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Chroniques du monde d'avant par Sylvie Bourgeois Harel - 1

L’autre jour, en entrant chez Apple pour acheter un ordinateur, en voyant tout le service d’ordre à l’entrée, puis le jeune vendeur qui me conseillait de ne pas changer le mien, mais qui m’a demandé au bout de quinze minutes d’aller à l’autre bout du magasin où il me rejoindra pour continuer notre conversation car ils n’ont pas le droit de rester longtemps au même endroit et avec le même client, j’ai réalisé que notre monde s’était vraiment écroulé.
 
Quand exactement, je ne sais pas, peut-être cela s’est fait doucement, subrepticement, mais une chose est sûre, aujourd’hui, je ne pourrais jamais refaire tout ce que j’ai fait lorsque je travaillais en free-lance dans la communication.
 
Plus jamais, par exemple, je ne pourrais faire atterrir les Tortues Ninja sur la plage du Carlton, durant le Festival de Cannes, à l’heure du déjeuner, afin de créer l’événement, et ça en a été un, les télévisions du monde entier ont repris les images de mon cameraman, c’était en mai 1991, sans autorisation bien sûr car je ne les aurais jamais obtenues, mais avec une équipe solide et ultra compétente de champions que ce challenge amusait.
 
En effet, c’était un véritable défi car les costumes, les mêmes qui avaient servi aux comédiens durant le tournage du film, pesaient 70 kilos chacun, et il ne fallait pas rester plus de quinze minutes dedans, tant l’épaisseur du plastique et de la mousse avec lesquels ils étaient fabriqués provoquaient une transpiration si intense que cela nécessitait ensuite plusieurs heures de séchage.
 
Mes parachutistes, des mecs super, ont tout accepté et surtout d'atterrir avec une vision réduite car les têtes des Tortues Ninja, non seulement étaient énormes et lourdes, mais avec des tout petits trous pour les yeux, ils ne voyaient presque rien. Avec leurs amis du Club aéronautique de Cannes-Mandelieu, on a balisé, au dernier moment pour ne pas dévoiler la surprise, un espace sur la plage afin de sécuriser l’atterrissage qui a vraiment créé l’événement.
 
C’était ça Cannes ! Pour promouvoir les films, il fallait être inventif, faire toujours plus, étonner, émouvoir.
 
Et mes Tortues Ninja ont eu un succès fou qui a dépassé les espérances d’UGC-Fox, le distributeur du film. Sur la Croisette où je les ai ensuite promenées assises à l’arrière d’un coupé que Mercedes m’avait prêtée pour la journée (est-ce que l’on peut encore se faire prêter pour une journée un Roadster Mercedes juste pour s’amuser, je ne pense pas...), les gens étaient hystériques, criaient leurs noms, Léonardo, Raphaël, Michelangelo, Donatello, leur demandaient des autographes, et mes parachutistes stoïques tenaient le coup dans leurs costumes, à mourir de chaleur.
 
Puis après une courte pause dans un local que j’avais loué pas loin où un déjeuner leur a été servi, au cours duquel on a essayé de sécher avec des sèche-cheveux l’intérieur des costumes qui étaient trempés, hop, de nouveau dans les costumes encore mouillés qui puaient, hop, dans la Mercedes, cette fois, avec un chauffeur. Grâce à mon amoureux, j'avais réussi à nous faire inscrire dans le cortège officiel et, là, je leur fais monter les marches où les photographes et la foule sont hystériques de voir les Tortues Ninja, à crier de nouveau leurs noms, et mes parachutistes sont toujours parfaits à jouer le jeu sans se plaindre, depuis des heures qui ont largement dépassé les quinze minutes recommandées, dans leurs costumes tellement trempés qu'ils sont devenus deux fois plus lourds, je les tiens d'ailleurs par la main car ils ne voient carrément plus rien, tant leur transpiration coule sur leurs yeux.
 
Le PDG de Columbia avec qui j’étais amie et qui distribuait le film m’engueule en haut des marches où il attend le réalisateur et ses comédiens car mes Tortues Ninja ont volé la vedette de toutes les stars américaines venues soutenir le jeune John Singleton considéré comme le nouveau génie d’Hollywood avec son film BOYZ’N IN THE WOOD, mais le soir lorsque nous dînons tous ensemble chez Tétou, à Golfe Juan, la bouillabaisse la plus chic du Festival (une institution qui n'existe plus non plus, la loi du Littoral l'a tout simplement supprimée... ), il éclate de rire. C’était ça Cannes, une équipe de seigneurs, et bravo à celui qui créait l’événement du jour !
 
