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Sylvie Bourgeois - enfant - Besançon

Sylvie Bourgeois - enfant - Besançon

La Coiffeuse de ma maman

La coiffeuse de ma maman, elle coiffe tout le monde pareil. Avec des énormes chignons remontés sur le haut de la tête qui se terminent en bouclettes. Sur une maman, ça va, mais sur moi qui n’ai pas encore 8 ans, ça fait comme si j’étais naine. Déjà que je ne suis pas grande, mais avec ce casque sur la tête, on dirait que j’ai une tête de maman sur un corps d’enfant. Comme j’aime ma maman et qu’elle est très jolie avec son chignon, je n’ose pas lui dire que je ne trouve pas ça marrant d’aller chez sa coiffeuse surtout que ça doit lui coûter beaucoup d’argent vu le temps que ça me prend, je reste des heures assise à écouter les commérages des dames qui n'arrêtent pas de se plaindre de leur mari, et de regarder la coiffeuse qui leur répond oui oui en hochant de la tête comme si elle savait tout de la vie des grands, celle-là, déjà qu'elle sait à peine manier les bigoudis vu le désastre qu'elle a fait sur ma tête.
Comme ce soir, c’est le mariage du papa de Sophie, ma meilleure amie, la coiffeuse de ma maman, elle s’en ait donnée à cœur joie, encore plus que d'habitude pour me faire belle. Elle a commencé par me mettre des bigoudis pour me faire une mise en plis, puis elle m'a crêpé les cheveux afin de leur donner du volume, alors qu'on sait très bien qu'avec des cheveux plats et filasses comme les miens,  il n'y a rien à faire, ils restent plats, se plaint toujours ma maman qui aurait préféré que j'aie des belles boucles ondulées comme celles de mon frère Vincent, puis elle a planté trois milles barrettes dans ma tête à me faire mal, et elle a fini par m'asphyxier en me balançant une tonne de laque pour que ça tienne, tout en parlant avec la dame d'à côté que son mari était un salopard et qu'elle voulait le quitter mais qu'elle ne pouvait pas à cause des quittances de son salon qu'elle n'avait pas fini de payer. Je suis sortie avec un chignon gigantesque, plus grand que moi. C’était affreux. En plus, c'était tout dur, crac crac, ça faisait quand je touchais mes cheveux qui étaient devenus tout sombres, on ne voyait même plus que j'étais blonde.

 

Le papa de Sophie se marie donc ce soir. Il est très méchant car la maman de Sophie vient de mourir, et il se marie déjà avec une autre femme que ma meilleure amie n’aime pas du tout. C’est une véritable sorcière, la femme pas ma Sophie, elle a aussi une fille de notre âge qui est une grosse peste. C'est bien simple, elle se croit tout permis parce qu’elle n'a pas de papa. Je crois bien d'ailleurs que son idée est de voler celui de Sophie car elle n'arrête pas d'être gentille avec lui. En plus, la future belle-mère de Sophie n’arrête pas de se vanter d’avoir couché avec Joe Dassin Pfut ! Je m'en fiche, je n'aime aucun chanteur, mon idole est René Dumont, un vieux monsieur qui parle toujours de la nature à la télé avec son pull col roulé toujours.

- Vous n’aviez qu’à l’épouser votre Joe Dassin, ça aurait bien arrangé Sophie, je lui ai dit un jour à table où elle m'avait encore énervée avec ses coucheries qui font que sa fille n'a pas de papa.

Ca a été aussitôt rapporté à ma maman qui m'a grondée que je n'avais pas le droit d'être mal aussi mal élevée, même si ce n'est pas totalement faux, elle m'a ensuite dit en riant. J'ai ajouté que dire ses quatre vérité à cette femme qui faisait la maline, c'était ma façon de protéger ma meilleure amie Sophie comme je l'avais protégée, elle, la fois où j'avais mal parlé à mon papa que j'avais vu embrasser une autre femme que ma maman. Ce jour-là, ça m'avait très mal dans le ventre. Pour sûr, je ne me marierai jamais. 

