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Sylvie Bourgeois Harel

Sylvie Bourgeois Harel

J’aime la langue française pour sa précision et je m’efforce toujours de ne parler que de ce que je connais. Et le viol, je connais. J’ai été violée à 20 ans. Dans une voiture fermée à clef. Un cran d’arrêt sous la gorge. Je me suis débattue mais la lame était là, contre ma peau, bloquant ma respiration, signant ma mort si je bougeais trop. Ce drame a détruit ma féminité. Je n’en ai jamais parlé. J’avais trop honte. Tout était de ma faute. Si je n’avais pas fait de stop. Si je n’avais pas été aussi idiote. Si je ne fuyais pas constamment ma famille. J’étais dans l’incapacité de le raconter. La seule personne à qui j’aurais pu le raconter était ma mère. Mais je ne voulais pas lui imposer ma honte et encore moins ma douleur.

 

Alors je me suis tue. Pendant 20 ans. Je n’ai commencé à en parler, et qu’à demi-mots pour ne pas réveiller justement cette douleur tapie dans le bas de mon ventre, que dans mon premier roman. Mon écriture a ceci que même lorsque je veux taire des sujets, ils ressortent entre les phrases, comme si les mots tapaient à la porte de mon cerveau en hurlant : et bien si tu ne veux pas parler, nous, on parlera à ta place.

 

Puis j’ai vécu ma vie. J’ai longtemps fui les hommes qui m’aimaient. J’allais vers ceux qui allaient me détruire encore un peu plus. J’ai donc eu des mauvaises expériences. Et je peux affirmer qu’une mauvaise expérience, ce n’est pas un viol. Une mauvaise expérience, c’est coucher avec un homme juste parce que celui-ci en a envie, parce que l’on croit que ça va être bien, parce que l’on a besoin d’être aimé ou pour des tas d'autres raisons. On en sort évidemment sali, frustré, déçu, triste, dégoûté, effaré, mais ce n’est pas un viol, on peut même avoir envie de le refaire, de revoir la personne, de revenir voulant croire que la deuxième fois sera mieux, fantasmant quelque chose qui n’existe pas, mais ce n’est pas un viol.

 

Il ne faut pas confondre viol et mauvaise expérience. Et c’est là que la richesse de la précision du vocabulaire de la langue française intervient ou devrait intervenir pour ne pas tomber dans une confusion qui frise l’hystérie, qui incite à l’excès, qui entraîne presque au mensonge afin d’exacerber encore plus l’émotion de l’horreur pour exciter les foules.

 

Viol et mauvaise expérience expriment des situations radicalement différentes. Le viol est un drame d’une violence inouïe dont l’on ne sort jamais indemne. La mauvaise expérience est certes désagréable mais, si l’on veut être honnête, et c’est primordial d’être honnête vis-à-vis de soi-même, et quelques soient les raisons, on y est allé consciemment, on a accepté, on s’est peut-être fait avoir, mais on y croyait un peu, on en est donc un peu responsable aussi. Ce qui n’excuse pas le comportement des sales types. Mais parfois, on peut être attiré, et pour trois mille raisons, par un sale type. C’est donc à soi-même qu’il faut se poser cette question.

 

Et qui a dit que la vie était facile, et que les hommes et les femmes étaient des anges ? Qui veut nous faire croire qu’il y aurait une assurance tous risques pour toutes nos relations ?

 

Pour le respect des victimes de viol, ne confondons jamais viol et mauvaise expérience, ni violeur et sale type ou sale femme, car les femmes aussi peuvent agresser, ce n’est pas l’apanage de l’homme.

 

Sylvie Bourgeois Harel

 

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(...) C’est le début de l’automne, le mardi 4 octobre exactement. Madeleine a 19 ans. Elle est en deuxième année aux Beaux-Arts de Nice. Ses professeurs croient en cette jeune fille silencieuse et excessive. Il est 15 heures. Tandis qu’elle jette des éclats de peinture violette sur du papier pour dessiner des bougainvilliers, son professeur l’interrompt, on la demande au téléphone. Au bout du fil, leur voisine, la mère d’Emma, lui explique qu’elle doit rentrer au plus vite, sa mère a fait une tentative de suicide en avalant des médicaments. Elle est à l’hôpital entre la vie et la mort. Madeleine se précipite à la gare où une grève surprise l’empêche de prendre un train pour Menton. Sans réfléchir, elle descend l’avenue Jean-Médecin, s’arrête à un feu rouge et fait du stop. Elle est vêtue d’un pull angora blanc que sa mère lui a tricoté, d’une jupe qu’elle s’est cousue en cuir vieilli marron, de collants opaques, et d’une paire de boots plates façon santiags mais pas trop pointues.

