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Inquiétudes sur le suicide assisté inclu dans la loi sur l'euthanasie et le droit à l'aide à mourir

Si je n’avais pas raté mon suicide, je serais morte, et je le regretterai. Oui, du fond de ma tombe ou du haut du ciel, je ne sais pas ce que l’on devient lorsque l’on meurt, ni si l’on advient d'ailleurs quelque chose, mais ce qui est sûr, c’est que je regretterai profondément toutes mes années vécues depuis, mes joies comme mes peines, mes drames comme mes bonheurs, je regretterai tout et je passerai l’éternité à me traiter d’idiote d’avoir avalé, à 20 ans, les nombreux comprimés de Temesta trouvés dans les tables de nuit de mes parents qui en prenaient, tous les soirs, au moment de se coucher pour mieux dormir.
 
Même si ma volonté de mourir pour en finir avec ma souffrance d’être à contre-courant, de ne pas comprendre mes choix destructeurs, de fuir ceux qui m’aimaient, datait de plusieurs mois, peut-être même de plusieurs années, certainement depuis que j’ai été abusée enfant (ce n’était pas mon papa), mon passage à l’acte est né dans une pulsion. Une urgence. Soudain, je n’ai plus vu d’autre solution à ma vie que la mort. Ma mort.
 
Quand ma mère m’a trouvée inconsciente depuis trente-six heures, elle pensait au début que j’étais très fatiguée, elle a appelé le médecin de famille qui a demandé à rester seul avec moi. Au bout d’une trentaine de minutes, étonnée qu’il ne sorte pas de ma chambre, elle a ouvert la porte qu’il avait pris le soin de fermer, et a vu le bon docteur la tête plongée dans mes seins. Furieuse, elle lui a demandé de partir et m’a rhabillée. Ce n’est que le lendemain que j’ai ouvert un oeil. Une de ses amies médecin m’a alors conduite à l’hôpital où l’on m’a fait un lavage d’estomac.
 
Tout ça pour dire que je trouve effrayant qu’une loi légalisant le suicide assisté et l'euthanasie ait été adoptée aussi facilement par l’Assemblée Nationale le 27 mai 2025, sans avoir consulté au préalable l'ensemble des Français, ne serait-ce que par un référendum, d’autant que la loi Léonetti, votée le 22 avril 2005, est très bien conçue. Chacun peut signer ce protocole qui consiste à refuser l’acharnement thérapeutique. Les unités de soins palliatifs dans les hôpitaux sont également là pour accompagner en douceur les malades en fin de vie. Unités de soins palliatifs qu'il faudrait d'ailleurs augmenter, certains départements n'en ont toujours pas.
 
Mais ce qui m'inquiète surtout, c'est cette notion de suicide assisté. Je ne vais donc pas parler de l'euthanasie en fin de vie qui, pour moi, est un autre sujet. Je pense d'ailleurs qu'il aurait été plus raisonnable de séparer les deux objets qui sont totalement différents, d'un côté l'euthanasie en fin de vie et de l'autre le suicide assisté.
 
Je me suis posée toutes sortes de questions sur cette loi. Chaque fois que mon coeur frémit d'inquiétude, je cherche à comprendre. J'ai donc cherché à savoir qui était le député Olivier Forlani qui l'a proposée. Et qui était son entourage qui a travaillé avec lui sur ce projet. C'est ainsi que je suis tombée sur le docteur Jean-Louis Touraine. Et j'ai eu peur lorsque j'ai écouté une de ses vidéos qui est visible de tous dans laquelle il explique très clairement et très simplement que cette loi était pour eux une première étape, mais que dès qu’ils auront mis un pied dans la porte, je reprends ses mots, ils augmenteront régulièrement et chaque année cette loi de plusieurs amendements afin d'avoir la possibilité de proposer ensuite le suicide assisté aux jeunes qui sont déprimés, aux malades mentaux, aux malades atteints d’Alzheimer et à tous ceux qui sont faibles et démunis.
 
