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EN ATTENDANT QUE LES BEAUX JOURS REVIENNENT (roman que j'ai signé Cécile Harel)

... Sauf qu’un matin, il a plu. On a eu notre journée de congé. J’ai enfilé ma robe débardeur en daim beige avec mes bottes plates assorties, et je suis partie en stop à Sainte-Estelle voir ma mère. Elle me manquait. Une Rolls m’a pris. Il avait l’air gentil. À moins que ce soit la berline la cause de cette impression. Il y avait des embouteillages, alors il a bifurqué sur un petit chemin. On s’est retrouvé dans la campagne. Je ne me suis pas méfiée quand il m’a répété que j’étais jolie et qu’il aimerait m’offrir un grand coiffeur et des beaux habits. Mais quand il a fermé la voiture et s’est arrêté dans un terrain désert bordé d’arbres au dessus d’une colline, c’était trop tard. Je ne pouvais plus m’enfuir. Mon corps s’est glacé. L’effroi est revenu. C’était foutu. Je n’arrivais pas à crier. J’ai essayé de le taper, de lui échapper. J’ai tout tenté. Il ne m’a laissé aucune issue. Ce n’est pas vrai qu’on peut s’enfuir quand un homme est sur vous et qu’il vous tient et vous menace avec son couteau planté sous votre gorge. Et quand il vous donne des coups, et vous tire les cheveux, et vous tord les poignets, et vous colle contre lui pour vous maitriser et déchirer votre culotte, vous ne pouvez ni le mordre, ni le tuer. Quand il s’est enfoncé, je n’ai pu que haïr les hommes. Encore. Je me suis tellement débattue que j’ai réussi à ouvrir la porte. J’ai cru pouvoir décamper. Mais il m’a rattrapée et m’a collée la tête contre un arbre. Ma seule victoire a été qu’il n’arrive pas à éjaculer en moi. Ça l’a énervé. Il a hurlé que j’étais trop conne. Si j’avais été plus gentille, il aurait fait de moi la reine de Saint-Tropez. Je me suis sentie tellement sale que je n’ai pas noté son numéro d’immatriculation. Je ne l’ai pas dénoncé aux policiers non plus. Je n’en ai pas parlé. Le silence comme protection. Le silence en destruction. Le silence en négation. La douleur, de toute façon, je savais depuis longtemps comment l’anesthésier. Tout comme la jouissance d’ailleurs. Ça ne m’était jamais venu à l’esprit que mon vagin pouvait servir à me donner du plaisir. C’était ma boîte à secrets, fermé. Avec une clef d’effroi. Point. Ma boîte de Pandore. Inutile de l’ouvrir.

J’étais seule responsable du choix de ma si jolie robe en daim beige avec les bottes plates assorties. C’était écrit. Comme une continuité. À force de fuir ceux qui m’aimaient pour ne plus être aimée, je faisais de mon corps une victime toute tracée. Je suis rentrée à pied, en bus, je me suis lavée dans la mer, puis je suis allée chez Sénéquier m’acheter des brioches et des pains au chocolat et des tartes et des croissants pour me faire croire que c’était à cause de toutes ces pâtisseries que j’étais autant écœurée.

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Sylvie Bourgeois - Besançon - Inauguration Exa - Pierre Bourgeois

Sylvie Bourgeois - Besançon - Inauguration Exa - Pierre Bourgeois

En fin d’après-midi, j’ai demandé à ma maman la permission d’aller au village avec ma copine Sandrine pour acheter des bonbons. Elle m’a dit oui et de ne pas traîner. Je me suis habillée avec mon short en coton rayé rose et vert qui fait un peu comme une culotte mais qui est quand même un short et mes sandales que ma maman m’a achetées chez Bailly. Elles sont très belles. Quand je les ai essayées, j’avais retenu ma respiration et fait le vœu que ma maman dise oui. Elle m’a juste demandé si j’étais sûre que je n’allais pas me tordre les pieds avec. J’ai dix ans et ce sont mes premières compensées.

 

Quand nous sommes arrivés au Miramar, c’est l’immeuble qui délimite la fin de notre quartier d’été où il n’y a que des maisons de vacances au bord de la mer, un monsieur nous a abordé. Bonjour, je suis un ami de vos papas, il nous a dit. Ah bon ? On lui a répondu sans s’intéresser à lui. Mais il a insisté qu’il connaissait bien nos papas, et nos mamans aussi et il s’est mis entre nous deux. Et comment ils vont vos papas ? Il nous a demandé. Et vos mamans ? Et nous, comme on est polies avec les amis de nos parents, on lui a répondu qu’ils allaient très bien d’autant plus qu’il était grand et un peu terrifiant.

 

Soudain, j’ai senti la main du monsieur dans mon short qui faisait un peu culotte, mais qui était quand même un short. J’ai regardé Sandrine, mais elle était partie à lui raconter sa vie avec ses quatre sœurs. J’ai essayé de l’interrompre, mais elle regardait droit devant elle à continuer de parler en faisant la maligne car c’est le genre de copine à vite faire la maligne. Ca ne m’étonnerait pas d’ailleurs qu’elle ait déjà embrassé un garçon en cachette de ne me l’avoir dit car une année de vacances d’été, on s’adore, et l’année d’après, on se déteste, c’est parce qu’elle est jalouse que je sois fille unique avec mes parents qui sont très beaux. Forcément, elle m’envie, et en même temps, je la comprends, je préfère ma vie à la sienne.

 

Soudain les doigts du copain de mon papa ont caressé mon minou et ont même essayé de rentrer dedans. Quelle drôle d’idée, je me suis dit et je n’ai pas osé lui demander ce qu’il faisait car j’avais peur de me faire gronder par mon papa qui aime que je sois bien élevée. Le monsieur, il avait des ongles mal coupés et qui devaient certainement être sales car j’ai senti une boule remonter dans ma gorge. J’ai même eu mal au cœur et je ne pouvais plus respirer tant j’étais oppressée, quand soudain j’ai pensé je ne sais pas comment à lui demander le prénom de mon papa qu’il connaissait si bien. Il m’a répondu Léon, puis Roger, puis Bernard tout en allant encore plus loin dans mon short et très vite et ça commençait à m’énerver vraiment cette intrusion. Quand j’ai compris qu’il ne connaissait pas mon papa et donc qu’il n’y avait aucune raison qu’il caresse mon minou, j’ai pris la main de Sandrine et je l’ai entraînée à courir très vite avec moi jusqu’à ma maison. Tant pis pour mes bonbons.

 

J’ai couru jusqu’à ma maman et je lui ai tout raconté. Elle a hurlé. Puis elle est allée chercher mon papa et m’a demandé de lui montrer où tout cela s’était passé. On a laissé Sandrine car elle n’avait pas eu les doigts du monsieur dans sa culotte. Faut dire qu’elle est beaucoup moins jolie que moi car elle a du poil sur les fesses et aussi de la moustache parce qu’elle est très brune. Je trouve d’ailleurs que pour une petite fille, c’est plus joli d’être blonde avec les yeux bleus comme moi, la preuve, le monsieur, il ne s’y est pas trompé.

 

Avec mes parents, on est rentré partout dans les immeubles pour chercher le monsieur que ma maman appelle le satyre. Puis quand on est allé dans un bar-tabac pour parler avec le patron, soudain, je l’ai vu passer dans la rue. J’ai essayé de le montrer à mes parents, mais je n’y arrivais pas tellement j’étais sans voix. Finalement, j’ai réussi à tirer la manche de ma maman et elle a compris que c’était lui. Elle lui a aussitôt couru après, suivi de mon papa, puis du patron et aussi de tous les clients qui voulaient savoir ce qu’il se passait. Finalement, ils ont réussi à l’attraper et ma maman lui a posé plein de questions, elle était remontée comme ce n’était pas possible. Après un moment, il s’est avéré que c’était un pauvre garçon qui passait ses vacances tout seul. Un garçon pas très malin d’après ce que j’ai compris. Enfin quand même suffisamment malin pour comprendre qu’un short c’est bien pratique pour y mettre sa main. Ils ont discuté pendant longtemps même qu’à un moment, je me suis dit que j’avais le temps d’aller m’acheter mes bonbons. Mais les gendarmes sont arrivés et on est rentré à la maison.

