Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
/ / /

J’ai 12 ans. J’habite à Besançon. Je suis en 6ème à Notre-Dame. Je déteste Besançon. Je déteste Notre-Dame. Je déteste l’école. Je déteste la demi-pension. Je déteste les blouses en nylon que nous avons l’obligation de porter. Le nylon me donne des frissons. Je le dis à ma mère et lui montre les poils de mes avant-bras qui se hérissent dès que le nylon crisse. Ma mère montre mes avant-bras à la directrice afin que celle-ci lui donne l’autorisation de m’acheter une blouse en coton. Ma mère m’a inscrite à la demi-pension car je ne mange rien à la maison. À la cantine, c’est pareil, je ne mange rien, sauf qu’elle ne le voit pas. Elle me dit que c’est éreintant qu’à chaque repas je ne mange rien, d’autant que le mot anorexie n’existe pas encore. Je suis toute petite et toute maigre. Pascale Baudouin m’appelle Petit bout. Je déteste. Heureusement, je suis meilleure qu’elle au baby-foot où nous avons le droit de jouer après le déjeuner Il n’y a que le vendredi où je mange bien à la cantine car c’est le jour des frites. Frites et poisson. Je ne mange que les frites. Dès que je rentre de l’école, à 5 heures, je me prépare un goûter avec des crêpes, du chocolat chaud et des tartines de pain beurrées avec du miel ou de la confiture rouge. Encore aujourd’hui c’est mon repas préféré. J’adore. C’est d’un grand réconfort.

 

Les vacances de février arrivent. Tous les ans, mon père emmène un de mes trois frères aînés au ski pendant une semaine. C’est la tradition, une semaine entre garçons. Cette fois, ma mère exige qu’il m’emmène, moi, sa seule fille, ça vous fera du bien à tous les deux, argumente-t-elle, de passer un peu de temps ensemble, d’autant que Sylvie skie aussi bien que ses frères, ajoute-t-elle pour achever de convaincre mon père. Au moment de partir, elle me dit d’être gentille avec mon papa, qu’il m’aime et qu’il est malheureux que je ne veuille pas lui parler et encore moins l’embrasser. C’est vrai, je refuse ses baisers ou qu’il me touche l’épaule ou dans le dos comme le font les papas affectueux. Dès qu’il s’approche, je fuis. Tout le monde aime mon père à Besançon. Sauf moi. C’est ballot parce que je vis avec lui. Notre maison est toujours remplie d’amis qui l’apprécient. Où que j’aille dans les magasins, en ville, chez le médecin, on me parle de mon père qui est si formidable, si drôle, si talentueux. J’aime beaucoup recevoir tous ces compliments, d’autant que c’est vrai qu’il est rigolo, mon papa. Et talentueux. C’est lui qui dessine les plus belles maisons de la région. Je suis fière de lui mais je n’aime pas vivre avec lui au quotidien. Je l’aime de loin. Comme pour mes frères aînés, je n’aime pas vivre avec eux au quotidien. Ils ont toujours faim, font trop de bruit, ne débarrassent jamais la table, sentent parfois des pieds, et fatiguent ma mère qui, après chaque dîner, dit qu’elle a hâte d’être dans le trou.

 

Ça y est, la voiture de mon père est prête. Mon père a une Triumph blanche très belle qui ressemble à une voiture de compétition. C’est une drôle de voiture pour une famille de quatre enfants, lui a dit ma mère quand il l’a achetée. En même temps, mes frères sont déjà grands, ils ont tous des mobylettes ou des motos, et mon papa est un papa qui a besoin de liberté. Parfois, il rentre se coucher tellement tard que ma mère lui punaise son pyjama sur la porte d’entrée qu’elle ferme à clé, comme ça, il est obligé d’aller dormir à l’hôtel. Il revient tout penaud, tout gentil, le lendemain avec un bouquet de fleurs. Moi aussi, j’ai besoin de liberté. C’est ce que j’essaye d’expliquer régulièrement à la directrice de Notre-Dame quand, au lieu d’aller au lycée, je vais me promener avec Sam, mon chien de traîneau très gros très beau avec des longs poils blancs. Sam aussi, comme mon père, a besoin de liberté. La nuit, il va chasser les poules du voisin qu’il dépose le matin aux pieds de son amoureuse, la chienne labrador de notre médecin de famille. À force de les acheter pour dédommager le paysan du bout de la rue, ma mère, depuis peu, les récupère chez le médecin et les cuisine pour mes frères qui ont toujours faim. Quand il se sent trop seul, Sam vient me chercher jusque dans ma classe. Il connaît l’adresse, tous les matins, après avoir déposé sa poule chez la chienne de notre médecin, il m’accompagne à Notre-Dame. Il ouvre la porte de ma classe. Les professeurs ont peur. Il faut dire que son besoin de liberté le pousse à grogner si on lui dit de s’en aller sans moi. Je suis obligée de le ramener à la maison d’où je ne reviens jamais, trop contente de ces quelques heures de tranquillité avec ma maman qui me prépare un goûter que je partage avec Sam pour le remercier.