Là, j'ai été effarée de voir comment à partir d'images fortes et de témoignages émouvants de personnes gravement malades qui souffrent, ceux qui ont proposé cette loi parlent, soudain, et de façon tout à fait normale, voire presque décontractée, d'autres cas de figure qui n'ont rien à faire dans une loi qui est censée aider à améliorer la fin de vie des personnes âgées qui souhaitent partir plus vite. Je le répète, la loi Léonetti est là pour encadrer ses fins de vie. Mais il faut remplir les papiers quand on est en état de le faire. Peut-être est-ce alors difficile pour certains de le faire ? Mais , dans ce cas, c'est dangereux de demander à une loi de sous-traiter ce manque de décision personnel et intime.
 
Dans sa vidéo, Touraine, sous couvert de bons sentiments, ne dit pas comment ils feront pour obtenir le consentement des malades psychiatriques ou d'Alzheimer lorsqu'ils leur proposeront le suicide assisté car c'est leur but.
 
J'avoue que j'ai eu un frisson dans le dos en écoutant les propos de ce docteur Touraine d'autant que l'on sait tous qu'Hitler avait proposé ce même type de loi en septembre 1939 afin de faire faire des économies à l’Allemagne, il l'avait même appelé La mort miséricordieuse. Les prédateurs trouvent toujours des noms formidables...
 
Les députés qui ont voté cette loi ont donc dit, en deux secondes, adieu au Serment d’Hippocrate que font tous les médecins et ce depuis deux mille ans, adieu au 6ème Commandement qui dit "Tu ne tueras point", 6ème commandement qui est autant présent dans la religion juive que dans la religion chrétienne, et également adieu à la Non-assistance à personne en danger qui responsabilise chacun d'entre nous en lui demandant d'aider son prochain. Trois valeurs de solidarité et de respect, trois valeurs fondamentales de notre société afin de protéger les gens. Et quant a la notion de suicide assisté, peut-être que tous ces députés n’ont pas eu un enfant qui, à 20 ans, a eu envie de mourir poussé par une pulsion épouvantable, pulsion qui a ensuite totalement disparu.
 
Cette loi a donc le pouvoir d'intimer le contraire du Serment d'Hippocrate et le contraire du 6ème amendement, puisqu’un amendement prévoit qu'une peine de deux ans de prison et une amende de trente-mille euros peuvent être administrés aux médecins qui refuseraient de pratiquer une euthanasie ou un suicide assisté. Si on reprend les mots de Touraine et si on suit donc son raisonnement, peut-être qu’un jour le bon copain qui incitera son ami à ne pas se suicider sera condamné lui aussi ?
 
Je me pose donc de nombreuses questions à savoir si, sous prétexte de soulager la souffrance de certains malades en fin de vie, cette loi aurait, un jour, le pouvoir de criminaliser les actes des personnes bienveillantes qui oeuvrent à sauver des vies ? Et si sous prétexte de protéger ceux qui souffrent, cette loi aurait le pouvoir de tuer ? Serions-nous alors tombés ou poussés dans l’ère de la morbidité où la mort serait plus importante que la vie, où il ne serait bientôt plus nécessaire d’apprendre à vivre, mais à décider comment et où mourir, alors que paradoxalement la mort n’a jamais été autant niée.
 
Si on écoute vraiment ce qu'a dit le docteur Touraine lorsqu'il a exprimé son désir d'augmenter cette loi d'amendements afin de pouvoir bientôt proposer, en toute impunité, le suicide assisté aux jeunes déprimés, aux malades mentaux, aux malades atteints d'Alzheimer et peut-être à d'autres cas de figure, cela fait froid dans le dos de voir comment Touraine et ses acolytes arrivent, en mettant en avant des exemples de personnes âgées en fin de vie qui souffrent dans les hôpitaux, en parlant d'eux avec des trémolos de (fausse) compassion dans leur voix, à entrer en guerre contre les plus démunis en les influençant à se suicider.
 
Ah oui, j'allais oublier. Dans le texte de la loi, un délai de seulement 48 heures est demandé entre la décision de suicider et le passage à l'acte, même pas le temps que la pulsion qui fait croire que la mort peut sauver de la vie, s'en aille...
 
