en partenariat avec 20minutes.fr
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- Auteur : Sylvie Bourgeois
- Genre : Romans et nouvelles - français
- Editeur : Adora, Paris
- Prix : 17.00 €
- Date de sortie : 03/02/2014
- GENCOD : 9782954722900
Cette même Charlotte avait tenu à accompagner Emma en voiture à Orly.
– Et tu ne feras pas ta bécasse !
– C’est l’image que tu as de moi ? avait demandé Emma, vexée.
– Tu me comprends, tu sais très bien comment tu peux être parfois.
– Non.
– Donneuse de leçons.
– Moi ?
– Oui, toi.
– Faux.
– Quand on n’est pas d’accord avec toi sur l’écologie, admets que tu t’emportes facilement.
– Ce n’est pas de ma faute si la planète est en train de mourir.
– Tu vois.
– Je veux bien faire un effort, mais si ce soir quelqu’un me cherche sur ce terrain, je ne suis pas sûre de pouvoir me retenir.
– Détends-toi, ça va être un beau mariage.
– Ce n’est pas mon style de sortie, tu sais à quel point, je suis mal à l’aise dans les soirées mondaines.
– Tu vas retrouver plein d’amis.
– Pas forcément. Du côté du marié, il n’y aura que des gros prédateurs de financiers que je ne connais pas mais que je déteste déjà, et du nôtre, pratiquement personne, je n’ai pas bien compris pourquoi, une histoire d’argent. Comme le mari paye tout, il a choisi un endroit magnifique, hors de prix, du coup ma petite sœur n’a pas voulu inviter les amis de ma mère et de mon beau-père, ni d’autres membres de la famille pour ne pas faire celle qui exagérait et ma mère ne pouvait pas s’aligner.
– Bonjour l’ambiance ! Elle a viré pétasse ta petite-sœur ou quoi ?
– Je n’en sais rien, je ne l’ai pas revue depuis deux ans, depuis le jour où elle a rencontré son futur mari, plus un coup de fil, rien. Et quand je l’appelle, elle est toujours occupée et ne peut pas me parler. Je ne sais pas pourquoi, mais je l’appréhende ce mariage.
– Tu m’as dit que le marié avait combien de plus que ta demi-sœur ?
– Trente ans.
– Ah ! Quand même !
– Ce n’est pas tant leur différence d’âge qui m’ennuie, c’est que Myrtille n’ait que 20 ans, c’est un bébé.
– Dommage ! Elle sacrifie l’étape de sa jeunesse.
– Et le plaisir de partager l’insouciance des gens de son âge avec qui refaire le monde des nuits entières.
– Que veux-tu, elle préfère faire la belle parmi les vieux !
– Tu parles d’une joie.
– En fait, elle s’est trouvé un papa friqué.
– D’après ma mère, elle en est amoureuse.
– Elle doit surtout être séduite par son train de vie. Il est bien physiquement ?
– Jamais vu.
– Tu ne le connais pas ?
– Non, c’est dingue, mais on ne me l’a jamais présenté. Tu sais, mon côté grosse tête qui n’est jamais d’accord avec personne n’est pas forcément apprécié, on me cache souvent.
– Tu es née chez Gide, dans Familles, je vous hais ?
– Je t’explique. Ma mère et Fabienne ont toujours fait clan. Moi je faisais clan avec mon père. Quand mes parents ont divorcé, j’avais 15 ans et je suis restée vivre avec lui, ce que ma mère ne m’a jamais pardonnée. Quand elle s’est remariée et a eu Myrtille, j’étais déjà étudiante. On ne se voyait pas souvent, mais dès que je pouvais, je venais m’occuper de ma demi-sœur. Je l’adorais. Je l’aime toujours d’ailleurs, je suis triste de ne plus la voir. Je me sens comme une pestiférée, ce n’est pas évident à assumer.
– Et ta mère ?
– Elle veut que je vienne au mariage de Myrtille alors que je sais pertinemment que ma présence ne lui fera pas plaisir. Et si je n’y vais pas, elle me le reprochera pendant des années !
– Ah oui, compliqué.
– On ne peut pas dire non plus que l’on ne s’aime pas, mais nos rapports ne sont pas chaleureux. J’ai toujours admiré sa beauté, sa féminité. De son côté, il faut que je sois soumise à sa façon de voir les choses. Elle me juge sans cesse, me reproche mes choix. Notre relation est ambiguë. Tu vois, je n’ai pas envie d’aller à ce mariage, mais je suis incapable de ne pas m’y rendre.
– Et Fabienne ?
– Fabienne ? Elle ne s’intéresse qu’à elle. C’est drôle, j’ai deux sœurs à l’opposé de mon état d’esprit. Elles adorent les fringues, leur physique, d’ailleurs elles sont canon. À croire qu’on n’est pas de la même famille.
–– Chez moi, c’est plus simple, nous nous aimons et nous sommes toujours ravis de nous voir.
– Tu as de la chance. D’ailleurs, c’est amusant les événements qui se reproduisent de génération en génération. Myrtille trace un schéma identique à celui de notre mère qui s’est également mariée à 20 ans. Fabienne aussi s’est mariée tôt, à 22. Sauf qu’après être tombée enceinte, elle n’a pas voulu emménager aux États-Unis où une carrière fantastique attendait son mari. Je n’ai jamais compris pourquoi. Elle avait été séduite par le talent de Léonard, persuadée qu’il allait réussir et devenir très riche, puis l’a castré dans son ambition professionnelle. Le pire, c’est que toute la journée, elle lui reproche d’avoir raté sa vie.
– Le pauvre.
– Que veux-tu ? Elle est idiote. Tu es sûre que Benjamin ne fatiguera pas tes parents ?
– Mais non, ils ont l’habitude avec le mien.
– Heureusement que je t’ai, sinon je ne sais pas comment je me débrouillerais seule avec mon petit cœur. Je t’ai déjà raconté que j’étais amoureuse de Léonard quand j’avais 17 ans ? lance Emma au moment où Charlotte se gare devant l’aéroport.
– Quand il était ton prof ? Oui. Pourquoi tu m’en reparles maintenant ? Tu l’aimes toujours ?
– Une chose est sûre, je vais à ce mariage aussi pour lui faire plaisir. Il ne comprendrait pas que je ne sois pas là. Il ne s’est jamais rien passé entre nous, mais on a toujours été très proches.
– Et tu n’oublieras pas tes devoirs de vacances, avait crié Charlotte au travers de la vitre de sa Mini quand Emma était descendue de voiture.
Et quels devoirs de vacances !
*
Emma avait rencontré Charlotte l’année dernière au bar du Marché où chaque matin, après avoir déposé Benjamin à la maternelle, elle allait boire un café avant de filer au CNRS. Dans un premier temps, elle avait été étonnée de sa capacité à épiloguer de si bonne heure avec d’autres mamans divorcées sur les difficultés de leurs relations sentimentales. Elles parlaient si fort et revendiquaient avec tant de véhémence que l’on aurait pu croire que Montreuil était devenu une pouponnière de femmes célibataires prêtes à pénétrer le marché de l’amour, persuadées de pouvoir dynamiser les lois de la concurrence en se mettant au niveau d’un produit de consommation.
Emma, avec sa timidité, ses sarouels trop larges, ses pulls sans forme (l’idée de repasser un chemisier la hérisse) et sa masse de cheveux blonds frisés impossibles à coiffer, détonnait en se tenant seule, à l’écart, debout au bar. Charlotte avait fait le premier pas en l’invitant à se joindre à elles. Emma avait tout d’abord refusé, elle se jugeait différente de ces femmes sûres d’elles, apprêtées dès le matin, qui misaient tout sur leur pouvoir de séduction. Puis elle avait fini par accepter, fascinée par l’énergie et l’humour de Charlotte qui raffolait de narrer dans le détail ses anecdotes croustillantes, à croire qu’elle ne vivait certaines rencontres foireuses que pour le plaisir de pouvoir ensuite les raconter à ses copines. Charlotte était coach en entreprise. Elle organisait des séminaires pour dynamiser les équipes et développer le potentiel de chacun. Forte de ses succès professionnels et de la maîtrise avec laquelle elle avait réussi à rebondir après que son mari l’ait quittée, elle désirait se spécialiser dans le coaching sentimental. Jamais avare de suggestions, chaque matin, elle distillait avec bonne humeur ses points de vue et analyses au bar du Marché devenu le rendez-vous hype de toutes les branchées de Montreuil. Charlotte, très jolie blonde à la peau dorée, genre de femme chatte à faire l’amour du bout des doigts, avait réponse à tout. Emma s’asseyait, ne disait rien et l’écoutait, subjuguée par sa capacité à être aussi légère. Face aux copines en manque d’amour qu’elle espérait requinquer, Charlotte était aussi heureuse que si elle animait une conférence devant mille personnes. Entre les croissants et les tasses de thé BBdetox de chez Kusmi, les conseils de Charlotte fusaient.
– La seule chose que j’ai comprise dans mon passé est de s’obliger chaque jour à ne jamais fréquenter des personnes qui te manquent de considération.
– Avant d’accepter de revoir un homme, faites un effort pour analyser qui vous avez en face de vous. Si vous vous concentrez bien pour vous souvenir de votre première conversation, vous verrez, tout a été dit. Les gens se dévoilent toujours au début. Ce n’est qu’à la deuxième entrevue, suivant qui ils ont en face d’eux, que naissent les manipulations.
– Après, je ne sais pas pourquoi, beaucoup de filles ne veulent pas entendre ce que les hommes essayent de leur dire. Elles ont parfois tellement envie de croire à une belle histoire d’amour qu’elles se voilent la face et se lancent à fond dans la relation en refusant d’en voir le côté glauque. Une forme de désespérance dont seules les femmes sont capables.
– Une des grandes règles de la vie est d’accepter que personne ne change, au mieux, les gens peuvent évoluer sur leurs bases mais jamais s’en fabriquer de nouvelles.
– Concentrez-vous sur vous sur qui vous êtes, sur ce que vous désirez. Vous verrez, le jour où vous ne serez plus éparpillée, vous serez enfin en état de reconnaître l’homme de votre vie quand il vous apparaîtra.
– C’est comme ton abruti, avait-elle dit un matin à une grande Pauline trop maquillée. Ça ne te plaisait pas qu’il démarre votre dîner en disant que tous les hommes étaient infidèles et toi, grosse pomme, au lieu de lui rétorquer qu’il était en train de parler de lui, tu lui as répondu que tu ne voulais pas qu’il s’exprime ainsi. Tu es incohérente, ma chérie. Tu te plains d’avoir mis du temps à réaliser que ton ex était mythomane et le jour où tu tombes sur un type qui essaye de t’expliquer, certes maladroitement, que la fidélité ce n’est pas son truc, tu ne l’écoutes pas. Tu veux le faire rentrer avec force dans ton moule du mec parfait sans voir qu’il déborde de partout. Réfléchis à ton bug, tu verras, ça ira tout de suite mieux.
