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Anorexie adulte, comment j'ai accepté

de me faire soigner et de guérir

Enfant, je ne mangeais rien, excepté des crêpes, des pâtes et des tartines de pain beurrées avec du miel ou de la confiture rouge, je ne sais pas pourquoi mais il fallait vraiment qu’elle soit rouge, d’ailleurs encore aujourd’hui, je ne mange que de la confiture rouge, plus exactement de la confiture de framboises épépinées, ce qui rendait folle ma mère, et je la comprends, quand ma petite chatte Cécile refuse de manger les bonnes carottes et courgettes que je lui prépare, je suis triste et inquiète qu’elle n’ait pas sa dose de vitamines et de sels minéraux.

 

Je me souviens qu’un dimanche matin, je devais avoir 8 ans, au petit déjeuner, ma maman m’a servi mon assiette de soupe que je refusais d’avaler depuis trois jours. Ça n’a rien changé excepté que ce jour-là, je n’avais pas eu droit à mon bol de chocolat chaud avec mes tartines de miel et de confiture rouge, et que cela m’avait marquée au point de me le remémorer aujourd’hui.  

 

À cette époque, on ne parlait pas encore d’anorexie. Anorexique, je devais certainement l’être enfant. Anorexique, je le suis devenue adulte. À 33 ans. À la mort de mon père et de celle de ma mère, neuf mois plus tard. Je faisais trois heures de sport par jour. Beaucoup de cardio en salle pour sécher comme disent les sportifs. Et aussi du vélo, du tennis, du cheval. Je me levais très tôt. Je courais 45 minutes chaque matin, où que je sois. Quand j’étais à l’étranger, je découvrais les villes grâce à mes footings. Je me pesais matin et soir. Pour devenir de plus en plus légère. J’avais une balance électronique très précise. Je voyageais toujours avec. Il m’était impossible de ne me pas me peser. Si je l’oubliais, j’allais immédiatement m’en acheter une autre. J’étais toute maigre, mais ça ne me suffisait jamais, il fallait toujours que je perde quelques grammes. Je ne mangeais rien, excepté des œufs durs, du blanc de poulet, du saumon fumé, des courgettes avec des carottes, les mêmes que Cécile refuse d’avaler, et des pommes ou des framboises.

 

Toute la journée, je pensais à ce que je n’allais pas manger. J’organisais mon emploi du temps en fonction des repas que je ne prenais pas. Paradoxalement, j’avais énormément d’énergie. Et quand je passais à table avec des amis, j’étais fière de ne pas me précipiter sur la nourriture. Je trouvais vulgaire d’avoir faim. Je me croyais être un elfe qui n’a besoin de rien. J’étais un esprit aérien, supérieur, qui ne se vautre pas dans la nourriture terrestre. Mes nourritures étaient célestes. Quand mes amis ou mon amoureux me disaient que j’étais trop maigre et s’inquiétaient que je ne mange rien, je riais aux éclats et leur répondait dans un grand sourire que je me nourrissais de livres et de mots.

 

Cela a duré pendant six années. Un après-midi, une jeune amie, Irina, que j’avais invitée à passer quelques jours avec moi à Saint-Tropez, hélas, elle s’est suicidée un an plus tard, peut-être avait-elle vu dans le côté mortuaire de mon anorexie sa propre mort qu’elle a désiré affronter avant l’heure, m’a expliqué sur la plage de Pampelonne que j’allais perdre mes cheveux et mes dents, et m’a conseillée de voir un grand professeur en endocrinologie chez qui elle faisait son internat de médecine.

 

Mes dents, mes cheveux, ça m’a fait peur ! J’ai pris rendez-vous. Après la consultation, ce professeur m’a téléphoné le soir-même pour me dire que je l’avais ému, qu’il était tombé amoureux et qu’il allait me guérir car il désirait m’épouser. J’ai accepté de me faire hospitaliser. On m’a fait des tas d’examens,IRM, scanners, prises de sang toutes les 4 heures après avoir avalé un médicament qui me faisait violemment tomber dans les pommes, afin d’effectuer un précis dosage hormonal.

 

La veille de mon départ, ce grand professeur d’endocrinologie m’a enfermée dans son bureau et a essayé de m’embrasser avec ses mains et sa langue partout à me serrer très fort dans ses bras. J’ai refusé ses baisers. Je disais non, non, épuisée par les chutes de tensions dues aux médicaments et prises de sang qui m’avaient fait m’évanouir six fois en 24 heures. Il a fini par ouvrir la porte.

 

Le lendemain, il a fait venir dans ma chambre tous ses collègues, chacun son tour, des grands professeurs de médecine dans leur spécialité qui m’ont expliqué l’importance de la nourriture pour ma santé, ma vitalité mais aussi pour mon cerveau. J’ai accepté un protocole de soins à savoir avaler des médicaments qui allaient m’ouvrir l’appétit, prendre cinq repas par jour, et venir chaque semaine à l’hôpital pour recevoir une piqûre censée me rééquilibrer au niveau hormonal. J’ai juste demandé à changer de médecin. Sans donner d’explications.