 

Nos skis sont sur le toit. À Noël, mes parents m’ont offert des Rossignol Roc 550. Magnifiques. Mon père a des Léo Lacroix tout neufs aussi. Je suis très fière car c’est lui qui a dessiné le logo, la typo et le design de cette marque que vient de créer son ami Léo Lacroix, un ancien champion olympique copain de Jean-Claude Killy. Et très fière aussi d’aller aux Ménuires, la station de Léo Lacroix qui nous attend. J’aime beaucoup Léo Lacroix qui est un grand et beau champion toujours souriant. J’aime beaucoup aussi la voiture de mon papa. Ça me réconcilie avec lui. C’est la seule Triumph blanche de Besançon. Et hop, on roule ! On ne parle pas beaucoup. Je ne sais pas comment lui expliquer qu’à la rentrée, je dois passer au conseil de discipline car j’ai dessiné sur un couloir du lycée : boum boum tralala l’anarchie vaincra. En même temps, ça devrait lui plaire, mon besoin de liberté, d’autant qu’il est le seul patron socialiste de Besançon où il n’y a pas d’horaires et qui donne des bonus à tous ses employés, même sa secrétaire Marie est bien payée. C’est un papa généreux et ça, ça me plait.

 

Dès que nous arrivons à l’hôtel, aux Ménuires, j’apprends que je dormirai dans la chambre des enfants de Monsieur Marguet qui est veuf, dans laquelle un troisième lit a été ajouté. C’est plus simple ainsi, argumente mon papa lorsque je lui demande comment se fait-il que tout ait été organisé dans mon dos alors que maman voulait que l’on profite de cette semaine pour mieux faire connaissance tous les deux. Bon, je file, Léo m’attend, continue-t-il en me laissant au restaurant où je commande une assiette de frites.

 

Pascale Marguet a mon âge et Christophe Marguet deux ans de plus que moi. Nous jouons aux cartes, ils me racontent Damprichard, la montagne où ils habitent, je leur explique l’anarchie que je crée à Notre-Dame. Je dors depuis un bon moment quand Christophe Marguet me réveille et me demande de le rejoindre dans son lit. J’aime l’anarchie, mais avec les garçons, j’obéis. C’est ce que m’ont appris mes trois frères aînés. À dire oui. Sinon c’est le bâton. Christophe est plutôt mignon avec ses cheveux rasés et ses yeux marrons. Il veut savoir si j’ai déjà embrassé avec la langue et avant même que je lui réponde non, il ouvre ma bouche, en me serrant les joues, et y met sa langue trempée qu’il tourne à toute vitesse, dans un sens, puis dans un autre. Mon amie d’enfance Nathalie que j’aime autant que ma maman, m’avait dit qu’elle l’avait déjà fait, et que ça lui avait plu. De mon côté, je me suis ennuyée à compter les tours que Christophe fait rapidement avec sa langue dans ma bouche qui a sommeil. Le lendemain matin, au petit-déjeuner, il veut me prendre la main et entrelacer ses doigts dans les miens comme le font les amoureux, mais je préfère tartiner mes tranches de pain avec le bon miel savoyard. Christophe insiste comme savent le faire les garçons quand le directeur de l’hôtel vient me demander où est mon papa. Je ne sais pas, je lui réponds, j’ajoute que je veux avoir une chambre pour moi toute seule, que c’est une mauvaise idée cette histoire avec les enfants Marguet, mais je m’abstiens de lui expliquer la langue de Christophe trop mouillée et trop rapide que rien que d’y penser j’ai le tournis.