 

Dimanche dernier, j'ai dit au papa de Sophie que sa fille n’avait qu’à venir habiter chez moi, comme ça, ça lui ferait moins d’ennui, vu que Sophie n’arrête pas d’embêter sa future femme. Ca me semblait parfait comme projet, à Sophie aussi, à ma maman également qui était d'accord, mais ça n’a pas marché. Il m'a même grondée d’avoir d’aussi drôles idées car pour le papa de Sophie, il n’y a que moi comme enfant dans le quartier qui sache faire autant de bêtises. D’ailleurs, il ne m’aime pas car, à lui aussi, depuis qu'il a décidé de se remarier aussi vite, je lui dit parfois ses quatre vérités en face. Je ne sais pas pourquoi, mais je n’arrive jamais à faire de la diplomatie comme Sophie qui répond toujours oui oui en souriant, un peu comme la coiffeuse de ma maman, quand son papa lui demande de faire quelque chose et qui, par derrière, n’en fait qu’à sa tête, et n'obéit jamais.

 

En rentrant à la maison avec mon horrible chignon gros comme une maison qui me fait ressembler à une enfant qui rêve d'être une maman, j’ai croisé le cousin de Sophie que je ne vois pas souvent car il habite à Paris et moi à Besançon, et que je trouve très joli garçon, j'en suis même un peu amoureuse. J'ai eu tellement honte de ne plus ressembler à la petite fille avec des couettes qu'il avait connue durant l'été, car en plus la coiffeuse de ma maman m'avait maquillée les yeux avec du bleu et du doré sur les paupières, une horreur, que j’ai couru m’enfermer dans les toilettes, c'est vrai, quoi, ce n’était pas possible qu’il me voie avec ce chignon de vieille dame de Besançon, si au moins j'avais ressemblé à ma maman qui est belle, mais pas du tout, même à moi, je faisais peur.

 

A travers la porte, il m’a demandé si je voulais descendre jouer dans la cour avec lui et Sophie, mais j'ai répondu que j'étais trop occupée. Ce n'était pas vrai bien sûr car à part de pleurer sur mon sort que j'étais devenue trop laide alors que d'habitude j'étais plutôt mignonne avec mes cheveux raides et filasses, je n'avais rien d'autre à faire que de vouloir mourir. Le beau cousin que je rêve d'embrasser est alors parti.

 

Tant pis, je préfère m’ennuyer toute seule dans ma chambre plutôt qu'il me voie avec ma tête de celle qui veut être une autre et qui a tout raté. Ca fait un peu celle qui a passé des heures à être la plus belle pour le séduire et qui est devenue la plus moche. Je n'ai jamais eu aussi honte. Tout ça à cause d'une coiffeuse qui n'ose pas divorcer. Je vous jure. De toute façon, jamais je ne me marierai, jamais, j'ai trop honte. Une heure plus tard, le beau cousin est venu de nouveau me chercher pour que, cette fois, j'aille en voiture avec lui et ses parents à la cérémonie. Ma maman a  répondu oui, mais moi depuis la salle de mains où je m'étais de nouveau enfermée, j'ai hurlé NON, et que l’on se verrait là-bas.

 

Pendant la fête, j’ai essayé de faire comme si je n’avais rien sur la tête, mais ça n’a pas marché, personne n’est venu me parler. Forcément, avec mon chignon, les gens ne devaient pas savoir si j’étais une enfant ou une maman. Alors pour ne pas se tromper, ils ont préféré ne pas s’intéresser à moi. Je vous jure, je la retiens la coiffeuse de ma maman, surtout que quand le cousin de Sophie, il m’a vue, il a fait comme s’il ne m’avait pas reconnue, et il est retourné parler à Emmanuelle avec qui il a dansé toute la soirée. Je crois même qu’il l’a embrassée.

 

Même Sophie qui était pourtant si furieuse que son papa veuf se marie aussi vite avec une femme qu'elle n'aime pas, m'a ignorée toute la soirée alors que j'avais pourtant toujours bien dézingué, à chaque fois qu'elle me le demandait, sa future belle-mère. Elle n’a pas arrêté de s’amuser, de rire, de danser tout comme mes parents qui ont passé la nuit sur la piste avec les autres invités à faire des rocks, des jerks et même des slows. Il n’y a que moi avec mon gros chignon laqué de vieille bisontine aigrie, qui suis restée toute seule sur ma chaise à finir les gâteaux, c'est au moins ça, j'adore les pièces montées. Mais je déteste les fêtes. Je déteste les mariages. Je déteste les coiffeuses.

 

Ce qui serait bien, je me suis dit, c'est que je me trouve un ami qui soit aussi malheureux que moi, comme ça, je pourrais le consoler, et ça, ce serait vraiment bien ! 

Sylvie Boourgeois Harel

 

La coiffeuse de ma maman fait partie des 34 nouvelles de mon recueil BREVES ENFANCES, paru aux Editions Au diable vauvert.

