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Michaël Douglas Festival du film américain de Deauville Septembre 1988

Michaël Douglas Festival du film américain de Deauville Septembre 1988

Nous sommes en septembre 1998. Je suis au Festival de Deauville avec mon fiancé qui travaille pour Sony Pictures. Nous descendons toujours au Royal. Le matin, je fais du cheval sur la plage. À cette époque, le festival était encore très convivial, très friendly comme disent les Américains.

 

Ce soir, c’est la projection en avant-première de Zorro. Antonio Banderas et Catherine Zeta Jones sont venus le présenter. L’après-midi, l’attachée de presse française de Warner téléphone à mon fiancé, Michaël Douglas désire être invité au dîner que Sony Pictures organise au Trois Mages après le film. Autant dire qu’il répond oui immédiatement. Un nouveau plan de table est immédiatement imaginé.

 

Avant la fin de la projection, je m’éclipse avec mon fiancé qui veut vérifier que tout est en place au restaurant. La salle est déserte, les clients sont encore au cinéma. Trois tables sont dressées pour accueillir la cinquantaine d’invités de Sony. Et là, que voyons-nous ? Michaël Douglas qui, tranquillou, les mains dans les poches, en sifflotant l’air de rien, avec son charmant air coquin, est en train de réorganiser complètement le plan de table en changeant les noms inscrits sur des bristol pour être assis à côté de Catherine Zeta Jones pour laquelle, je l’apprendrai des années plus tard par mon ami Alberto, il a complètement craqué la veille lorsque Régine la lui a présentée dans sa boîte de nuit située sous le casino.

 

Ça y est, l’équipe du film arrive suivi du staff français et américain. Tout le monde prend sa place indiquée par les bristols. Nous venons de finir l’entrée quand soudain j’éclate de rire.

 

— Non mais tu as vu le bordel qu’a mis Michaël Douglas dans ton dîner qui ne ressemble plus à rien, je dis à mon fiancé. Regarde, le patron monde de Sony Pictures est maintenant assis entre le coiffeur et le dealer, il y avait toujours un dealer habillé trop chic qui accompagnait les talents, Banderas tire la gueule car il est assis entre les deux nains de 7 ans du producteur à qui il n’a strictement rien à dire, Mélanie Griffith est furieuse d’avoir été reléguée à l’autre bout de la table et Philippe de Broca, très ému à l’idée de retrouver la belle Catherine Zeta Jones qu’il a fait tourner huit ans plus tôt dans Les mille et une nuits, est très déçu de ne pas pouvoir l’approcher, le seul qui est content, c’est Michaël.

 

Et il avait bien raison Michaël d’être content, ce soir-là, il a 54 ans, il est resplendissant comme un Dieu et il vient de séduire la deuxième femme de sa vie dont il est toujours amoureux vingt-six ans plus tard.

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Alain Delon - Philippe Harel -Sylvie Bourgeois Harel

Alain Delon - Philippe Harel -Sylvie Bourgeois Harel

J’ai toujours aimé faire rire les hommes. Je ne les ai jamais dragués, ni cherchés à les séduire pour obtenir des avantages pécuniaires, commerciaux, sociaux, professionnels ou financiers, non, j’adore juste les faire rire. C’est con, mais je trouve qu’un homme qui rit devient tout de suite plus gentil. En le faisant rire et surtout en attendant rien de lui, je le sors immédiatement de son carcan d’homme adulte dont la société et les femmes aussi attendent souvent beaucoup de lui, je le replonge dans son adolescence. Nous redevenons deux adolescents. Une adolescence que je n’ai pas vraiment connue. Je travaillais déjà. Je n’ai pas connu l’insouciance des bandes de copains, des soirées guitare sur la plage ou des virées en camping. Je travaillais. Je n’avais pas le temps. Alors, oui, quand je rencontre un homme, immédiatement, j’ai envie de le faire rire. Même les chauffeurs de bus. Lorsque j’étais à Paris, je prenais le bus (c’était avant que Castex détruise la RATP, dorénavant, on attend une plombe un bus, alors que les transports en commun sont la seule solution pour réduire la pollution des villes), je faisais tellement rire les chauffeurs juste en achetant mon billet que, plusieurs fois, pour me remercier, ils m’ont déposée à l’endroit précis où j’allais en déviant légèrement leur parcours. Je vous jure, même mon mari a été témoin, un soir, un bus nous a attendus à minuit devant un endroit précis qui n’était pas sur sa trajectoire, pas loin mais pas sur sa route, pour nous ramener à la maison.

