Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
/ / /
Mes trois grands frères, ils ne sont pas morts. Et c’est bien dommage. Sinon j’aurais enfin eu la paix et mon papa, il aurait pu arrêter de faire le représentant et il se serait remis à peindre les tableaux qu’il ne veut plus dessiner car il est obligé de gagner de l’argent pour nourrir mes frères qui ont toujours faim de mobylettes et de disques de Johnny Hallyday qui font beaucoup trop de bruit.
 
Si mes frères avaient coulé, j’aurais été fille unique et je serais partie vivre à Paris avec juste mes parents et mon chien aussi, et ma maman serait devenue une femme d’artiste à avoir sa photo dans les journaux et à rigoler des pitreries de son mari qui continuerait de trop boire, mais elle ne lui crierait plus dessus, parce que quand on est un grand peintre connu à Paris, on peut vivre comme on aime et les gens, il sont toujours contents de vous connaître même si vous êtes souvent saoul. Si. Même ils vous trouvent marrant et ils disent que vous avez un sacré tempérament. Si.
 
Mais la mer, elle n’a pas pris mes frères. Pourtant ma maman avait bien essayé de les noyer en les mettant dans notre voilier direction la Corse pour voir si Virgil, il savait aussi bien naviguer qu’il le disait. Il a 15 ans et depuis qu’il a été aux Glénans, c’est une école de voile qui fabrique des champions, il se prend pour Tabarly. André qui a 14 ans, lui c’est pour un dauphin qu’il se prend. N’importe quoi ! Et quand à Ferdinand qui a 13 ans, depuis qu’il a installé dans notre chambre des aquariums à la place de mon lit, il se croit savant de grenouilles comme Jean Rostand. J'ai 8 ans et toute l’année, j’ai été obligée de dormir dans le salon. Je vous jure, avoir des grands frères, ce n’est pas marrant. Ils n’arrêtent pas de m’embêter et après ils m’interdisent de me plaindre aux parents sous peine de me donner une raclée. Et comme ils sont trois, ça me ferait trois raclées, je préfère encore me taire. Et pleurer en silence.
 
Ils ont emmené ma marraine en Corse pour les protéger si jamais ils croisaient une baleine car grosse comme elle est (ma marraine, pas la baleine), elle lui aurait fait peur. Et aussi mon cousin Victor. Il déteste la mer, mais il a préféré risquer de mourir noyé et mangé par des requins que de rester à Beaulieu se faire disputer par son père, l’oncle Robert que je n’aime pas car il me mord toujours l’oreille quand je dois lui dire bonne nuit.
 
Quand mes frères ont téléphoné pour dire qu’ils étaient bien arrivés, j’ai pleuré que ce n’était pas encore aujourd’hui que ma vie allait changer. Mes parents sont allés les retrouver avec le gros bateau de Nice qui va en Corse en une nuit. Ils m’ont laissé avec mon chien chez l’oncle Robert. C’a été l’horreur. Tout le monde dit qu’il est très intelligent et que c’est pour ça qu’il n’est pas marrant et pas beau, je ne vois pas le rapport. Je vous jure, si être intelligent, ça veut aussi dire être méchant, je préfère encore ne plus jamais rien apprendre. Mon chien, aussi, il le déteste, il n’a pas arrêté de le grogner. Bien fait !
 
Mes parents sont revenus avec mes frères vivants tandis que ma marraine, elle est restée sur l’île de beauté avec Victor. Elle a dit qu’ils rentreraient en bateau-stop, car elle adore prendre des auto-stoppeurs, surtout si ce sont des barbus. Et même qu’après il n’est pas rare qu’ils terminent dans son lit. Ma maman, elle n’aime pas quand mon papa, il parle comme ça de sa sœur, mais elle reconnaît qu’il n’a pas tort.
 
C’est notre premier bateau. Mon papa qui ne sait pas nager, l’a acheté pour faire plaisir à Virgil qui veut être capitaine. Avant, il voulait être paysan et même qu’un jour, en rentrant de l’école, il a dit à ma maman que maintenant qu’il savait compter jusqu’à cent, il arrêtait les études car il n’aurait jamais plus de cent vaches dans sa ferme. Mais en grandissant, les vaches, ça ne lui a plus rien dit et tant mieux parce que je ne sais où on les aurait mis à la maison.
 