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Entre ambiguïtés et contradictions, pourquoi j'écris ?

 

Ma nouvelle Prologue sera dans mon prochain recueil de nouvelles à paraître début avril 2024.

 

Sylvie Bourgeois Harel - Plage de Pampelonne - Ramatuelle

Sylvie Bourgeois Harel - Plage de Pampelonne - Ramatuelle

Sylvie Bourgeois Harel - Plage de Pampelonne - Ramatuelle

Sylvie Bourgeois Harel - Plage de Pampelonne - Ramatuelle

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Mes trois grands frères, ils ne sont pas morts. Et c’est bien dommage. Sinon j’aurais enfin eu la paix et mon papa, il aurait pu arrêter de faire le représentant et il se serait remis à peindre les tableaux qu’il ne veut plus dessiner car il est obligé de gagner de l’argent pour nourrir mes frères qui ont toujours faim de mobylettes et de disques de Johnny Hallyday qui font beaucoup trop de bruit.
 
Si mes frères avaient coulé, j’aurais été fille unique et je serais partie vivre à Paris avec juste mes parents et mon chien aussi, et ma maman serait devenue une femme d’artiste à avoir sa photo dans les journaux et à rigoler des pitreries de son mari qui continuerait de trop boire, mais elle ne lui crierait plus dessus, parce que quand on est un grand peintre connu à Paris, on peut vivre comme on aime et les gens, il sont toujours contents de vous connaître même si vous êtes souvent saoul. Si. Même ils vous trouvent marrant et ils disent que vous avez un sacré tempérament. Si.
 
Mais la mer, elle n’a pas pris mes frères. Pourtant ma maman avait bien essayé de les noyer en les mettant dans notre voilier direction la Corse pour voir si Virgil, il savait aussi bien naviguer qu’il le disait. Il a 15 ans et depuis qu’il a été aux Glénans, c’est une école de voile qui fabrique des champions, il se prend pour Tabarly. André qui a 14 ans, lui c’est pour un dauphin qu’il se prend. N’importe quoi ! Et quand à Ferdinand qui a 13 ans, depuis qu’il a installé dans notre chambre des aquariums à la place de mon lit, il se croit savant de grenouilles comme Jean Rostand. J'ai 8 ans et toute l’année, j’ai été obligée de dormir dans le salon. Je vous jure, avoir des grands frères, ce n’est pas marrant. Ils n’arrêtent pas de m’embêter et après ils m’interdisent de me plaindre aux parents sous peine de me donner une raclée. Et comme ils sont trois, ça me ferait trois raclées, je préfère encore me taire. Et pleurer en silence.
 
Ils ont emmené ma marraine en Corse pour les protéger si jamais ils croisaient une baleine car grosse comme elle est (ma marraine, pas la baleine), elle lui aurait fait peur. Et aussi mon cousin Victor. Il déteste la mer, mais il a préféré risquer de mourir noyé et mangé par des requins que de rester à Beaulieu se faire disputer par son père, l’oncle Robert que je n’aime pas car il me mord toujours l’oreille quand je dois lui dire bonne nuit.
 
Quand mes frères ont téléphoné pour dire qu’ils étaient bien arrivés, j’ai pleuré que ce n’était pas encore aujourd’hui que ma vie allait changer. Mes parents sont allés les retrouver avec le gros bateau de Nice qui va en Corse en une nuit. Ils m’ont laissé avec mon chien chez l’oncle Robert. C’a été l’horreur. Tout le monde dit qu’il est très intelligent et que c’est pour ça qu’il n’est pas marrant et pas beau, je ne vois pas le rapport. Je vous jure, si être intelligent, ça veut aussi dire être méchant, je préfère encore ne plus jamais rien apprendre. Mon chien, aussi, il le déteste, il n’a pas arrêté de le grogner. Bien fait !
 
Mes parents sont revenus avec mes frères vivants tandis que ma marraine, elle est restée sur l’île de beauté avec Victor. Elle a dit qu’ils rentreraient en bateau-stop, car elle adore prendre des auto-stoppeurs, surtout si ce sont des barbus. Et même qu’après il n’est pas rare qu’ils terminent dans son lit. Ma maman, elle n’aime pas quand mon papa, il parle comme ça de sa sœur, mais elle reconnaît qu’il n’a pas tort.
 