 

Le soir, j’ai eu le droit de dormir dans le lit de ma maman qui m’a expliqué ce qu’était un satyre et que je ne devais plus jamais forcément croire ce que me disaient les grands et que même si elle m’avait éduqué le respect des adultes, et bien, parfois il y en avait comme ce pauvre garçon qu’il ne fallait pas écouter. Et que dorénavant pour tout simplifier, je ne devais plus jamais parler à qui que ce soit que je ne connaissais pas s’il était âgé que moi. Je lui ai répondu que je pouvais aussi me mettre à détester tous les garçons, comme ça je ne ferais plus jamais de confusion et ce serait encore plus pratique pour mon éducation. Que c’était même la meilleure solution.

 

Ce fut ma plus belle nuit. J’adore dormir avec ma maman. Ca ne m’arrive pas assez souvent. Le satyre, il peut bien revenir, comme ça mon papa, il dormira encore sur le divan.

 

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Sam, mon chien quand j'étais enfant

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Ma mère, Hélène Bourgeois, décédée le 7 juillet 1997

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  Hélène Bourgeois, à 16 ans

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  Hélène Bourgeois (née Onimus), à 22 ans, à Nermier (Jura)

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Mon père, Pierre Bourgeois, décédée le 4 octobre 1996

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Pierre Bourgeois, enfant dans le Haut-Doubs

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Mes grands-parents paternels, Achille et Cécile Bourgeois

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Mes grands parents maternels

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Bébé

 

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À 2 ans avec ma mère

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À l'inauguration de l'atelier de mon père

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Avec ma Nathalie qui est toujours ma meilleure amie

 

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À 23 ans

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Sur Shenandoah pendant une Nioulargue

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Sylvie Bourgeois - Shenandoah - Nioulargue

Sylvie Bourgeois 2003

Sylvie Bourgeois 2003

Sylvie Bourgeois 1998

Sylvie Bourgeois 1998

Sylvie Bourgeois 2003

Sylvie Bourgeois 2003

Sylvie Bourgeois 1998

Sylvie Bourgeois 1998

Sylvie Bourgeois 1998

Sylvie Bourgeois 1998

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Sylvie Bourgeois -Saint-Tropez - Var-Matin - Juillet 2016

Sylvie Bourgeois -Saint-Tropez - Var-Matin - Juillet 2016

extrait page 100 :

... — Mais Raphaël, continue Gaspard, notre petit dernier, est né avec une malformation cardiaque. Il a fallu l’opérer. Il est resté plusieurs semaines entre la vie et la mort. C’était l’horreur. Valérie passait son temps à l’hôpital. Quand notre enfant a enfin pu rentrer à la maison, Valérie, au lieu d’être contente d’avoir son bébé sauvé, n’arrêtait pas de râler après les placards de la cuisine que je n’avais pas encore fixés au mur. Je n’avais jamais le temps. Posés à même le sol, ils étaient à la hauteur de notre aîné dont le grand jeu était de prendre les provisions et de tout faire tomber. Ça l’amusait beaucoup. Valérie, pas du tout. Elle se mettait à hurler que j’étais nul, que je la baisais mal, que j’avais gâché ses plus belles années. Je ne comprenais pas ses reproches. Puis un jour, j’ai compris. Le problème ne venait pas de mes placards, mais du chirurgien qui avait pris soin de Raphaël. Valérie, que j’avais admirée dans son rôle de mère exemplaire, paniquée à l’idée de perdre notre bébé malade, passait en fait ses journées, non pas auprès de notre enfant mourant, mais dans les bras de ce médecin. En larmes ‒ pourquoi faut-il toujours que les femmes pleurent quand elles nous font du mal ? ‒, elle m’a avoué vouloir vivre avec lui. Ils avaient, paraît-il, les mêmes visions de construction de leur avenir. Le mien fut démoli dans la seconde. Boum !

Gaspard mime avec ses doigts la détente d’un coup de pistolet sur sa tempe. Devant la violence du geste, Sophie sursaute et fait un bond en arrière.

— Lors du divorce, poursuit Gaspard, ma femme a tout obtenu, la garde des enfants, de la maison et une pension conséquente calculée sur mes anciens revenus. Je me suis retrouvé criblé de dettes, à vivre dans un studio pourri. Le pire, c’est que je ne supportais pas l’idée que mes fils soient élevés par ce médecin qui n’avait eu aucune éthique en se faisant passer pour un réparateur de bébé afin de séduire Valérie. J’ai pété les plombs. Je me suis mis à picoler. Les placards de mon studio me rappelaient mon aîné. Je les ai détruits à la hache. Je les ai détruits en hurlant. En pleurant. À force de pleurer, toutes mes bouteilles se sont vidées. Quand je n’en pouvais plus, je prenais ma voiture et je roulais pour m’éloigner de ma douleur. Les corniches n’avaient aucun secret pour moi. Le ravin n’était jamais loin. Il m’aurait suffi de ne plus tourner le volant, mais il me fallait rester vivant pour mes enfants. Le petit dernier n’arrivait à s’endormir que posé sur ma poitrine, le rythme lent de mon cœur le rassurait, le pauvre chéri avec sa cicatrice qui le marquerait à vie. Qu’est-ce que j’ai pu rouler ! Je roulais pour aller ailleurs. Pour aller là où je n’étais pas. Je roulais partout et aussi dans ma tête. Surtout dans ma tête. C’était là où je roulais le plus vite. Des images cauchemardesques défilaient devant mes yeux, des cafards par milliers, des araignées gigantesques, des siamoises à la poitrine exubérante. Un jour, j’ai même vu un dauphin déguisé en chirurgien qui faisait de la trottinette. Plus je roulais, plus je le voyais. Pour ne plus le voir, j’ai arrêté de rouler et donc de créer. À partir de là, plus aucune idée ne sortait de mes mains et mes crayons tombaient de ma tête. Valérie a fini par me faire interner dans une clinique psychiatrique. Quand j’ai réalisé que la fenêtre de ma chambre donnait sur l’hôpital où elle avait sucé ce salaud de docteur chargé de réparer mon bébé malade du cœur, ça m’a rendu encore plus dingue. On m’a gardé enfermé pendant deux mois. Pour me soigner de la solitude dans laquelle ma femme m’avait abandonné, j’ai couché avec quelques filles paumées.

Impressionnée de la facilité avec laquelle Gaspard livre son intimité, Sophie toussote. Elle ne s’attendait pas à avoir ce genre de conversations douloureuses à Saint-Tropez. Au royaume de la futilité et des célébrités, elle se demande comment elle s’est débrouillée pour tomber sur la seule personne qui va aussi mal qu’elle, si ce n’est plus mal.

— Ces sirènes maniacodépressives m’ont redonné confiance, reprend Gaspard. Troublée par leur délicieuse asthénie, ma virilité de dauphin-architecte a retrouvé de sa superbe. La nuit, je sautais de chambre en chambre. L’une de ces déesses de la frustration avait raconté aux médecins que mon sexe était une épée magique qui avait réussi à vaincre sa mélancolie, une autre qu’il était la meilleure piqûre d’antidépresseurs qui ne l’ait jamais pénétrée. En fait, leurs psychotropes agissaient sur leurs hormones et stimulaient leur libido. Ça baise beaucoup en HP.