Sylvie Bourgeois Harel
 
Du haut de ma tour d’ivoire plantée dans un Saint-Tropez qui arbore déjà les couleurs de l’été, entre deux bains de mer, ne pouvant plus effectuer mes longues marches à cause de mon entorse à la cheville et de mon pied cassé, je me suis mise à penser. Bien m’en a pris. En voulant partager sur Facebook mon inquiétude quant aux futures évolutions que désirent les instigateurs de la loi sur l’aide à mourir voté en mai 2025 qui reprend des propositions datant de 2023 sur l’euthanasie et le suicide assisté, j’ai constaté plusieurs choses :

- qu’il est malsain voire dangereux que l’euthanasie en fin de vie et le suicide assisté soient assimilés dans la même loi car cela crée de nombreuses confusions dans l’esprit des gens
que cette confusion a été voulue par les instigateurs de cette loi. Ainsi en parlant avec (fausse) émotion et (fausse) compassion de l’euthanasie en fin de vie des personnes âgées qui souffrent, ils pourront faire passer, dans un deuxième temps, aussi facilement qu’une lettre à la poste, la notion de suicide assisté qui sera alors proposé aux plus fragiles et aux plus démunis comme les jeunes déprimés ou les malades psychiatriques ( je ne fais que reprendre les arguments du Dr Touraine qui a travaillé à l’initiative de cette loi, que vous pouvez écouter dans la vidéo ci-dessous )
- que la Loi Clayes-Leonetti conçue pour accompagner les personnes en fin de vie était finalement peu connue, tous ceux qui le désirent peuvent la signer, de préférence quand tout va bien, en prévention
- qu’il existe donc deux clans bien distincts : ceux qui, comme moi, aiment la vie, et ceux qui aiment la mort, mais de préférence celle des autres

Puisque cette loi a été votée, en attendant que le sénat donne son avis, je vais donc pousser plus loin ma réflexion à partir des paroles de ce Docteur Touraine qui explique très clairement que dès que la loi sera promulguée, ils continueront coûte que coûte leur combat afin que le suicide assisté soit proposé également aux jeunes déprimés et aux malades mentaux afin, ajoute-t-il, que ces pauvres gens aient, eux aussi, le droit de mourir. Sauf que mourir n’est pas un droit puisque nous allons tous mourir, c’est d’ailleurs notre seule certitude. Et c’est une décision à ne pas prendre à la légère, comme le disait Kafka : « L’éternité, c’est long surtout à la fin ».

Dans ma réflexion, on est bien d’accord que je ne parle que du suicide assisté qui sera proposé aux jeunes et aux malades mentaux, et pas de la fin de la vie en hôpital des personnes âgées qui souffrent. D’autant que de ce côté, j’ai géré la mort de ma mère à l’ancienne. Elle est morte d’un cancer généralisé dans mes bras, à la maison où j’avais fait installer l’hospitalisation à domicile ( un service formidable d’ailleurs ). Jamais je n’aurais sous-traité la mort de ma mère à un hôpital ou à qui que ce soit. Je voulais qu’elle soit avec moi. Elle le voulait aussi. C’était le dernier cadeau que je pouvais lui offrir. Un cadeau avec une charge émotionnelle énorme et une responsabilité toute aussi énorme. Pendant les six mois de la fin de sa vie, j’ai donc fait le choix de réduire drastiquement mon activité professionnelle afin d’être constamment avec elle, j’ai également abandonné mes dîners, mes soirées, mes week-ends et mes voyages. Ma seule priorité était ma mère. J’ai pris sa mort en pleine face. J’ai vu sa mort de près. J’ai vu la mort de près. J’avais 33 ans. Durant les six mois que j’ai passé auprès d’elle afin de l’accompagner le mieux que j’aie pu aux portes de l’au-delà, c’est mon devoir d’enfant à celle qui m’a donnée la vie, mon respect de fille vis-à-vis de sa mère, mon amour pour ma maman que j’adorais, qui se sont exprimés. C’est également ainsi que j’ai pu continuer de vivre sans culpabilité, avec mon chagrin oui, mais sans culpabilité de ne pas avoir fait ce que je devais faire.

Aujourd’hui où il devient très rare que des parents meurent de vieillesse chez eux ou chez leurs enfants, le plus souvent, ils sont déposés dans des ephads ou confiés à des hôpitaux, attention, je ne juge personne, ce sont des choix personnels et intimes, c’est juste un constat, ma réflexion sur le suicide assisté que désire proposer ceux qui ont travaillé sur cette loi m’apporte une question fondamentale : pourquoi demander aux médecins qui ont prononcé le Serment d’Hippocrate qui leur interdit de donner la mort, de soudain être obligés de la donner aux personnes qui demanderaient un suicide assisté ?