C’est notre premier bateau. Mon papa qui ne sait pas nager, l’a acheté pour faire plaisir à Virgil qui veut être capitaine. Avant, il voulait être paysan et même qu’un jour, en rentrant de l’école, il a dit à ma maman que maintenant qu’il savait compter jusqu’à cent, il arrêtait les études car il n’aurait jamais plus de cent vaches dans sa ferme. Mais en grandissant, les vaches, ça ne lui a plus rien dit et tant mieux parce que je ne sais où on les aurait mis à la maison.
 
Alors cet hiver, il a emmené mon papa à Paris au salon nautique avec l’idée d’avoir un bateau rien qu’à lui bien cachée derrière sa tête jusqu’au moment où mon papa, il n’a plus pu faire autrement que de signer un chèque. Faut dire que mon papa, à l’âge de Virgil, il était très pauvre, alors forcément avoir pu gâter son fils aîné comme ça, d’un seul coup de crayon, ç’a dû lui plaire. Il a même dû se sentir fier. Surtout que Virgil, ça faisait un sacré bout de temps qu’il n’arrêtait de le seriner à lui dire qu’il n’était heureux que sur l’eau. Alors que ce n’est même pas vrai, quand il me tape, je vois aussi ses dents qui sourient. Mais chut, je ne le dis à personne de peur de me recevoir encore une raclée.
 
Quand mon papa a annoncé à ma maman qu’il avait acheté un bateau bleu avec une cabine où l’on peut dormir dedans et aussi faire pipi, elle n’a pas été contente qu’il ait fait une dépense aussi chère car il y avait plein de choses dans la maison qu’elle aurait aimé réparer avant. Puis quand il a fallu lui choisir un nom, j’ai proposé Sylvie pour voir si on m’aimait vraiment dans cette famille. C’est vrai, je suis la seule fille après tout et en plus j’ai les yeux bleus. Mais personne n’a voulu et mes frères, ils se sont même moqués de moi. C’est n’importe quoi parce que dans le port de Beaulieu, il y a plein de bateaux amoureux qui portent le prénom d’une fille.
 
Soudain mon papa, il a dit Lapin bleu, que ce serait joli et original pour un nom de bateau, bleu. Ma maman a hurlé et lui a lancé son verre d’eau à la figure. Mon papa, il n’a rien dit, il a juste fait sa tête de puni, la même tête que celle de mon chien quand il a fait une bêtise. Ma maman ne s’est pas calmée pour autant. Elle s’est levée en lui criant que c’était quoi ce nom idiot, certainement le surnom d’une de ses maîtresses qu’il appelait lapin parce que celle-là aussi avait les dents en avant ? D’après ma maman, mon papa a le chic pour tomber sur des femmes idiotes qui ont les cheveux jaunes avec des racines noires, genre comme les abeilles et avec les dents en avant, genre comme les lapins, justement. Puis elle a pleuré qu’elle était bien malheureuse d’avoir un mari intelligent aussi idiot pour s’enticher de femmes vulgaires qui n’avaient jamais ouvert un livre de leur vie, alors qu’ils venaient de s’endetter sur dix ans pour payer un bateau qu’elle ne voulait pas car elle préférait mourir et être dans le trou. Que de toute façon, elle n’aura la paix sur terre que quand elle sera en dessous. Alors là, peut-être, son mari si timide quand elle l’avait épousé, il redeviendra gentil. Puis elle est partie s’enfermer dans sa chambre.
 
J’en ai profité pour crier après mes frères que ce n’était pas parce que papa avait mauvais goût qu’ils étaient dispensés de débarrasser la table. Non, mais, je vous jure, ceux-là, pour les faire lever leurs fesses de leur chaise ! Le soir, la tête de mon papa a été découpée de toutes nos photos de famille qui sont posées sur l’étagère près du téléphone et son pyjama a été punaisé sur la porte d’entrée que ma maman a fermée à clef pour qu’il soit obligé d’aller dormir à l’hôtel. Bien fait !
 
Le temps a passé et ils se sont réconciliés. Faut dire que ce sont de gentils parents, mes parents. Et quand l’été est arrivé, ils ont garé le voilier dans le vieux port de Monaco, là où le prince et la princesse Grâce ont aussi leur bateau. Il n’y a que des Monégasques dans ce port et ma maman, elle a eu la place grâce à un ami d’enfance qui était content qu’elle ait épousé un marin doué question apéro. Du coup, le soir quand on rentre de la mer, on se retrouve toute une bande à manger ensemble sur nos bateaux. Ca fait comme plein de terrasses sauf qu’on est sous un éléphant qui barrit dans le trou du rocher où il y a le zoo. Un soir, on a même dormi là et ç’avait été triste d’entendre cet éléphant pleurer toute la nuit. Il n’aime pas Monaco car sa cage, elle est toute petite et lui, il est très gros.
 