– Et toi, Jeanne, refuse de partir en week-end chez Paul Chomet, il va te considérer comme une bonne jument, pas même une pouliche, tu as passé l’âge, et en bon cavalier, va vouloir te sauter sans même prendre le temps de te draguer. Il a compris que tu étais la seule trotteuse dispos sur Paris suffisamment cruche pour accepter de passer le week-end du 14 juillet dans son haras, toutes celles de concours sont à Ibiza ou à Saint-Tropez. Elles ont dû lui rire au nez de son invitation à la noix. Et elles ont eu raison, car si on n’aime pas monter à cheval, à part se faire emmerder par les mouches et bouffer par les taons, je ne vois pas l’intérêt d’aller dans ce genre de baraque en été. Que cherches-tu d’ailleurs ?
– Je voudrais un homme qui prenne soin de moi, qui soit mon port d’attache, un homme sur lequel je puisse me reposer, tu vois ? avait répondu Jeanne d’une voix enfantine.
– Je pensais que tu voulais un homme avec qui tu pourrais tout partager, en fait, tu es un boulet, Jeanne, avait conclu Charlotte avec suffisamment de sourire dans son visage pour que Jeanne ne se froisse pas.
– Il faut que tu comprennes, Bénédicte, avait dit Charlotte un autre jour à une charmante prof aux cheveux courts, que cet homme est un rapace. Tu n’es pas de son calibre. Il n’aime que les héritières névrosées. Il sait que tu ne coûtes pas cher et que ce n’est pas la peine de te nourrir avec des gros diamants pour t’avoir, une soupe et trois compliments qui te font rêver, et tu es séduite. Crois-moi, ne le rappelle pas, tu n’es pas armée pour jouer dans cette cour.
– Je vais finir la séance sur notre chère Juliette. Je vous propose d’ailleurs de créer un collectif de copines pour l’aider à sortir de l’emprise de son Monsieur Panpancucu. Quand comprendras-tu ma chérie que tu es juste une pauvre petite chose soumise à sa volonté ?
– J’en suis amoureuse, il est méga intelligent, avait répondu Juliette comme si c’était l’argument définitif contre lequel il était impossible de lutter.
– Réponds-moi sincèrement Juliette, s’il ne te l’avait pas demandé, aurais-tu eu toute seule l’idée (et l’envie) de le brûler à la bougie ? Toutes ces mises en scène sont orchestrées uniquement par lui et pour son propre plaisir. Toi, tu n’es que l’innocente victime qui obéit et qui exécute. Il suffit qu’il s’épanche dans quelques mails sur sa bisexualité pour que cet excès de confiance t’émeuve au point d’attendre sagement son coup de fil où il fixera votre prochain rendez-vous. Je n’appelle pas cela une relation équilibrée.
– Il n’a pas tellement de temps, il est marié.
– Sa femme devrait t’envoyer des fleurs pour te remercier de faire tout le boulot à sa place. Et gratuitement en plus. À Paris, une séance chez une maîtresse peut coûter jusqu’à deux mille euros. Elle en a peut-être marre de ses jeux sadomasos, parce que l’air de rien, ça prend du temps à réaliser ce genre de fantasme, moi, ça me fatiguerait tous ces accessoires. Et puis, le latex, il suffit qu’elle ait pris du poids pour que ça soit bonbon à enfiler avec les bourrelets.
Charlotte était dithyrambique et excessive sur le sujet, reprenant à peine haleine pour balancer ses arguments à Juliette qui la regardait, hyptonisée.
– Il est malin, ton type, c’est un gros manipulateur qui sait te tenir en haleine, son seul effort est de te remercier d’être la seule à le comprendre. Réfléchis pourquoi tu es autant en quête d’identité pour accepter sans broncher celle qu’il te donne de maîtresse parfaite ? Tu crois, quoi, Juliette, qu’en fouettant les fesses de ton industriel, tu vas devenir aussi puissante comme lui ? Ne me dis pas que tu es aussi idiote que les maîtresses des politiciens qui soudain croient avoir tout compris des stratégies mondiales. Comme si le savoir et l’intelligence se transmettaient par la langue !
À force d’entendre Charlotte réprimander et secouer Juliette pour la faire réagir, Emma s’était prise d’affection pour cette récente divorcée d’un homme qui s’était mal comporté durant leur séparation malgré la présence de leur adolescent. Emma se disait que Juliette avec son physique costaud et énergique de fille élevée à la campagne, devait rassurer son panpancucu sur sa capacité à prendre les choses en main d’une façon ferme et dynamique, sans peur, ni paresse.
Parfois, les conseils de Charlotte étaient plus explicites. Ce qui immanquablement faisait rougir Emma.
– Et cette semaine, les filles, vous mettez le paquet sur la musculation de votre périnée.
– D’accord, répondaient-elles en chœur, joyeusement.
– Et pourquoi est-ce si important ? s’était amusée à demander Charlotte, le doigt en l’air telle une maîtresse d’école.
– Parce que sinon, c’est l’incontinence assurée quand nous serons vieilles. Et un périnée musclé, c’est toujours ça de gagné pour garder un homme.
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— De… de rien, bégaye Rémy qui ne veut pas perdre la face.
— Je suis allergique, continue Sophie, les bleus fabriqués en Chine m’ont provoquée une dermite séborrhéique avec des plaques rouges prurigineuses qui me démangeaient jour et nuit, une horreur, ma dermato a eu un mal fou à me soigner, depuis j’ai un certificat médical pour ne porter que ceux-ci.
Sophie sort de son sac un masque transparent en plastique et l’essaye devant Rémy.
— Tu vois, ça se pose sur le menton, du coup, ça ne touche pas le visage, en plus comme je suis une femme joyeuse, on voit mon sourire, pas mal, non ? Et c’est français, ajoute-t-elle en pointant son index droit, c’est primordial d’acheter français, ils sont dans les Landes, à Sanguinet, près d’Arcachon.
— Mais ça ne protège pas.
— Bien sûr que si, mon chaton. J’imagine que tu fumes toujours ?
— Tu veux une clope, propose Rémy en sortant un paquet de cigarettes de sa poche.
— Non, allume ton briquet.
Pendant que Rémy s’exécute, Sophie prend une longue inspiration, s’approche à quelques millimètres de la flamme et souffle dessus de toutes ses forces sans que celle-ci ne bouge pas d’un iota.
— C’est ça, balance-moi tes microbes, râle Rémy en faisant un bond en arrière.
Sophie éclate de rire.
— Tu es vraiment rigolo, il faut que l’on se voie plus souvent, si ta flamme ne s’est pas éteinte, mes microbes ou virus ou tout ce que tu veux, ne peuvent pas t’atteindre, ils ne vont pas escalader la paroi, tels des vaillants alpinistes, et ensuite aller se nicher exactement là où il faut pour te tuer, c’est logique, non ? Je le nettoie sous l’eau avec du savon chaque fois que je sors ou que je rentre chez moi, c’est mille fois plus hygiénique que la couche-culotte que tu as sur le nez, c’est ta femme qui te l’a choisie ?
— Je veux bien qu’on se voit plus souvent, Sophie, tu as gardé le même numéro de téléphone ?
Sophie soupire en levant les yeux au ciel. Certes Rémy est très mignon, très beau garçon même, mais non, sa vie est déjà suffisamment compliquée comme ça aujourd’hui, il est hors de question qu’elle flirte, ne serait-ce qu’un instant, avec son ancien copain de lycée. Et puis les hommes mariés, ça va, elle a donné.
— Mais comme à la droguerie où je dois acheter un cubitainer de vinaigre blanc, continue-t-elle en se concentrant sur son masque afin de ne pas avoir à répondre aux avances de Rémy, ils ne m’acceptent pas avec mon Stop Spit, c’est le nom de la marque qui les fabrique, je suis obligée de mettre celui en tissu que m’a donné ma voisine. Je file, à bientôt, c’était chouette de te voir.
Sophie s’avance vers Rémy pour lui faire une bise au moment où celui-ci tend de nouveau son poing en guise d’au revoir avec un sourire en coin.
— Ah oui, tu es vraiment rigolo, tu veux bien me sauter mais pas m’embrasser ! Si je te disais, oui mon chéri, allons à l’hôtel, là, tout de suite, enfin si on en trouve un d’ouvert et qu’on arrive à faire la bonne attestation pour justifier de prendre une chambre dans la ville où l’on habite, tu ferais comment ?
— Tu veux aller à l’hôtel ? s’empresse-t-il de répondre en effectuant une mimique plutôt craquante, tu sais que je suis dans l’immobilier, j’ai les clefs d’une dizaine d’appartements dont certains sont meublés avec jacuzzi et tutti quanti.
— Réponds-moi plutôt, tu ferais comment pour m’embrasser avec ton masque que si tu pouvais le monter jusqu’à ton front tu le ferais ?
— Ma femme m’engueule si je le porte sous le nez.
— Je te l’ai dit tout à l’heure, change de femme, rit Sophie.
— Je dois aussi le porter à la maison.
— Je me souviens que tu étais déjà un fayot au lycée, c’est pour ça d’ailleurs que je n’ai jamais voulu coucher avec toi.
— Tu m’avais dit que tu attendais d’avoir 18 ans.
— Ben, je t’ai menti, la preuve, quand je t’ai quitté, j’ai couché pour la première fois quelques semaines plus tard avec Pierre-Henri dont je n’étais pas vraiment amoureuse, j’avais 17 ans et demi, c’était plus pour faire comme Géraldine, tu te souviens de ma copine Géraldine Chambon.
— Je me souviens surtout de m’être battu avec Pierre-Henri, il n’habite pas loin de chez moi, on se voyait au golf quand on avait encore le droit d’y jouer, il est devenu pharmacien.
— Au secours ! se met à hurler Sophie. Au secours !
— Qu’est-ce qu’il t’arrive, s’inquiète Rémy.
— Au secours ! continue-t-elle de crier. Ne me dis pas que tu n’embrasses plus tes gosses.
— Ben si, avoue Rémy en regardant ses pieds.
— Les pauvres chéris. Tu n’as pas honte ?
— Ma femme…
— Ça suffit avec ta femme, le coupe-t-elle, tu es prêt à la tromper avec moi, mais tu ne sais pas lui dire non, maintenant fini tes conneries ? Et avant de te coucher, tu te frottes la bite avec ton gel hydroalcoolique que tu tiens à la main comme si c’était une bouée de secours ? Non mais, je rêve !
— Tu vas me dire que le gel ne sert à rien ? s’énerve-t-il.