Alors cet hiver, il a emmené mon papa à Paris au salon nautique avec l’idée d’avoir un bateau rien qu’à lui bien cachée derrière sa tête jusqu’au moment où mon papa, il n’a plus pu faire autrement que de signer un chèque. Faut dire que mon papa, à l’âge de Virgil, il était très pauvre, alors forcément avoir pu gâter son fils aîné comme ça, d’un seul coup de crayon, ç’a dû lui plaire. Il a même dû se sentir fier. Surtout que Virgil, ça faisait un sacré bout de temps qu’il n’arrêtait de le seriner à lui dire qu’il n’était heureux que sur l’eau. Alors que ce n’est même pas vrai, quand il me tape, je vois aussi ses dents qui sourient. Mais chut, je ne le dis à personne de peur de me recevoir encore une raclée.
 
Quand mon papa a annoncé à ma maman qu’il avait acheté un bateau bleu avec une cabine où l’on peut dormir dedans et aussi faire pipi, elle n’a pas été contente qu’il ait fait une dépense aussi chère car il y avait plein de choses dans la maison qu’elle aurait aimé réparer avant. Puis quand il a fallu lui choisir un nom, j’ai proposé Sylvie pour voir si on m’aimait vraiment dans cette famille. C’est vrai, je suis la seule fille après tout et en plus j’ai les yeux bleus. Mais personne n’a voulu et mes frères, ils se sont même moqués de moi. C’est n’importe quoi parce que dans le port de Beaulieu, il y a plein de bateaux amoureux qui portent le prénom d’une fille.
 
Soudain mon papa, il a dit Lapin bleu, que ce serait joli et original pour un nom de bateau, bleu. Ma maman a hurlé et lui a lancé son verre d’eau à la figure. Mon papa, il n’a rien dit, il a juste fait sa tête de puni, la même tête que celle de mon chien quand il a fait une bêtise. Ma maman ne s’est pas calmée pour autant. Elle s’est levée en lui criant que c’était quoi ce nom idiot, certainement le surnom d’une de ses maîtresses qu’il appelait lapin parce que celle-là aussi avait les dents en avant ? D’après ma maman, mon papa a le chic pour tomber sur des femmes idiotes qui ont les cheveux jaunes avec des racines noires, genre comme les abeilles et avec les dents en avant, genre comme les lapins, justement. Puis elle a pleuré qu’elle était bien malheureuse d’avoir un mari intelligent aussi idiot pour s’enticher de femmes vulgaires qui n’avaient jamais ouvert un livre de leur vie, alors qu’ils venaient de s’endetter sur dix ans pour payer un bateau qu’elle ne voulait pas car elle préférait mourir et être dans le trou. Que de toute façon, elle n’aura la paix sur terre que quand elle sera en dessous. Alors là, peut-être, son mari si timide quand elle l’avait épousé, il redeviendra gentil. Puis elle est partie s’enfermer dans sa chambre.
 
J’en ai profité pour crier après mes frères que ce n’était pas parce que papa avait mauvais goût qu’ils étaient dispensés de débarrasser la table. Non, mais, je vous jure, ceux-là, pour les faire lever leurs fesses de leur chaise ! Le soir, la tête de mon papa a été découpée de toutes nos photos de famille qui sont posées sur l’étagère près du téléphone et son pyjama a été punaisé sur la porte d’entrée que ma maman a fermée à clef pour qu’il soit obligé d’aller dormir à l’hôtel. Bien fait !
 
Le temps a passé et ils se sont réconciliés. Faut dire que ce sont de gentils parents, mes parents. Et quand l’été est arrivé, ils ont garé le voilier dans le vieux port de Monaco, là où le prince et la princesse Grâce ont aussi leur bateau. Il n’y a que des Monégasques dans ce port et ma maman, elle a eu la place grâce à un ami d’enfance qui était content qu’elle ait épousé un marin doué question apéro. Du coup, le soir quand on rentre de la mer, on se retrouve toute une bande à manger ensemble sur nos bateaux. Ca fait comme plein de terrasses sauf qu’on est sous un éléphant qui barrit dans le trou du rocher où il y a le zoo. Un soir, on a même dormi là et ç’avait été triste d’entendre cet éléphant pleurer toute la nuit. Il n’aime pas Monaco car sa cage, elle est toute petite et lui, il est très gros.
 