Comme je suis écrivain, j’aime utiliser les mots justes. Puisque cette loi sur le suicide assisté parle de tuer ceux qui désirent mourir, les investigateurs de cette loi devraient créer un nouveau métier, enfin plus exactement remettre au goût du jour, un métier qui a longtemps existé et qui a disparu en France en 1981, celui de bourreau. Dans le dictionnaire, la définition de bourreau est celui qui exécute les peines corporelles ordonnées par une cour de justice et spécialement la peine de mort. Il suffirait de changer quelques mots pour réactualiser cette définition. Le bourreau deviendrait alors celui qui exécute la mort d’une personne quarante-huit heures après que celle-ci l’aurait explicitement exprimé au cours d’un entretien et dans un local conçu à cet effet.

Il y aurait donc un CAP de bourreau, ainsi les médecins ne seraient pas obligés de trahir leur Serment d’Hippocrate, et les amateurs de la mort des autres pourraient, s’ils le désirent, devenir, eux aussi, bourreaux.

Quant à moi, je vais rejoindre le monde de ceux qui, comme moi, aiment la vie et qui préfèrent aider les jeunes déprimés à l’apprécier plutôt que de les inciter à se suicider, et par la même occasion, je vais aller me baigner dans ma belle Méditerranée ensoleillée que j’adore et pour laquelle, chaque jour, je remercie le ciel et les dieux de l’avoir créée.
 
Sylvie Bourgeois Harel
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Anorexie adulte, comment j'ai accepté

de me faire soigner et de guérir

Enfant, je ne mangeais rien, excepté des crêpes, des pâtes et des tartines de pain beurrées avec du miel ou de la confiture rouge, je ne sais pas pourquoi mais il fallait vraiment qu’elle soit rouge, d’ailleurs encore aujourd’hui, je ne mange que de la confiture rouge, plus exactement de la confiture de framboises épépinées, ce qui rendait folle ma mère, et je la comprends, quand ma petite chatte Cécile refuse de manger les bonnes carottes et courgettes que je lui prépare, je suis triste et inquiète qu’elle n’ait pas sa dose de vitamines et de sels minéraux.

 

Je me souviens qu’un dimanche matin, je devais avoir 8 ans, au petit déjeuner, ma maman m’a servi mon assiette de soupe que je refusais d’avaler depuis trois jours. Ça n’a rien changé excepté que ce jour-là, je n’avais pas eu droit à mon bol de chocolat chaud avec mes tartines de miel et de confiture rouge, et que cela m’avait marquée au point de me le remémorer aujourd’hui.  

 

À cette époque, on ne parlait pas encore d’anorexie. Anorexique, je devais certainement l’être enfant. Anorexique, je le suis devenue adulte. À 33 ans. À la mort de mon père et de celle de ma mère, neuf mois plus tard. Je faisais trois heures de sport par jour. Beaucoup de cardio en salle pour sécher comme disent les sportifs. Et aussi du vélo, du tennis, du cheval. Je me levais très tôt. Je courais 45 minutes chaque matin, où que je sois. Quand j’étais à l’étranger, je découvrais les villes grâce à mes footings. Je me pesais matin et soir. Pour devenir de plus en plus légère. J’avais une balance électronique très précise. Je voyageais toujours avec. Il m’était impossible de ne  pas me peser. Si je l’oubliais, j’allais immédiatement m’en acheter une autre. J’étais toute maigre, mais ça ne me suffisait jamais, il fallait toujours que je perde quelques grammes. Je ne mangeais rien, excepté des œufs durs, du blanc de poulet, du saumon fumé, des courgettes avec des carottes, les mêmes que Cécile refuse d’avaler, et des pommes ou des framboises.