— Ah bon ? s’étonne Sophie avec une petite voix éraillée.

J’ai bien fait de refuser le séjour en maison de repos que m’avait proposé l’hôpital, se dit-elle pendant que Gaspard lui explique qu’après son séjour épicurien dans cette formidable clinique sexuelle, il était retombé amoureux de l’alcool, alors qu’il n’y avait plus droit.

— Je te la fais courte. Quand je suis sorti, je n’en menais pas large. Je n’avais plus d’argent. Quand tu es faible, les charognards viennent te bouffer la laine sur le dos. Des clients ont commencé à ne pas payer mes honoraires comme s’il y avait écrit sur mon front Couillon qui travaille gratuitement pour le plaisir de créer de la beauté. Ce qui n’est pas totalement faux, avoir des idées suffit à me rendre heureux. Les pénalités de retard des impôts, de l’Urssaf, se sont accumulées. J’ai été entraîné dans un engrenage administratif impossible à stopper. Je devais du fric partout. Les huissiers ont fini par débarquer chez moi. Je leur ai dit que j’étais une tortue Hermann, une espèce protégée du massif des Maures, et qu’ils n’arriveraient jamais à m’expulser de ma carapace qui me servait de bouclier pour me protéger de mon salopard de banquier qui avait coupé ma carte bleue. Ça ne les a pas fait rire. Ils ont volé mon scooter. Mais pas ma voiture. Je l’avais bien cachée. N’empêche, ils ont réussi à me mettre à la rue.

— Et tu as fait quoi ? demande Sophie interloquée par cette avalanche de confessions désolantes.

— Calou, continue Gaspard, a proposé de m’héberger dans sa maison près de Rennes, mais je ne voulais pas d’un chez-moi chez lui. Je préférais dormir dans des petits hôtels quand j’avais trois sous. Sinon, c’était dans ma voiture. Mon essence préférée était la vodka. Comme les Vikings. Je commençais mes journées par un grand verre, puis j’allais m’entraîner au tir à l’arc pour pouvoir un jour décocher une flèche empoisonnée dans le cœur du docteur qui avait brisé le mien. Il vaut mieux d’ailleurs que ce vaurien ne croise jamais la route du Viking que je suis devenu. Je ne vais pas rester éternellement le gentil architecte qui se fait tout piquer.

Gaspard se relève sur son siège et se met à chanter à tue-tête :

         Les coups ah quand ils vous arrivent

         Oh oui, oui, ça fait mal

— J’ai aussi un nunchaku, ajoute-t-il, l’air menaçant.

Sous le choc de la vague de désespoir de Gaspard, Sophie reste muette. Elle aimerait avoir la trousse à outils adéquate pour lui ouvrir le cerveau et percevoir qui il est réellement. Et pourquoi pas, le réparer aussi un peu au passage !

— Et pour clore le tableau, un jour est arrivé où je ne pouvais plus payer mes assurances professionnelles. Il faut savoir qu’en tant qu’architecte, je suis responsable de tous les corps de métier que je fais bosser. Si un plombier rate son évier ou un carreleur son sol, c’est moi qui raque. Sans assurance, je ne pouvais plus travailler. Mon banquier qui trouvait que j’étais déjà trop à découvert a refusé de m’accorder un crédit supplémentaire. Je me noyais et au lieu de me tendre la main pour que je me remette à niveau afin de m’acquitter de mes dettes, ce salopard a appuyé sur ma tête pour me faire couler. N’étant pas à jour de mes cotisations, j’ai été rayé de l’Ordre des architectes. Je n’avais plus le droit d’exercer mon métier. Ce qui est un comble, ajoute-t-il en tapotant affectueusement la cuisse de Sophie, car l’Ordre des decins n’a jamais daigné répondre à ma plainte concernant un chirurgien voleur de femmes et d’enfants, les miens en l’occurrence. Allez, fous les gaz, Sophie ! Je vais te guider jusqu’à chez moi.

Interloquée, elle règle les rétroviseurs et son siège qu’elle avance au maximum.

— Ah, oui, j’ai aussi oublié de te dire que je suis interdit bancaire. Heureusement, un client me paye au noir sinon je serais mort. La France assiste les escrocs, pas les honnêtes gens. Si j’avais monté une société, j’aurais pu déposer tranquillou le bilan, me mettre au chômage, planter mes fournisseurs et me faire bronzer les fesses avec mes indemnités. Mais en profession libérale, je n’ai aucune protection sociale et je suis responsable jusqu’au dernier sou. Et si je meurs demain, mes gosses hériteront de mes créances. Tu te rends compte, je n’ai même pas de quoi payer l’opération de mon chien qui a un cancer. Et si je ne l’opère pas, il meurt. Et mon saligaud de banquier ne veut pas m’avancer les 1 500 euros dont j’ai besoin. Je t’assure, c’est une sale race, les banquiers, toujours à vous épier. Avec le mien, c’est bien simple, il m’est impossible de travailler. Il passe son temps à me harceler, à se renseigner sur mes futures rentrées. Comme si je le savais ! Je suis architecte, merde, pas comptable. Qu’on me donne des maisons à construire, pas des chiffres à additionner ! Quand j’ai choisi ce métier, j’avais l’ambition d’ériger des musées, de bâtir des tours, de dresser des gratte-ciel, pas de passer mes journées à négocier avec un abruti pour obtenir un crédit. Je suis un raté, Sophie. Voilà, ma petite tourterelle, si toi ou ta copine qui cherche désespérément un mec, vous voulez vous taper un looser, c’est le moment, sourit-il étrangement.

— Comment sais-tu que Géraldine cherche un mec ?

— Ça se sent à dix mille kilomètres qu’elle est seule. C’est désolant d’ailleurs toutes ces femmes célibataires. Si ça ne tenait qu’à moi, je les consolerais toutes, mais elles ne veulent pas d’un paumé. Les filles d’aujourd’hui veulent des vainqueurs. C’est là où elles se trompent. Parce que les vainqueurs, ils n’ont ni l’envie, ni le temps de s’occuper d’elles, puisque ce qui les motive, c’est de gagner !

— C’est ce que je me tue à expliquer à mes copines qui veulent des mecs dont elles puissent admirer la réussite professionnelle, ajoute Sophie, étonnée de la perspicacité de Gaspard. Moi ce qui m’épaterait chez un homme, ce serait sa capacité à m’aimer quoi que je fasse, même quand je suis bête ou que je pue de la bouche ou que je fais des prouts qui chlinguent. Voilà, je veux pouvoir rire avec lui de mes défauts et qu’il soit fier que je sois la seule à lui donner autant de plaisir au lit. C’est ce qui me ferait l’aimer encore plus.

Sophie tourne la tête pour reculer et découvre à l’arrière, cachée sous le brancard, une minuscule machine à laver le linge.

— C’est un problème les habits, dit Gaspard. Comme mon souci est d’être autonome, j’ai toujours une culotte propre dans ma mallette d’architecte. Les nanas apprécient que je sois soigné. Je te promets, le mec qui a un slip de rechange avec lui, il marque des points. J’ai réussi à bricoler un truc pour brancher l’arrivée d’eau de ma machine aux canalisations des maisons des femmes qui m’ont accepté dans leur lit.

— Tu as eu beaucoup de fiancées ?

— Il ne faut pas poser ce genre de questions, ma colombe, elles vont te faire du mal. Sache juste que c’est grâce à toutes ces filles que je suis encore en vie. Quand tu crois que tu n’as plus rien, eh bien, il te reste de bien faire l’amour. C’est le seul luxe des pauvres. Les couples friqués explosent quand ils ne baisent plus ensemble, c’est bien connu. Ma femme a arrêté de baiser quand je n’ai plus eu d’argent. Ce n’était peut-être qu’une grosse pute. Va savoir ?