— Je vais surtout te dire que j’y suis allergique aussi, il y a trop de produits chimique dedans. Le plus efficace est de se laver les mains avec de l’eau et du savon. Et si tu ne peux pas te les nettoyer, tu gardes sur toi une solution que tu te prépares avec de l’eau et de l’alcool à 70°, c’est le plus sûr moyen pour stériliser.
— Tu ne serais pas un peu complotiste ?
— C’est quoi cet amalgame ?
Sophie regarde Rémy, effarée, oui, il est mignon mais qu’est-ce qu’il est con, il pourrait passer à la télévision, se dit-elle en hésitant entre partir et le laisser en plan ou essayer de ranger le taudis qu’il a dans la tête.
— Je peux t’assurer que je ne fais aucun complot, sourit Sophie, je ne vole pas le courrier de mes voisins, je ne détourne pas non plus les mails de mes clients, tu veux que je te raconte le premier complot, c’est quand les Néandertaliens ont voulu tuer un mammouth, je te promets, ils ont sacrément comploté, ils l’ont l’observé pendant des semaines pour connaître ses habitudes, savoir où il dormait, échafauder un plan pour le coincer, mais moi, non, je n’ai jamais chassé de mammouth, je suis pour la paix, je serai même plutôt anti-complotiste.
— N’empêche, tu ne me convaincs pas avec ton masque en plastique.
— Je ne cherche pas à te convaincre, mon chaton, ce serait une trop grande perte de temps et d’énergie.
— Si tout le monde est irresponsable comme toi, on ne s’en sortira jamais.
— Je ne suis pas irresponsable, je suis allergique.
— Hum !
— Comment ça, hum, tu veux que je te montre les photos de mes plaques rouges ? Et si tu veux t’aventurer sur le chemin de l’irresponsabilité, je te signale que nous sommes à cent mètres de chez moi, que je travaille à la maison, mon jules aussi, et que je ne sors pour ainsi jamais, tandis que toi avec ta boîte dans l’immobilier, j’imagine que tu te balades toute la journée avec tes autorisations de boulot, j’ai faux ?
— Non, mais…
— Et puis merde, le coupe Sophie qui s’échauffe, ce n’est pas un virus, tu descends dans la rue, tu tombes, tu meurs.
— Tu es belle quand tu t’énerves.
— Et je suis encore plus belle sans masque si tu veux savoir !
— Je suis sûr que tu es pour Raoult.
— Tu es mignon, mais tu es trop couillon, je me souviens, en quatrième, ta mère qui, à l’époque, était copine avec la mienne qui disait couillon à tout bout de champ, couillon et fada, c’était ses termes préférés quand elle parlait des hommes, te traitait souvent de couillon, crois-moi, elle est mieux dans son Ehpad que de t’entendre déblatérer des idioties aussi grosses que ta voiture, tu as toujours ton énorme 4X4 qui pollue à cent kilomètres à la ronde ? C’est idiot d’être pour ou contre le professeur Raout, c’est aussi bête que d’être pour ou contre la Tour Eiffel, elle est là, un point c’est tout, on ne peut que le constater, comme Didier Raoult, on ne peut que constater que c’est une sommité mondiale, et depuis au moins une douzaine d’années.
— Non mais son traitement…
Sophie ne laisse pas Rémy terminer sa phrase tellement elle a l’impression de l’avoir déjà entendue mille fois.
— Il peut marcher sur toi et pas sur moi, regarde, je suis allergique à deux antibiotiques, décidément, réfléchit Sophie, je suis beaucoup allergique, je ne dis pas pour autant que les antibiotiques, c’est nul, non, les antibios ont sauvé des millions de vie, simplement, certains ne sont pas pour moi, le soin médical, c’est un contrat de confiance entre toi et ton docteur, même ton conjoint, il n’a pas à s’en mêler, le problème n’est pas que ça marche ou que ça ne marche pas, comme je viens de te le dire, ça peut marcher sur toi et pas sur moi ou inversement, le problème est que ce vieux médicament qui a été en vente libre pendant plus de 70 ans, ait été classé substances vénéneuses le 15 janvier, juste avant l’épidémie, et que le 27 mars, par un décret officiel, les médecins de ville n’ont plus eu le droit de le prescrire et les pharmaciens de le vendre, excepté à leurs patients qui l’ont en traitement pour le lupus, les polyarthrites ou une lucite, alors qu’en 2019, trente-six millions de comprimés ont été distribués en France. Et puis qu’est-ce qui te prend, pourquoi tu m’agresses ?
— Je ne t’agresse pas, c’est que j’ai toujours aimé en toi, tu es passionnée, tu t’enflammes vite, je n’ai jamais ce genre de discussion à la maison.
— C’est d’accord.
— C’est d’accord, quoi ?
— Prends les clés de l’un de tes penthouse avec jacuzzi, et allons faire l’amour.
Rémy reste interdit.
— Mais non, je plaisantais, ajoute Sophie hilare en lui donnant une grande claque dans le dos, quoique je coucherais bien avec toi rien que pour faire chier ta femme, je crois que je suis allergique aussi à ses idées convenues, pas embrasser ses gosses, je te jure, ajoute Sophie qui s’éloigne en agitant sa main pour dire au-revoir à Rémy.
— J’aime bien quand tu m’appelles mon chaton ! lui crie-t-il, ébahi, à ne plus savoir s’il doit suivre Sophie ou continuer son chemin.
Après avoir publié chez Flammarion Sophie à Cannes et Sophie au Flore, suivis deux ans plus tard par Sophie a les boules et Sophie à Saint-Tropez, avant la parution de mon prochain roman en mars 2021, j'ai eu envie de m'essayer au roman-feuilleton en vous proposant chaque jour quelques pages d'une nouvelle aventure de Sophie qui, ayant mal à son pays qu'elle considère comme le plus beau du monde, désire sauver la France. Comme le titrait Figaro Madame, Entre Rastignac et Madame Bovary, il y a Sophie. Sophie est comme Tintin, elle ne vieillira jamais. Elle aura toujours 40 ans et à chaque début d'histoire, fragilisée par une rupture amoureuse, désire enfin donner du sens à sa vie.
Sophie veut sauver la France
1
Sophie ne sait plus, ne comprend plus. Hier encore, son plus vieux copain, qu’elle a croisé rue d’Antibes, a tendu son poing pour lui dire bonjour.
— Et la prochaine fois, ton poing, tu me le fous sur la figure ?
— C’est comme ça qu’on fait aujourd’hui.
— C’est qui on ?
— Ben, tout le monde.
— Je ne connais pas tout le monde, répond Sophie, mais, toi, je te connais, et depuis le lycée, on s’est même roulés des pelles pendant presque une année, alors soit tu m’embrasses, soit tu me fais coucou de la main ou tu m’envoies un bisou en l’air, mais je ne veux pas de ton poing, c’est méga agressif, je ne suis pas un rappeur, à part ça, comment vas-tu ?
— Mal.
— Oh, je suis désolée, qu’est-ce qu’il t’arrive ?
— Avec tout ce qu’on entend aux infos, c’est angoissant.
— Tu m’as fait peur, je croyais qu’il t’était arrivé quelque chose. Éteins ta télé, tu iras mieux, sourit Sophie.
— J'ai besoin de me tenir au courant.
— Te tenir au courant de quoi ?
— De ce qu’il se passe dans le monde.
— Parce que, toi, tu sais ce qu’il se passe dans le monde ?
— Oui, c’est important, pas pour toi ?
— Si, mais à mon niveau, j'essaye surtout de me concentrer sur ce qu’il se passe dans ma rue, dans mon quartier, dans ma ville, d’ailleurs comment va ta maman ?
— Tu sais, en ce moment, dans les Ephad, la situation est compliquée.
— Parce que ta maman est dans un Ephad ? manque de s’étouffer Sophie. Je ne voudrais pas faire d’impair, ça fait tellement longtemps que je ne t’ai pas vu, mais tu habites toujours dans la sublime maison de tes parents à la Californie ?
— Bien sûr !
— Avec tout l’argent qu’ils t’ont donné, tu as largement de quoi garder ta mère chez toi, il te suffit d'embaucher deux personnes qui feront le relais, tu lui dois bien ça, en plus, elle a les moyens de les payer.
— Ma femme ne veut pas.
— Change de femme, éclate de rire Sophie, et garde ta maman chez toi. Elle était tellement belle et digne, ta mère, qu’elle doit détester l’idée de finir sa vie dans un Ehpad.
— C’est pour ça que je n’aurais jamais pu t’épouser, Sophie, pourtant Dieu sait que j’ai été amoureux de toi, mais plus jeune, déjà, tu étais ingérable.
— Parce que c’est être ingérable que de garder sa mère chez soi, s'énerve Sophie, on n’a vraiment pas les mêmes valeurs, je t'assure que si j’avais la chance d’avoir encore mes parents, ils seraient bien au chaud chez moi, et je te signale qu’il n’a jamais été question qu’on se marie.
Sophie n’a pas le temps de lui confier que, depuis un an, elle héberge dans sa vieille maison le beau-père et le demi-frère de Julien, l’homme avec lequel elle partage sa vie depuis dix ans, que son copain de lycée enchaîne.
— Même aujourd’hui tu es encore ingérable, regarde la façon dont tu portes ton masque, ça ne m’étonnerait pas que tu sois anti-masques.
— Je suis anti-rien du tout, rit Sophie.
— Alors mets-le bien sur ton nez et arrête de le soulever tout le temps pour me parler.
— Tu as peur de quoi, mon chaton ?
À suivre...
Avant de dîner au Cintra, la plus vieille brasserie de Megève, Henri les entraîne à un vernissage. Un monde fou se presse pour regarder des petits dessins vaguement inspirés de ceux de Crumb, en beaucoup moins bien. Un gamin de 25 ans à tout casser est la star du cocktail. Les amis de ses parents se précipitent pour le féliciter, l’embrasser, lui tapoter les épaules, lui frotter la tête, qui aurait cru ça de toi ? Qu’est-ce qu’on s’est fait comme souci à ton sujet !
Un peu plus loin, un playboy bronzé explique à un cheptel de zibelines et de renards argentés qu’il adore vivre dans les Hampton’s, car il n’y a pas de pauvres.
– C’est bien simple, si vous ne possédez pas de maison, c’est impossible d’y aller !
Sophie, pensive, observe son gynécologue s’avancer vers elle, un grand sourire aux lèvres.
– Bonjour chère amie ! Comment allez-vous depuis ce dîner chez… chez… aidez-moi, je ne me souviens plus de la dernière fois où nous nous sommes vus, lance-t-il en l’embrassant chaleureusement.
– J’avais les jambes écartées dans votre cabinet, je suis une de vos patientes.
Écarlate, il se confond en excuses. Heureusement, un homme grisonnant s’avance vers Sophie et la libère de ce malentendu.