 

Bref, le rire est ma forme de politesse, ma façon de vivre, de rentrer en contact, de télépathie aussi. Rire, rire aux larmes, éclater de rire, est une libération. Proche du divin. Avec Alain Delon, ça a été pareil. Nous étions invités en 2009 à un dîner caritatif. Pendant le cocktail, je lui présente une jolie comédienne que je ne connais pas, il avait des envies de théâtre, ils feraient un beau couple sur scène, elle est ravie.

 

Puis je l’emmène en adolescence, il me raconte des trucs que je ne peux pas répéter, que je ne veux pas répéter, des trucs à nous, des trucs d’ados, il me tape gentiment sur le bras comme le font les copains quand ils ont trouvé une anecdote encore plus drôle à raconter.

 

Il faut ensuite passer dans la salle du dîner. Il est le président d’honneur de cette soirée. Nous sommes à sa table. J’ai failli échanger mon nom pour m’asseoir à ses côtés, puis je me suis ravisée, je ne voulais pas être mal élevée. Je suis donc à deux personnes de lui, il y a une femme pas encore arrivée, mon mari et moi, ça va, je me dis. Les autres convives fument dehors. Nous continuons donc de rire. Sur tout. Et aussi sur les médicaments qu’il prend. Soudain la salle se remplit. Deux jolies filles prennent place à ses côtés. Certainement choisies pour leur plastique. Il se penche sur mon mari pour continuer notre conversation, garder le lien. Mais il y a du bruit. Les filles l’accaparent. Elles lui posent des questions sur ses films. Il n’a pas envie de parler de ses films. Il les connaît par cœur ses films. Il a envie de rester encore un peu dans son adolescence. Des journalistes s’approchent. Des invités aussi. Toutes ces personnes qui lui tournent autour lui rappellent qu’il est Alain Delon, l’une de nos plus grandes stars, si ce n’est pas la plus grande et, certainement, le plus bel homme du monde.

 

Il me regarde d’un air désolé. On s’est compris. Fini nos 15 ans. En un quart de seconde, il redevient un homme à qui la société, les femmes, ses fans, demandent beaucoup. Il revêt alors aussitôt sa carapace de star pour se protéger de toutes ses intrusions. Le charme est rompu. La soirée est foutue.

 

Je m’en fiche, je l’ai retrouvé la nuit même dans l'un de mes rêves, nous avions 15 ans.

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Mon papa, je le vois une heure par an, quand il va au Festival de Cannes pour s’occuper de stars de cinéma, je le retrouve dans un jardin public, celui qui est derrière l’hôtel Negresco et pendant ce temps, ma grand-mère m’attend. Pas longtemps. Je le vois aussi parfois en photo dans Paris-Match, mais jamais en entier, en général je ne vois que le bout de son nez comme s’il avait fait des acrobaties pour se retrouver à tout prix sur la photo alors qu’on voit bien que le sujet ce n’est pas lui, mais plutôt une actrice ou même un comédien. Ma grand-mère qui me fait office de papa et aussi de maman m’a expliqué que dans le cinéma, l’amour n’existe pas et que les gens, ils sont souvent obligés de faire des pieds et des mains pour avoir leur place sur la photo car c’est un métier qui les rend fous, à force de trop fréquenter des vedettes, ça les fait croire important. Alors que dans leur vraie vie, ils deviennent très vite tristes dès qu’ils ne sentent plus briller sur eux la lumière des célébrités, et après ils ne font qu’embêter leur famille à leur reprocher de ne pas être connues pour que leurs journées, elles soient plus rigolotes. C’est pour ça que mon papa, il ne m’aime pas. Parce que je ne suis qu’un petit garçon de huit ans, et il ne trouve pas ça très marrant. Il préférerait certainement que je sois un grand artiste de music-hall surdoué pour mon jeune âge à jouer déjà des claquettes, comme ça il serait fier de me promener partout dans les boutiques où les gens me demanderaient des autographes. Mais comme ma vie, c’est plutôt de jouer avec mon cousin et ma cousine, ça l’ennuie.