Maintenant, on fait beaucoup de croisières et même qu’un jour, il y a eu une tempête et je n’ai pas eu peur. Je suis restée à l’intérieur à lire "Le Club des Cinq en vacances" sans avoir mal au cœur. Il y a bien eu Virgil qui m’a disputée car il voulait que je voie la mer, mais je lui ai répondu que je préférais la lire. Ma maman, aussi, elle lit un livre qui n’arrête pas de la faire rire "Moi, j’aime pas la mer", de Françoise Xenakis. On a des disques de son mari à la maison, mais je ne les aime pas, ils font trop de bruit. Souvent on dort dans des criques très jolies. Le matin, on plonge dans la mer pour se réveiller, et le soir, on fait des bains de minuit. C’est drôlement beau. Quand on bouge les doigts dans l’eau, ça brille. Ferdinand, le futur savant, a expliqué que c’était du phosphore. Le voilier, ce serait bien s’il n’y avait pas Virgil parce que dès qu’on arrive dans un port, il m’oblige à nettoyer le pont pour que j’apprenne la navigation et aussi à frotter les voiles, pendant que lui, il me regarde. Je vous jure, c’est n’importe quoi. En tous les cas, moi, la voile, je n’appelle pas ça des vacances.
 
La Corse est une nouvelle qui fait partie des 34 de mon recueil Brèves enfances, paru aux éditions Au Diable-Vauvert.
La Corse - Nouvelle de Sylvie Bourgeois - Brèves enfances - Éditions Au Diable Vauvert
Partager cet article
Repost0
/ / /

C’est pénible les garçons, ç’a toujours faim. Et ça fait du bruit. Et aussi parfois, ça fait mal. En tous les cas avec mes frères, c’est toujours comme ça. Quand ils ont fini de manger, ils aiment bien me taper. Je crois que ça les fait marrer de me voir pleurer. Puis quand je vais me coucher, ils se battent à celui qui viendra dans mon lit. Si ma maman, elle en voit un allongé à mes côtés, elle hurle que décidément les hommes, ce sont tous des chiens. Ce n’est pas juste car mon chien qui vient de Sibérie est très gentil. Son papa était chef de meute et il est le premier de sa famille à être venu vivre en France et à Colmar où l’on habite, il est le seul chien de Sibérie. Je n’aime pas Colmar car à part du mauvais temps et des Colmariens, il n’y a rien. Ma maman, elle dit toujours que Colmar, c’est du provisoire. Elle voudrait retourner vivre au bord de la mer. Moi je voudrais vivre seule avec ma mère. Ma mère, c’est ma fille. Le matin quand je pars à l’école, je crie au moins vingt fois au travers de la porte d’entrée au revoir maman, je t’aime maman, au revoir maman, je t’aime maman. Puis pendant la journée, j’ai le cœur tellement plein du chagrin de l’avoir quitté qu’il m’est impossible de me concentrer. Je ne pense qu’à la retrouver.

 

Mais quand je rentre en fin d’après-midi à la maison, ma maman est déjà envahie par les garçons qui n’ont comme occupation que de m’embêter. Alors je me mets à rêver. Mais pas longtemps parce que je dois aider ma maman à préparer le repas car mes frères, ils sont dans l’âge bête où même mettre la table, c’est trop dur pour eux. Je vous jure. Ils ne font rien. Ils passent leur temps à se chamailler. Même mon chien, il ne peut plus les supporter.

 

Voir ma maman qui est une princesse passer ses journées à cuisiner et à nettoyer la vaisselle, au lieu d’aller se promener et lire des poèmes, ça me détruit. Pour la soulager, je n’arrête pas de la seconder, mais j’en ai marre d’aller me coucher en me disant que le lendemain, il faudra de nouveau tout recommencer. Car leur estomac à mes frères, c’est comme un cercle infernal qui n’en finirait jamais. Ils ont toujours faim. Même les sourires de ma maman, ils les ont avalés. Ils lui bouffent sa vie. Elle n’a plus le temps de rien et encore moins de s’amuser et souvent quand elle est trop fatiguée, elle dit qu’elle a hâte d’être dans le trou. Dans le trou de la mort, j’entends. Que ce jour-là, alors on la regrettera, mais que ce sera trop tard. Mais ça ne va pas ma petite maman, je lui réponds, je ne veux pas que tu appelles la mort. Mes frères, eux, quand elle dit ça, ils ricanent. Ils sont idiots. Brutaux et idiots, je vous dis.

