L’autre jour, je croise une personne que je n’ai pas vue depuis vingt-sept ans et avec laquelle, enfant, j’ai joué pendant toutes mes vacances d’été. Je vais l’appeler W. La dernière fois que j’ai vue W, c’était dans un tribunal. Un mois auparavant, W, sa mère, son mari, avaient cassé la gueule de l’un de mes frères. À 22 heures, ils avaient pénétré dans notre maison de vacances dans laquelle mon frère habitait et ils lui avaient tout simplement pété la gueule. Sans raison. Ou alors peut-être voulaient-ils lui remettre les idées en place. Comme si les idées se remettaient en place à coups-de-poing.
Nos parents étaient décédés depuis six mois. Enfant, mon frère était le plus intelligent de nous quatre. Mais à 20 ans, il a commencé à avoir des troubles psychiatriques qui ont entraîné des internements suivis de périodes de rémission au cours desquelles il faisait de magnifiques photos et des voyages dans le monde entier. Il m’expliquait également à quel point sa maladie lui provoquait des maux de tête qui le faisaient atrocement souffrir.
Tout cela était évidemment très triste de voir ce beau et brillant garçon, de quatre ans de plus que moi, partir dans un univers fait de délires et de paranos. Le décès de nos parents, à l’approche de ses 38 ans, l’avait, évidemment, encore plus fragilisé.
Une fois ses agresseurs partis, mon frère, en sang, a donc appelé les pompiers qui l’ont amené à l’hôpital où les médecins ont ordonné une ITT de dix jours, ce qui a entraîné une plainte d’office qui a abouti à un procès. Je suis allée voir W, sa mère, son mari, pour leur proposer de faire plutôt une médiation familiale. Ce à quoi, ils m’ont répondu que tout était de ma faute, si je ne donnais pas de l’argent à mon frère, celui-ci serait dans la rue avec les clochards, là où était sa place.
W, sa mère, son mari, ont pris un avocat, un ténor du barreau, pour faire interner mon frère à vie. De notre côté, nous avons pris une jeune avocate qui venait d’ouvrir son cabinet. Nous avons gagné le procès. Ils ont été condamnés à payer une amende à l’état et une à mon frère qu’ils ne lui ont jamais payée.
Le lendemain, j’ai appelé la mère de W avec laquelle j’ai été très proche pendant de longues années, aidant ses autres filles à trouver du travail, pour lui dire que la justice les avait jugés, mais pas moi. Que nous allions laisser passer un peu de temps, et que nous allions ensuite réapprendre à nous parler. Ce à quoi, elle m’a répondu que tout était de ma faute, si je ne donnais pas de l’argent à mon frère, celui-ci serait dans la rue avec les clochards, là où était sa place. C’était leur leitmotiv. J’étais responsable d’aimer et d’aider mon frère.
Je ne les ai plus jamais revus. Jusqu’à l’autre jour où je suis tombée sur W. Elle était de dos. Toute contente, ayant oublié leur malveillance, je lui ai lancé un joyeux coucou ! Elle s’est retournée et me voyant toute souriante, elle m’a insultée et traitée de salope.
J’ai respiré calmement afin que sa méchanceté ne puisse pas parvenir jusqu’à moi. Je lui ai juste dit : et bien, dis donc, toute la haine que tu as en toi ne t’a pas rendue jolie. Et je me suis éloignée pleine de l’amour de mes jolis souvenirs lorsqu’enfant, je jouais gaiement avec W.
Sylvie Bourgeois Harel.