— Va savoir, répète Sophie, pensive.

— Une grosse pute que j’aime toujours.

...

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Sylvie Bourgeois Harel - Club 55 - Ramatuelle - Plage de Pampelonne

Sylvie Bourgeois Harel - Club 55 - Ramatuelle - Plage de Pampelonne

Lettres à un monsieur

Roman - Editions Blanche - 2003 - Sylvie Bourgeois

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EXTRAIT :

Je suis voluptueusement abandonnée sur mon lit à faire l’amour avec mes mots qui sont les seuls amis à qui je peux confier mon intimité. Enfermée sur ces pages de papier pour t’exprimer mes rêves de sexualité, mon esprit imprégné de ta sensualité voudrait lécher les verbes tels que sucer, pénétrer, haleter, savourer, cambrer, écarter, soupirer, mouiller, succomber.

Mon sexe s’ouvre pour y faire entrer des mots tels que ravissement, émotion, enchantement, chaleur, emballement, gaieté, abandon détermination, révélation.

Mon émoi à ton égard cherche dans mes pensées les mots pour te fantasmer et ne pas risquer d’être frustrée par ta manière de me désirer. C’est une autre façon de te faire l’amour.

Je t’ai rêvé me pénétrer. Tu étais dans mon cerveau excité et passionné à le caresser. Cette extraordinaire et rare sollicitation me provoquait une inconnue et douce sensation de plénitude. Glissant dans cette masse nerveuse qui, sur ton passage, s’embellissait, se dynamisait, se réveillait, tu voulais tout sentir, tout toucher, tout connaître de ce monde inconnu qui s’offrait à toi avec une volupté confondante.

Ta curiosité a réussi à ouvrir certaines portes que je croyais avoir fermées à jamais d’où se sont délicieusement échappés les mots sérénité, calme, assurance, quiétude, paix, félicité.

Excité par mes gémissements de plaisir qui résonnaient telle une symphonie, tu as joui dans ma tête, arrosant avec délectation ce noyau fertile qui t’attendait pour se développer, se dévoiler et se révéler.

Puis tu es redevenu homme, homme sur moi, épuisé par cette victoire non conventionnelle. Mes seins se sont alors extraordinairement gonflés pour mieux t’accueillir, t’honorer, te soulager.

Léger comme une plume, mon corps s’enivrait de toi pour que chaque grain de ma peau te soit le plus délicieux des massages.

Assis sur ton visage, mon sexe s’est pressé fortement à ta bouche afin de filtrer pour toi l’air que tu respires.

Je t’ai sucé avec tendresse, délicatesse, exigence, concentration, douceur, protection. Chaque recoin de ta verge était sollicité. Ma salive qui bavait tant et si bien, a formé une vague géante de plaisir et a noyé ton sexe dans un tourbillon d’ivresse. Tes genoux fléchissaient. Ton corps tremblait. Ta bouche me réclamait. Je te suçais avec une fougue nouvelle, témoin de mon tempérament révélé.

Ma passion à te désirer a pénétré ton sexe et les mots sur lesquels je me suis masturbée pour les préparer à être le sensuel reflet de mes pensées sont entrés dans ton esprit créant de fabuleux frissons jusqu’alors inconnus.

Ces mots tels que confiance, sentiment, sincérité, amour, intuition, allégresse lui ont insufflé de vivre heureux. Une boule de feu d’une énergie incommensurable a envahi ta tête et a brûlé à jamais tes insatisfactions, tes frustrations, tes craintes. La puissance de ce plaisir rêvant de te faire crier de bonheur a anéanti tous les usurpateurs qui t’enferment.

Ces jouissances nouvelles, fulgurantes, libératrices prennent leur source dans un espace merveilleux qui s’appelle liberté, douceur, désir, plaisir, respect, vérité.

 

Sylvie Bourgeois - Philippe Harel - Prix Marie-Claire - Hôtel Montalembert

Sylvie Bourgeois - Philippe Harel - Prix Marie-Claire - Hôtel Montalembert

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Bravo à Laurent Bertolotto, chef du Club 55, un restaurant situé sur la plage de Pampelonne à Ramatuelle, dans le Var, au cœur du Golfe de Saint-Tropez et du Massif des Maures. Depuis 28 ans, Laurent Bertolotto régale les clients du Club 55 avec ses délicieuses recettes provençales qu’il tient de sa grand-mère. Fidèle aux traditions de la région, le 25 décembre, jour de Noël, Laurent met au menu du jour, la soupe au petit épeautre ainsi que les treize desserts dont la fameuse pompe à l’huile. Pendant la saison, il cuisine avec les légumes provenant de la ferme des Bouis à Ramatuelle et du château de La Mole, propriétés agroécologiques de Patrice de Colmont qui détient avec sa soeur Véronqiue le Club 55, et qui cultive sa production en agriculture biologique sans produits chimiques, ni pesticides, aidé par un cheval de trait.

 

Recette de la soupe au petit épeautre :

Pour 4 personnes :

150 gr d’épeautre

2 carottes

1 poireau

1 navet

1 courgette

1 oignon

2 gousses d’ail

1 bouquet garni de laurier et de thym

Pancetta ou lard fumé ou rien du tout si vous êtes végétarien

1 bouillon de volaille mais uniquement si vous l’avez préparé vous-même, il est conseillé de réduire sa consommation de denrées industrielles

 

Rincer l’épeautre et laisser le tremper pendant 1 heure

Laver, éplucher et couper en tout petits dés vos légumes

Émincer les oignons et écraser l’ail au couteau

 

Jeter votre pancetta ou lard dans une poêle sèche et chaude, le faire rissoler jusqu’à ce que la graisse soit partie

Dans une autre poêle, mettre de l’huile d’olive en bonne quantité, jeter l’ail écrasé, le faire le fondre afin de donner du goût à votre huile, puis ajouter les oignons et baisser le feu, mettre ensuite les carottes, remuer, les poireaux, remuer, répéter pour tous vos légumes

Laisser cuire 20 minutes à feu doux

Ajouter votre pancetta ou lard fumé, puis de l’eau bouillie (compter ½ litre par personne)

Dès que l’eau bout à nouveau, saler, poivrer, ajouter le petit épeautre, le laurier et le thym

Laisser cuire 1 heure 30

Au moment de servir, ajouter dans chaque assiette un peu d’huile d’olive, du poivre et du pecorino romano râpé (c’est un fromage italien proche du parmesan)

 

Le petit épeautre est la céréale la plus ancienne plantée par l’homme, environ 10000 ans, et qui n’a pas connu de transformation génétique. Elle pousse à 400 m d’altitude dans le Sud-Est de la France, notamment dans les Alpes de haute-Provence. Riche en protéines et en fibres, pauvre en gluten, il facilite la digestion, le transit intestinal et la sensation de satiété. Il contient 8 acides aminés essentiels à l’organisme : tryptophane, lysine, méthionine, phénylalanine, thréonine, valine, leucine, et isoleucine. Dans 100 gr de petit épeautre, on trouve 120 mg de magnésium (excellent antistress), 440 mg de phosphore (soit la moitié de nos besoins quotidiens, essentiel à notre activité cérébrale), et 100mg de calcium (pour notre métabolisme osseux). Il contient aussi plusieurs vitamines dont celles du groupe B et la vitamine E. Riche en caroténoïdes et en lutine, il lutte contre le vieillissement. Ses propriétés antioxydantes, fer et zinc, permettent de lutter contre les radicaux libres.