Maintenant, on fait beaucoup de croisières et même qu’un jour, il y a eu une tempête et je n’ai pas eu peur. Je suis restée à l’intérieur à lire "Le Club des Cinq en vacances" sans avoir mal au cœur. Il y a bien eu Virgil qui m’a disputée car il voulait que je voie la mer, mais je lui ai répondu que je préférais la lire. Ma maman, aussi, elle lit un livre qui n’arrête pas de la faire rire "Moi, j’aime pas la mer", de Françoise Xenakis. On a des disques de son mari à la maison, mais je ne les aime pas, ils font trop de bruit. Souvent on dort dans des criques très jolies. Le matin, on plonge dans la mer pour se réveiller, et le soir, on fait des bains de minuit. C’est drôlement beau. Quand on bouge les doigts dans l’eau, ça brille. Ferdinand, le futur savant, a expliqué que c’était du phosphore. Le voilier, ce serait bien s’il n’y avait pas Virgil parce que dès qu’on arrive dans un port, il m’oblige à nettoyer le pont pour que j’apprenne la navigation et aussi à frotter les voiles, pendant que lui, il me regarde. Je vous jure, c’est n’importe quoi. En tous les cas, moi, la voile, je n’appelle pas ça des vacances.
 
La Corse est une nouvelle qui fait partie des 34 de mon recueil Brèves enfances, paru aux éditions Au Diable-Vauvert.
La Corse - Nouvelle de Sylvie Bourgeois - Brèves enfances - Éditions Au Diable Vauvert
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Cette même Charlotte avait tenu à accompagner Emma en voiture à Orly.

 

         – Et tu ne feras pas ta bécasse !

         – C’est l’image que tu as de moi ? avait demandé Emma, vexée.

         – Tu me comprends, tu sais très bien comment tu peux être parfois.

         – Non.

         – Donneuse de leçons.

         – Moi ?

         – Oui, toi.

         – Faux.

         – Quand on n’est pas d’accord avec toi sur l’écologie, admets que tu t’emportes facilement.

         – Ce n’est pas de ma faute si la planète est en train de mourir.

         – Tu vois.

         – Je veux bien faire un effort, mais si ce soir quelqu’un me cherche sur ce terrain, je ne suis pas sûre de pouvoir me retenir.

         – Détends-toi, ça va être un beau mariage.

         – Ce n’est pas mon style de sortie, tu sais à quel point, je suis mal à l’aise dans les soirées mondaines.

         – Tu vas retrouver plein d’amis.

         – Pas forcément. Du côté du marié, il n’y aura que des gros prédateurs de financiers que je ne connais pas mais que je déteste déjà, et du nôtre, pratiquement personne, je n’ai pas bien compris pourquoi, une histoire d’argent. Comme le mari paye tout, il a choisi un endroit magnifique, hors de prix, du coup ma petite sœur n’a pas voulu inviter les amis de ma mère et de mon beau-père, ni d’autres membres de la famille pour ne pas faire celle qui exagérait et ma mère ne pouvait pas s’aligner.

         – Bonjour l’ambiance ! Elle a viré pétasse ta petite-sœur ou quoi ?

         – Je n’en sais rien, je ne l’ai pas revue depuis deux ans, depuis le jour où elle a rencontré son futur mari, plus un coup de fil, rien. Et quand je l’appelle, elle est toujours occupée et ne peut pas me parler. Je ne sais pas pourquoi, mais je l’appréhende ce mariage.

         – Tu m’as dit que le marié avait combien de plus que ta demi-sœur ?

         – Trente ans.

         – Ah ! Quand même !

         – Ce n’est pas tant leur différence d’âge qui m’ennuie, c’est que Myrtille n’ait que 20 ans, c’est un bébé.

         – Dommage ! Elle sacrifie l’étape de sa jeunesse.

         – Et le plaisir de partager l’insouciance des gens de son âge avec qui refaire le monde des nuits entières.

         – Que veux-tu, elle préfère faire la belle parmi les vieux !

         – Tu parles d’une joie.

         – En fait, elle s’est trouvé un papa friqué.

         – D’après ma mère, elle en est amoureuse.

         – Elle doit surtout être séduite par son train de vie. Il est bien physiquement ?

         – Jamais vu.

         – Tu ne le connais pas ?