 

Avec ma grand-mère de toute façon, on s’en fiche complètement d’être deux abandonnés, elle, c’est son mari qui est parti, et même qu’on est très content que ceux qui sont censés nous aimer soit par monts et par vaux, comme ça on n’a que nous deux à s’occuper. Et on s’occupe très bien de nous. Ma grand-mère, je l’aime beaucoup. Je l’adore même. C’est une grand-mère enfant, dans le sens qu’elle rit tout le temps. C’est comme si elle avait mon âge, sauf qu’elle a le droit d’aller toute seule en ville, alors que moi, pas encore. Mais elle m’emmène souvent avec elle, et elle est très fière de me tenir par la main. C’est bien simple, elle dit à tous les commerçants que je suis le plus joli petit garçon de Nice. Ma grand-mère, c’est la maman de ma maman et ma maman, je ne la vois pas souvent non plus car elle était trop jeune quand je suis né pour porter ma responsabilité. Mais là maintenant c’est bien car elle a trouvé un nouveau mari et même qu’à la fin de la semaine je vais prendre le train pour aller la retrouver et vivre avec elle à Montpellier. Au téléphone, elle m’a dit mon chéri, on va enfin habiter ensemble. Et ça m’a fait très plaisir presque à en pleurer, mais je me suis retenu, je ne voulais pas montrer que j’étais content à ma grand-mère qui sera bientôt triste de ne plus pouvoir me faire à manger ou m’acheter des beaux habits. Car ma grand-mère souvent je l’ai entendu dire à ses copines en cachette sans savoir que j’étais là, que c’était pitié pour un petit d’être sans ses parents, mais qu’en même temps j’étais pour elle un cadeau des dieux tellement c’était merveilleux de pouvoir s’occuper d’un enfant quand on a soixante ans et suffisamment d’argent.

 

Il a été décidé que je prendrai le train avec ma tante mimi qui doit rendre visite à ses filles qui habitent aussi près de Montpellier, mais un peu plus loin sur la voie ferrée. Je me suis dit qu’il y avait certainement dans cette région un nid de maris pour les filles de notre famille, sinon je ne vois pas la raison.

 

Quand on est arrivé, ma maman m’attendait sur le quai de la gare et j’ai couru très vite pour me jeter dans ses bras et la serrer fort contre mon cœur, car même si je ne la vois pas souvent, c’est quand même ma maman et je l’aime. Je crois. Après elle m’a amené dans sa nouvelle maison et elle m’a présenté Roger qui allait être mon futur beau-papa, il a dit comme ça. Puis on a déjeuné, c’était bon, mais j’ai quand même demandé à téléphoner à ma grand-mère qui devait se faire du souci de me savoir pas en face d’elle comme tous les midis depuis que je suis né. Je l’ai sentie faire exprès d’être gaie, mais j’ai entendu des sanglots qu’elle cachait dans sa voix, alors je lui ai dit de ne pas s’inquiéter, que c’était juste la normalité qui s’installait entre nous, qu’un petit garçon, ça devait vivre avec sa maman, surtout quand il était encore un enfant, mais que promis, je viendrai la voir souvent et qu’elle pourrait aussi venir dormir ici, la maison semblait suffisamment grande, même si je n’avais pas encore vu ma chambre, ni accrocher mes habits dans un placard ainsi qu’elle me l’avait appris.

 

Puis ma maman m’a accompagné dans un jardin public pour me promener, je crois, je ne sais pas, je n’ai pas osé lui demander. Il n’y a pas encore entre nous la même intimité qu’avec ma grand-mère où l’on se dit tout et même des fois des grosses bêtises juste pour nous faire rire. Et après ma grand-mère, elle devient toute rouge et elle m’embrasse en me serrant fort contre son cœur que je suis si gentil.

 

Quand on est rentré, Roger nous a demandé de nous dépêcher, la route était longue quand même avant d’arriver. Ma maman ne m’a pas regardé quand je lui ai posé la question de notre destination, elle a juste dit à Roger de prendre alors le bagage du petit, ce à quoi, il a répondu qu’il était déjà dans le coffre de la voiture et qu’il n’attendait que nous. Puis il m’a souri. C’était la première fois de la journée. Vous me ramenez chez grand-mère ? J’ai dit ? On part déjà en vacances ? Super ! Où ? Aux Etats-Unis ? Mais ils n’ont pas ri, et je me suis allé m’asseoir à l’arrière de leur Renault, et ma maman devant, mais pas au volant. Pendant le trajet, j’ai regardé le paysage qui s’avançait dans la campagne, surtout des vignes, partout. Puis on a tourné après un village dans un grand parc où au bout, il y avait comme le château de La Belle au bois dormant que je ne lis pas vraiment car c’est plus un livre pour les filles, mais que j’aimais bien quand même quand ma grand-mère me le lisait au lit quand j’étais encore petit.