Laurent Bertolotto, chef du Club 55 et Sylvie Bourgeois Harel

Laurent Bertolotto, chef du Club 55 et Sylvie Bourgeois Harel

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Sylvie Bourgeois Harel - Patrice de Colmont - by Gilles Bensimon - le Club 55

Sylvie Bourgeois Harel - Patrice de Colmont - by Gilles Bensimon - le Club 55

Un prince paysan à Pampelonne par Sylvie Bourgeois Harel

pour le magazine américain Maxim

 

Un ‘‘Prince paysan’’ à Pampelonne

Un Prince qui s’appelle Patrice…

Tout a commencé en 1947, lorsque le père de Patrice, Bernard de Colmont (qui fut le premier occidental à entrer en contact avec les Indiens Lacandons en 1935), tourne pour gagner un peu d’argent un documentaire à bord d'un pailebot, un bateau à voiles majorquin qui assure le transport des oranges en Méditerranée. Une tempête de mistral les oblige à s'abriter dans la baie de Pampelonne. Bernard, subjugué par la beauté des lieux qui étaient à l’époque déserts, décide de revenir avec sa famille. « N’est-ce pas l’endroit idéal ? » rétorque-t-il à ses amis du Club des Explorateurs avec lesquels il a voyagé dans le monde entier. « Il n’y a pas d'araignées, ni de serpents mortels, pas de requins, ni de lions, pas de choléra, ni de tsunami… et nous sommes en France, dans une démocratie. »

Après avoir occupé pendant plusieurs étés une cabane de pêcheurs sur la plage de Bonne terrasse, Bernard acquiert en 1954 deux parcelles de terrain au bord de la mer, à l'endroit où les Américains, sous les ordres du Général Patch, ont débarqué pour libérer la France. Sa femme Geneviève est furieuse que son mari qui vient de toucher un petit héritage ait acheté un bout de plage remplie de mines laissées par la guerre alors qu’elle n'a pas de quoi offrir des pull-overs neufs à leurs garçons de 9 et 6 ans. Mais elle aime son homme alors ils quittent la Haute-Savoie et s'installent pour vivre à l'année, sans eau, ni électricité, sous des tentes puis dans trois cabanes en bois que Bernard a dessinées et fabriquées.

Dès les beaux jours, leurs amis pique-niquent au cabanon. Très rapidement, Geneviève leur propose de s'occuper de l'intendance des repas. Un jour de 1955, l'équipe du film de Et Dieu créa la femme avec Brigitte Bardot, qui n'a que 19 ans et n'est pas encore une star, croit qu'il s'agit d'un restaurant et demande à Geneviève si elle peut leur faire la cuisine pour 80 personnes pendant trois semaines. Ça l'amuse terriblement. Elle aime les gens de talent. Pour preuve, elle voulait devenir aviateur, ses parents n'étant pas d'accord, elle a réussi à travailler (bénévolement) pour l'explorateur Paul-Émil Victor. Alors elle dit oui. Elle n’a pas de four. Peu importe ! Elle fait cuire les rôtis dans celui du boulanger. Le film terminé, Roger Vadim et Brigitte Bardot reviennent. Et amènent leurs amis, réalisateurs, comédiens, écrivains, chanteurs, tous les artistes de Saint-Germain-des-Près qui font le Saint-Tropez des années 50. Geneviève, issue de la grande bourgeoisie, n'est pas impressionnée. Le soir, on dîne, on danse, c’est l’endroit où il faut être. Mais tout le monde n’est pas admis. Le Club 55 est né.

Pendant ce temps, Patrice grandit dans, sur et sous l'eau. À 8 ans, son père l'émancipe de façon complice : « À ton âge, les jeunes Lacandons apprennent à fabriquer leurs arcs et flèches pour se nourrir, et bien, toi, fais la même chose ! » Après l'école, Patrice part sur sa ‘’cocotte’’, un joli petit dériveur en acajou, pêcher et dormir derrière le Cap Camarat à l'endroit où la Méditerranée est si transparente que les pierres sont bleues. À 15 ans, Patrice a un rêve : devenir paysan et châtelain comme son cousin de Montfort l'Amaury chez qui il travaille plutôt que d’aller au lycée, aucun prof ne pouvant remplacer le savoir de son père qui lui a tout appris. Mais la vie en décide autrement. Lorsque Patrice a 17 ans, Bernard est obligé de vendre l’une des deux parcelles afin de réunir l’argent nécessaire pour construire une « vraie » maison en pierres (qui est aujourd’hui celle sur laquelle le restaurant est adossé). Patrice ne supporte pas cette injustice. Pourquoi son père si brillant n’a pas les moyens de garder le lieu qu’il aime le plus au monde ? Le lieu de son enfance. Furieux, il part travailler à Paris. Mais sa mère atteinte d’un cancer décède. Son père ne s’en remet pas et tombe à son tour malade. Avant de mourir, il demande à Patrice de revenir. Patrice qui a alors 24 ans reprend avec son frère aîné Jean et leur jeune sœur Véronique le Club 55. Et l’ouvre sur l’extérieur, en restant cependant vigilant sur l’attitude des nouveaux clients qui, pour seul parrainage, doivent émettre des ondes positives.

Patrice tient à garder le même état d’esprit que celui de ses parents, c’est à dire un endroit où rien ne bouge, ni ne change, avec la même cuisine authentique et familiale que celle de sa mère, ratatouille, poisson sauvage grillé amené chaque matin par les pêcheurs locaux, feuilleté de Ramatuelle, et les mêmes principes : Ici le client n’est pas le roi… parce qu’il est un ami et La cuisine n’est pas faite par le patron.

Très rapidement, le Club devient cosmopolite et le rendez-vous incontournable des rois, des stars, des hommes d’affaires ou d’état en vacances, mais aussi celui de Jack Nicholson, de Sylvester Stallone, de Bono, de Naomi Campbell, de Kate Moss, de Sarah Ferguson pour ne citer qu’eux. Ici, pas de paparazzi, juste un photographe attitré qui ne vend ses photos qu’aux personnes qui sont représentées dessus ! Patrice crée le mouvement et donne le rythme aux employés, impressionnante chorégraphie rodée au centimètre près afin que personne n’attende et soit accueilli comme à la maison. C’est ce qui fait le charme du Club 55 dont Patrice devient le Prince. Un Prince humble qui n’oublie jamais de s’amuser : un jour où deux clients font un pari sur la rapidité de leurs voiliers respectifs, d’emblée, il créée (en se souvenant de sa petite ‘’cocotte’’) une course de bateaux, la Nioulargue, qui devient le must des courses de Méditerranée.

Quelques années plus tard, Jean vend ses parts à Patrice. Le restaurant s’organise désormais pour servir des quantités importantes de repas. Quand on demande à Patrice combien exactement ? Il répond en souriant qu’ils sont dans du déraisonnable ! (en réalité jusqu’à 1000 couverts par jour). Puis il ajoute (toujours en souriant) que l’idée n’est pas de battre des records, mais de faire plaisir à toutes les personnes qui veulent venir déjeuner, comme avec les amis qui s’invitent et qui sont plus nombreux que prévus, on ne les met pas dehors, on se débrouille pour les asseoir et les nourrir.

Patrice construit le mobilier avec le bois flotté qui s’est échoué sur le sable après les tempêtes, et pose sur les tables des nappes bleues, douces et délavées (dans la même tonalité que les matelas de la plage), ainsi que des fleurs... bleues… Plus les matières ont vécu, plus elles respirent la joie de son passé de jeune garçon libre et aventurier, et lui indiquent qu’il peut continuer de vivre dans la mémoire de ses parents sans angoisse puisque rien n’a changé, plus Patrice est heureux. Il investit toute son énergie, sa passion, son temps, son amour des relations humaines dans le Club 55 qui ne désemplit pas et reste ouvert pratiquement toute l’année, excepté les trois mois d’hiver. Patrice est chaque jour au cœur de son restaurant. Il est le cœur du Club 55. Tout le monde l’appelle Patrice. L’embrasse. Lui serre la main. Lui explique sa dernière folie ou son divorce. Il se souvient de tout et de tous. Rit. Blague. Tout en apportant une chaise supplémentaire ou en servant une tarte tropézienne, il raconte le Bailli Pierre-André de Suffren ou le voyage de noces de ses parents qui ont descendu en kayak les fleuves Green et Colorado. Il lui arrive aussi parfois de se mettre en colère et de demander aux indélicats de ne plus revenir. L’endroit devient mythique. On se sent unique et privilégié d’avoir la possibilité d’y déjeuner. C’est le seul lieu où les clients remercient le patron en partant.