 

Une Rolls s’arrête. Avec la proximité de Monaco, ce genre de berline est courant. Madeleine ne se méfie pas. Le conducteur d’une quarantaine d’années se dit italien. Il parle beaucoup. Vite. Avec un accent prononcé qui n’est pas forcément italien. Il pose des tas de questions à Madeleine. S’intéresse à ses études. Lui aussi, il aime le dessin. Mais il n’est pas doué. Il prend la direction de la Grande Corniche afin d’éviter les embouteillages habituels parait-il, à cet endroit. Soudain, il prétexte un raccourci et bifurque sur un chemin étroit qui mène à une forêt. Il roule vite. La route principale s’éloigne. Le destin de Madeleine bascule. Elle a compris. Mais c’est trop tard. L’homme condamne les portes de la voiture et s’enfonce dans un sous-bois. Il ne parle plus. Il se tait. Il est concentré. Le cœur de Madeleine crie au secours, à l’aide. Mais personne ne l’entend. Il résonne dans le vide. Elle pense à sa mère qui a désiré mourir. Elle cherche comment fuir de cette carcasse qui sent déjà le drame. Mais il n’y a pas d’issue. Elle serre les jambes. Elle se dit qu’elle doit lui parler.

 

— Vous faites quoi ?

— On va faire une petite promenade, toi et moi.

— Non, non, je n’ai pas le temps, ma mère est à l’hôpital, je devrais déjà être auprès d’elle s’il n’y avait pas eu cette grève des trains.

— Pense plutôt à toi, ma jolie, profite, tu es belle.

 

L’homme se gare sous un arbre, loin des maisons et des regards. Il éteint son moteur et se jette sur Madeleine en lui maintenant le menton d’une main et les poignets de l’autre. Elle est prise au piège. Elle revoit la cave de son enfance. C’est la même odeur. La même odeur de peur. La même odeur de prédateur. La même odeur de souffle haletant. Madeleine ne respire plus. Sa colonne vertébrale se glace. Ses épaules se momifient. Son ventre se bloque. Le temps s’arrête. Sa jeunesse aussi. Elle ne sera donc jamais heureuse. La mort, peut-être ? Son intimité hurle. Elle cherche des yeux un objet pour se défendre. Rien. Elle ne peut pas arracher le volant. Elle n’a que ses boots plates avec le bout pas très pointu pour ne pas faire trop santiag. Et dans sa besace kaki d’étudiante, des pinceaux et des tableaux. Des couleurs et de la douceur. Rien pour parer à l’horreur. L’homme lui serre le cou pour la maîtriser et l’empêcher de respirer, puis d’un geste rapide descend le siège passager et s’écrase sur elle en lui dévorant les lèvres. Il lui marmonne qu’elle est belle et qu’il va lui acheter des beaux habits si elle est gentille et se laisse faire. Madeleine lui répond d’une voix étouffée qu’elle n’en veut pas, qu’elle se les coud elle-même, qu’elle déteste les boutiques. Elle essaye de se dégager pour lutter et se battre. Mais plus elle bouge, plus l’homme frotte son sexe durci contre elle. Et cette impossibilité de crier. Cette impossibilité de hurler, d’appeler au secours. Cette certitude que c’est foutu. Qu’il n’y a pas d’issue. Se dire que la souffrance est un éternel recommencement. Que tout va recommencer. Qu’elle a déjà connu cette sensation. D’être asphyxiée. Dépossédée. Annihilée. Que la vie est un poids. Un fardeau.

 

En un fracas, le conducteur sort de sa poche un couteau. Un cran d’arrêt. Shlack ! La lame qui menace. La lame sous la gorge. La lame contre laquelle il est impossible de lutter. La lame qui lui dicte sa destinée. Il n’est plus question de bouger, ni de gigoter, ni de se débattre. Il n’est plus question de rien. Elle n’est qu’une fille sans importance. Il est inutile d’offrir à cet homme mes larmes, se dit Madeleine en pensant à sa mère, elle aussi, entre la vie et la mort.

 

Les deux bras maintenus et rejetés en couronne au-dessus de sa tête, Madeleine est un sacrifice dédié à une divinité qui n’existera jamais. L’homme lui relève sa jupe en cuir vieilli marron et, avec la lame, déchire son collant opaque et sa culotte en coton. Et entre en elle. Madeleine s’anesthésie pour s’extraire de la douleur. De nouveau. Pour disparaître de son corps. Pour s’envoler. Ma souffrance n’expiera aucun péché, se répète-t-elle. Ma douleur ne servira aucune cause, excepté celle de servir d’obole à un individu sans vertu. Encore. Encore et toujours, je resterai cette petite fille sans importance.