         – Non, c’est dingue, mais on ne me l’a jamais présenté. Tu sais, mon côté grosse tête qui n’est jamais d’accord avec personne n’est pas forcément apprécié, on me cache souvent.

         – Tu es née chez Gide, dans Familles, je vous hais ?

         – Je t’explique. Ma mère et Fabienne ont toujours fait clan. Moi je faisais clan avec mon père. Quand mes parents ont divorcé, j’avais 15 ans et je suis restée vivre avec lui, ce que ma mère ne m’a jamais pardonnée. Quand elle s’est remariée et a eu Myrtille, j’étais déjà étudiante. On ne se voyait pas souvent, mais dès que je pouvais, je venais m’occuper de ma demi-sœur. Je l’adorais. Je l’aime toujours d’ailleurs, je suis triste de ne plus la voir. Je me sens comme une pestiférée, ce n’est pas évident à assumer.

         – Et ta mère ?

         – Elle veut que je vienne au mariage de Myrtille alors que je sais pertinemment que ma présence ne lui fera pas plaisir. Et si je n’y vais pas, elle me le reprochera pendant des années !

         – Ah oui, compliqué.

         – On ne peut pas dire non plus que l’on ne s’aime pas, mais nos rapports ne sont pas chaleureux. J’ai toujours admiré sa beauté, sa féminité. De son côté, il faut que je sois soumise à sa façon de voir les choses. Elle me juge sans cesse, me reproche mes choix. Notre relation est ambiguë. Tu vois, je n’ai pas envie d’aller à ce mariage, mais je suis incapable de ne pas m’y rendre.

         – Et Fabienne ?

         – Fabienne ? Elle ne s’intéresse qu’à elle. C’est drôle, j’ai deux sœurs à l’opposé de mon état d’esprit. Elles adorent les fringues, leur physique, d’ailleurs elles sont canon. À croire qu’on n’est pas de la même famille.

         –– Chez moi, c’est plus simple, nous nous aimons et nous sommes toujours ravis de nous voir.

         – Tu as de la chance. D’ailleurs, c’est amusant les événements qui se reproduisent de génération en génération. Myrtille trace un schéma identique à celui de notre mère qui s’est également mariée à 20 ans. Fabienne aussi s’est mariée tôt, à 22. Sauf qu’après être tombée enceinte, elle n’a pas voulu emménager aux États-Unis où une carrière fantastique attendait son mari. Je n’ai jamais compris pourquoi. Elle avait été séduite par le talent de Léonard, persuadée qu’il allait réussir et devenir très riche, puis l’a castré dans son ambition professionnelle. Le pire, c’est que toute la journée, elle lui reproche d’avoir raté sa vie.

         – Le pauvre.

         – Que veux-tu ? Elle est idiote. Tu es sûre que Benjamin ne fatiguera pas tes parents ?

         – Mais non, ils ont l’habitude avec le mien.

         – Heureusement que je t’ai, sinon je ne sais pas comment je me débrouillerais seule avec mon petit cœur. Je t’ai déjà raconté que j’étais amoureuse de Léonard quand j’avais 17 ans ? lance Emma au moment où Charlotte se gare devant l’aéroport.

         – Quand il était ton prof ? Oui. Pourquoi tu m’en reparles maintenant ? Tu l’aimes toujours ?

         – Une chose est sûre, je vais à ce mariage aussi pour lui faire plaisir. Il ne comprendrait pas que je ne sois pas là. Il ne s’est jamais rien passé entre nous, mais on a toujours été très proches.

         – Et tu n’oublieras pas tes devoirs de vacances, avait crié Charlotte au travers de la vitre de sa Mini quand Emma était descendue de voiture.

 

Et quels devoirs de vacances !

 

*

 

Emma avait rencontré Charlotte l’année dernière au bar du Marché où chaque matin, après avoir déposé Benjamin à la maternelle, elle allait boire un café avant de filer au CNRS. Dans un premier temps, elle avait été étonnée de sa capacité à épiloguer de si bonne heure avec d’autres mamans divorcées sur les difficultés de leurs relations sentimentales. Elles parlaient si fort et revendiquaient avec tant de véhémence que l’on aurait pu croire que Montreuil était devenu une pouponnière de femmes célibataires prêtes à pénétrer le marché de l’amour, persuadées de pouvoir dynamiser les lois de la concurrence en se mettant au niveau d’un produit de consommation.