 

J’ai 11 ans et une idée. Je vais aller travailler. Ainsi, j’aurais de l’argent pour louer un appartement à ma maman. Je ne le prendrai pas trop grand pour qu’elle se garde du temps. ! Elle pourra dormir jusqu’à midi si elle en a envie et nous mangerons tous les jours au restaurant sauf le dimanche où nous retournerons à la maison cuisiner un bon repas à mes frères et à mon papa. Une fois par semaine, ça leur suffira. Na ! Ma maman, c’est une princesse. Une princesse végétarienne. La vue du sang lui fait de la peine. Alors, dans mon studio, je lui offrirai une vie de château. J’éplucherai ses haricots et je lui achèterai des abricots. Je veux la protéger, mais pas lui ressembler. Je refuse de me faire manger par le manque de temps. Je ne ferai jamais d’enfant.

 

Mon papa, il vient de construire une boulangerie pour une famille d’éléphants. Du coup, je leur ai demandé si je pouvais, de temps en temps, venir jouer à la marchande dans leur magasin histoire de gagner un peu d’argent. Dans la famille éléphants, je demande la mère. Elle m’a répondu oui et que même ça l’arrangeait vu que ses filles, le pain, elles préféraient le manger que le vendre. Ma maman a été furieuse quand je le lui ai expliqué qu'au lieu d'apprendre mes leçons, j'allais travailler de cinq à sept, en même temps, je ne pouvais pas lui dire que j’allais devenir bête pour la rendre heureuse. Alors pour ne pas me disputer plus longtemps, je suis partie dîner chez la boulangère qui m’a expliqué le fonctionnement de son tiroir-caisse, les différentes tailles de boîtes à gâteaux et les pains tout chauds à installer dans les rayons. Quand il n’y en a plus, il faut crier à son mari dans le pétrin d’en remonter. Mais je ne retournerai jamais manger chez elle car c’est trop dégoûtant de voir une famille d’éléphants avaler devant la télévision des tonnes d'éclairs au café qu’ils n’étaient même pas écœurés d’avoir vu défiler toute la journée devant leurs yeux.

 

Maintenant tous les jours après l’école, je joue à la boulangère. C’est très marrant. J’adore peser les fraisiers et couper les flancs. Et j’y vais aussi le dimanche matin, tout le monde veut des croissants le dimanche matin et la boulangère, elle est bien contente d’avoir une petite main en plus tellement son magasin, il est plein. Entre deux baguettes, je bois des panachées bières avec les autres extras. Je n’aime pas le goût, mais ça me vieillit. 

 

La boulangère, elle n’arrête pas de me gâter. Faut dire, ses gâteaux, ils partent comme des petits pains. Elle m’achète plein d’habits. Ma maman, ça ne lui plait pas tous ces cadeaux. Moi, je m’en fiche, ça me fait faire des économies pour notre futur studio rien qu’à nous deux. Mais chut, personne ne doit le savoir, c’est encore trop tôt.

 

Il y a deux mois, en me penchant dans la vitrine pour attraper une religieuse au chocolat, j’ai vu passer la voiture de mon papa. C’est la seule Jaguar marron de Colmar. J’étais contente qu’il vienne me voir. Il s’est garé en bas de la rue, mais il n’est pas venu. Je ne comprenais pas ce qu’il faisait quand soudain, la boulangère m’a dit qu’elle devait s’absenter et que j’étais assez grande pour garder sa boutique. Elle est sortie et je l’ai vu monter dans la voiture de mon papa qu’il croyait avoir caché dans le contrebas. Quand ils se sont embrassés, je me suis mise à pleurer. Je ne sais pas si c’est à cause de la boulangère ou de mon papa ou de ma maman, mais j’ai eu très mal. Surtout que je ne savais pas que mon papa, c’était un chien à aimer les éléphants. Pour me consoler, j’ai pris un billet de cent francs dans la caisse et quand j’ai pensé au cadeau que j’allais pouvoir faire, avec, à ma maman, ça m’a calmée.