 

— D’accord pour la chambre, me répond-il ennuyé, mais il faut absolument que vous trouviez votre père, c’est urgent, il a les clefs du coffre de l’hôtel, et des clients réclament leur argent.

— Mais pourquoi mon père a les clés du coffre de votre hôtel, je le questionne du haut de mes 12 ans ?

 

J’ai le droit de ne pas parler à mon papa et de lui en vouloir de ne pas avoir su me protéger, mais j’interdis à quiconque de l’embêter et encore moins de lui faire porter une responsabilité qui ne lui incombe pas.

 

— Là n’est pas le problème, ajoute le directeur, il faut que vous m’aidiez à le trouver.

— Là est tout le problème, je continue sur le même ton comme si j’avais 30 ans. Mon père n’a pas pu prendre vos clés tout seul, pourquoi les lui avez-vous données ? Et ne me dites pas qu’il a voulu mettre quelque chose dans votre coffre, c’est impossible, à la maison, rien n’est jamais fermé, et il n’y a même pas de clé à la porte d’entrée, c’est vous dire comme il aime la liberté.

 

Le directeur est alors parti dans une explication comme quoi la veille au soir, ils étaient allés dîner avec des amis, oui ça je le sais, c’est pour ça que j’ai mangé, seule, des frites et que j’ai dit oui à Christophe Marguet pour qu’il mette sa langue dans ma bouche alors que je n’en avais pas trop envie. Puis d’un air embêté, il a chuchoté dans mon oreille qu’ils avaient peut-être un peu trop bu.

 

— C’est là, je crois, que j’ai donné les clés du coffre de l’hôtel à votre papa, mais sincèrement, je ne sais plus pourquoi.

 

Mon père n’a réapparu que trois jours plus tard. Trois jours pendant lesquels aucun client de l’hôtel n’a pu récupérer son argent. Trois jours où, au petit-déjeuner, le directeur, de plus en plus ennuyé et inquiet, venait me demander si j’avais eu des nouvelles de mon papa. Trois jours où je n’ai mangé que des frites et des goûters. Trois jours merveilleux où Léo Lacroix venait me chercher avec les enfants Marguet pour nous donner une leçon de ski avec d’autres enfants de la station. J’étais très fière de sauter les bosses et de descendre les pistes noires aussi vite que les garçons, et que Léo Lacroix, la star de la station, me dise que j’étais très élégante à ski. Aux Ménuires, c’était comme à Besançon, dès que quelqu’un savait que j’étais la fille de mon père, il me disait à quel point il l’aimait, que j’avais de la chance d’avoir un papa si formidable, si gentil, si drôle, mais que c’était quand même un sacré phénomène.

 

Mon père est revenu en fin de matinée.

 

— On va rentrer cet après-midi, Sylvie, je suis désolée, je dois écourter notre semaine, j’ai trop de travail qui m’attend à Besançon mais, promis, nous allons skier ensemble cet après-midi, d’autant que Léo m’a dit que tu étais une vraie championne qui n’a pas peur de descendre vite dans les noires et de sauter les bosses.

 

Nous avons pris le téléphérique pour aller déjeuner sur les pistes, j’ai mangé des frites. Très bonnes. J’en ai recommandé. Toutes aussi bonnes. Mon papa est fatigué mais content que je me régale autant. Au moment d’aller skier, ce que j’attendais depuis mon arrivée aux Ménuires et peut-être même depuis que je suis née que mon père voit combien je suis douée, j’ai cherché partout mes skis Rossignol Roc 550 tout neufs, mais on me les avait volés pendant le déjeuner.

Léo Lacroix et mon père Pierre Bourgeois au ski aux Ménuires
Léo Lacroix et mon père Pierre Bourgeois au ski aux Ménuires
Partager cet article
Repost0
/ / /
Sam - Sylvie Bourgeois - Besançon - rue Fanart