– Voilà le résultat quand l’argent envahit le domaine réservé aux artistes, dit Sophie. Ce gosse a dû avoir envie d’exister, ce qui est légitime, mais au lieu de bosser à l’école, il a choisi la facilité de se prétendre peintre alors que de toute évidence, il est dénué de talent. Et ses parents, trop contents qu’il ait survécu à la drogue, à l’alcool, lui offrent les moyens de se croire quelqu’un alors qu’il n’est pas doué. Je les imagine perclus d’admiration pour leur rejeton qui, enfant, devait gribouiller au stylo Bic des cahiers entiers de petits soldats et de scènes de guerre. Et comme ces gens-là n’ont aucune culture, malgré ce qu’ils prétendent, ils crient au génie. Ça me rend dingue que l’on expose ces débilités.
– C’est mon beau-fils.
Sans se démonter, Sophie lui demande du tac au tac ce qu’il en pense.
– Voulez-vous que je vous le présente ?
– Laissez-le prendre son pied. C’est son quart d’heure de gloire. La question que l’on doit se poser, c’est de savoir si cet usurpateur qui existe grâce à vos moyens financiers prend la place d’un vrai artiste ou non ? À Saint-Tropez, j’avais vu la même chose avec une princesse de mes fesses qui avait exposé ses photos de vacances, elle les avait attachées avec des pinces à linge pour faire bohème. Vous me direz, Saint-Tropez n’est pas le meilleur endroit pour découvrir de l’art. Mais c’est pareil dans la musique, le cinéma, la littérature, les fils et filles à papa pourrissent la sincérité, le seul con dans l’histoire est le pauvre idiot qui paye sa place de ciné ou de concert et doit assister à ce déferlement de nullité. Vous ne voulez pas plutôt m’apporter une coupe de champagne ?
– Je ne sais pas pourquoi, mais je vous trouve différente des autres femmes de cette assemblée.
– Normal, je suis la seule pauvre.
– Dans vos yeux, je lis que votre vie intérieure est riche.
– Stop, on arrête tout, votre réponse est trop convenue, je ne peux pas continuer sur ce registre.
– Arrêtez de me taquiner, vous vous appelez comment ?
– Sophie et je n’ai pas de mari.
Oups ! se dit-elle, je suis barge de répondre ça.
– Je peux alors vous inviter à déjeuner ?
Exactement ce qu’elle ne voulait pas entendre !
– Volontiers !
Exactement ce qu’elle ne voulait pas dire !
Ce n’est pas la première fois que ses paroles ne lui obéissent pas. C’est peut-être le signe que je suis très déprimée ? se demande Sophie en buvant cul sec sa coupe.
– Au moins, vous n’êtes pas compliquée ! Je me présente, Jean-Guillaume Tuffier.
– Des constructions navales ?
– Exactement.
– Et vous tenez cette entreprise de votre père ?
– Qui la tenait lui-même de son propre père.
– Dingue ! se moque-t-elle.
– N’est-ce pas ?
– Je ne suis pas jalouse, mais ça me fout les boules les gens comme vous qui n’ont comme mérite que d’avoir hérité. À Megève, j’ai l’impression de ne voir que ça.
– J’ai commencé à travailler tôt et durement, on ne m’a fait aucun cadeau, se justifie Jean-Guillaume.
– Le mythe du gamin riche qui doit soi-disant démarrer en bas de l’échelle ne m’a jamais fait chialer. C’est quand même plus facile d’avoir le droit d’engueuler les ouvriers de son père et de rentrer dans une baraque à plusieurs millions d’euros avec du personnel que de trimer pour de vrai et de se coucher dans un studio pourri où vous devez laver vous-même votre sol et vos draps car vous n’avez pas de fric. Vous avez, ne serait-ce qu’une fois, mis la table ou passé la serpillière ?
– Non, mais je suis un cuisinier qui se défend.
– Oui, histoire d’épater vos copains !
– Pourquoi êtes-vous en colère, Sophie ?
– N’insistez pas, je ne déjeunerai pas avec vous.
– Vous êtes pétillante, j’adore. On dit après-demain au Fer à cheval ? À 13 heures ?
– Pourquoi pas demain ?
– Je dois aller à Genève.
– Chercher des pépettes ?
– Non, des cigares.
– Chez Gérard ?
– Je vois que vous connaissez vos classiques.
– Et ensuite, vous irez au Velvet vous taper une pute. Certaines, paraît-il, passent leur journée à tremper dans du lait d’ânesse pour avoir la peau douce. Vous m’en ramènerez une ?
– Vous êtes insensée, mais vous me plaisez.
– Parce que je ne coûte pas 2 000 euros ?
– Vous verrez, leurs diots au vin blanc sont fameux.
– Je suis plutôt filets de perche du lac Léman, mais bon.
Extrait. Emma, bluffée par l’aplomb du businessman, le félicite aussitôt.
– Merci, vous êtes mon Zorro ! Grâce à des hommes comme vous, on peut espérer que le genre humain n’est pas totalement foutu.
– Si. Croyez-moi, on est trop nombreux sur terre. Des réactions violentes, comme celle-ci, vont être de plus en plus courantes.
– Que faire alors ?
– Avoir un gun, de l’argent et du pouvoir. Pourquoi croyez-vous que le pilote ne m’a rien dit alors que j’ai été plutôt grossier ? Il a senti que j’étais plus puissant que lui. La vie n’est qu’un rapport de force, une lutte de territoire.
– Mince alors, j’ai tout faux, j’ai tout misé sur la bienveillance. Avec votre raisonnement, je devrais être morte depuis longtemps.
– Vous êtes en état de survie comme tous vos semblables trop gentils. Prenez soin de vous, je dois rejoindre mon siège et ma femme.
J'aime ton mari de Sylvie Bourgeois
chez Adora (Paris)
http://www.20minutes.fr/livres/1302742-20140227-20140219-j-aime-mari-sylvie-bourgeois-chez-ador-paris-france
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Emma, mathématicienne au CNRS, vilain petit canard de sa famille, préférant sauver l'Amazonie que son apparence, se rend au Cap d'Antibes, au luxueux mariage de sa demi-soeur âgée de 20 ans.
Mal à l'aise dans ce monde d'argent éloigné de ses valeurs, elle découvre que ni André, son séduisant nouveau beau-frère, ni Léonard, le mari taciturne de sa soeur aînée, ne correspondent à l'image qu'elle s'en faisait.
Coachée par Fred, coiffeur des stars qui la transforme en bombe sexuelle, et Charlotte, experte en conseils amoureux, notre Cendrillon peu habituée aux attentions masculines va faire tourner la tête de tous les invités.
Le thème du mariage revisité sous la plume vive et espiègle de Sylvie Bourgeois.
Romancière et scénariste, Sylvie Bourgeois a publié plusieurs livres dont les fameux Sophie à Cannes et Sophie au Flore chez Flammarion Une adaptation cinématographique de J'aime ton mari est en cours.
1) Qui êtes-vous ? !
Je m'appelle Sylvie Bourgeois Harel. J'écris depuis 10 ans, date de la parution de mon premier roman Lettres à un Monsieur aux Éditions Blanche. Dorénavant, je signe mes livres sous deux noms, Sylvie Bourgeois et Cécile Harel pour différencier mes deux styles d'écriture, Sylvie Bourgeois pour mes romans drôles et légers comme Sophie à Cannes ou Sophie au Flore parus chez Flammarion et Cécile Harel pour des romans plus bouleversants pour En attendant que les beaux jours reviennent parus aux Escales l'année dernière et actuellement chez Pocket (et en mai en Allemagne chez Piper) ou pour mon prochain livre, L'Architecte, qui sortira en 2015.
2) Quel est le thème central de ce livre ?
La quête amoureuse.
3) Si vous deviez mettre en avant une phrase de ce livre, laquelle choisiriez-vous ?
Pour Emma, avoir une copine excessivement fille capable de discuter pendant des heures de mecs et de sexe était nouveau.
4) Si ce livre était une musique, quelle serait-elle ?
Euh... Voulez-vous coucher avec moi ce soir ?... En fait il s'agit du morceau sur lequel danse Fred pendant sa longue discussion avec Léonard...
5) Qu'aimeriez-vous partager avec vos lecteurs en priorité ?
La joie, l'humour, la réflexion, un état d'esprit plutôt positif.
— Bonjour madame, je suis désolée, j’ai mal à l’épaule, pourriez-vous, s’il vous plaît, mettre mon sac dans le coffre à bagages ? demande Emma poliment à une hôtesse de l’air, en prenant place dans l’avion Paris-Nice.
— Je ne suis pas habilitée à cela, répond celle-ci sur un ton méprisant.
— Je suis confuse d’insister. Mon médecin m’a formellement interdit de soulever le bras, en plus dès que je fais le moindre mouvement, ça devient extrêmement douloureux, se justifie Emma.
— Dans ce cas, il fallait prévoir un sac en adéquation avec votre handicap.
— Pardon ? dit Emma, déconcertée par l’arrogance de l’hôtesse.
Fragilisée par de récentes crises de spasmophilie, Emma est à deux doigts de pleurer.
— Nous n’avons pas le droit de porter les bagages des passagers, en cas d’accident, nous ne serions pas assurés, ajoute l’hôtesse.
— N’importe quoi.
Emma préfère ne rien ajouter pour ne pas envenimer la situation. Apercevant un steward pas loin, elle l’appelle. Mais celui-ci ne l’entend pas (ou fait semblant de ne pas l’entendre).
— Vous bloquez la circulation, madame, s’obstine l’hôtesse.
Emma se souvient du conseil de Charlotte, sa nouvelle meilleure amie : Ne laisse jamais personne te maltraiter. Décidée à garder son calme, elle s’assied en silence et pose son sac sur ses genoux.
— Vous ne pouvez pas voyager de cette façon. C’est dangereux en cas de turbulences.
— Sincèrement, je ne vois pas d’autre solution.
— Très bien, je vais chercher le commandant de bord.
Emma n’en revient pas. Décidément ce week-end de mariage démarre mal, soupire-t-elle. Deux minutes plus tard, l’hôtesse réapparaît, suivie du pilote.
— Bonjour ! dit Emma en souriant. Vous êtes bien aimable de venir à mon secours.
— C’est interdit de voyager avec votre sac sur les genoux, marmonne celui-ci.
— Je suis désolée de me répéter, mais je suis dans l’incapacité physique de le ranger et comme aucun membre de l’équipage ne veut m’aider, dites-moi ce que je dois faire.
— Puisque vous refusez d’obtempérer, je vais être dans l’obligation de vous faire débarquer.
Refusant de se laisser démonter par cette situation aberrante, Emma prend le parti de jouer la carte de la dérision et invente un gros mensonge en se faisant passer pour une femme dilettante, pétée de tunes. Maman célibataire d’un petit Benjamin de 5 ans qui n’a plus de papa, elle joint difficilement les deux bouts avec son salaire du CNRS depuis qu’elle milite et donne une partie de ses revenus dans une association humanitaire.