 

Depuis chaque fois que mon papa vient et que la boulangère part, je prends cent francs. Parfois, le boulanger remonte tout chaud de ses fourneaux et me demande où est sa femme. Pour protéger mon papa qui ne sait pas que je sais, je lui mens. Chez le coiffeur, chez le docteur, chez sa sœur. Je trouve toujours.

 

Ce soir, j’ai dit à ma maman qu’il était temps. J’avais suffisamment d’argent, elle pouvait prendre un amant. Je lui laissais le choix de notre appartement. Elle m’a répondu que je n’étais qu’une enfant et que je ne devais pas me mettre en tête de changer sa destinée. Que pour le moment, je devais surtout mettre du savoir dans les tiroirs de mon cerveau et aussi arrêter ce travail idiot. J’ai eu beau lui expliquer que mon argent, c’était le prix de sa liberté, elle n’a rien voulu savoir. Alors pour la faire réagir, je lui ai raconté papa et la boulangère. Elle a crié et s‘est effondrée sur le canapé. Je me suis assise à ses côtés et j’ai posé sa tête sur mes genoux. J’ai caressé ses cheveux bouclés et l’on a pleuré ainsi toute la soirée. Soudain elle s’est levée pour aller ranger la cuisine. Quand j’ai vu que dans sa tristesse, il y avait encore de la place pour les repas de mes frères et de mon père, j’ai compris qu’elle ne partirait jamais et qu’elle et moi, c’était fini. Vraiment fini. Voilà. Elle ne m’aimait pas autant que je l’aimais. Voilà ! Ce serait toujours comme ça. Voilà.

 

Alors je me suis allée me coucher et j’ai mis mon réveil sur trois heures du matin. Quand il a sonné, je me suis levée sans faire de bruit. J’ai mis tous mes sous dans mon sac à dos avec un jean et un pull et je suis sortie. Arrivée au portail de la maison, j’ai pensé à mon chien. Il n’y était pour rien, je me suis dit. Alors, je suis retournée le chercher. Il ne m’a pas posé de questions et il m’a suivi. Puis on a marché tous les deux en silence dans la ville endormie jusqu’à la sortie de Colmar.

BOULANGÈRE fait partie des 34 nouvelles de mon recueil BRÈVES ENFANCES, paru aux éditions Au Diable-Vauvert.

 

 

BOULANGÈRE (nouvelle) Brèves enfances - Sylvie Bourgeois
Partager cet article
Repost0
/ / /

Un jour, mon papa n'est plus jamais revenu à la maison. Ma mère n’arrêtait pas de pleurer, et même de se rouler par terre quand une de ses copines ou ma grand-mère venait la voir. Mais arrête donc de pleurer ainsi, je lui disais. Il ne reviendra jamais. Arrête de pleurer, ça ne sert à rien. Comment tu le sais qu’il ne reviendra plus, me demandait-elle, il te l’a dit ? Mais non, mais ça se voyait quand il était là que le jour où il partirait, il ne reviendrait plus. Ça se voyait. Ce n’était pas sorcier à imaginer. Et elle repartait de plus belle à pleurer. Comme si elle était la seule à être malheureuse. Moi aussi j’étais triste. Mais je n’étais pas malheureuse. Je me disais que maintenant qu’il était parti, j’aurais enfin la chance de ne l’avoir rien qu’à moi. J’ai sept ans et je n’ai jamais passé une après-midi seule avec mon papa. Ma mère, elle voulait toujours venir avec nous. Quoique l’on fasse, elle venait. Ce n’était pas marrant. Du coup, il nous suivait sans rien dire. Il s’ennuyait. Ça se voyait. Alors je lui prenais sa main et je la serrais bien fort pour lui faire comprendre que je savais qu’il n’aimait pas ma mère. Et que s’il était encore là, c’était uniquement pour moi, pour que j’aie une enfance équilibrée.

