Chroniques du monde d'avant - 4 - Cartier rue de la Paix
J’ai 23 ans. Je suis à Paris.
Je viens de donner ma démission et je veux un nouveau travail. Plus exactement, il me faut tout de suite un nouveau travail. Je ne supporte pas de ne rien faire et surtout j’ai besoin de gagner de l’argent. Mais j’aime aussi accumuler les expériences professionnelles afin d’apprendre un maximum.
N’ayant pas fait d’études et ayant commencé à travailler très jeune, à 12 ans, je n’ai que le choix de répondre à des annonces. J’en repère une : Cartier cherche du personnel féminin pour son service après-vente. Je me rends rue de la Paix et je suis immédiatement embauchée. Les autres filles qui sont là ont eu droit, la semaine auparavant, à trois tailleurs Mugler avec les chemisiers assortis afin qu’elles soient toujours impeccables. Pour moi, c’est trop tard, il n’y a plus de budget. Je dois donc me débrouiller avec ma garde-robe qui est composée de deux vestes décolletées serrées à la taille que je mets avec des mini-jupes que je me fais moi-même avec du tissu tubulaire que j’achète au mètre et sur lequel je couds de chaque côté des galons en coton de couleur différentes. C’est très sexy. J’adore être sexy. Je les mets avec des collants opaques et des chaussures plates.
Nous sommes derrière un grand comptoir au fond du magasin où les clients viennent déposer leurs montres à réparer. Les filles mesurent toutes un mètre soixante-quatorze et portent des talons. Avec mon mètre soixante-quatre mètre et à plat, j’ai l’impression d’être vraiment tout petite. Peu importe, j’assume. De toute façon, ma vie n’est pas le jour chez Cartier, non, ma vie, c’est la nuit chez Castel où je vais danser chaque soir et m’amuser. Je rentre à 6 heures du matin, je m’écroule sur mon lit, puis je prends une douche, je change ma jupe en tubulaire et je pars au boulot en avalant deux pains au chocolat.
Très rapidement, les clients les plus importants viennent vers moi, certains même attendent afin que je les serve, je dois les faire rire, je crois, et puis, je viens de Besançon, la capitale de la montre, je m’y connais, et surtout, je ne me la pète pas tandis que les autres filles font les malines de travailler chez Cartier et de porter du Mugler qu’elles n’ont pas acheté, elles rêvent d’ailleurs toutes qu’un client fortuné les épouse.
Puis un jour arrive ce qu’ils appellent un VIP, un comédien archi connu qui fonce direct sur moi. Je lui dis que je vais appeler la directrice car je n’ai pas le droit de m’occuper de lui. C’est la règle, seule la directrice doit servir les personnalités. Il me répond non, non, vous êtes très bien. Je l’emmène donc dans l’un des quatre salons privés qui se trouvent de chaque côté.
Le lendemain, un autre VIP fonce sur moi et ainsi de suite, ils veulent absolument être servis par moi alors que je suis la plus petite derrière le grand comptoir avec ma veste décolletée marine, ma préférée, serrée à la taille, ma mini jupe en tubulaire à six francs le mètre, et mes bâillements incessants à force de ne pas dormir assez.
A la fin de la semaine, remontrance de la directrice. Je n’aime pas les remontrances d’autant que je travaille trois fois plus que les autres filles, que je suis méga compétente, et que je n’ai pas eu droit aux jolis tailleurs Mugler avec les chemisiers assortis.
Pendant trois mois, je sympathise avec plein de personnalités, des hommes, je précise. Dans les salons privés, je leur parle de la nature, des étoiles, des âmes, mes sujets favoris, ils rient et s’amusent, me confient aussi parfois leurs soucis, certains m’offrent des chocolats, du parfum, d’autres m’invitent à dîner, j’adore. Mais la directrice pas du tout, elle fulmine.
Au bout de ma période d’essai, elle me convoque dans son bureau et m’explique qu’avec mon caractère enjoué et ma spontanéité, je ne suis pas faite pour Cartier où la retenue est de rigueur. En revanche, elle me trouve si efficace qu’elle a parlé de moi à son mari qui est le patron du Comité Colbert, qui réunit toutes les grandes marques françaises du luxe, je serais parfaite pour travailler avec lui où une vraie carrière évolutive m’attend.
Au lieu de lui répondre merci madame, je vais téléphoner à votre mari, dont elle m’avait donné les coordonnées et qui attendait mon appel pour me rencontrer, je me suis mise en colère. Mais dans une vraiment grosse colère. J’étais choquée que l’on puisse me reprocher d’être souriante, spontanée et compétente. Je l’ai engueulée. Carrément engueulée, qu’elle n’avait qu’à se garder son mari pour elle, et que jamais mon sourire et ma spontanéité ne seront au service de qui ce soit.
Le lendemain, j’ai commencé mes cours de théâtre chez Jean-Laurent Cochet. Le soir, pour gagner ma vie, je travaillais au restaurant le Petit Poucet sur l’île de la Jatte, puis j’allais danser chez Castel ou aux Bains Douches avec mes mini-jupes à trois francs. J’ai gardé quelques personnalités comme amis. Et aussi mon sourire et ma spontanéité. Et je me suis achetée une chemise Mugler. Non mais !
Sylvie Bourgeois Harel
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