En 1993, il rachète enfin la parcelle que son père avait été obligé de vendre et construit des cabanons pour que les habitués puissent séjourner de façon aussi authentique que lui, enfant, sur la plage. Mais malgré sa réussite, son rêve de devenir paysan et châtelain ne le quitte pas. Il cherche des fermes dont les terres seraient intactes et n’auraient jamais été en contact avec les pesticides et autres semences modifiées. Partout. Même dans les Alpes de Haute-Provence. Jusqu’au jour où une famille lui propose d’acheter la ferme de leurs parents. Ils ne veulent la céder qu’à Patrice de Colmont car ils savent qu’avec lui, celle-ci ne changera jamais. Son rêve se réalise enfin, et dans des conditions idéales, la ferme des Bouis est située à cinq minutes du Club 55. Il y installe des chevaux, des ânes, des chèvres, des chiens, qui peuvent contempler, au travers des oliviers, le Cap Camarat, derrière lequel se trouvent ses belles pierres bleues.

Aux Bouis, il fait pousser un potager, des olives et des vignes, fait son vin, son huile et livre le Club 55 en légumes et fruits évidemment bios, toujours dans sa philosophie de faire le plus naturel possible : « Moins on s’éloigne de la nature, moins on se trompe » ajoute-t-il en vous fixant de ses yeux verts. Sur le menu, le label « bio » n’est mentionné nulle part. Patrice préfère éduquer en laissant à chacun la possibilité de découvrir et d’apprécier. En effet, ses clients séduits par la qualité et le goût délicieux des tomates ou radis de ses fameux paniers de crudités l’assaillent de questions. Alors, Patrice prend une grande inspiration et raconte le maraîchage sans tracteur mais avec des chevaux de trait, les semences reproductibles, le danger des OGM, la permaculture, le composte, la résilience écologique, l’influence de la lune, la vision holistique. Il est intarissable. L’idée de Patrice est de sensibiliser ses clients dont certains, financiers ou industriels, sont de gros acteurs de la pollution mondiale, à l’agroécologie, non pas en leur donnant des leçons, mais en leur montrant, par son expérience réussie de prince paysan, que c’est possible. Qu’il est possible de respecter la terre et l’humain. Alors pourquoi ne pas essayer ? les questionnent en silence ses yeux verts.

Son éthique prend une dimension supplémentaire lorsqu’il découvre en 2011 les mots du paysan écrivain philosophe Pierre Rabhi (dont l'actrice Marion Cotillard est proche) : « Il est temps de prendre conscience de notre inconscience. » « Enfin un homme qui pense comme moi ! » se dit Patrice en dévorant ses livres. Désireux de le rencontrer, il l’invite à donner une conférence sur sa plage. Trois jours plus tard, Pierre téléphone à Patrice : « Je sais que je suis capable de résoudre le problème de la faim dans le monde par l’agroécologie. J’aimerais que tu me rejoignes. » Depuis les deux hommes ont créé ensemble le Fonds de dotation Pierre Rabhi. Et Patrice lui a fait rencontrer Léonardo di Caprio. « Pierre, que pensez-vous des OGM ? » lui demande celui-ci. « C’est un crime contre l’humanité », répond Rabhi. « Alors nous allons pouvoir continuer notre conversation parce que je suis d’accord avec vous. » Une réflexion est en cours afin que les trois hommes avancent ensemble.

En mai 2015, Patrice, qui a toujours prôné la patience et la sagesse, concrétise le plus excitant de ses rêves : l’acquisition du Château de la Mole (où a grandi Antoine de Saint-Exupéry, l’auteur du Petit Prince). Le projet est de faire de cette demeure historique une « villa Médicis » de l’agroécologie pour susciter des rencontres et transmettre le savoir, ainsi qu’une ferme comme au XVIIIème siècle, dans le souci d’un écosystème naturel qui préserve la biodiversité.

Au printemps 2016, le potager est planté et trois mois plus tard, les premiers légumes fournissent le Club 55. En quantité impressionnante ! Qui a dit que le bio n’était pas rentable ?

À 20 heures, chaque soir, après douze heures de travail intenses, Patrice ferme la porte de son Club 55 et charge dans le coffre de sa voiture une centaine de kilos d’épluchures qu’il apporte à sa ferme des Bouis pour nourrir ses ânes et ses chevaux. Si on lui demande pourquoi il le fait lui-même, il répond d’un air étonné, presque amusé : « À quoi bon avoir des animaux si ce n’est pas pour les nourrir ? » Puis serein, il rejoint à une quinzaine de kilomètres de là son château de la Mole où l’attend le petit Prince qui, la nuit, l’inspire et lui souffle de…, mais chut, c’est leur secret. Un secret de Princes naturalistes prêts à toutes les bontés pour sauver l’humanité. 

 

 

 

Sylvie Bourgeois Harel et Patrice de Colmont au Club 55 à Noël

Sylvie Bourgeois Harel et Patrice de Colmont au Club 55 à Noël

Patrice de Colmont et Sylvie Bourgeois Harel au Club 55. Été 2016

Patrice de Colmont et Sylvie Bourgeois Harel au Club 55. Été 2016

Patrice de Colmont et Sylvie Bourgeois Harel. Été 2016

Patrice de Colmont et Sylvie Bourgeois Harel. Été 2016

Patrice de Colmont - Sylvie Bourgeois Harel - Pierre Rabho

Patrice de Colmont - Sylvie Bourgeois Harel - Pierre Rabho

Patrice de Colmont - Sylvie Bourgeois Harel - Paul Watson au Club 55

Patrice de Colmont - Sylvie Bourgeois Harel - Paul Watson au Club 55

Patrice de Colmont - Sylvie Bourgeois Harel - Pierre Rabhi

Patrice de Colmont - Sylvie Bourgeois Harel - Pierre Rabhi

Sylvie Bourgeois Harel - Patrice de Colmont - Paul Watson - Yana Watson au Club 55

Sylvie Bourgeois Harel - Patrice de Colmont - Paul Watson - Yana Watson au Club 55

Patrice de Colmont - Sylvie Bourgeois Harel - Marcelline l'aubergine - Le Club 55

Patrice de Colmont - Sylvie Bourgeois Harel - Marcelline l'aubergine - Le Club 55

Sylvie Bourgeois Harel - Patrice de Colmont - Marcelline l'aubergine - Le Club 55 - T-shirt Richard Popitti

Sylvie Bourgeois Harel - Patrice de Colmont - Marcelline l'aubergine - Le Club 55 - T-shirt Richard Popitti

Sylvie Bourgeois Harel - Patrice de Colmont - Le Club 55 - T-shirt Richard Popitti

Sylvie Bourgeois Harel - Patrice de Colmont - Le Club 55 - T-shirt Richard Popitti

Château de la Mole - Patrice de Colmont - La Foncière du Domaine de La Mole - Photo Sylvie Bourgeois Harel

Château de la Mole - Patrice de Colmont - La Foncière du Domaine de La Mole - Photo Sylvie Bourgeois Harel