Pour en revenir à Apple, un autre exemple de chose que je ne pourrais plus jamais réaliser. Nous sommes en 1994, je travaille pour Sony Software sur les premiers CD-Rom. J’organise à l’hôtel Raphaël une conférence de presse, sauf que Sony n’a pas d’ordinateur à me prêter. Peu importe, je gare ma petite Rover verte en double file devant la belle boutique Apple, avenue Georges V, je mets les warnings, et avec ma mini-jupe et mes bottes, je leur explique ma situation. Dix minutes plus tard, je sors avec trois Mac prêtés avec juste ma signature et le nom de Sony griffonnés sur un bout de papier, que les vendeurs m’installent dans ma voiture pendant que j’invite le directeur du magasin et son équipe à mon petit-déjeuner de presse. Le lendemain, j'ai ramené les trois Mac que je leur ai empruntés pendant un an, chaque fois que Sony sortait un nouveau CD-Rom, comme par exemple, les fiches-cuisine en partenariat avec Elle, je refaisais une conférence au Raphaël et j'avais besoin d'ordis.
 
Est-ce moi qui avais une capacité de persuasion ou est-ce que les rapports humains étaient plus simples, et surtout basés sur une confiance, une compétence, une assurance, un amour du travail bien fait ?
 
Quoi qu’il en soit, quand je vois qu’on ne peut plus entrer nulle part sans se faire fouiller son sac ou que des gens ont peur dès que quelqu’un tousse dans un train, je suis contente d’avoir fait le choix de quitter Paris que j’aime pourtant follement pour venir vivre dans le Sud, près de la nature, au bord de la Méditerranée.
 
Sylvie Bourgeois Harel
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1990. Mon premier Festival de Cannes  

Je suis amoureuse de Sylvain depuis deux mois.

Il veut bien me voir de temps en temps, mais pas pendant le Festival de Cannes. Je pars donc me faire consoler chez ma mère. À Monaco. Du coup, je vais faire un tour à Cannes, et fais une entrée remarquée dans le bureau de Sylvain au Carlton, lunettes noires, foulard assorti à mon rouge à lèvres, talons de dix. Je ne sais pas si c’est à cause du playboy bronzé en Porsche qui m’accompagne, mais Sylvain devient subitement très disponible, et me propose de rester dormir avec lui.

J’ai gagné son cœur et des places au balcon.

 

Mon deuxième festival

Je dis à Sylvain que je ne veux plus jamais de places au balcon, mais en bas près des stars. Sylvain râle, mais comme maintenant il m’aime, il m’installe entre Madonna et Naomi.

 

Mon troisième

Je veux moi aussi faire comme tout le monde, être pressée, courir, avoir l’air débordé. J’organise un atterrissage en parachute des tortues Ninja sur la plage du Carlton. Je les promène aussi sur la croisette en roadster Mercedes framboise et leur fais monter les marches du film Boyz’n the Hood pour voler la vedette aux stars blacks venus de LA soutenir John Singleton. Le distributeur du film est furieux, Sylvain aussi. Je m’en fous, j’ai obtenu la Une du journal télé.

 

Mon quatrième

Je ne veux plus travailler à Cannes, je préfère m’amuser.

Sylvain a maintenant cinq talkie, trois portables et cent passes autour du cou.

Je l’appelle toutes les cinq minutes.

 

- Nathalie voudrait une invit, Séverine aussi, et Mélanie, cinq. Tu me les déposes à l’hôtel ? Tu nous envoies aussi une limousine pour aller au ciné ? C’est leur première fois, ça les fera marrer.

- Tu crois que je n’ai que ça à faire Sophie ? Je suis avec Stallone sur le toit d’une voiture, ce con a voulu se promener sur la croisette, on a été assailli par la foule.  

- Bon quand tu auras fini de faire le cacou, tu m’apporteras aussi des tee-shirts et des casquettes Cliffhanger pour mon plagiste du Gray d’Albion ? 

 

Mon cinquième

Je suis dans une Mercedes assise à côté d’un Américain et de son épouse. Je décide de mener la conversation.

 

- Hi ! I’m Sophie. You are family of Bruce ?

- No.

- You work with him ?

- No.

- What are you doing in this car so ?

- We want to go to restaurant Colombe d’Or. 

 

Sylvain et ses gardes du corps ont été si pressés de faire sortir Bruce Willis de l’hôtel du Cap qu’ils ont embarqué dans le cortège officiel ce couple de retraités endiamantés qui attendaient sagement leur taxi pour aller dîner à Saint-Paul de Vence.

 

Mon sixième

Cheveux au vent, sur un yacht avec Sylvain, Sharon Stone, et une nuée d’Américains.

 

- You are family of Sharon ? me demande un big Jim.

- No.

- You work with her ?

- No.

- What are you doing on this boat so ?

- I just want you to drop me at Palm Beach.