 

Je n’ai jamais vu mes parents s’embrasser ou se tenir par la main comme le font souvent les parents de ma copine Camille. Ou plein de gens dans la rue. Eux jamais. Ils se disputaient ou alors il n’y avait que ma mère qui parlait. Mon papa, il se taisait et il payait. Il m’a payé un piano, une chaîne, un ordinateur, plus de deux cents DVD, une chambre de princesse, et aussi des tas de voyages où je partais seule avec ma mère, il disait qu’il n’aimait pas les vacances, mais je crois que c’était surtout pour avoir la paix. C’est bien simple, pendant l’année, il dormait la moitié de la semaine dans un appartement à lui tout seul où ma mère n’avait pas le droit d’aller et dès qu’il arrivait chez nous, elle lui demandait de l’argent. Tout le temps. Pour moi. Elle lui disait que j’étais une enfant qui coûtait cher et qui ne mangeait que des produits bios. Alors que ce n’est pas vrai, je n’aime que les coquillettes au jambon.

 

L’autre jour, ma mère m’a dit que mon père était partie vivre avec une pute. Une pute, je sais ce que c’est, Paul mon copain d’école me l’avait expliqué. Mais je suis quand même allée vérifier sur Internet. Et là, j’ai compris pourquoi papa était parti. C’était pas la même vie qu’à la maison. C’est sûr. J’ai essayé d’imaginer mon papa s’endormir dans les gros seins de la blonde vue sur le site Putes.com. Puis j’ai montré à Paul, mon copain d’école, le genre de fiancée que mon papa avait maintenant. Il m’a dit : « Oh la vache, elle est mille fois mieux que ta mère. » Ca m’a un peu vexée car c’est ma mère, mais je dois reconnaître que Paul a raison. Ma mère, je l’aime bien, mais elle n’est pas terrible. Elle a des seins flasques qui tombent et des gros tétons marrons qui me dégoûtent un peu. J’espère que je n’aurai pas les mêmes quand je serai grande, sinon je me ferai opérer par la chirurgie esthétique pour avoir les seins de la blonde d’Internet.

 

Ma mère, elle me défend de parler à la pute de mon père qui est une folle du cul. J’ai demandé à Paul ce que ça voulait dire. Il m’a dit que j’avais de la chance et qu’il avait hâte de la rencontrer car sa belle-mère ne s’habille qu’avec des jupes qui lui arrivent sous le genou. La pute de mon père s’appelle Sylvette. J’ai regardé sur Internet, mais je n’ai pas trouvé de Sylvette folle du cul.

 

Samedi, je dors chez mon papa. Youppie ! Il doit venir me chercher à midi. Je l’attends dans l’entrée. Quand ça sonne enfin à l’interphone, je dis à ma mère que j’y vais. Elle me dit qu’elle veut lui parler. Je lui réponds que je crois qu’il préfère ne pas la voir. C’est bien simple, il ne l’appelle jamais et lui raccroche au nez si elle essaye de le joindre. Elle insiste et je suis trop petite pour qu’elle m’obéisse. J’avoue qu’elle me fait de la peine à être aussi bête. Mais c’est ma mère et je dois la soutenir. Alors je me serre fort contre elle dans l’ascenseur.

 

Quand mon papa la voit, il tourne la tête et remonte dans son taxi. Je monte à ses côtés. Mon papa dit au chauffeur de démarrer, mais ma mère ouvre la porte et veut monter avec nous. Le chauffeur qui ne doit pas avoir les assurances en cas d’accident reste arrêté. Mon papa ne dit pas un mot. Moi non plus. Ma mère crie qu’il doit la respecter. Qu’elle ne mérite pas ça. Qu’il doit lui parler, bon sang ! Papa se tait. Ma mère me dit que si je pars avec papa, alors je ne la reverrai plus jamais. Plus jamais. Elle m’abandonnera. Voilà. Les choses se précipitent dans ma tête. Je me mets à pleurer que je ne veux pas être une enfant abandonnée et je descends du taxi pour rentrer dans ma maison. Au moins, je sais où je dormirai si je suis abandonnée. J’ai ma chambre de princesse et ça, personne ne peut me la prendre.

 

Le taxi de mon papa a démarré. Je suis toute tourneboulée. Je crie que je veux partir avec lui, mais trop tard, il a disparu. Je hurle. Je hurle. Je hurle. Ma mère essaye de me calmer en me disant que mon papa c’est un méchant et qu’il ne m’aime plus depuis qu’il vit avec sa pute. Soudain, le taxi revient en marche arrière. La porte s’ouvre et hop, je monte dedans à côté de mon papa. Je ne sais plus où j’en suis. Je me blottis contre lui. Il veut m’emmener déjeuner au restaurant, mais tous ces événements m’ont coupé l’appétit. Je préfère aller au cinéma, je lui dis. D’accord, tu veux aller voir quoi ? Pretty Woman, je lui réponds, il paraît que c’est l’histoire d’une pute qui a trouvé son prince charmant.