 

J’ai accepté de déjeuner avec mon beau professeur pour lui dire merci car il m’a guéri. Mon beau professeur a pleuré. Parce qu’il était vraiment beau en plus. Ses infirmières l’admiraient. Elles sont d’ailleurs toutes venues dans ma chambre voir la tête de celle qui avait fait chavirer le coeur du grand et beau professeur intimidant et pas commode. je lui ai dit lui adieu. Et aussi que je ne l’embrasserai jamais. Il s’est excusé et m’a expliqué qu’il était sincèrement tombé amoureux de moi. Que cela ne lui était pas arrivé depuis la rencontre avec sa femme, il y a trente ans. Je ne lui en ai pas voulu. Je comprends qu’on puisse m’aimer. J’étais même flattée de sa déclaration. Et puis j’étais beaucoup dans la séduction, pas dans la consommation, mais dans la séduction oui, c’était un peu ma bouée de secours.

 

Au bout de quelques mois, j’ai retrouvé mon poids normal. Un miracle s’est produit. Moi qui n’ai jamais désiré écrire de livre, qui n’en ai même jamais eu l’idée, j’ai écrit  mon premier roman en quatre semaines. Des mots, des maux aussi, coincés dans mon cerveau qui ne pensait qu’à la nourriture que je n’allais pas manger, se sont mis à sortir comme par magie. À une rapidité fulgurante. Dans une urgence absolue. Le jour, la nuit, je n’arrêtais pas d’écrire. Je parlais d’amour, de joie, de vie, de sexe aussi.

 

Depuis, plusieurs éditeurs m’ont demandé d’écrire sur l’anorexie. Je le ferai peut-être un jour. Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, je n’ai plus de troubles alimentaires. Plus aucun. J’ai retrouvé ma morphologie de mes 18 ans. Je m’intéresse à la qualité de la nourriture. J’ai créé une association Avec Sylvie on sème pour la vie, destinée à la lutte pour la préservation des semences reproductibles, drôle de paradoxe pour moi qui ai décidé de ne pas me reproduire. Je choisis les meilleurs produits, rien d’industriel bien sûr, et quand je vais au restaurant, je vais chez les chefs en qui j’ai confiance, qui se fournissent localement avec des légumes qui ont poussé sans pesticides, ni produits chimiques. 

 

Et chaque fois que je me régale avec ma soupe de légumes faite maison, je pense à ma petite maman chérie et lui envoie mille baisers au ciel, elle doit être si contente de me voir enfin avaler ma soupe avec autant de plaisir et un si bon appétit.

 

Sylvie Bourgeois Harel

 

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Elle s’est réveillée et m’a regardée. Longtemps. Puis elle s’est rendormie. Dans son sommeil, je l’ai entendue dire putain de bordel de merde. Elle protestait, je pense, d’être encore en vie.

 

 

Elle est arrivée ce matin. Avec ses beaux yeux bleus. Des beaux yeux bleus et un visage d’enfant. D’un enfant pas souriant. L’infirmière aurait préféré mettre cette jeune femme qui venait de tenter de se suicider dans une autre chambre, mais l’hôpital était bondé. Elle m’a dit qu’après tout cela lui ferait peut-être du bien de passer quelques jours auprès de moi. De moi qui allais mourir et qui m’accrochais à la vie. Moi dont l’optimisme suscitait l’admiration du personnel médical qui prenait soin de mon corps malade. De mon corps qui avant d’être perfusé, piqué, dégradé était si joli. Je me souviens de l’affolement qu’il créait dans les yeux des hommes. Aujourd’hui, des trous, des crevasses, des gerçures, pas un endroit où ma peau ne soit esquintée et douloureuse. Si je me bats autant contre la maladie, c’est que je ne veux pas mourir avant de connaître le grand amour. Le vrai, le bel amour. Des fiancés, des aventures, j’en ai eu. Comme tout le monde. Mais le grand amour, jamais.

 

Je me suis tue et j’ai attendu. Qu’elle se réveille la désireuse d’éternité. À la fin de la journée, elle a commencé à bouger un peu, la demandeuse de mort. Et à parler. À raconter. Pourquoi elle s’était suicidée. Un homme, son mari la trompait, la battait et avait même essayé de la tuer en la poussant dans les escaliers. Elle l’aimait et lui avait pardonné. Il ne l’aimait plus et voulait la quitter. D’où les médicaments. Et maintenant qu’elle était toujours en vie, elle ne savait pas ce qu’elle allait faire de tout ce temps non désiré.