 

Emma, avec sa timidité, ses sarouels trop larges, ses pulls sans forme (l’idée de repasser un chemisier la hérisse) et sa masse de cheveux blonds frisés impossibles à coiffer, détonnait en se tenant seule, à l’écart, debout au bar. Charlotte avait fait le premier pas en l’invitant à se joindre à elles. Emma avait tout d’abord refusé, elle se jugeait différente de ces femmes sûres d’elles, apprêtées dès le matin, qui misaient tout sur leur pouvoir de séduction. Puis elle avait fini par accepter, fascinée par l’énergie et l’humour de Charlotte qui raffolait de narrer dans le détail ses anecdotes croustillantes, à croire qu’elle ne vivait certaines rencontres foireuses que pour le plaisir de pouvoir ensuite les raconter à ses copines. Charlotte était coach en entreprise. Elle organisait des séminaires pour dynamiser les équipes et développer le potentiel de chacun. Forte de ses succès professionnels et de la maîtrise avec laquelle elle avait réussi à rebondir après que son mari l’ait quittée, elle désirait se spécialiser dans le coaching sentimental. Jamais avare de suggestions, chaque matin, elle distillait avec bonne humeur ses points de vue et analyses au bar du Marché devenu le rendez-vous hype de toutes les branchées de Montreuil. Charlotte, très jolie blonde à la peau dorée, genre de femme chatte à faire l’amour du bout des doigts, avait réponse à tout. Emma s’asseyait, ne disait rien et l’écoutait, subjuguée par sa capacité à être aussi légère. Face aux copines en manque d’amour qu’elle espérait requinquer, Charlotte était aussi heureuse que si elle animait une conférence devant mille personnes. Entre les croissants et les tasses de thé BBdetox de chez Kusmi, les conseils de Charlotte fusaient.

 

         – La seule chose que j’ai comprise dans mon passé est de s’obliger chaque jour à ne jamais fréquenter des personnes qui te manquent de considération. 

         – Avant d’accepter de revoir un homme, faites un effort pour analyser qui vous avez en face de vous. Si vous vous concentrez bien pour vous souvenir de votre première conversation, vous verrez, tout a été dit. Les gens se dévoilent toujours au début. Ce n’est qu’à la deuxième entrevue, suivant qui ils ont en face d’eux, que naissent les manipulations.

         – Après, je ne sais pas pourquoi, beaucoup de filles ne veulent pas entendre ce que les hommes essayent de leur dire. Elles ont parfois tellement envie de croire à une belle histoire d’amour qu’elles se voilent la face et se lancent à fond dans la relation en refusant d’en voir le côté glauque. Une forme de désespérance dont seules les femmes sont capables.

         – Une des grandes règles de la vie est d’accepter que personne ne change, au mieux, les gens peuvent évoluer sur leurs bases mais jamais s’en fabriquer de nouvelles.

         – Concentrez-vous sur vous sur qui vous êtes, sur ce que vous désirez. Vous verrez, le jour où vous ne serez plus éparpillée, vous serez enfin en état de reconnaître l’homme de votre vie quand il vous apparaîtra.

         – C’est comme ton abruti, avait-elle dit un matin à une grande Pauline trop maquillée. Ça ne te plaisait pas qu’il démarre votre dîner en disant que tous les hommes étaient infidèles et toi, grosse pomme, au lieu de lui rétorquer qu’il était en train de parler de lui, tu lui as répondu que tu ne voulais pas qu’il s’exprime ainsi. Tu es incohérente, ma chérie. Tu te plains d’avoir mis du temps à réaliser que ton ex était mythomane et le jour où tu tombes sur un type qui essaye de t’expliquer, certes maladroitement, que la fidélité ce n’est pas son truc, tu ne l’écoutes pas. Tu veux le faire rentrer avec force dans ton moule du mec parfait sans voir qu’il déborde de partout. Réfléchis à ton bug, tu verras, ça ira tout de suite mieux.

         – Et toi, Jeanne, refuse de partir en week-end chez Paul Chomet, il va te considérer comme une bonne jument, pas même une pouliche, tu as passé l’âge, et en bon cavalier, va vouloir te sauter sans même prendre le temps de te draguer. Il a compris que tu étais la seule trotteuse dispos sur Paris suffisamment cruche pour accepter de passer le week-end du 14 juillet dans son haras, toutes celles de concours sont à Ibiza ou à Saint-Tropez. Elles ont dû lui rire au nez de son invitation à la noix. Et elles ont eu raison, car si on n’aime pas monter à cheval, à part se faire emmerder par les mouches et bouffer par les taons, je ne vois pas l’intérêt d’aller dans ce genre de baraque en été. Que cherches-tu d’ailleurs ?