 

Sylvie Bourgeois - Brèves enfances - éditions au Diable-Vauvert

Sylvie Bourgeois Harel - En signature au Café de l'Ormeau à Ramatuelle

Sylvie Bourgeois Harel - En signature au Café de l'Ormeau à Ramatuelle

François Berland lit Prison une nouvelle de Sylvie Bourgeois publiée au Diable Vauvert dans son recueil Brèves enfances

Sylvie Bourgeois Écrivain - Hôtel Ermitage - Saint-Tropez -

Sylvie Bourgeois Écrivain - Hôtel Ermitage - Saint-Tropez -

Partager cet article
Repost0
/ / /
Sylvie Bourgeois - Besançon - Inauguration Exa - Pierre Bourgeois

Sylvie Bourgeois - Besançon - Inauguration Exa - Pierre Bourgeois

En fin d’après-midi, j’ai demandé à ma maman la permission d’aller au village avec ma copine Sandrine pour acheter des bonbons. Elle m’a dit oui et de ne pas traîner. Je me suis habillée avec mon short en coton rayé rose et vert qui fait un peu comme une culotte mais qui est quand même un short et mes sandales que ma maman m’a achetées chez Bailly. Elles sont très belles. Quand je les ai essayées, j’avais retenu ma respiration et fait le vœu que ma maman dise oui. Elle m’a juste demandé si j’étais sûre que je n’allais pas me tordre les pieds avec. J’ai dix ans et ce sont mes premières compensées.

 

Quand nous sommes arrivés au Miramar, c’est l’immeuble qui délimite la fin de notre quartier d’été où il n’y a que des maisons de vacances au bord de la mer, un monsieur nous a abordé. Bonjour, je suis un ami de vos papas, il nous a dit. Ah bon ? On lui a répondu sans s’intéresser à lui. Mais il a insisté qu’il connaissait bien nos papas, et nos mamans aussi et il s’est mis entre nous deux. Et comment ils vont vos papas ? Il nous a demandé. Et vos mamans ? Et nous, comme on est polies avec les amis de nos parents, on lui a répondu qu’ils allaient très bien d’autant plus qu’il était grand et un peu terrifiant.

 

Soudain, j’ai senti la main du monsieur dans mon short qui faisait un peu culotte, mais qui était quand même un short. J’ai regardé Sandrine, mais elle était partie à lui raconter sa vie avec ses quatre sœurs. J’ai essayé de l’interrompre, mais elle regardait droit devant elle à continuer de parler en faisant la maligne car c’est le genre de copine à vite faire la maligne. Ca ne m’étonnerait pas d’ailleurs qu’elle ait déjà embrassé un garçon en cachette de ne me l’avoir dit car une année de vacances d’été, on s’adore, et l’année d’après, on se déteste, c’est parce qu’elle est jalouse que je sois fille unique avec mes parents qui sont très beaux. Forcément, elle m’envie, et en même temps, je la comprends, je préfère ma vie à la sienne.

 

Soudain les doigts du copain de mon papa ont caressé mon minou et ont même essayé de rentrer dedans. Quelle drôle d’idée, je me suis dit et je n’ai pas osé lui demander ce qu’il faisait car j’avais peur de me faire gronder par mon papa qui aime que je sois bien élevée. Le monsieur, il avait des ongles mal coupés et qui devaient certainement être sales car j’ai senti une boule remonter dans ma gorge. J’ai même eu mal au cœur et je ne pouvais plus respirer tant j’étais oppressée, quand soudain j’ai pensé je ne sais pas comment à lui demander le prénom de mon papa qu’il connaissait si bien. Il m’a répondu Léon, puis Roger, puis Bernard tout en allant encore plus loin dans mon short et très vite et ça commençait à m’énerver vraiment cette intrusion. Quand j’ai compris qu’il ne connaissait pas mon papa et donc qu’il n’y avait aucune raison qu’il caresse mon minou, j’ai pris la main de Sandrine et je l’ai entraînée à courir très vite avec moi jusqu’à ma maison. Tant pis pour mes bonbons.