— Pas de soucis, chef ! essaye-t-elle de plaisanter. En revanche, si je quitte cet avion, il faudra faire descendre tous les passagers pour effectuer une reconnaissance des bagages. J’ai deux valises en soute. Vous ne voudriez pas prendre le risque de décoller avec une bombe cachée dans l’une d’elles ? Ça va durer au bas mot deux heures.
Emma n’a aucune valise en soute. Mais l’idée d’effrayer l’hôtesse et le pilote l’amuse terriblement. Encore un conseil de Charlotte : Refuse d’accorder à quiconque le droit d’avoir un pouvoir de nuisance sur toi, et quand tu ne sais plus comment réagir, choisis de résister par l’humour. Rire est souvent la seule réponse pour sortir la tête haute d’une situation humiliante, cela t’évitera de céder à la colère. Alors, Emma se lance.
— De mon côté, je m’en fiche, j’ai tout mon temps. J’ai pris cet avion, j’aurais tout aussi bien pu en réserver un pour Marrakech ou Rome, je ne travaille pas, si vous saviez à quel point je m’ennuie dans la vie, alors je voyage, ça m’occupe.
Un homme d’affaires (plutôt pas mal, note Emma), agacé que l’avion puisse prendre du retard, saisit le sac d’Emma et le range dans le coffre à bagages, puis se retourne vers le pilote.
— Ce n’est pas bientôt fini vos conneries ? Allez, rentrez dans votre cabine et faites décoller ce zinc !
Le commandant de bord baragouine quelques mots incompréhensibles, puis retourne dans sa niche tel un chien puni à qui l’on aurait donné une tape sur le museau. L’hôtesse l’imite et disparaît.
Emma, bluffée par l’aplomb du businessman, le félicite aussitôt.
— Merci, vous êtes mon Zorro ! Grâce à des hommes comme vous, on peut espérer que le genre humain n’est pas totalement foutu.
— Si. Croyez-moi, on est trop nombreux sur terre. Des réactions violentes, comme celle-ci, vont être de plus en plus courantes.
— Que faire alors ?
— Avoir un gun, de l’argent et du pouvoir. Pourquoi croyez-vous que le pilote ne m’a rien dit alors que j’ai été plutôt grossier ? Il a senti que j’étais plus puissant que lui. La vie n’est qu’un rapport de force, une lutte de territoire.
— Mince alors, j’ai tout faux, j’ai tout misé sur la bienveillance. Avec votre raisonnement, je devrais être morte depuis longtemps.
— Vous êtes en état de survie comme tous vos semblables trop gentils. Prenez soin de vous, je dois rejoindre mon siège et ma femme. Emma regrette qu’il ne prenne pas place à ses côtés, elle aurait aimé lui parler pour se laver de son altercation avec cette idiote d’hôtesse. D’habitude, elle déteste ce genre d’homme pressé qui dévore les heures à la recherche de toujours plus de rentabilité. Mais celui-ci semble différent, se dit Emma, presque humain, à moins, se reprend-elle aussitôt, qu’il n’ait résolu mon conflit avec le pilote uniquement pour son confort personnel afin que l’avion atterrisse à l’heure. En plus, il est marié. À croire que tous les hommes bien le sont. Et les moins bien aussi, conclut Emma en fermant les yeux.
Déçue, elle respire profondément et essaye de méditer en chassant ses pensées comme si elles étaient d’affreux nuages. Mais l’image de son père mort il y a une quinzaine d’années lui revient sans cesse en mémoire. Bouleversée de réaliser que cet homme chéri lui manque toujours terriblement, elle se souvient de leurs fabuleux week-ends en forêt au cours desquels il lui apprenait à construire, suivant les saisons, une cabane ou un igloo et comment, la veille de sa mort, comme s’il avait eu l’intuition que c’était sa dernière nuit, il lui avait transmis son don de barreur de feu. Un don du ciel hérité de son propre père. Il le mettait à profit quand, pompier bénévole, après avoir sauvé des blessés d’un incendie, il soulageait leurs brûlures dans l’ambulance qui les menait à l’hôpital.
*
Au moment de monter dans le bus pour Antibes, Emma réalise qu’elle a oublié sa veste avec son porte-feuille dans l’avion. Affolée à l’idée de perdre ses papiers et sa carte de crédit, elle court jusqu’au stand de la compagnie qui s’apprête à fermer.
— Ouf ! J’arrive à temps. Je suis désolée, j’ai oublié ma veste dans l’avion. Auriez-vous l’amabilité de la récupérer ?
— Vous avez une pièce d’identité ?
— Oui… Dans ma veste.
— Il faut alors faire une réclamation sur Internet. On vous répondra sous un mois.
— Ce n’est pas possible. Sans argent, je peux dire adieu à mon week-end.
Face à l’impassibilité de l’hôtesse, Emma s’entête.
— Regardez, l’avion est encore sur la piste, je le vois au bout de votre couloir. Il y en a pour une minute. S’il vous plaît, ça m’arrangerait vraiment.
— Je ne peux rien pour vous, c’est le protocole. D’ailleurs, nous sommes fermés.
Vlan ! L’employée pose sur son comptoir une affichette Closed en baissant les yeux afin d’éviter le regard d’Emma qui saisit le panneau et le jette dans la poubelle.
— Voilà ! Vous êtes à nouveau ouvert, c’est génial, non ?
— Mais enfin, madame, vous exagérez, vous n’aviez qu’à pas oublier votre veste.
— Je vais vous avouer un terrible secret, je suis bête. Effroyablement bête. Je suis la neuneu de service, celle qui oublie toujours tout. Je vis dans un drame perpétuel à courir constamment après mes affaires. Alors, soit vous faites une loi qui interdit aux neuneus de mon espèce de prendre l’avion, soit vous m’aidez à récupérer ma veste dans laquelle j’ai toute ma vie.
— Puisque vous ne voulez rien entendre, j’appelle la police.
Une minute plus tard, deux policiers de la brigade anti-terroristes (il fallait au moins ça !) s’approchent d’Emma.
— Vos papiers, s’il vous plaît.
— C’est un gag ou quoi ? répond Emma.
À deux doigts de péter les plombs, elle choisit d’exploser de rire (merci Charlotte).
— Vous voulez être arrêtée pour outrage à agents ?
— Pas du tout, justement, je me tue à expliquer à cette dame que mes papiers sont…
Emma n’a pas le temps de terminer sa phrase. Un steward passe avec sa veste sous le bras. Elle se précipite à sa rencontre.
— C’est ma veste ! C’est ma veste !
Effrayé, il recule d’un pas.
— Je ne crois pas madame, c’est celle de ma collègue.
— Pas du tout, s’offusque Emma, c’est la mienne, je l’ai achetée cinq euros à une Somalienne au marché des biffins à Montreuil.
— Vous avez vos papiers ?
— Mon portefeuille est dans la poche de droite, vérifiez, je m’appelle Emma Granier.
Pendant que le steward constate qu’elle dit vrai, Emma devient songeuse.
— Je peux vous poser une question ?
Sans attendre sa réponse, Emma poursuit.
— Si vous n’aviez pas pensé qu’elle appartenait à
votre collègue, vous l’auriez rapportée avec vous ?
— Non, les femmes de ménage s’en seraient chargées, elles l’auraient mise aux objets trouvés et vous l’auriez récupérée sous un mois.
— Vous savez pourquoi notre monde s’écroule inexorablement ?
— Pardon ?
C’est vrai, quoi, se dit Emma en s’éloignant, avant c’était agréable de prendre l’avion, aujourd’hui, c’est l’enfer, on est fouillé, suspecté, maltraité, humilié. C’est à n’y plus rien comprendre ! Ou alors je vieillis mal et n’arrive pas à m’intégrer dans ce monde devenu trop formaté. Et surtout que l’on n’arrête de me parler de protocole pour justifier tous ces règlements absurdes !
*
Installée au fond du bus, Emma revit la scène avec l’hôtesse et regrette de ne pas avoir pris le temps de lui expliquer sa conception des rapports humains pour essayer de la faire évoluer. J’aurais dû lui dire, réfléchit Emma, je comprends tout à fait que vous soyez obligée d’obéir au protocole établi par la compagnie qui vous emploie sous peine de vous faire licencier pour faute grave. Mais il existe une autre façon d’agir qui consiste à s’épauler entre personnes de même condition. Si vous et moi, deux femmes qui doivent avoir, à peu de choses près, un salaire identique à la fin du mois, nous ne nous soutenons pas un tant soit peu, qui va s’occuper de nous ? Personne. À plus forte raison, si notre position sociale n’est pas très élevée, nous devrions apprendre à nous comporter comme les grands de ce monde qui n’hésitent pas à se donner des coups de main pour conserver leur puissance. Quand Bill Clinton a un souci, il téléphone à Obama. On appelle cela un réseau. Pour nous, les petits de la société, ça devrait être pareil. Au lieu de râler et de rester dans le chacun pour soi, notre unique solution pour accéder au bonheur est de résister en s’entraidant, en plus c’est valorisant de se sentir utile. Croyez-moi, il faut rétablir la solidarité. Et la compassion. Si nous campons sur nos positions,nous sommes foutus. Nous resterons toujours des esclaves. Et je conclurai, ajoute Emma s’imaginant aussi grandiloquente que Jaurès, vous m’aidez aujourd’hui, mademoiselle, en allant récupérer ma veste, demain, c’est peut-être moi ou ma semblable qui vous aidera. Emma souffle, perplexe. Elle sait très bien que ces beaux discours pacifistes (que cette cruche d’hôtesse n’aurait de toute façon pas compris et dont Charlotte moque le côté militant pas forcément convaincant) ne servent à rien. Jaurès, lui-même, n’a-t-il pas fini assassiné ?
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A l'occasion de la sortie prochaine du nouveau roman de Sylvie Bourgeois "J'aime ton mari" aux éditions Adora, une lecture de présentation du livre à été réa...
extrait page 100 :
... — Mais Raphaël, continue Gaspard, notre petit dernier, est né avec une malformation cardiaque. Il a fallu l’opérer. Il est resté plusieurs semaines entre la vie et la mort. C’était l’horreur. Valérie passait son temps à l’hôpital. Quand notre enfant a enfin pu rentrer à la maison, Valérie, au lieu d’être contente d’avoir son bébé sauvé, n’arrêtait pas de râler après les placards de la cuisine que je n’avais pas encore fixés au mur. Je n’avais jamais le temps. Posés à même le sol, ils étaient à la hauteur de notre aîné dont le grand jeu était de prendre les provisions et de tout faire tomber. Ça l’amusait beaucoup. Valérie, pas du tout. Elle se mettait à hurler que j’étais nul, que je la baisais mal, que j’avais gâché ses plus belles années. Je ne comprenais pas ses reproches. Puis un jour, j’ai compris. Le problème ne venait pas de mes placards, mais du chirurgien qui avait pris soin de Raphaël. Valérie, que j’avais admirée dans son rôle de mère exemplaire, paniquée à l’idée de perdre notre bébé malade, passait en fait ses journées, non pas auprès de notre enfant mourant, mais dans les bras de ce médecin. En larmes ‒ pourquoi faut-il toujours que les femmes pleurent quand elles nous font du mal ? ‒, elle m’a avoué vouloir vivre avec lui. Ils avaient, paraît-il, les mêmes visions de construction de leur avenir. Le mien fut démoli dans la seconde. Boum !