Sam - Sylvie Bourgeois - Besançon - rue Fanart

Mon chien


Mon chien, il est beau, mais il est con car il n’arrête pas de manger le dentier de ma mamy. Faut dire que quand elle se couche, elle le pose sur sa table de nuit. Alors forcément, ça le tente. Quand elle se réveille ma mamy, la première chose qu’elle fait, elle cherche ses dents. Mon chien, pendant la nuit, il aura tellement joué avec qu’il nous arrive de les chercher pendant très longtemps et de finir par les trouver n’importe où, dans le jardin, sous un lit, dans la cuisine. Des fois même, mon chien, il les aura tellement mordues que ma mamy, elle ne peut plus les mettre. Dans ces cas-là, ma maman l’accompagne chez le dentiste pour lui commander un dentier tout neuf et pendant tout le temps que ça prend, ma mamy, elle reste sans ses dents et on dirait qu’elle a 100 ans. Mais ça ne la gêne pas pour rigoler. Mon papa, non plus, ça ne le gêne pas. Il a les dents toutes jaunes et sales comme la couleur de la cuisine que je voudrais que l’on repeigne, mais mes parents ont toujours mieux à faire. Du coup, à part Aurélie, je n’ai pas d’autres amis car je ne veux pas les inviter et leur montrer comment la cuisine n’est pas jolie alors que le reste de ma maison, c’est bien.
 
Mon papa, ses dents de mendiant, ce n’est pas une histoire d’argent car il conduit une Porsche. C’est à n’y rien comprendre aux grands. Pareil pour ses ongles qu’il ne veut jamais se couper ou quand il fait des prouts et qu’il dit santé pour se marrer. Il est limite question propreté alors que je n’ai jamais entendu quelqu’un qui savait aussi bien chanter que lui. C’est bien simple, il chante tout le temps et notre maison, elle est toujours pleine de gens qui viennent s’amuser avec lui. Je crois qu’il n’y a d’ailleurs que ma maman et moi qui aimerions qu’il prenne sa douche plus souvent, les autres gens, ils ne l’embêtent jamais avec ça. Ma maman, elle dit qu’il n’aime pas se laver parce que quand il était petit, il vivait rue des Lavaux à Monchanin et que quand on a vécu rue des Lavaux à Montchanin, et bien, ça vous restait imprimé à vie. Enfant, mon papa, il était très pauvre et sa maman, elle ne le lavait qu’une fois par semaine dans une bassine d’eau chaude où après toute sa famille y passait. Alors que pendant le même temps, ma maman, elle vivait dans une grande maison et elle prenait son bain tous les jours dans une baignoire d’étain dans une belle salle de bains où il y avait une cheminée et une vue sur la mer. Et bien, il y a des différences aussi grandes que ça qui arrivent quand même à fonder une famille. Je vous jure, j’ai 8 ans et j’ai un papa et une maman et aussi ma mamy.
 
Il est con mon chien parce qu’on a beau le gronder que ce n’est pas bien de jouer avec le dentier de mamy, il recommence toujours. Ça doit le faire marrer. Et quand on le punit en le faisant dormir dehors, c’est avec les poules du voisin qu’il va jouer. Sauf qu’il ne sait pas jouer avec sans les tuer. Et le voisin, ça le met dans des colères où après il aimerait bien faire la peau à mon chien et même l’envoyer au tribunal pour que les gendarmes, ils le piquent. Et mon chien, on a beau lui expliquer que quand on est un chien citadin comme lui qui vit en ville, on n’a pas besoin de faire fonctionner son instinct de survie comme si on était au Pôle Nord avec rien à manger, et bien non, il ne comprend rien et le lendemain, il recommence à tuer.
 
Pourtant ma maman, elle le nourrit bien avec de la viande qui coûte cher et des légumes et du riz. Les poules, il les offre à sa fiancée, la chienne du docteur Duvernoy, notre médecin de famille. C’est une grosse labrador qui fait la maligne car mon chien, il est amoureux d’elle et elle refuse ses avances alors qu’elle se laisse renifler le derrière par tous les autres chiens du quartier qui en plus sont beaucoup moins beaux que le mien. C’est à n’y rien comprendre aux chiennes. Mon chien, en tous les cas, ça le déprime et après, il rentre tout désespéré à la maison. Il fait la même tête que mon papa quand il a pris l’apéritif avec le mari d’une de ses amoureuses au lieu d’autre chose qu’il avait prévu et qui s’était mal passé. Parce que mon papa, même avec ses dents, il a beaucoup de succès avec les femmes. Il les aime toutes. Et moi, je les déteste. Toutes. Toutes sauf ma maman et Aurélie et aussi ma mamy.
 
Quand on a du monde à la maison, mon papa et mon chien, ils ont horreur que les gens s’en aillent. Comme si ça les ennuyait que l’on se retrouve en famille. Alors, ils raccompagnent nos invités le plus loin possible jusque dans la rue, mon papa avec sa serviette à la main et mon chien, un torchon dans la bouche ou l’inverse, je ne sais plus très bien. On dirait deux crétins.