 

J’ai couru jusqu’à ma maman et je lui ai tout raconté. Elle a hurlé. Puis elle est allée chercher mon papa et m’a demandé de lui montrer où tout cela s’était passé. On a laissé Sandrine car elle n’avait pas eu les doigts du monsieur dans sa culotte. Faut dire qu’elle est beaucoup moins jolie que moi car elle a du poil sur les fesses et aussi de la moustache parce qu’elle est très brune. Je trouve d’ailleurs que pour une petite fille, c’est plus joli d’être blonde avec les yeux bleus comme moi, la preuve, le monsieur, il ne s’y est pas trompé.

 

Avec mes parents, on est rentré partout dans les immeubles pour chercher le monsieur que ma maman appelle le satyre. Puis quand on est allé dans un bar-tabac pour parler avec le patron, soudain, je l’ai vu passer dans la rue. J’ai essayé de le montrer à mes parents, mais je n’y arrivais pas tellement j’étais sans voix. Finalement, j’ai réussi à tirer la manche de ma maman et elle a compris que c’était lui. Elle lui a aussitôt couru après, suivi de mon papa, puis du patron et aussi de tous les clients qui voulaient savoir ce qu’il se passait. Finalement, ils ont réussi à l’attraper et ma maman lui a posé plein de questions, elle était remontée comme ce n’était pas possible. Après un moment, il s’est avéré que c’était un pauvre garçon qui passait ses vacances tout seul. Un garçon pas très malin d’après ce que j’ai compris. Enfin quand même suffisamment malin pour comprendre qu’un short c’est bien pratique pour y mettre sa main. Ils ont discuté pendant longtemps même qu’à un moment, je me suis dit que j’avais le temps d’aller m’acheter mes bonbons. Mais les gendarmes sont arrivés et on est rentré à la maison.

 

Le soir, j’ai eu le droit de dormir dans le lit de ma maman qui m’a expliqué ce qu’était un satyre et que je ne devais plus jamais forcément croire ce que me disaient les grands et que même si elle m’avait éduqué le respect des adultes, et bien, parfois il y en avait comme ce pauvre garçon qu’il ne fallait pas écouter. Et que dorénavant pour tout simplifier, je ne devais plus jamais parler à qui que ce soit que je ne connaissais pas s’il était âgé que moi. Je lui ai répondu que je pouvais aussi me mettre à détester tous les garçons, comme ça je ne ferais plus jamais de confusion et ce serait encore plus pratique pour mon éducation. Que c’était même la meilleure solution.

 

Ce fut ma plus belle nuit. J’adore dormir avec ma maman. Ca ne m’arrive pas assez souvent. Le satyre, il peut bien revenir, comme ça mon papa, il dormira encore sur le divan.

 

Partager cet article
Repost0
/ / /

 

                  BREVES ENFANCES        

                                        Recueil de 34 nouvelles
                                 Éditions Au diable vauvert. 2009

4ème de couverture

 

Trente-quatre enfants se racontent. Trente-quatre portraits en creux de familles décomposées ou recomposées. Trente-quatre regards doux et avertis sur les adultes que nous sommes. Sylvie Bourgeois a su saisir ces innocences écourtées par une maturité acquise trop vite, leur lucidité et leur immense capacité d'amour et de pardon.

 

"C'est peut-être ça être de la même famille, se tenir serrés sans se parler et attendre que le temps passe jusqu'à ce que l'on devienne très vieux."

 

Nouvelliste et romancière, Sylvie Bourgeois a publié plusieurs livres. Scénariste, elle a notamment co-écrit Les randonneurs à Saint-Tropez avec son mari Philippe Harel.

 

 

                 

                                                                                     

 

 

 

 

 

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Sylvie Bourgeois fait son blog
  • : Sylvie Bourgeois Harel, écrivain, novelliste, scénariste, romancière Extrait de mes romans, nouvelles, articles sur la nature, la mer, mes amis, mes coups de cœur
  • Contact

Profil

  • Sylvie Bourgeois Harel
  • écrivain, scénariste, novelliste
  • écrivain, scénariste, novelliste

Texte Libre

Recherche

Archives

Pages

Liens