Gaspard mime avec ses doigts la détente d’un coup de pistolet sur sa tempe. Devant la violence du geste, Sophie sursaute et fait un bond en arrière.
— Lors du divorce, poursuit Gaspard, ma femme a tout obtenu, la garde des enfants, de la maison et une pension conséquente calculée sur mes anciens revenus. Je me suis retrouvé criblé de dettes, à vivre dans un studio pourri. Le pire, c’est que je ne supportais pas l’idée que mes fils soient élevés par ce médecin qui n’avait eu aucune éthique en se faisant passer pour un réparateur de bébé afin de séduire Valérie. J’ai pété les plombs. Je me suis mis à picoler. Les placards de mon studio me rappelaient mon aîné. Je les ai détruits à la hache. Je les ai détruits en hurlant. En pleurant. À force de pleurer, toutes mes bouteilles se sont vidées. Quand je n’en pouvais plus, je prenais ma voiture et je roulais pour m’éloigner de ma douleur. Les corniches n’avaient aucun secret pour moi. Le ravin n’était jamais loin. Il m’aurait suffi de ne plus tourner le volant, mais il me fallait rester vivant pour mes enfants. Le petit dernier n’arrivait à s’endormir que posé sur ma poitrine, le rythme lent de mon cœur le rassurait, le pauvre chéri avec sa cicatrice qui le marquerait à vie. Qu’est-ce que j’ai pu rouler ! Je roulais pour aller ailleurs. Pour aller là où je n’étais pas. Je roulais partout et aussi dans ma tête. Surtout dans ma tête. C’était là où je roulais le plus vite. Des images cauchemardesques défilaient devant mes yeux, des cafards par milliers, des araignées gigantesques, des siamoises à la poitrine exubérante. Un jour, j’ai même vu un dauphin déguisé en chirurgien qui faisait de la trottinette. Plus je roulais, plus je le voyais. Pour ne plus le voir, j’ai arrêté de rouler et donc de créer. À partir de là, plus aucune idée ne sortait de mes mains et mes crayons tombaient de ma tête. Valérie a fini par me faire interner dans une clinique psychiatrique. Quand j’ai réalisé que la fenêtre de ma chambre donnait sur l’hôpital où elle avait sucé ce salaud de docteur chargé de réparer mon bébé malade du cœur, ça m’a rendu encore plus dingue. On m’a gardé enfermé pendant deux mois. Pour me soigner de la solitude dans laquelle ma femme m’avait abandonné, j’ai couché avec quelques filles paumées.
Impressionnée de la facilité avec laquelle Gaspard livre son intimité, Sophie toussote. Elle ne s’attendait pas à avoir ce genre de conversations douloureuses à Saint-Tropez. Au royaume de la futilité et des célébrités, elle se demande comment elle s’est débrouillée pour tomber sur la seule personne qui va aussi mal qu’elle, si ce n’est plus mal.
— Ces sirènes maniacodépressives m’ont redonné confiance, reprend Gaspard. Troublée par leur délicieuse asthénie, ma virilité de dauphin-architecte a retrouvé de sa superbe. La nuit, je sautais de chambre en chambre. L’une de ces déesses de la frustration avait raconté aux médecins que mon sexe était une épée magique qui avait réussi à vaincre sa mélancolie, une autre qu’il était la meilleure piqûre d’antidépresseurs qui ne l’ait jamais pénétrée. En fait, leurs psychotropes agissaient sur leurs hormones et stimulaient leur libido. Ça baise beaucoup en HP.
— Ah bon ? s’étonne Sophie avec une petite voix éraillée.
J’ai bien fait de refuser le séjour en maison de repos que m’avait proposé l’hôpital, se dit-elle pendant que Gaspard lui explique qu’après son séjour épicurien dans cette formidable clinique sexuelle, il était retombé amoureux de l’alcool, alors qu’il n’y avait plus droit.
— Je te la fais courte. Quand je suis sorti, je n’en menais pas large. Je n’avais plus d’argent. Quand tu es faible, les charognards viennent te bouffer la laine sur le dos. Des clients ont commencé à ne pas payer mes honoraires comme s’il y avait écrit sur mon front Couillon qui travaille gratuitement pour le plaisir de créer de la beauté. Ce qui n’est pas totalement faux, avoir des idées suffit à me rendre heureux. Les pénalités de retard des impôts, de l’Urssaf, se sont accumulées. J’ai été entraîné dans un engrenage administratif impossible à stopper. Je devais du fric partout. Les huissiers ont fini par débarquer chez moi. Je leur ai dit que j’étais une tortue Hermann, une espèce protégée du massif des Maures, et qu’ils n’arriveraient jamais à m’expulser de ma carapace qui me servait de bouclier pour me protéger de mon salopard de banquier qui avait coupé ma carte bleue. Ça ne les a pas fait rire. Ils ont volé mon scooter. Mais pas ma voiture. Je l’avais bien cachée. N’empêche, ils ont réussi à me mettre à la rue.
— Et tu as fait quoi ? demande Sophie interloquée par cette avalanche de confessions désolantes.
— Calou, continue Gaspard, a proposé de m’héberger dans sa maison près de Rennes, mais je ne voulais pas d’un chez-moi chez lui. Je préférais dormir dans des petits hôtels quand j’avais trois sous. Sinon, c’était dans ma voiture. Mon essence préférée était la vodka. Comme les Vikings. Je commençais mes journées par un grand verre, puis j’allais m’entraîner au tir à l’arc pour pouvoir un jour décocher une flèche empoisonnée dans le cœur du docteur qui avait brisé le mien. Il vaut mieux d’ailleurs que ce vaurien ne croise jamais la route du Viking que je suis devenu. Je ne vais pas rester éternellement le gentil architecte qui se fait tout piquer.
Gaspard se relève sur son siège et se met à chanter à tue-tête :
Les coups ah quand ils vous arrivent
Oh oui, oui, ça fait mal
— J’ai aussi un nunchaku, ajoute-t-il, l’air menaçant.
Sous le choc de la vague de désespoir de Gaspard, Sophie reste muette. Elle aimerait avoir la trousse à outils adéquate pour lui ouvrir le cerveau et percevoir qui il est réellement. Et pourquoi pas, le réparer aussi un peu au passage !
— Et pour clore le tableau, un jour est arrivé où je ne pouvais plus payer mes assurances professionnelles. Il faut savoir qu’en tant qu’architecte, je suis responsable de tous les corps de métier que je fais bosser. Si un plombier rate son évier ou un carreleur son sol, c’est moi qui raque. Sans assurance, je ne pouvais plus travailler. Mon banquier qui trouvait que j’étais déjà trop à découvert a refusé de m’accorder un crédit supplémentaire. Je me noyais et au lieu de me tendre la main pour que je me remette à niveau afin de m’acquitter de mes dettes, ce salopard a appuyé sur ma tête pour me faire couler. N’étant pas à jour de mes cotisations, j’ai été rayé de l’Ordre des architectes. Je n’avais plus le droit d’exercer mon métier. Ce qui est un comble, ajoute-t-il en tapotant affectueusement la cuisse de Sophie, car l’Ordre des médecins n’a jamais daigné répondre à ma plainte concernant un chirurgien voleur de femmes et d’enfants, les miens en l’occurrence. Allez, fous les gaz, Sophie ! Je vais te guider jusqu’à chez moi.
Interloquée, elle règle les rétroviseurs et son siège qu’elle avance au maximum.
— Ah, oui, j’ai aussi oublié de te dire que je suis interdit bancaire. Heureusement, un client me paye au noir sinon je serais mort. La France assiste les escrocs, pas les honnêtes gens. Si j’avais monté une société, j’aurais pu déposer tranquillou le bilan, me mettre au chômage, planter mes fournisseurs et me faire bronzer les fesses avec mes indemnités. Mais en profession libérale, je n’ai aucune protection sociale et je suis responsable jusqu’au dernier sou. Et si je meurs demain, mes gosses hériteront de mes créances. Tu te rends compte, je n’ai même pas de quoi payer l’opération de mon chien qui a un cancer. Et si je ne l’opère pas, il meurt. Et mon saligaud de banquier ne veut pas m’avancer les 1 500 euros dont j’ai besoin. Je t’assure, c’est une sale race, les banquiers, toujours à vous épier. Avec le mien, c’est bien simple, il m’est impossible de travailler. Il passe son temps à me harceler, à se renseigner sur mes futures rentrées. Comme si je le savais ! Je suis architecte, merde, pas comptable. Qu’on me donne des maisons à construire, pas des chiffres à additionner ! Quand j’ai choisi ce métier, j’avais l’ambition d’ériger des musées, de bâtir des tours, de dresser des gratte-ciel, pas de passer mes journées à négocier avec un abruti pour obtenir un crédit. Je suis un raté, Sophie. Voilà, ma petite tourterelle, si toi ou ta copine qui cherche désespérément un mec, vous voulez vous taper un looser, c’est le moment, sourit-il étrangement.
— Comment sais-tu que Géraldine cherche un mec ?
— Ça se sent à dix mille kilomètres qu’elle est seule. C’est désolant d’ailleurs toutes ces femmes célibataires. Si ça ne tenait qu’à moi, je les consolerais toutes, mais elles ne veulent pas d’un paumé. Les filles d’aujourd’hui veulent des vainqueurs. C’est là où elles se trompent. Parce que les vainqueurs, ils n’ont ni l’envie, ni le temps de s’occuper d’elles, puisque ce qui les motive, c’est de gagner !
— C’est ce que je me tue à expliquer à mes copines qui veulent des mecs dont elles puissent admirer la réussite professionnelle, ajoute Sophie, étonnée de la perspicacité de Gaspard. Moi ce qui m’épaterait chez un homme, ce serait sa capacité à m’aimer quoi que je fasse, même quand je suis bête ou que je pue de la bouche ou que je fais des prouts qui chlinguent. Voilà, je veux pouvoir rire avec lui de mes défauts et qu’il soit fier que je sois la seule à lui donner autant de plaisir au lit. C’est ce qui me ferait l’aimer encore plus.
Sophie tourne la tête pour reculer et découvre à l’arrière, cachée sous le brancard, une minuscule machine à laver le linge.