Ma maman, elle a tout essayé pour que mon chien ne soit plus un criminel et mon papa un bon mari fidèle. Elle l’a même enfermé toute une journée dans le cagibi avec une poule attachée autour du cou. Et bien quand on lui a ouvert la porte à ce couillon, mon chien pas mon papa, il nous a fait la fête avec sa poule morte comme si de rien n’était et sans comprendre que c’était une punition. Mais un jour ma maman, elle en a tellement eu marre que les poules que mon chien tue et qu’elle rembourse au voisin au prix du marché, ce qui n’est pas rien, elles soient gaspillées chez la Duvernoy, qu’un matin ni une ni deux, elle est allée chez le docteur et elle a récupéré son bien. Puis sans hésiter, elle l’a apporté à Monsieur Paquet, notre boucher et comme il est amoureux de ma maman en cachette et bien il lui a plumé sa poule. Puis ma maman, elle nous l’a fait manger avec du riz et des légumes et elle nous a dit que dorénavant, ce serait toujours ainsi.
 
Et aussi mon chien, chaque fois que l’on va à la campagne, il se roule dans les bouses de vaches pour faire l’invisible question odeur et que les vaches, elles ne le voient pas venir quand il les attaque. J’espère qu’il n’arrivera jamais à en tuer une car je ne sais pas si Monsieur Paquet, il serait très content que ma maman, elle lui dépose une vache morte à découper en beefsteak pas trop épais parce que mon papa et ma mamy, ils ont du mal à mâcher. Ça lui empêcherait ses bénéfices surtout qu’on a un compte très cher chez lui où l’on fait marquer tout ce que l’on achète.
 
Mon chien, il est con, mais je l’aime bien parce qu’il est beau et qu’il me fait marrer. C’est bien simple, c’est le plus beau de toute la région et chaque fois qu’on l’emmène dans un concours de beauté avec ma maman, et bien, on rentre à la maison avec des saucissons et du champagne. Ma maman, elle a honte de le faire défiler, alors c’est toujours moi qui le fait passer devant le jury. Au début, il fait bien le fier, puis très vite, il va aller embêter un autre chien surtout si c’est un caniche bien coiffé, il les déteste ceux-là. Et bien, même s’il est très désobéissant comme chien, on gagne toujours le premier prix de beauté.
Et rien que ça, ça veut dire que je dis toujours la vérité et que mon chien, il est vraiment beau.

 

Sam - Samoyède - Besançon - rue Fanart

Sam - Samoyède - Besançon - rue Fanart

Partager cet article
Repost0
/ / /

Normalement, tous les ans, on va passer Noël à Saint-Tropez, c’est là où ma maman est née au bord de la Méditerranée. C’est très joli et on se baigne dans la mer car ma maman, c’est une sirène dauphin qui sait très bien faire les crêpes. Mais cette année, on reste à Besançon parce que mon grand-père du côté de mon papa est malade, et ma maman ne veut pas laisser Henriette toute seule, même si elle a 50 ans. Henriette est grande et maigre, et ses parents sont morts quand elle avait 8 ans. Ses frères aînés, qui avaient déjà la majorité, ont dit au juge qu’ils allaient la garder et s’en occuper aussi bien que si elle était leur fille. Ils devaient avoir une drôle de notion de la famille car ils l’ont enfermée dans un placard, et ils ne la sortaient que pour lui faire faire le ménage et la violer. Ils habitaient une ferme dans le Haut-Doubs et là-bas, à part de la neige en hiver et des vaches en été, vous avez beau crier, personne ne vous entend. Le Haut-Doubs, c'est très beau, mais c'est très froid aussi. Et les paysans, c'est bien simple, ils mangent de la saucisse de Morteau avec du comté, puis ils vont se coucher à la même heure que leurs poules. Elles sont comme leurs bœufs, elles pondent leur lait très tôt.

Un jour, un de ses frères violeur est mort. Henriette, qui avait alors 45 ans, a réussi à s’échapper. Elle a couru très loin jusqu’à Pontarlier où elle s’est cachée derrière une poubelle remplie de papiers cadeaux et d’emballages de foie gras. C’était un 25 décembre, et tous ces restes de fête, ça lui a fait un peu comme un réveillon. C’est l’assistance des hôpitaux qui l’a trouvée. Elle était gelée, recroquevillée, à même pas savoir pleurer puisqu’elle n’avait jamais eu quelqu’un pour la consoler.