Château de La Mole - La Foncière du Domaine de La Mole - Patrice de Colmont - Photo Sylvie Bourgeois Harel

Château de La Mole - La Foncière du Domaine de La Mole - Patrice de Colmont - Photo Sylvie Bourgeois Harel

Pierre Rabhi, Marcelline l'aubergine, Sylvie Bourgeois, Patrice de Colmont

Pierre Rabhi, Marcelline l'aubergine, Sylvie Bourgeois, Patrice de Colmont

Philippe Harel, Sylvie Bourgeois, Marcelline l'aubergine. Points de vue. Avril 2018. Prix Castel du roman de la nuit

Philippe Harel, Sylvie Bourgeois, Marcelline l'aubergine. Points de vue. Avril 2018. Prix Castel du roman de la nuit

Sylvie Bourgeois. Philippe Harel. Marcelline l'aubergine. Paris Match. Avril 2018. Prix de la Closerie des Lilas

Sylvie Bourgeois. Philippe Harel. Marcelline l'aubergine. Paris Match. Avril 2018. Prix de la Closerie des Lilas

Sylvie Bourgeois Harel. Marcelline l'aubergine. Technikart. Novembre 2017. Prix du Style

Sylvie Bourgeois Harel. Marcelline l'aubergine. Technikart. Novembre 2017. Prix du Style

Sylvie Bourgeois Harel. Marcelline l'aubergine. Var-Matin. Juillety 2017. Soirée Leonardo DiCaprio. Saint-Tropez

Sylvie Bourgeois Harel. Marcelline l'aubergine. Var-Matin. Juillety 2017. Soirée Leonardo DiCaprio. Saint-Tropez

Miroslav Siljegovic. Sylvie Bourgeois Harel. Marcelline l'aubergine. Prix de Flore 2017

Miroslav Siljegovic. Sylvie Bourgeois Harel. Marcelline l'aubergine. Prix de Flore 2017

Sylvie Bourgeois. Philippe Harel. Marcelline l'aubergine. Prix de Flore 2017. Say who

Sylvie Bourgeois. Philippe Harel. Marcelline l'aubergine. Prix de Flore 2017. Say who

Sylvie Bourgeois. Philippe Harel. Marcelline l'aubergine. Prix de Flore 2017. Technikart

Sylvie Bourgeois. Philippe Harel. Marcelline l'aubergine. Prix de Flore 2017. Technikart

Projet pour lequel Patrice de Colmont a demandé à l’écrivain Sylvie Bourgeois Harel de l’accompagner et de réfléchir à ses côtés pour transformer le château en Villa Médicis de l’agroécologie.

Patrice de Colmont au Club 55. Par Sylvie Bourgeois Harel. Avec Marcelline l'aubergine.

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http://www.dameskarlette.com/2015/01/sophie-les-boules-de-sylvie-bourgeois.html

Chapitre 1

– Je ne peux pas continuer. La dernière fois, quand vous vous êtes mise à quatre pattes, j’ai bien vu que vous aviez fait exprès de me montrer votre string rose qui dépassait de votre pantalon.

Abasourdie d’entendre de telles inepties de la part de son psy, Sophie demeure bouche bée. Sa décision d’entamer une psychothérapie s’était concrétisée, il y a un, an chez son médecin généraliste.

– Depuis que j’ai arrêté la pilule qui me provoque des migraines, j’ai peur de tomber enceinte. Du coup, je repousse de plus en plus souvent Benjamin. Je suis devenue le genre de femme qui se relève la nuit pour manger au lieu de faire l’amour. C’est n’importe quoi.

– J’adore votre raccourci, avait-il répondu, stupéfait. J’ai dans ma bibliothèque le livre d’un psychologue américain qui met neuf cents pages à expliquer ce que vous venez de me dire en une phrase. Qui êtes-vous ?

– Une femme-enfant qui ne sait pas vivre sans un homme qui l’aime.

– Voulez-vous revenir m’en parler ?

– Je préférerais le faire avec un professionnel.

Exigeante sur son choix, elle avait détaillé avec précision ses critères de sélection. Il lui fallait un psychiatre, dix années d’études la tranquilliseraient. Un homme, de crainte qu’une femme, par jalousie, la conseille de travers. Freudien, des séances régulières de quarante-cinq minutes l’aideraient à se structurer. Qu’il soit âgé pour bénéficier de sa longue expérience. Et qu’il ait déjà publié des textes.

– Il me faut quelqu’un qui ne rentre pas dans mon jeu et sache me résister. Quand je me sens fragile, comme en ce moment, je veux séduire la terre entière en faisant mes petits yeux charmants, et j’oublie de faire travailler mon cerveau, c’est idiot, non ?

– Pour vous, je n’en vois qu’un, le docteur Picard, c’est une sommité dans son métier.

*

Picard continue sur sa lancée :

– Vous m’avez aguiché. Cela peut arriver dans tout travail analytique, mais déontologiquement, je suis obligé d’arrêter nos entretiens. Si vous le souhaitez, je peux vous donner l’adresse d’un confrère.

Après une longue inspiration pour essayer de se calmer, Sophie se rebelle d’une voix tremblante qui trahit son anxiété.

– Je ne vois pas de quoi vous parlez. Je ne me suis jamais mise à quatre pattes. Je me souviens très bien de vous avoir demandé la permission d’utiliser la prise électrique située derrière mon fauteuil pour recharger la batterie de mon téléphone, et je me suis baissée très élégamment pour l’atteindre.

Furieuse d’avoir été obligée de se justifier, elle ne parvient pas à analyser les sentiments contradictoires qui jaillissent en elle. D’un côté, elle se sent puissante d’être parvenue à anéantir ce roc de savoir et de culture, et de l’autre, dépitée que cet homme, sa seule bouée de secours, se soit écroulé comme un énorme gâchis.

– Et manque de pot pour vous, ajoute-t-elle sur un ton triomphal, je n’ai pas de string rose. C’est bien simple, je n’en ai même jamais porté.

Elle réalise mais trop tard qu’elle aurait mieux fait de se taire.

– C’est vrai quoi, pour une fois que je prends le temps de comprendre qui je suis et quelle place j’occupe sur cette putain de terre, je ne vais pas détruire le travail précieux que je fais chez vous à raison de deux ou trois séances par semaine, à cause de vos états d’âme.

– Mais…

– J’en ai marre que l’on me prenne pour celle que je ne suis pas. Vous allez me dire que c’est de ma faute à être toujours joyeuse même quand je suis au fond du trou. Du coup, c’est sûr, ça provoque des malentendus. En même temps, je n’ai pas envie de changer ma personnalité uniquement parce que la plupart des mecs confondent sourires et avances. Surtout que je suis tout sauf une allumeuse. Vous me croyez au moins quand je dis ça ? Même si je sais qu’en tant que freudien, vous remettez toujours en cause ce que vous dit un client, enfin, je veux dire un patient.

Voyant que la fin de sa séance approche, elle conclut sèchement :

– Voilà ce que je vous propose, vous réfléchissez à tout cela et on en reparle mercredi. Ça vous va ?

Bouleversée d’avoir réussi à inverser les rôles, Sophie se met à hoqueter. Confuse, elle se lève, tend son chèque et sort.

*

L’air frais de fin novembre l’aide à retrouver ses esprits. Un string rose ! Quel grand couillon ! soupire-t-elle en pénétrant dans le métro.

Il est 18 heures. Elle a juste le temps d’aller au Bon Marché choisir une brassière pour tenir sa poitrine lorsqu’elle fait ses footings. La sienne n’a plus d’élastique. Sa brassière. Pas sa poitrine. Comme le rayon sport jouxte celui de la lingerie, Sophie en profite pour acheter un ensemble soutien-gorge. Ce n’est qu’en payant à la caisse qu’elle réalise que sa culotte est… un string et que celui-ci est… rose.