— C’est un problème les habits, dit Gaspard. Comme mon souci est d’être autonome, j’ai toujours une culotte propre dans ma mallette d’architecte. Les nanas apprécient que je sois soigné. Je te promets, le mec qui a un slip de rechange avec lui, il marque des points. J’ai réussi à bricoler un truc pour brancher l’arrivée d’eau de ma machine aux canalisations des maisons des femmes qui m’ont accepté dans leur lit.
— Tu as eu beaucoup de fiancées ?
— Il ne faut pas poser ce genre de questions, ma colombe, elles vont te faire du mal. Sache juste que c’est grâce à toutes ces filles que je suis encore en vie. Quand tu crois que tu n’as plus rien, eh bien, il te reste de bien faire l’amour. C’est le seul luxe des pauvres. Les couples friqués explosent quand ils ne baisent plus ensemble, c’est bien connu. Ma femme a arrêté de baiser quand je n’ai plus eu d’argent. Ce n’était peut-être qu’une grosse pute. Va savoir ?
— Va savoir, répète Sophie, pensive.
— Une grosse pute que j’aime toujours.
...
"Sophie à les boules" le nouveau roman de Sylvie Bourgeois - artsixMic
Sophie pour Noël à les boules, c'est normal, c'est de saison ! Sophie à les boules, c'est le titre du nouveau roman de Sylvie Bourgeois qui sortira en librairie le 1 décembre. Le joli cadeau à...
http://www.artsixmic.fr/sophie-a-les-boules-le-nouveau-roman-de-sylvie-bourgeois/
Sylvie Bourgeois - ArtSixMic
Chapitre 1
– Je ne peux pas continuer. La dernière fois, quand vous vous êtes mise à quatre pattes, j’ai bien vu que vous aviez fait exprès de me montrer votre string rose qui dépassait de votre pantalon.
Abasourdie d’entendre de telles inepties de la part de son psy, Sophie demeure bouche bée. Sa décision d’entamer une psychothérapie s’était concrétisée, il y a un, an chez son médecin généraliste.
– Depuis que j’ai arrêté la pilule qui me provoque des migraines, j’ai peur de tomber enceinte. Du coup, je repousse de plus en plus souvent Benjamin. Je suis devenue le genre de femme qui se relève la nuit pour manger au lieu de faire l’amour. C’est n’importe quoi.
– J’adore votre raccourci, avait-il répondu, stupéfait. J’ai dans ma bibliothèque le livre d’un psychologue américain qui met neuf cents pages à expliquer ce que vous venez de me dire en une phrase. Qui êtes-vous ?
– Une femme-enfant qui ne sait pas vivre sans un homme qui l’aime.
– Voulez-vous revenir m’en parler ?
– Je préférerais le faire avec un professionnel.
Exigeante sur son choix, elle avait détaillé avec précision ses critères de sélection. Il lui fallait un psychiatre, dix années d’études la tranquilliseraient. Un homme, de crainte qu’une femme, par jalousie, la conseille de travers. Freudien, des séances régulières de quarante-cinq minutes l’aideraient à se structurer. Qu’il soit âgé pour bénéficier de sa longue expérience. Et qu’il ait déjà publié des textes.
– Il me faut quelqu’un qui ne rentre pas dans mon jeu et sache me résister. Quand je me sens fragile, comme en ce moment, je veux séduire la terre entière en faisant mes petits yeux charmants, et j’oublie de faire travailler mon cerveau, c’est idiot, non ?
– Pour vous, je n’en vois qu’un, le docteur Picard, c’est une sommité dans son métier.
*
Picard continue sur sa lancée :
– Vous m’avez aguiché. Cela peut arriver dans tout travail analytique, mais déontologiquement, je suis obligé d’arrêter nos entretiens. Si vous le souhaitez, je peux vous donner l’adresse d’un confrère.
Après une longue inspiration pour essayer de se calmer, Sophie se rebelle d’une voix tremblante qui trahit son anxiété.
– Je ne vois pas de quoi vous parlez. Je ne me suis jamais mise à quatre pattes. Je me souviens très bien de vous avoir demandé la permission d’utiliser la prise électrique située derrière mon fauteuil pour recharger la batterie de mon téléphone, et je me suis baissée très élégamment pour l’atteindre.
Furieuse d’avoir été obligée de se justifier, elle ne parvient pas à analyser les sentiments contradictoires qui jaillissent en elle. D’un côté, elle se sent puissante d’être parvenue à anéantir ce roc de savoir et de culture, et de l’autre, dépitée que cet homme, sa seule bouée de secours, se soit écroulé comme un énorme gâchis.
– Et manque de pot pour vous, ajoute-t-elle sur un ton triomphal, je n’ai pas de string rose. C’est bien simple, je n’en ai même jamais porté.
Elle réalise mais trop tard qu’elle aurait mieux fait de se taire.
– C’est vrai quoi, pour une fois que je prends le temps de comprendre qui je suis et quelle place j’occupe sur cette putain de terre, je ne vais pas détruire le travail précieux que je fais chez vous à raison de deux ou trois séances par semaine, à cause de vos états d’âme.
– Mais…
– J’en ai marre que l’on me prenne pour celle que je ne suis pas. Vous allez me dire que c’est de ma faute à être toujours joyeuse même quand je suis au fond du trou. Du coup, c’est sûr, ça provoque des malentendus. En même temps, je n’ai pas envie de changer ma personnalité uniquement parce que la plupart des mecs confondent sourires et avances. Surtout que je suis tout sauf une allumeuse. Vous me croyez au moins quand je dis ça ? Même si je sais qu’en tant que freudien, vous remettez toujours en cause ce que vous dit un client, enfin, je veux dire un patient.
Voyant que la fin de sa séance approche, elle conclut sèchement :
– Voilà ce que je vous propose, vous réfléchissez à tout cela et on en reparle mercredi. Ça vous va ?
Bouleversée d’avoir réussi à inverser les rôles, Sophie se met à hoqueter. Confuse, elle se lève, tend son chèque et sort.
*
L’air frais de fin novembre l’aide à retrouver ses esprits. Un string rose ! Quel grand couillon ! soupire-t-elle en pénétrant dans le métro.
Il est 18 heures. Elle a juste le temps d’aller au Bon Marché choisir une brassière pour tenir sa poitrine lorsqu’elle fait ses footings. La sienne n’a plus d’élastique. Sa brassière. Pas sa poitrine. Comme le rayon sport jouxte celui de la lingerie, Sophie en profite pour acheter un ensemble soutien-gorge. Ce n’est qu’en payant à la caisse qu’elle réalise que sa culotte est… un string et que celui-ci est… rose.
Salopard de psy ! peste Sophie. Offusquée de s’être transformée aussi rapidement en jouet du docteur Picard, elle saisit d’un geste irrité le paquet que lui tend la vendeuse et n’a plus qu’une envie : le jeter dans la première poubelle venue. Ce qui, à part de lui faire perdre 60 euros, ne lui apporterait rien. Contrariée, elle se sent moche et redevient une petite fille perdue qui a besoin d’être éperdument consolée. Elle téléphone à Benjamin.
– Salut ! Ça va ? demande-t-elle d’une voix fluette en faisant tourner ses cheveux entre ses doigts.
– Tu te souviens que j’existe ?
– Tu ne vas pas me faire une quiche parce que je ne t’ai pas appelé depuis trois jours. Je ne suis pas en forme. Rien ne va dans ma vie. J’ai l’impression que je mets toute mon énergie pour la rater. Tu fais quoi ce soir ?
– J’ai un dîner.
– Je peux venir avec toi ? Si vous allez au resto, je t’invite. Profite ! Pour une fois que je suis généreuse, plaisante-t-elle.
Face au silence de Benjamin, Sophie comprend que celui-ci a l’impression d’être pris pour le bouche-trou de service.
– Ta Frappadingue t’a abandonnée ?
– N’importe quoi ! Dis-moi oui. J’ai envie de te voir, minaude-t-elle.
– Tu sais quoi, tu me fatigues.
– Laisse tomber.
– Ah, non ! Tu ne vas pas me faire culpabiliser. Ce n’est pas moi qui ai décidé de faire un break.
– Écoute, on ne va pas revenir là-dessus. Ça t’ennuie si je dors à la maison ?
– C’est bon. Tu as gagné.
– Quoi ?
– Le frigidaire est vide. Où veux-tu que je te retrouve ?
– Je peux passer te prendre à ton bureau, murmure Sophie, soulagée. Je suis à deux pas.
– D’accord, mais tu ne montes pas.
– C’est nouveau ?
– Ça déstabilise les autres de te voir. Ils n’arrivent pas à savoir si l’on est toujours ensemble ou pas, assène Benjamin, froidement.
– J’espère que tu leur as dit que oui.
– Non.
– Pourquoi ?
– Tu ne te souviens pas qu’au pot de départ de Laurent, tu as raconté que tu avais déménagé une partie de tes affaires chez une copine ?
– Ils m’horripilaient à ne parler que de leurs gosses. J’avais envie de leur montrer que notre union était atypique et pimentée, ajoute-t-elle, déçue que Benjamin soit aussi sensible au qu’en-dira-t-on dont elle se fiche totalement.
– Je me demande si tu n’es pas devenue folle, ma pauvre fille.
– Faux ! Mon psy me trouve très intelligente.
J’aurais pu trouver mieux comme réplique, bouillonne-t-elle. Mais il y a une chose que je ne supporte pas, c’est qu’on me traite de folle. Je suis différente, certes, mais pas barge.
– Tu sais quoi, Benjamin ? Va dîner avec tes copains. Ça évitera de nous engueuler.
*
Qui a deux maisons perd la raison ! chantonne amèrement Sophie en raccrochant. Depuis cinq mois, elle se partage entre le domicile conjugal avec Benjamin et le sublime appartement d’Alix. Ce qui veut dire qu’elle a deux couettes, quatre oreillers, deux pèse-personnes, des fringues éparpillées partout et chaque soir, l’angoissante question de savoir où dormir, ce qui la déstabilise, mais pour le moment, elle n’a pas d’autre solution.
