances d’UGC-Fox, le distributeur du film. Sur la Croisette où je les ai ensuite promenées assises à l’arrière d’un coupé que Mercedes m’avait prêtée pour la journée (est-ce que l’on peut encore se faire prêter un Roadster Mercedes juste pour s’amuser, je ne pense pas… ), les gens étaient hystériques, criaient leurs noms, Léonardo, Raphaël, Michelangelo, Donatello, leur demandaient des autographes, et mes parachutistes stoïques tenaient le coup dans leurs costumes à mourir de chaleur.

Puis après une courte pause dans un local que j’avais loué pas loin où un déjeuner leur a été servi, au cours duquel on a essayé de sécher avec des sèche-cheveux l’intérieur des costumes qui étaient trempés, hop, de nouveau dans les costumes encore mouillés qui puaient, hop, dans la Mercedes, cette fois, avec un chauffeur. Grâce à mon amoureux, j’ai réussi à nous faire inscrire dans le cortège officiel, hop, direction le Palais du Festival où je leur ai fait monter les marches. Les photographes et la foule étaient hystériques de voir les Tortues Ninja, à crier de nouveau leurs noms tandis que mes parachutistes étaient toujours parfaits à jouer le jeu sans se plaindre depuis des heures qui ont largement dépassé les quinze minutes recommandées, dans leurs costumes tellement trempés qu’ils sont devenus deux fois plus lourds, je les tenais par la main car ils ne voyaient carrément plus rien, tant leur transpiration coulait sur leurs yeux.

Le PDG de Columbia avec qui j’étais amie et qui distribuait le film, m’a engueulé en haut des marches où il attendait le réalisateur et ses comédiens car mes Tortues Ninja avaient volé la vedette de toutes les stars américaines venues soutenir le jeune John Singleton considéré comme le nouveau génie d’Hollywood avec son film BOYZ’N IN THE WOOD, mais le soir lorsque nous avons tous dîné ensemble chez Tétou, à Golfe Juan, la bouillabaisse la plus chic durant le Festival (Tétou, une institution familiale qui a disparu sous le coup de la loi du Littoral… ), il a éclaté de rire, car c’était ça Cannes, une équipe de seigneurs, et bravo à celui qui créait l’événement du jour !

Pour en revenir à Apple, un autre exemple d’une chose que je ne pourrais plus jamais réaliser. Nous sommes en 1994, je travaille pour Sony Software sur les premiers CD-Rom. J’organise à l’hôtel Raphaël une conférence de presse, sauf que Sony n’a pas d’ordinateur à me prêter. Peu importe, je gare ma petite Rover verte en double file devant la belle boutique Apple, avenue Georges V, je mets les warnings, et avec ma mini-jupe et mes bottes, je leur explique mon problème. Dix minutes plus tard, je sors avec trois Mac prêtés avec juste ma signature et le nom de Sony griffonnés sur un bout de papier, que les vendeurs m’installent dans ma voiture pendant que j’invite le directeur du magasin et son équipe à mon petit-déjeuner de presse. Le lendemain, je ramène les trois Mac que j’ai continué de leur emprunter durant un an, chaque fois que Sony sortait un nouveau CD-Rom, comme par exemple, les fiches-cuisine en partenariat avec le magazine Elle, je refaisais une conférence au Raphaël et il me fallait des ordis.

Est-ce moi qui avais une capacité de persuasion ou est-ce que les rapports humains étaient plus simples, et surtout basés sur une confiance, une compétence, une assurance, un amour du travail bien fait ?

Quoi qu’il en soit, quand je vois qu’on ne peut plus entrer nulle part sans se faire fouiller son sac ou que des gens ont peur dès que quelqu’un tousse dans un train, je suis contente d’avoir fait le choix de quitter Paris que j’aime pourtant follement pour venir vivre dans le Sud, près de la nature, au bord de la Méditerranée.

Sylvie Bourgeois Harel

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