Quand elle s’est réchauffée, elle a commencé à venir jouer aux Dames chez mon grand-père qui était veuf. Pour la faire bénéficier de sa retraite de douanier, il l’a épousée. Mon papa n'était pas content alors qu’il est le premier à faire des bêtises, et avec des femmes qui ne sont même pas ma mère. Et quand ma maman l’apprend, elle lui crie dessus et le traite de Matou de Montrapon. Montrapon, c’est le quartier où l’on habite à Besançon. Puis elle découpe sa tête des photos de famille qui sont posées sur l’étagère à côté du téléphone, et elle accroche son pyjama avec une punaise sur la porte d’entrée qu’elle ferme à clé, comme ça, mon papa est obligé d’aller dormir à l’hôtel. Bien fait ! Si seulement il pouvait emmener mon frère aîné avec lui ! Le lendemain, il rentre tout penaud avec la même tête que mon chien quand il a fait une bêtise du genre tuer une poule. Ma maman attend trois jours, puis elle passe l’éponge car elle l’aime et lui aussi, et tout redevient comme avant, mon frère aîné recommence à m’embêter ou à m'enfermer. Faut dire, il est dans l’âge bête où à part de me demander de lui obéir, il ne fait rien de ses journées. Même mon chien ne peut plus le supporter.

Et puis un jour, je ne sais pas pourquoi, mais tout repart de plus belle. Les poules tuées, ma maman trompée, les photos découpées, les pyjamas punaisés, les portes fermées, mon papa à l'hôtel, mon frère aîné excité. Je vous jure, j’ai 8 ans comme Henriette dans son placard, et chez moi, aussi, la vie est compliquée. Chez mon grand-père nouveau marié, c’est très calme. J’y ai passé une semaine l’été dernier pour aller respirer l'air pur de la montagne parce que j’avais trop toussé durant l’année. Mon grand-père me couchait à 7 heures, encore plus tôt que les poules du Haut-Doubs alors que je ne ponds pas. J’entendais les enfants des voisins jouer dans la cour. J’avais envie de les retrouver, mais je ne disais rien parce que j’aime mon grand-père. La journée, il fabrique dans son établi des petites seilles en bois sur lesquelles il grave en italique Pontarlier, puis il les vend aux touristes de Oye-et-Pallet. Dedans, on peut y mettre ce que l’on veut, des trombones, des bonbons. Ma mamy y range son dentier sur sa table de nuit, mais ce n'est pas pratique car quand elle dort, mon chien le lui vole, et le matin, quand elle rit sans ses dents, on dirait qu’elle a 100 ans, je l'aime car c'est une grand-mère enfant qui s'amuse tout le temps.

Mais depuis un mois, mon grand-père est malade du cancer du sang à l’hôpital de Besançon, et peut-être même, m'a dit ma maman, qu’Henriette sera veuve de douanier sans pouvoir toucher à la retraite car ils ne sont pas mariés depuis assez longtemps, ce serait dommage car elle n'est pas encore habituée à être une dame de Pontarlier à dire bonjour aux commerçants. Hier, quand je suis rentrée sans frapper dans la chambre de mon grand-père, j’ai vu une infirmière qui lui plantait une aiguille dans le cœur, je ne veux pas qu’il meure.

J’ai déjà vu un mort. C’était une morte. La femme du parrain de mon frère idiot. Elle était allongée sur un canapé. On aurait dit une enfant. Quand le parrain m’a obligée d’aller l’embrasser, j’ai compris que la mort c’était aussi froid que le Haut-Doubs quand mes parents louent une ferme et qu'on se lave avec de l'eau glacée avant d'aller faire du ski de fond.

Ce soir, c’est Noël, et je ne veux pas que mon grand-père devienne gelé comme le lac de Saint-Point sur lequel je fais du patin avec juste mes bottes aux pieds, sinon Henriette sera obligée de retourner dans son placard, alors que, depuis un mois, elle ne tremble plus et ose enfin me parler. Mon Dieu, faites que mon vœu soit exaucé, et aussi que mon frère arrête de m'embêter. Mais quand j'ai levé les yeux au ciel pour regarder si Dieu m'écoutait, j'ai surtout vu mon papa qui, ayant entendu le téléphone sonner, descendait de l'escabeau où il avait accroché une étoile au sommet de notre immense sapin qui vient directement du Haut-Doubs où les sapins sont les plus hauts et les plus beaux du monde. C'était l’hôpital. Pour la première fois, j’ai vu mon papa pleurer.