 

Toute la journée, je pensais à ce que je n’allais pas manger. J’organisais mon emploi du temps en fonction des repas que je ne prenais pas. Paradoxalement, j’avais énormément d’énergie. Et quand je passais à table avec des amis, j’étais fière de ne pas me précipiter sur la nourriture. Je trouvais vulgaire d’avoir faim. Je me croyais être un elfe qui n’a besoin de rien. J’étais un esprit aérien, supérieur, qui ne se vautre pas dans la nourriture terrestre. Mes nourritures étaient célestes. Quand mes amis ou mon amoureux me disaient que j’étais trop maigre et s’inquiétaient que je ne mange rien, je riais aux éclats et leur répondais dans un grand sourire que je me nourrissais de livres et de mots.

 

Cela a duré pendant six années. Un après-midi, une jeune amie, Irina, que j’avais invitée à passer quelques jours avec moi à Saint-Tropez, hélas, elle s’est suicidée un an plus tard, peut-être avait-elle vu dans le côté mortuaire de mon anorexie sa propre mort qu’elle a désiré affronter avant l’heure, m’a expliqué sur la plage de Pampelonne que j’allais perdre mes cheveux et mes dents, et m’a conseillée de voir un grand professeur en endocrinologie chez qui elle faisait son internat de médecine.

 

Mes dents, mes cheveux, ça m’a fait peur ! J’ai pris rendez-vous. Après la consultation, ce professeur m’a téléphoné le soir-même pour me dire que je l’avais ému, qu’il était tombé amoureux et qu’il allait me guérir car il désirait m’épouser. J’ai accepté de me faire hospitaliser. On m’a fait des tas d’examens,IRM, scanners, prises de sang toutes les 4 heures après avoir avalé un médicament qui me faisait tomber violemment et profondément dans les pommes, afin d’effectuer un dosage hormonal très précis.

 

La veille de mon départ, ce grand professeur d’endocrinologie m’a enfermée dans son bureau et a essayé de m’embrasser avec ses mains et sa langue partout à me serrer très fort dans ses bras. J’ai refusé ses baisers. Je disais non, non, épuisée par les chutes de tensions dues aux médicaments et prises de sang qui m’avaient fait m’évanouir six fois en 24 heures. Il a fini par ouvrir la porte.

 

Le lendemain, il a fait venir dans ma chambre tous ses collègues, chacun leur tour, des grands professeurs de médecine dans leur spécialité qui m’ont expliqué l’importance de la nourriture pour ma santé, ma vitalité, mais aussi pour mon cerveau. J’ai accepté un protocole de soins à savoir avaler des médicaments qui allaient m’ouvrir l’appétit, prendre cinq repas par jour, et venir chaque semaine à l’hôpital pour recevoir une piqûre censée me rééquilibrer au niveau hormonal. J’ai juste demandé à changer de médecin. Sans donner d’explications.

 

J’ai accepté de déjeuner avec mon beau professeur pour lui dire merci car il m’a guérie. Mon beau professeur a pleuré. Parce qu’il était vraiment beau en plus ce couillon. Ses infirmières l’admiraient. Elles sont d’ailleurs toutes venues dans ma chambre voir la tête de celle qui avait fait chavirer le coeur du grand et beau professeur intimidant et pas commode. Je lui ai dit lui adieu. Et aussi que je ne l’embrasserai jamais. Il s’est excusé et m’a expliqué qu’il était sincèrement tombé amoureux de moi. Que cela ne lui était pas arrivé depuis la rencontre avec sa femme, il y a trente ans. Je ne lui en ai pas voulu. Je comprends qu’on puisse m’aimer. J’étais même flattée de sa déclaration. Et puis j’étais beaucoup dans la séduction, pas dans la consommation, mais dans la séduction oui, c’était un peu ma bouée de secours.

 

Au bout de quelques mois, j’ai retrouvé mon poids normal. Un miracle s’est produit. Moi qui n’ai jamais désiré écrire de livre, qui n’en ai même jamais eu l’idée, j’ai écrit  mon premier roman en quatre semaines. Des mots, des maux aussi, coincés dans mon cerveau qui ne pensait qu’à la nourriture que je n’allais pas manger, se sont mis à sortir comme par magie. À une rapidité fulgurante. Dans une urgence absolue. Le jour, la nuit, je n’arrêtais pas d’écrire. Je parlais d’amour, de joie, de vie, de sexe aussi.