 

Mon septième 

Le star system a tellement déteint sur moi que je me suis foulée le bras en dormant. Avec mon plâtre, il suffit que je raconte mon anecdote pour déclencher l’hilarité. Un producteur hollywoodien adore pitcher ce qu’il m’est arrivé, ah ah ah she brokes her arm while sleeping ah ah ah ! Il veut même en faire un film !

 

Mon huitième

- Allo, monsieur le directeur de l’hôtel Gray d’Albion, je vous explique, d’ici une heure, je vais vous appeler pour vous commander un petit-déjeuner, ce sera en fait un code pour que vous appeliez les pompiers, je les ai déjà prévenus, ils attendent votre coup de téléphone pour venir chercher un ami qui a une crise de bouffées délirantes.

- Dans mon hôtel ?

- N’ayez pas peur, monsieur, il n’est pas dangereux, il adore seulement le cinéma. 

 

Deux heures plus tard, mon copain qui se prend pour le fils de John Lennon entouré de ses gardes du corps, exige qu’on le fasse sortir par la grande porte de l’hôtel.

 

- Ça ne va pas se passer comme ça, je vais me plaindre à Sophie, elle dirige le Festival de Cannes. 

 

Mon neuvième                      

- C’est qui monsieur Poulet ?

- Un ami de Sophie, certainement un producteur important, répond Sylvain à son assistante. 

- Je le mets au carré cinéma ?

- Ben oui. 

 

C’est ainsi que mon vendeur de poulets fermiers s’est retrouvé assis à côté d’Emmanuelle Béart et d’Harvey Keitel. L’été d’avant, ayant adoré ma casquette Men in Black, il m’avait dit que son rêve serait de monter les marches du Festival. Depuis, il s’est lancé dans l’organisation de soirées à Saint-Tropez.


Mon dixième

Allongée sur un matelas de la plage du Carlton, j’explique à une amie qui veut devenir comédienne le lexique codé de Cannes.

 

QUAND QUELQU’UN TE DIT :

Tu es descendu où ?

EN VRAI, ÇA VEUT DIRE : 

Dis-moi où tu en es dans ton ascension sociale ?

Tu es venue toute seule ? :

Je te sauterai bien.

J’ai un projet qui pourrait t’intéresser :

Idem précédent.

Tu as la carte pour la boîte d’Albane ? :

Je veux savoir si tu es  has been ou pas ?

Tu as des places pour le film de ce soir ? :

Tu en as une pour moi ?

Tu as des places en bas ou au balcon ? :

Fais-tu partie des gens qui comptent ?

Tu as une invit pour la soirée Canal ? :

Est-ce que je peux te coller ?

Tu as une invit pour le dîner de Martin Scorcese ? :

N’oublie pas que je suis ton pote… mais que je t’oublierai une fois assis à table.

Il faut absolument que l’on se voie :

Je cherche du travail, je suis désespéré.

On s’appelle à Paris ? :

Lâche-moi ! De toute façon, je ne t’appellerai jamais, je n’ai pas ton numéro de téléphone.

Tu es arrivé quand ? :

Décidément, depuis dix ans que l’on se connaît, on a vraiment rien à se dire.

Tu es dans un appartement ?

Je peux te squatter ?

Tu es au Carlton ? :

Qui a pu l’inviter ?

Tu es à l’hôtel du Cap ? :

Merde, il a fait une meilleure année que moi.

Tu vas où ? :

Tu m’invites à déjeuner ?

Tu as des projets en ce moment ? :

J’essaye de te mettre mal à l’aise, car moi aussi je galère.

Tu restes tout le festival ? :

Merde, il est plus riche que moi ou bien il doit chercher du boulot.


Mon onzième

J’ai quitté Sylvain, mais on continue de se voir.

Un ami producteur m’invite trois jours pour un projet de boulot. En arrivant à Cannes, je m’aperçois que c’est dans sa chambre. Je deviens folle.

 

- Connard, je m’en fous, je reste, je vais faire mettre deux lits, et tu vas souffrir. Ah oui, et puis même si tu ne me sautes pas, tu as intérêt à m’emmener déjeuner et dîner partout avec toi. 

 

Le dernier soir, je dîne avec Sylvain qui ne digère pas.

 

Mon douzième

A force de se voir tous les jours, Sylvain et moi, sommes de nouveau ensemble. A Cannes, il s’occupe si bien de moi que Nicole Kidman a fini par se plaindre. 

 
Mon treizième   

Sylvain et moi, c’est vraiment fini.  Depuis que j’ai monté ma société de production, il n’a pas supporté d’être devenu mon assistant.

            

 

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  • : Sylvie Bourgeois Harel, écrivain, novelliste, scénariste, romancière Extrait de mes romans, nouvelles, articles sur la nature, la mer, mes amis, mes coups de cœur
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