Le lendemain, nous étions tellement tristes que ma maman m'a emmenée aux Founottes, c’est le quartier de Besançon où vivent entassées les familles défavorisées, et j’ai donné mon vélo bleu flambant neuf et mes jouets à des enfants nombreux qui vivaient dans une seule pièce. C'était sale et ça ne sentait pas bon, mais quand j'ai vu les sourires de tous ces petits de mon âge qui me disaient merci, je me suis sentie devenir grande et importante, et différente. J'étais le messie et je volais au paradis. J'avais chaud au coeur, et même les problèmes avec mon idiot frère aîné n'existaient plus. J’ai pensé à mon grand-père parti aux cieux, et à Henriette qui n'avait jamais eu de cadeau.

A l’école, quand les filles de ma classe m’ont demandé ce que j’avais eu à Noël, je leur ai répondu que j’avais offert à des pauvres mal habillés tous les jouets que j’avais reçus et aussi tous les anciens avec lesquels je ne m'amusais plus, et j’ai ajouté que, grâce à ma maman, j'avais appris que savoir donner était le plus beau des cadeaux.

Sylvie Bourgeois

Brèves enfances (recueil de 34 nouvelles)

Éditions au Diable Vauvert

 

 

Sylvie Bourgeois - Besançon

Sylvie Bourgeois - Besançon

Évelyne Bouix - Sylvie Bourgeois Harel - Librairie L'Ecume des Pages - Saint-Germain-des-Prés - Paris

Évelyne Bouix - Sylvie Bourgeois Harel - Librairie L'Ecume des Pages - Saint-Germain-des-Prés - Paris

Sylvie Bourgeois enfant. École rue Fanart - 25000 Besançon

Sylvie Bourgeois enfant. École rue Fanart - 25000 Besançon

Sylvie Bourgeois - Besançon

Sylvie Bourgeois - Besançon

Partager cet article
Repost0
/ / /

Sam, mon chien quand j'étais enfant

mon-chien.jpg

 

Ma mère, Hélène Bourgeois, décédée le 7 juillet 1997

chignon.jpg

  Hélène Bourgeois, à 16 ans

0-HELENE-Jeune-0404.jpg

 

  Hélène Bourgeois (née Onimus), à 22 ans, à Nermier (Jura)

0-HELENE-Jeune.jpg

 

 

Mon père, Pierre Bourgeois, décédée le 4 octobre 1996

2-copie-1

 

Pierre Bourgeois, enfant dans le Haut-Doubs

PIERRE-enfant-03.jpg

 

Mes grands-parents paternels, Achille et Cécile Bourgeois

2.jog.jpg

 

Mes grands parents maternels

4-copie-2.jpg

Bébé

 

SYLVIEbebe.jpg

 

À 2 ans avec ma mère

2-ans-et-maman.jpg

 

À l'inauguration de l'atelier de mon père

moi-huitans.jpg

 

Avec ma Nathalie qui est toujours ma meilleure amie

 

SylvieNathalie.jpg

À 23 ans

SB23ans.jpg

SB23ANSx.jpg

Sur Shenandoah pendant une Nioulargue

shenandoa.jpg

Sylvie Bourgeois - Shenandoah - Nioulargue

Sylvie Bourgeois 2003

Sylvie Bourgeois 2003

Sylvie Bourgeois 1998

Sylvie Bourgeois 1998

Sylvie Bourgeois 2003

Sylvie Bourgeois 2003

Sylvie Bourgeois 1998

Sylvie Bourgeois 1998

Sylvie Bourgeois 1998

Sylvie Bourgeois 1998

Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : Sylvie Bourgeois fait son blog
  • : Sylvie Bourgeois Harel, écrivain, novelliste, scénariste, romancière Extrait de mes romans, nouvelles, articles sur la nature, la mer, mes amis, mes coups de cœur
  • Contact

Profil

  • Sylvie Bourgeois Harel
  • écrivain, scénariste, novelliste
  • écrivain, scénariste, novelliste

Texte Libre

Recherche

Archives

Pages

Liens