Salopard de psy ! peste Sophie. Offusquée de s’être transformée aussi rapidement en jouet du docteur Picard, elle saisit d’un geste irrité le paquet que lui tend la vendeuse et n’a plus qu’une envie : le jeter dans la première poubelle venue. Ce qui, à part de lui faire perdre 60 euros, ne lui apporterait rien. Contrariée, elle se sent moche et redevient une petite fille perdue qui a besoin d’être éperdument consolée. Elle téléphone à Benjamin.

– Salut ! Ça va ? demande-t-elle d’une voix fluette en faisant tourner ses cheveux entre ses doigts.

– Tu te souviens que j’existe ?

– Tu ne vas pas me faire une quiche parce que je ne t’ai pas appelé depuis trois jours. Je ne suis pas en forme. Rien ne va dans ma vie. J’ai l’impression que je mets toute mon énergie pour la rater. Tu fais quoi ce soir ?

– J’ai un dîner.

– Je peux venir avec toi ? Si vous allez au resto, je t’invite. Profite ! Pour une fois que je suis généreuse, plaisante-t-elle.

Face au silence de Benjamin, Sophie comprend que celui-ci a l’impression d’être pris pour le bouche-trou de service.

– Ta Frappadingue t’a abandonnée ?

– N’importe quoi ! Dis-moi oui. J’ai envie de te voir, minaude-t-elle.

– Tu sais quoi, tu me fatigues.

– Laisse tomber.

– Ah, non ! Tu ne vas pas me faire culpabiliser. Ce n’est pas moi qui ai décidé de faire un break.

– Écoute, on ne va pas revenir là-dessus. Ça t’ennuie si je dors à la maison ?

– C’est bon. Tu as gagné.

– Quoi ?

– Le frigidaire est vide. Où veux-tu que je te retrouve ?

– Je peux passer te prendre à ton bureau, murmure Sophie, soulagée. Je suis à deux pas.

– D’accord, mais tu ne montes pas.

– C’est nouveau ?

– Ça déstabilise les autres de te voir. Ils n’arrivent pas à savoir si l’on est toujours ensemble ou pas, assène Benjamin, froidement.

– J’espère que tu leur as dit que oui.

– Non.

– Pourquoi ?

– Tu ne te souviens pas qu’au pot de départ de Laurent, tu as raconté que tu avais déménagé une partie de tes affaires chez une copine ?

– Ils m’horripilaient à ne parler que de leurs gosses. J’avais envie de leur montrer que notre union était atypique et pimentée, ajoute-t-elle, déçue que Benjamin soit aussi sensible au qu’en-dira-t-on dont elle se fiche totalement.

– Je me demande si tu n’es pas devenue folle, ma pauvre fille.

– Faux ! Mon psy me trouve très intelligente.

J’aurais pu trouver mieux comme réplique, bouillonne-t-elle. Mais il y a une chose que je ne supporte pas, c’est qu’on me traite de folle. Je suis différente, certes, mais pas barge.

– Tu sais quoi, Benjamin ? Va dîner avec tes copains. Ça évitera de nous engueuler.

*

Qui a deux maisons perd la raison ! chantonne amèrement Sophie en raccrochant. Depuis cinq mois, elle se partage entre le domicile conjugal avec Benjamin et le sublime appartement d’Alix. Ce qui veut dire qu’elle a deux couettes, quatre oreillers, deux pèse-personnes, des fringues éparpillées partout et chaque soir, l’angoissante question de savoir où dormir, ce qui la déstabilise, mais pour le moment, elle n’a pas d’autre solution.

Tout avait commencé un samedi après-midi. Sortant d’un déjeuner avec sa meilleure amie, Géraldine Chambon, Sophie avait surpris Benjamin regarder d’un air attendri les couffins et les habits de bébé chez Bonpoint. Le soir-même, elle lui annonçait qu’il était temps qu’elle lui rende sa liberté car jamais elle ne fonderait une famille. Même si leur rupture lui brisait le cœur, elle se sentait incapable de lui demander de renoncer à son désir de paternité. Chaque fois qu’ils évoquaient le sujet, elle répondait qu’elle refusait de prendre le risque de faire un gosse qui, en grandissant, pourrait ne pas lui plaire. C’est vrai quoi, répétait-elle avec gravité, tous les humains ne sont pas formidables. Il y a beaucoup de malveillants. Pourquoi le mien, parce qu’il serait sorti de mon ventre, ne deviendrait-il pas un odieux personnage qui me gâcherait la vie ? Elle refusait également de devenir l’esclave de sa progéniture qu’il faudrait accompagner à l’école ou aux anniversaires. Sa décision créait de l’agressivité chez certaines de ses copines qui lui reprochaient d’abandonner la principale fonction de la femme sur terre. Le poids de la procréation était un labeur que toutes devaient se partager au nom de la sauvegarde de l’espèce. Il n’était pas courageux de s’en désolidariser avec autant d’insouciance. D’autres lui prédisaient une vieillesse aigrie lorsqu’elle réaliserait qu’elle ne laisserait aucune trace derrière elle. Il n’y avait que Géraldine, dont le rêve était d’avoir un enfant, qui compatissait. Elle avait vu Sophie si choquée à la mort de sa mère, quinze ans auparavant, suivie deux mois plus tard du suicide de son père, qu’elle concevait que celle-ci soit incapable de se projeter dans la maternité, par peur de souffrir si le nouvel objet de son adoration devait, à son tour, disparaître.

Jamais Benjamin ne lui avait fait de chantage affectif, mais il avait usé de tous les arguments qu’un homme épris pouvait inventer pour tenter de la convaincre : elle serait une mère remarquable. Avec son sens de l’éducation, le bébé serait propre dès neuf mois, comme elle au même âge. La grossesse épanouirait sa féminité. Avec sa chance de ne jamais prendre un gramme, elle retrouverait son poids sans problème. Il voulait prolonger leur amour dans la création d’un être qui rassemblerait leurs gênes pour continuer d’exister après leurs morts. Il n’avait jamais lâché l’affaire tant il lui était essentiel de se reproduire.

Malgré toutes ces déclarations d’amour, Sophie n’avait jamais cédé. Désespérée que sa présence ne suffise plus à rendre Benjamin heureux et qu’un hypothétique bébé puisse envenimer leur relation au point de ne plus arriver à imaginer leur avenir ensemble, elle avait commencé à tomber dans de grands excès de mélancolie. Elle qui avait toujours été dynamique et positive ne se reconnaissait plus. Asphyxiée par le poids d’une terrible angoisse, elle se sentait sombrer sous une lourde chape de plomb. Exempte de tout désir, chaque geste dorénavant lui coûtait. Même saisir son téléphone pour décaler un rendez-vous professionnel lui était devenu difficile. Elle passait des journées entières, allongée sur son lit, à ressasser les erreurs de son passé, à regretter d’anciennes amitiés avec lesquelles, intolérante et intransigeante, elle s’était fâchée, à se reprocher d’avoir refusé des propositions de travail alléchantes de crainte de voir sa liberté s’émousser. Puis elle s’endormait parmi les héros de ses séries américaines préférées qui se mêlaient au décor de la maison de ses parents. Vacillant entre réalité et fiction, elle se réécrivait une existence dans laquelle elle évoluait vers un avenir radieux, couverte d’amour, pire que si elle était redevenue une adolescente incapable de se prendre en mains.

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Ma chère esthéticienne Bella Labeque qui fait les meilleurs massages anti-rides du visage est sur abrideabattue (une autre amie...).

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  • : Sylvie Bourgeois Harel, écrivain, novelliste, scénariste, romancière Extrait de mes romans, nouvelles, articles sur la nature, la mer, mes amis, mes coups de cœur
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