 

On s’est garé et j’ai vu plein d’enfants qui ont couru pour venir me regarder comme si j’étais le pape que l’on ne voit jamais si ce n’est à la télévision. C’est quoi ? On est où ? J’ai demandé, mais encore une fois, je n’ai eu que leur silence comme réponse. J’ai essayé de m’énerver et de faire un de mes caprices qui fonctionne si bien avec ma grand-mère, mais ma maman m’a saisi la main qu’elle avait bien froide soudain et on a monté un grand escalier de pierres, pendant que Roger sortait ma valise. J’ai eu envie de pleurer, je vivais les mêmes images que j’avais déjà vues dans un vieux film au cinéma. Mais je n’en ai pas eu le temps car un monsieur est arrivé et m’a fixé droit dans les yeux en me souhaitant bienvenue dans son pensionnat. Ma vie s’est écroulée.

 

On est entré dans un bureau, puis ma maman m’a embrassé et Roger m’a serré l’épaule en me disant que j’allais me faire plein de camarades ici. J’ai failli lui répondre que des amis, ce n’était pas ce qui me manquait à Nice, j’avais Benoît, Anatole et Charles, je n’avais donc pas besoin des siens de sa région qui sent trop le vin, mais j’ai préféré l’ignorer. C’était mieux ainsi. Je venais surtout de comprendre que pour lui, je n’étais rien d’autre qu’une vieille chaussette qu’on peut abandonner n’importe où, histoire de pouvoir continuer d’embrasser ma maman à sa guise et même de lui glisser une main entre les jambes comme pendant le repas comme s’il croyait que je n’avais rien remarqué.

 

Et ma maman qui ne me parlait pas. Je me suis dit que finalement, une maman, ça ne servait à rien, à part de pouvoir souvent rêver à elle et d’imaginer combien ce serait bien si elle me coiffait les cheveux chaque matin avant que j’aille à l’école, en me déposant un baiser sur le front. Je suis un idiot, j’ai ajouté, car chaque fois que je pleure, c’est toujours ma maman que j’appelle dans mes sanglots en croyant qu’elle seule peut me sauver. Autant appeler le bon Dieu, je me suis dit. Le bon Dieu, il a fallu le prier quand nous sommes passés à table. C’était dégoûtant leur nourriture.

 

Quand je me suis couché sur mon lit en fer, rangé aligné, dans ce long dortoir qui allait dorénavant me faire office de maison, j’ai eu peur. Peur que ma vie, ça veut dire à présent être tout seul. J’ai eu peur aussi que ma grand-mère meurt sans que j’aie le temps de lui dire combien elle me manque déjà. C’est la première fois que j’ai pensé à ça, même si je me moquais souvent de son grand âge, je n’avais jamais imaginé qu’elle puisse un jour mourir pour de vrai, pour toujours. Ca m’a fait froid. Froid à en crier. Froid à vouloir me réfugier dans l’odeur de ses baisers un peu fanés. Froid à ne pas oser regarder les ombres flotter devant mes yeux. C’étaient les garçons de l’institution, ceux qui ont déjà l’habitude de vivre dans le noir de la nuit à se promener partout entre les lits sans que le surveillant ne les entende. Ils étaient venus m’embêter parce que je suis le dernier arrivé. Le petit nouveau. Ils n’ont pas arrêté de me chahuter, mais leurs pincements et leurs moqueries, ce n’était rien comparé aux fantômes et aux démons qui dansaient dans ma tête. Du coup, ils se sont lassés de mon immobilité et ils sont repartis se coucher. Et je me suis retrouvé enfin seul dans mon chagrin. Moi qui ai toujours cru que je descendais d’un cavalier noir sans peur et sans reproche, je me suis mis à trembler et j’ai regretté d’être né d’un papa dans le cinéma et d’une maman trop jeune.

 

Soudain, je me suis réveillé. Je me suis réveillé car j’étais mouillé. J’étais mouillé et ça sentait mauvais. Bouah ! Très mauvais même. J’ai soulevé mon drap. Et là, j’ai compris que j’étais encore trop petit pour affronter ma nouvelle réalité. Tout était parti. Tout. C’était dégoutant. J’avais tout évacué, ma douleur, ma colère, ma peur, mes regrets, ma mère, mon père, ils étaient tous sortis de mon univers. Pourtant j’avais toujours été un petit garçon bien propre. Alors je me suis levé, j’ai retiré mes draps et je suis allé les laver car je voulais que personne ne connaisse mon intimité si martyrisée. J’étais mouillé et sale, et j’ai eu honte. Terriblement honte. Honte d’aimer autant ma maman.