 

Cette fille me fascinait tant elle avait la capacité de parler sans s’arrêter. J’étais exténuée et l’écouter me reposait. Je n’avais pas à la questionner, ni à la relancer. Elle parlait toute seule, sans cesse. Et qu’elle avait besoin d’admirer un homme pour l’aimer. Et que le sien était admirable. Qu’il avait réussi professionnellement. Qu’il était beau, enfin pas vraiment beau comme on l’entend dans les magazines, mais beau comme elle aimait qu’un homme soit. Je lui ai demandé ce qu’elle pouvait trouver d’admirable chez un homme qui la battait. Elle ne m’a pas répondu. J’ai ajouté que si j’avais la chance d’avoir un amoureux, ce ne serait pas sa réussite que j’aurais admirée chez lui, mais plutôt sa capacité à m’aimer, quoiqu’il m’arrive. J’aurais trouvé par exemple admirable qu’un homme continue de m’aimer malgré ma maladie. Elle m’a regardée sans comprendre, puis elle a continué. Elle s’était ratée, mais elle recommencerait. Les médecins auraient beau s’acharner pour lui redonner le goût de la vie, la prochaine fois, elle ne se louperait pas.

 

Un peu plus tard, elle m’a demandé pourquoi j’étais à l’hôpital. Une leucémie, je lui ai répondu, j’ai une leucémie. C’est grave ? Elle a ajouté. Et avant même que je lui dise que la mienne était mortelle, elle s’est endormie. Avec sa tête d’enfant pas content.

 

C’est mal foutu la vie, elle m’a dit en se réveillant, j’aurais pu te donner la mienne. Ce serait bien si on pouvait donner sa vie que l’on ne veut plus à ceux qui en ont besoin. Elle ferait bien un deal - elle parlait comme ça - avec l’hôpital pour qu’elle ait le droit de se suicider dans une de leurs chambres et qu’ensuite les médecins récupèrent ses organes pour les transplanter à leurs malades. Mais elle était sûre qu’ils n’accepteraient jamais. Pourtant ça lui plairait. En plus, ce serait une première. Et puis comme ça, au moins, elle donnerait à sa mort le sens qu’elle n’avait pas réussi à donner à sa vie. Mais bon faut pas rêver, elle répétait, avec son visage d’enfant pas méchant.

 

Le lendemain, mes taux sanguins se sont effondrés. J’ai dû partir dans une chambre immunisée. Il me fallait un donneur pour une greffe de moelle osseuse. J’ai trente-deux ans et je ne veux pas mourir. La suicidée a trente-deux ans aussi, elle ne doit pas mourir. L’éternité, les ténèbres, ça me fait peur. L’idée que je n’ai pas eu le temps de devenir quelqu’un, ni de terminer ma dernière sculpture, me donne envie de pleurer. De pleurer doucement. Je me console ainsi. Je n’ai plus mes parents. La suicidée voit la mort comme un soulagement. Je l’envie presque. J’ai demandé à l’infirmière d’aller me la chercher. Qu’elle m’égaye un peu avec ses histoires de décès prématuré.

 

L’infirmière m’a dit qu’elle s’était remise et avait demandé à retourner dans la vie, dans sa vie, chez son mari. Elle avait même accepté d’être suivi par un psy. Je lui ai demandé de me la retrouver. Qu’elle vienne me distraire avec ses envies de morbidité. Je voulais revoir encore une fois son visage d’enfant innocent.

 

Je lutte, mais je me sens faiblir. Je suis toute maigre. Je ne peux plus rien avaler et à peine respirer. Aucun donneur n’est compatible. Je lutte, mais je ne vais pas gagner. Je le sais. Je le sens. Mes jours sont comptés. Je le sais. Je sens la paix s’installer en moi. L’image de ma maman me revient de plus en plus souvent. Elle a les bras tendus vers moi et me sourit en m’appelant doucement. Mes heures sont comptées, je le sais, je le sens, mais plus la morphine que l’on m’a augmentée.

 

J’attends la suicidée. Je veux la voir pour lui dire au revoir. Je veux la voir pour lui dire de vivre. Pour elle. Pour moi. Je veux la voir. C’est mon dernier espoir. Je veux la voir ma suicidée avec sa tête d’enfant inconséquent.

 

L’infirmière vient de m’annoncer qu’elle a tué son mari avant de se tirer une balle dans la tête. C’est sa maman qui a trouvé l’appartement plein de sang. Pauvre bébé qui désirait être aimée. Pauvre petite suicidée. Ma suicidée. Ma petite suicidée que je vais bientôt retrouver.

Sylvie Bourgeois

 

 Sylvie Bourgeois Harel - Château de La Mole - 2019

Sylvie Bourgeois Harel - Château de La Mole - 2019

Sylvie Bourgeois Harel - Château de La Mole - Var - 83310 - Massif des Maures

Sylvie Bourgeois Harel - Château de La Mole - Var - 83310 - Massif des Maures

Château de La Mole - 2019 - Massif des Maures - 83310 La Mole - Var

Château de La Mole - 2019 - Massif des Maures - 83310 La Mole - Var

Château de La Mole - Massif des Maures - 83310 La Mole - Var

Château de La Mole - Massif des Maures - 83310 La Mole - Var

Sylvie Bourgeois Harel - Château de La Mole - été 2019 - Massif des Maures ) Var - 83310 La Mole

Sylvie Bourgeois Harel - Château de La Mole - été 2019 - Massif des Maures ) Var - 83310 La Mole

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