Tout avait commencé un samedi après-midi. Sortant d’un déjeuner avec sa meilleure amie, Géraldine Chambon, Sophie avait surpris Benjamin regarder d’un air attendri les couffins et les habits de bébé chez Bonpoint. Le soir-même, elle lui annonçait qu’il était temps qu’elle lui rende sa liberté car jamais elle ne fonderait une famille. Même si leur rupture lui brisait le cœur, elle se sentait incapable de lui demander de renoncer à son désir de paternité. Chaque fois qu’ils évoquaient le sujet, elle répondait qu’elle refusait de prendre le risque de faire un gosse qui, en grandissant, pourrait ne pas lui plaire. C’est vrai quoi, répétait-elle avec gravité, tous les humains ne sont pas formidables. Il y a beaucoup de malveillants. Pourquoi le mien, parce qu’il serait sorti de mon ventre, ne deviendrait-il pas un odieux personnage qui me gâcherait la vie ? Elle refusait également de devenir l’esclave de sa progéniture qu’il faudrait accompagner à l’école ou aux anniversaires. Sa décision créait de l’agressivité chez certaines de ses copines qui lui reprochaient d’abandonner la principale fonction de la femme sur terre. Le poids de la procréation était un labeur que toutes devaient se partager au nom de la sauvegarde de l’espèce. Il n’était pas courageux de s’en désolidariser avec autant d’insouciance. D’autres lui prédisaient une vieillesse aigrie lorsqu’elle réaliserait qu’elle ne laisserait aucune trace derrière elle. Il n’y avait que Géraldine, dont le rêve était d’avoir un enfant, qui compatissait. Elle avait vu Sophie si choquée à la mort de sa mère, quinze ans auparavant, suivie deux mois plus tard du suicide de son père, qu’elle concevait que celle-ci soit incapable de se projeter dans la maternité, par peur de souffrir si le nouvel objet de son adoration devait, à son tour, disparaître.
Jamais Benjamin ne lui avait fait de chantage affectif, mais il avait usé de tous les arguments qu’un homme épris pouvait inventer pour tenter de la convaincre : elle serait une mère remarquable. Avec son sens de l’éducation, le bébé serait propre dès neuf mois, comme elle au même âge. La grossesse épanouirait sa féminité. Avec sa chance de ne jamais prendre un gramme, elle retrouverait son poids sans problème. Il voulait prolonger leur amour dans la création d’un être qui rassemblerait leurs gênes pour continuer d’exister après leurs morts. Il n’avait jamais lâché l’affaire tant il lui était essentiel de se reproduire.
Malgré toutes ces déclarations d’amour, Sophie n’avait jamais cédé. Désespérée que sa présence ne suffise plus à rendre Benjamin heureux et qu’un hypothétique bébé puisse envenimer leur relation au point de ne plus arriver à imaginer leur avenir ensemble, elle avait commencé à tomber dans de grands excès de mélancolie. Elle qui avait toujours été dynamique et positive ne se reconnaissait plus. Asphyxiée par le poids d’une terrible angoisse, elle se sentait sombrer sous une lourde chape de plomb. Exempte de tout désir, chaque geste dorénavant lui coûtait. Même saisir son téléphone pour décaler un rendez-vous professionnel lui était devenu difficile. Elle passait des journées entières, allongée sur son lit, à ressasser les erreurs de son passé, à regretter d’anciennes amitiés avec lesquelles, intolérante et intransigeante, elle s’était fâchée, à se reprocher d’avoir refusé des propositions de travail alléchantes de crainte de voir sa liberté s’émousser. Puis elle s’endormait parmi les héros de ses séries américaines préférées qui se mêlaient au décor de la maison de ses parents. Vacillant entre réalité et fiction, elle se réécrivait une existence dans laquelle elle évoluait vers un avenir radieux, couverte d’amour, pire que si elle était redevenue une adolescente incapable de se prendre en mains.
Sylvie Bourgeois "J'aime ton mari"
A l'occasion de la sortie prochaine du nouveau roman de Sylvie Bourgeois "J'aime ton mari" aux éditions Adora, une lecture de présentation du livre à été réalisé par la comédienne Florence ...
Florence Darel lit J'aime ton mari de Sylvie Bourgeois au Café de Flore - Paris
1990. Mon premier Festival de Cannes
Je suis amoureuse de Sylvain depuis deux mois.
Il veut bien me voir de temps en temps, mais pas pendant le Festival de Cannes. Je pars donc me faire consoler chez ma mère. À Monaco. Du coup, je vais faire un tour à Cannes, et fais une entrée remarquée dans le bureau de Sylvain au Carlton, lunettes noires, foulard assorti à mon rouge à lèvres, talons de dix. Je ne sais pas si c’est à cause du playboy bronzé en Porsche qui m’accompagne, mais Sylvain devient subitement très disponible, et me propose de rester dormir avec lui.
J’ai gagné son cœur et des places au balcon.
Mon deuxième festival
Je dis à Sylvain que je ne veux plus jamais de places au balcon, mais en bas près des stars. Sylvain râle, mais comme maintenant il m’aime, il m’installe entre Madonna et Naomi.
Mon troisième
Je veux moi aussi faire comme tout le monde, être pressée, courir, avoir l’air débordé. J’organise un atterrissage en parachute des tortues Ninja sur la plage du Carlton. Je les promène aussi sur la croisette en roadster Mercedes framboise et leur fais monter les marches du film Boyz’n the Hood pour voler la vedette aux stars blacks venus de LA soutenir John Singleton. Le distributeur du film est furieux, Sylvain aussi. Je m’en fous, j’ai obtenu la Une du journal télé.
Mon quatrième
Je ne veux plus travailler à Cannes, je préfère m’amuser.
Sylvain a maintenant cinq talkie, trois portables et cent passes autour du cou.
Je l’appelle toutes les cinq minutes.
- Nathalie voudrait une invit, Séverine aussi, et Mélanie, cinq. Tu me les déposes à l’hôtel ? Tu nous envoies aussi une limousine pour aller au ciné ? C’est leur première fois, ça les fera marrer.
- Tu crois que je n’ai que ça à faire Sophie ? Je suis avec Stallone sur le toit d’une voiture, ce con a voulu se promener sur la croisette, on a été assailli par la foule.
- Bon quand tu auras fini de faire le cacou, tu m’apporteras aussi des tee-shirts et des casquettes Cliffhanger pour mon plagiste du Gray d’Albion ?
Mon cinquième
Je suis dans une Mercedes assise à côté d’un Américain et de son épouse. Je décide de mener la conversation.
- Hi ! I’m Sophie. You are family of Bruce ?
- No.
- You work with him ?
- No.
- What are you doing in this car so ?
- We want to go to restaurant Colombe d’Or.
Sylvain et ses gardes du corps ont été si pressés de faire sortir Bruce Willis de l’hôtel du Cap qu’ils ont embarqué dans le cortège officiel ce couple de retraités endiamantés qui attendaient sagement leur taxi pour aller dîner à Saint-Paul de Vence.
Mon sixième
Cheveux au vent, sur un yacht avec Sylvain, Sharon Stone, et une nuée d’Américains.
- You are family of Sharon ? me demande un big Jim.
- No.
- You work with her ?
- No.
- What are you doing on this boat so ?
- I just want you to drop me at Palm Beach.
Mon septième
Le star system a tellement déteint sur moi que je me suis foulée le bras en dormant. Avec mon plâtre, il suffit que je raconte mon anecdote pour déclencher l’hilarité. Un producteur hollywoodien adore pitcher ce qu’il m’est arrivé, ah ah ah she brokes her arm while sleeping ah ah ah ! Il veut même en faire un film !
Mon huitième
- Allo, monsieur le directeur de l’hôtel Gray d’Albion, je vous explique, d’ici une heure, je vais vous appeler pour vous commander un petit-déjeuner, ce sera en fait un code pour que vous appeliez les pompiers, je les ai déjà prévenus, ils attendent votre coup de téléphone pour venir chercher un ami qui a une crise de bouffées délirantes.
- Dans mon hôtel ?
- N’ayez pas peur, monsieur, il n’est pas dangereux, il adore seulement le cinéma.
Deux heures plus tard, mon copain qui se prend pour le fils de John Lennon entouré de ses gardes du corps, exige qu’on le fasse sortir par la grande porte de l’hôtel.
- Ça ne va pas se passer comme ça, je vais me plaindre à Sophie, elle dirige le Festival de Cannes.
Mon neuvième
- C’est qui monsieur Poulet ?
- Un ami de Sophie, certainement un producteur important, répond Sylvain à son assistante.
- Je le mets au carré cinéma ?
- Ben oui.
C’est ainsi que mon vendeur de poulets fermiers s’est retrouvé assis à côté d’Emmanuelle Béart et d’Harvey Keitel. L’été d’avant, ayant adoré ma casquette Men in Black, il m’avait dit que son rêve serait de monter les marches du Festival. Depuis, il s’est lancé dans l’organisation de soirées à Saint-Tropez.
Mon dixième
Allongée sur un matelas de la plage du Carlton, j’explique à une amie qui veut devenir comédienne le lexique codé de Cannes.
QUAND QUELQU’UN TE DIT :
Tu es descendu où ?
EN VRAI, ÇA VEUT DIRE :
Dis-moi où tu en es dans ton ascension sociale ?
Tu es venue toute seule ? :
Je te sauterai bien.
J’ai un projet qui pourrait t’intéresser :
Idem précédent.
Tu as la carte pour la boîte d’Albane ? :
Je veux savoir si tu es has been ou pas ?
Tu as des places pour le film de ce soir ? :
Tu en as une pour moi ?
Tu as des places en bas ou au balcon ? :
Fais-tu partie des gens qui comptent ?
Tu as une invit pour la soirée Canal ? :
Est-ce que je peux te coller ?
Tu as une invit pour le dîner de Martin Scorcese ? :
N’oublie pas que je suis ton pote… mais que je t’oublierai une fois assis à table.
Il faut absolument que l’on se voie :
Je cherche du travail, je suis désespéré.
On s’appelle à Paris ? :
Lâche-moi ! De toute façon, je ne t’appellerai jamais, je n’ai pas ton numéro de téléphone.
Tu es arrivé quand ? :
Décidément, depuis dix ans que l’on se connaît, on a vraiment rien à se dire.
Tu es dans un appartement ?
Je peux te squatter ?
Tu es au Carlton ? :
Qui a pu l’inviter ?
Tu es à l’hôtel du Cap ? :
Merde, il a fait une meilleure année que moi.
Tu vas où ? :
Tu m’invites à déjeuner ?
Tu as des projets en ce moment ? :
J’essaye de te mettre mal à l’aise, car moi aussi je galère.
Tu restes tout le festival ? :
Merde, il est plus riche que moi ou bien il doit chercher du boulot.
Mon onzième
J’ai quitté Sylvain, mais on continue de se voir.
Un ami producteur m’invite trois jours pour un projet de boulot. En arrivant à Cannes, je m’aperçois que c’est dans sa chambre. Je deviens folle.
- Connard, je m’en fous, je reste, je vais faire mettre deux lits, et tu vas souffrir. Ah oui, et puis même si tu ne me sautes pas, tu as intérêt à m’emmener déjeuner et dîner partout avec toi.
Le dernier soir, je dîne avec Sylvain qui ne digère pas.
Mon douzième
A force de se voir tous les jours, Sylvain et moi, sommes de nouveau ensemble. A Cannes, il s’occupe si bien de moi que Nicole Kidman a fini par se plaindre.
Mon treizième
Sylvain et moi, c’est vraiment fini. Depuis que j’ai monté ma société de production, il n’a pas supporté d’être devenu mon assistant.