 

Elle pense à monsieur Montmort. Elle regrette de ne pas lui avoir tout dit. Elle aurait dû insister. Et écrire sur son journal intime. Au lieu de cela, elle s’était fermée. Enfermée. S’était fermée au plaisir. Au sourire. À la joie. À l’insouciance. À l’adolescence. Plutôt que d’accepter de mourir, elle aurait dû écrire. L’écrire. Le décrire. Sans peur. Ni terreur. Ni effroi. Il lui avait promis qu’en se taisant, elle achèterait sa protection. Elle n’avait fait que stagner, pétrifiée dans le lit du désarroi, ouverte à ceux qui voulaient en profiter.

 

Madeleine est à présent recroquevillée dans l’herbe humide. Ses carnets de dessin, jetés à ses côtés. Sa besace kaki d’étudiante, renversée. Elle regarde ses crayons et ses pinceaux. Toute cette douceur souillée. Toutes ces peintures humiliées. Toutes ces couleurs bafouées. L’homme l’a poussée hors de la voiture en lui assénant qu’elle était trop conne, si elle avait été plus gentille, il lui aurait offert un beau tailleur.

 

Après avoir jeté en boule son collant déchiré et sa culotte ensanglantée au fond de sa besace, Madeleine marche jusqu’à une route pour prendre un bus. Son pull angora blanc transpire les effluves de sueur de son agresseur. Lorsqu’elle arrive chez elle, il fait nuit. Son père est absent. Elle téléphone à la voisine. (...)

(extrait)

Tous les prénoms ont été changés. Roman de Sylvie Bourgeois Harel
Tous les prénoms ont été changés. Roman de Sylvie Bourgeois Harel
Tous les prénoms ont été changés. Roman de Sylvie Bourgeois Harel
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EN ATTENDANT QUE LES BEAUX JOURS REVIENNENT (roman que j'ai signé Cécile Harel)

... Sauf qu’un matin, il a plu. On a eu notre journée de congé. J’ai enfilé ma robe débardeur en daim beige avec mes bottes plates assorties, et je suis partie en stop à Sainte-Estelle voir ma mère. Elle me manquait. Une Rolls m’a pris. Il avait l’air gentil. À moins que ce soit la berline la cause de cette impression. Il y avait des embouteillages, alors il a bifurqué sur un petit chemin. On s’est retrouvé dans la campagne. Je ne me suis pas méfiée quand il m’a répété que j’étais jolie et qu’il aimerait m’offrir un grand coiffeur et des beaux habits. Mais quand il a fermé la voiture et s’est arrêté dans un terrain désert bordé d’arbres au dessus d’une colline, c’était trop tard. Je ne pouvais plus m’enfuir. Mon corps s’est glacé. L’effroi est revenu. C’était foutu. Je n’arrivais pas à crier. J’ai essayé de le taper, de lui échapper. J’ai tout tenté. Il ne m’a laissé aucune issue. Ce n’est pas vrai qu’on peut s’enfuir quand un homme est sur vous et qu’il vous tient et vous menace avec son couteau planté sous votre gorge. Et quand il vous donne des coups, et vous tire les cheveux, et vous tord les poignets, et vous colle contre lui pour vous maitriser et déchirer votre culotte, vous ne pouvez ni le mordre, ni le tuer. Quand il s’est enfoncé, je n’ai pu que haïr les hommes. Encore. Je me suis tellement débattue que j’ai réussi à ouvrir la porte. J’ai cru pouvoir décamper. Mais il m’a rattrapée et m’a collée la tête contre un arbre. Ma seule victoire a été qu’il n’arrive pas à éjaculer en moi. Ça l’a énervé. Il a hurlé que j’étais trop conne. Si j’avais été plus gentille, il aurait fait de moi la reine de Saint-Tropez. Je me suis sentie tellement sale que je n’ai pas noté son numéro d’immatriculation. Je ne l’ai pas dénoncé aux policiers non plus. Je n’en ai pas parlé. Le silence comme protection. Le silence en destruction. Le silence en négation. La douleur, de toute façon, je savais depuis longtemps comment l’anesthésier. Tout comme la jouissance d’ailleurs. Ça ne m’était jamais venu à l’esprit que mon vagin pouvait servir à me donner du plaisir. C’était ma boîte à secrets, fermé. Avec une clef d’effroi. Point. Ma boîte de Pandore. Inutile de l’ouvrir.

J’étais seule responsable du choix de ma si jolie robe en daim beige avec les bottes plates assorties. C’était écrit. Comme une continuité. À force de fuir ceux qui m’aimaient pour ne plus être aimée, je faisais de mon corps une victime toute tracée. Je suis rentrée à pied, en bus, je me suis lavée dans la mer, puis je suis allée chez Sénéquier m’acheter des brioches et des pains au chocolat et des tartes et des croissants pour me faire croire que c’était à cause de toutes ces pâtisseries que j’étais autant écœurée.

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  • : Sylvie Bourgeois Harel, écrivain, novelliste, scénariste, romancière Extrait de mes romans, nouvelles, articles sur la nature, la mer, mes amis, mes coups de cœur
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