         – Je voudrais un homme qui prenne soin de moi, qui soit mon port d’attache, un homme sur lequel je puisse me reposer, tu vois ? avait répondu Jeanne d’une voix enfantine.

         – Je pensais que tu voulais un homme avec qui tu pourrais tout partager, en fait, tu es un boulet, Jeanne, avait conclu Charlotte avec suffisamment de sourire dans son visage pour que Jeanne ne se froisse pas.

         – Il faut que tu comprennes, Bénédicte, avait dit Charlotte un autre jour à une charmante prof aux cheveux courts, que cet homme est un rapace. Tu n’es pas de son calibre. Il n’aime que les héritières névrosées. Il sait que tu ne coûtes pas cher et que ce n’est pas la peine de te nourrir avec des gros diamants pour t’avoir, une soupe et trois compliments qui te font rêver, et tu es séduite. Crois-moi, ne le rappelle pas, tu n’es pas armée pour jouer dans cette cour.

         – Je vais finir la séance sur notre chère Juliette. Je vous propose d’ailleurs de créer un collectif de copines pour l’aider à sortir de l’emprise de son Monsieur Panpancucu. Quand comprendras-tu ma chérie que tu es juste une pauvre petite chose soumise à sa volonté ?

          – J’en suis amoureuse, il est méga intelligent, avait répondu Juliette comme si c’était l’argument définitif contre lequel il était impossible de lutter.

         – Réponds-moi sincèrement Juliette, s’il ne te l’avait pas demandé, aurais-tu eu toute seule l’idée (et l’envie) de le brûler à la bougie ? Toutes ces mises en scène sont orchestrées uniquement par lui et pour son propre plaisir. Toi, tu n’es que l’innocente victime qui obéit et qui exécute. Il suffit qu’il s’épanche dans quelques mails sur sa bisexualité pour que cet excès de confiance t’émeuve au point d’attendre sagement son coup de fil où il fixera votre prochain rendez-vous. Je n’appelle pas cela une relation équilibrée.

         – Il n’a pas tellement de temps, il est marié.

         – Sa femme devrait t’envoyer des fleurs pour te remercier de faire tout le boulot à sa place. Et gratuitement en plus. À Paris, une séance chez une maîtresse peut coûter jusqu’à deux mille euros. Elle en a peut-être marre de ses jeux sadomasos, parce que l’air de rien, ça prend du temps à réaliser ce genre de fantasme, moi, ça me fatiguerait tous ces accessoires. Et puis, le latex, il suffit qu’elle ait pris du poids pour que ça soit bonbon à enfiler avec les bourrelets.

 

Charlotte était dithyrambique et excessive sur le sujet, reprenant à peine haleine pour balancer ses arguments à Juliette qui la regardait, hyptonisée.

 

         – Il est malin, ton type, c’est un gros manipulateur qui sait te tenir en haleine, son seul effort est de te remercier d’être la seule à le comprendre. Réfléchis pourquoi tu es autant en quête d’identité pour accepter sans broncher celle qu’il te donne de maîtresse parfaite ? Tu crois, quoi, Juliette, qu’en fouettant les fesses de ton industriel, tu vas devenir aussi puissante comme lui ? Ne me dis pas que tu es aussi idiote que les maîtresses des politiciens qui soudain croient avoir tout compris des stratégies mondiales. Comme si le savoir et l’intelligence se transmettaient par la langue !

 

À force d’entendre Charlotte réprimander et secouer Juliette pour la faire réagir, Emma s’était prise d’affection pour cette récente divorcée d’un homme qui s’était mal comporté durant leur séparation malgré la présence de leur adolescent. Emma se disait que Juliette avec son physique costaud et énergique de fille élevée à la campagne, devait rassurer son panpancucu sur sa capacité à prendre les choses en main d’une façon ferme et dynamique, sans peur, ni paresse.

 

Parfois, les conseils de Charlotte étaient plus explicites. Ce qui immanquablement faisait rougir Emma.

 

         – Et cette semaine, les filles, vous mettez le paquet sur la musculation de votre périnée.

         – D’accord, répondaient-elles en chœur, joyeusement.

         – Et pourquoi est-ce si important ? s’était amusée à demander Charlotte, le doigt en l’air telle une maîtresse d’école.

         – Parce que sinon, c’est l’incontinence assurée quand nous serons vieilles. Et un périnée musclé, c’est toujours ça de gagné pour garder un homme.

J'AIME TON MARI (roman) Sylvie Bourgeois. 2
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