 

Depuis, plusieurs éditeurs m’ont demandé d’écrire sur l’anorexie. Je le ferai peut-être un jour. Mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, je n’ai plus de troubles alimentaires. Plus aucun. J’ai retrouvé ma morphologie de mes 18 ans. Je m’intéresse à la qualité de la nourriture. J’ai créé une association Avec Sylvie on sème pour la vie, destinée à la lutte pour la préservation des semences reproductibles, drôle de paradoxe pour moi qui ai décidé de ne pas me reproduire. Je choisis les meilleurs produits, rien d’industriel bien sûr, et quand je vais au restaurant, je vais chez les chefs en qui j’ai confiance, qui se fournissent localement avec des légumes qui ont poussé sans pesticides, ni produits chimiques. 

 

Et chaque fois que je me régale avec ma soupe de légumes faite maison, je pense à ma petite maman chérie et lui envoie mille baisers au ciel, elle doit être si contente de me voir enfin avaler ma soupe avec autant de plaisir et un si bon appétit.

 

Sylvie Bourgeois Harel

 

Anorexie adulte, comment j'ai accepté de me faire soigner et de guérir
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Elle s’est réveillée et m’a regardée. Longtemps. Puis elle s’est rendormie. Dans son sommeil, je l’ai entendue dire putain de bordel de merde. Elle protestait, je pense, d’être encore en vie.

 

 

Elle est arrivée ce matin. Avec ses beaux yeux bleus. Des beaux yeux bleus et un visage d’enfant. D’un enfant pas souriant. L’infirmière aurait préféré mettre cette jeune femme qui venait de tenter de se suicider dans une autre chambre, mais l’hôpital était bondé. Elle m’a dit qu’après tout cela lui ferait peut-être du bien de passer quelques jours auprès de moi. De moi qui allais mourir et qui m’accrochais à la vie. Moi dont l’optimisme suscitait l’admiration du personnel médical qui prenait soin de mon corps malade. De mon corps qui avant d’être perfusé, piqué, dégradé était si joli. Je me souviens de l’affolement qu’il créait dans les yeux des hommes. Aujourd’hui, des trous, des crevasses, des gerçures, pas un endroit où ma peau ne soit esquintée et douloureuse. Si je me bats autant contre la maladie, c’est que je ne veux pas mourir avant de connaître le grand amour. Le vrai, le bel amour. Des fiancés, des aventures, j’en ai eu. Comme tout le monde. Mais le grand amour, jamais.

 

Je me suis tue et j’ai attendu. Qu’elle se réveille la désireuse d’éternité. À la fin de la journée, elle a commencé à bouger un peu, la demandeuse de mort. Et à parler. À raconter. Pourquoi elle s’était suicidée. Un homme, son mari la trompait, la battait et avait même essayé de la tuer en la poussant dans les escaliers. Elle l’aimait et lui avait pardonné. Il ne l’aimait plus et voulait la quitter. D’où les médicaments. Et maintenant qu’elle était toujours en vie, elle ne savait pas ce qu’elle allait faire de tout ce temps non désiré.

 

Cette fille me fascinait tant elle avait la capacité de parler sans s’arrêter. J’étais exténuée et l’écouter me reposait. Je n’avais pas à la questionner, ni à la relancer. Elle parlait toute seule, sans cesse. Et qu’elle avait besoin d’admirer un homme pour l’aimer. Et que le sien était admirable. Qu’il avait réussi professionnellement. Qu’il était beau, enfin pas vraiment beau comme on l’entend dans les magazines, mais beau comme elle aimait qu’un homme soit. Je lui ai demandé ce qu’elle pouvait trouver d’admirable chez un homme qui la battait. Elle ne m’a pas répondu. J’ai ajouté que si j’avais la chance d’avoir un amoureux, ce ne serait pas sa réussite que j’aurais admirée chez lui, mais plutôt sa capacité à m’aimer, quoiqu’il m’arrive. J’aurais trouvé par exemple admirable qu’un homme continue de m’aimer malgré ma maladie. Elle m’a regardée sans comprendre, puis elle a continué. Elle s’était ratée, mais elle recommencerait. Les médecins auraient beau s’acharner pour lui redonner le goût de la vie, la prochaine fois, elle ne se louperait pas.

 

Un peu plus tard, elle m’a demandé pourquoi j’étais à l’hôpital. Une leucémie, je lui ai répondu, j’ai une leucémie. C’est grave ? Elle a ajouté. Et avant même que je lui dise que la mienne était mortelle, elle s’est endormie. Avec sa tête d’enfant pas content.

 

C’est mal foutu la vie, elle m’a dit en se réveillant, j’aurais pu te donner la mienne. Ce serait bien si on pouvait donner sa vie que l’on ne veut plus à ceux qui en ont besoin. Elle ferait bien un deal - elle parlait comme ça - avec l’hôpital pour qu’elle ait le droit de se suicider dans une de leurs chambres et qu’ensuite les médecins récupèrent ses organes pour les transplanter à leurs malades. Mais elle était sûre qu’ils n’accepteraient jamais. Pourtant ça lui plairait. En plus, ce serait une première. Et puis comme ça, au moins, elle donnerait à sa mort le sens qu’elle n’avait pas réussi à donner à sa vie. Mais bon faut pas rêver, elle répétait, avec son visage d’enfant pas méchant.

 

Le lendemain, mes taux sanguins se sont effondrés. J’ai dû partir dans une chambre immunisée. Il me fallait un donneur pour une greffe de moelle osseuse. J’ai trente-deux ans et je ne veux pas mourir. La suicidée a trente-deux ans aussi, elle ne doit pas mourir. L’éternité, les ténèbres, ça me fait peur. L’idée que je n’ai pas eu le temps de devenir quelqu’un, ni de terminer ma dernière sculpture, me donne envie de pleurer. De pleurer doucement. Je me console ainsi. Je n’ai plus mes parents. La suicidée voit la mort comme un soulagement. Je l’envie presque. J’ai demandé à l’infirmière d’aller me la chercher. Qu’elle m’égaye un peu avec ses histoires de décès prématuré.

 

L’infirmière m’a dit qu’elle s’était remise et avait demandé à retourner dans la vie, dans sa vie, chez son mari. Elle avait même accepté d’être suivi par un psy. Je lui ai demandé de me la retrouver. Qu’elle vienne me distraire avec ses envies de morbidité. Je voulais revoir encore une fois son visage d’enfant innocent.

 

Je lutte, mais je me sens faiblir. Je suis toute maigre. Je ne peux plus rien avaler et à peine respirer. Aucun donneur n’est compatible. Je lutte, mais je ne vais pas gagner. Je le sais. Je le sens. Mes jours sont comptés. Je le sais. Je sens la paix s’installer en moi. L’image de ma maman me revient de plus en plus souvent. Elle a les bras tendus vers moi et me sourit en m’appelant doucement. Mes heures sont comptées, je le sais, je le sens, mais plus la morphine que l’on m’a augmentée.

 

J’attends la suicidée. Je veux la voir pour lui dire au revoir. Je veux la voir pour lui dire de vivre. Pour elle. Pour moi. Je veux la voir. C’est mon dernier espoir. Je veux la voir ma suicidée avec sa tête d’enfant inconséquent.

 

L’infirmière vient de m’annoncer qu’elle a tué son mari avant de se tirer une balle dans la tête. C’est sa maman qui a trouvé l’appartement plein de sang. Pauvre bébé qui désirait être aimée. Pauvre petite suicidée. Ma suicidée. Ma petite suicidée que je vais bientôt retrouver.

Sylvie Bourgeois

 

 Sylvie Bourgeois Harel - Château de La Mole - 2019

Sylvie Bourgeois Harel - Château de La Mole - 2019

Sylvie Bourgeois Harel - Château de La Mole - Var - 83310 - Massif des Maures

Sylvie Bourgeois Harel - Château de La Mole - Var - 83310 - Massif des Maures

Château de La Mole - 2019 - Massif des Maures - 83310 La Mole - Var

Château de La Mole - 2019 - Massif des Maures - 83310 La Mole - Var

Château de La Mole - Massif des Maures - 83310 La Mole - Var

Château de La Mole - Massif des Maures - 83310 La Mole - Var

Sylvie Bourgeois Harel - Château de La Mole - été 2019 - Massif des Maures ) Var - 83310 La Mole

Sylvie Bourgeois Harel - Château de La Mole - été 2019 - Massif des Maures ) Var - 83310 La Mole

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