HENRI, une nouvelle de Sylvie Bourgeois. BRÈVES ENFANCES - Festival de Cannes
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le comédien Alain Guillo lit Henri, une nouvelle de Sylvie Bourgeois, parue dans son recueil Brèves enfances, aux éditions au Diable Vauvert

Le comédien François Berland lit prison, une nouvelle de Sylvie Bourgeois, parue dans son recueil Brèves enfances, aux éditions au Diable Vauvertx éditions

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Sylvie Bourgeois - école rue Fanart - Montrapon - Besançon -

Sylvie Bourgeois - école rue Fanart - Montrapon - Besançon -

VANESSA

Nouvelle extraite de Brèves enfances. Sylvie Bourgeois. Éditions Au Diable Vauvert

Mon papa, il boit. Il croit que je ne le sais pas, mais je le vois faire et après plusieurs verres, il a le même regard de travers que le chien des voisins, un basset artésien qui s’appelle Jules. Je l’aime bien Jules, mais de là, à l’avoir comme papa, quand même, il y a un sacré pas. Quand il rentre à la maison de sa journée où il n’a pas travaillé, mon papa, au lieu de réparer la chasse d’eau des toilettes qui est cassée, alors que ma maman n’arrête pas de le lui demander, il va directement dans le salon et il se sert un verre de whisky. En cachette de ma mère car si elle le voit faire, elle lui crie que décidément, il pourrait l’aider, vu que maintenant qu’il est au chômage, il a le temps. Au mot chômage, en général, mon papa, il lève les yeux au ciel. Et au lieu de lui répondre genre qu’il a besoin de boire pour trouver l’inspiration maintenant qu’il a décidé de devenir écrivain et que les écrivains, tout le monde le sait, ça aime l’alcool, il se sert un deuxième verre en faisant attention de bien remettre la bouteille au fond du buffet pour pas que ma mère, elle voie le niveau descendre plus vite que la normale. Puis il s’affale sur le canapé et il allume la télé. A six heures du soir, il n’y a rien que des jeux, mais ça doit lui plaire, il faut croire, car il reste là à regarder des débilités jusqu’à l’heure du dîner. Et ce n’est pas rare qu’il mette ses pieds sur la table basse, ce qui fait hurler ma mère qu’il n’a plus le respect de rien dans cette baraque et que bientôt ce sera sur elle qu’il vomira son laisser-aller de paumé.

Mon papa, avant qu’il ne soit licencié, c’était le plus beau papa professeur de français du lycée Louis le Grand à Garches. Il était si beau avec son Alfa Roméo que plein de filles rêvaient qu’il soit leur fiancé. C’est d’ailleurs à cause de sa beauté que nos ennuis ont commencé. Une grande de seize ans, Vanessa Courtot, l’a accusé de l’aimer et de le lui avoir expliqué avec ses mains qui l’auraient caressé sous sa jupe. Alors que ce n’est même pas vrai, Vanessa, elle a menti. Mon papa, il ne l’aime pas. Je le sais car c’est Janine qu’il aime. Même que je les ai vus s’embrasser et qu’ils étaient tout nus. C’était un jour où j’étais allée chercher de la farine chez la voisine et comme personne ne m’avait répondu quand j’avais frappé alors que j’entendais de la musique, j’étais entrée. Et là, en face de moi, j’ai vu les fesses de mon papa donner des coups de reins très rapidement dans les fesses de Janine qui était pliée en deux et qui se tenait au rebord du canapé pour ne pas tomber. Ça faisait plein de bruit, flop, flop ! Mon papa, han, han ! Janine, oh oui, oh oui ! Le basset artésien, slurp, slurp ! Pauvre Jules, il suivait du regard en bavant les gros nénés de Janine qui se balançaient. Comme ils avaient le dos tourné, personne ne m’a vu et j’ai eu peur car je n’ai que dix ans et Janine n’est pas ma maman, mais je n’ai pas crié, j’ai juste pleuré.

Quand je suis rentrée chez moi sans la farine, j’ai menti que Janine n’était pas là et j’ai téléphoné à Adrien, mon copain, pour tout lui raconter. Il m’a dit que j’avais de la chance et qu’il aurait bien aimé voir la scène car ça devait être mieux en vrai qu’à la télé où il regarde en cachette les films pornos de son père divorcé quand celui-ci sort draguer. Ça m’a énervé parce qu’Adrien, c’est mon fiancé, et j’aurais préféré qu’il me plaigne plutôt qu’il soit si obsédé. À la récré, c’est pareil, il faut toujours qu’il mime aux autres élèves les positions que les grands font pendant l’amour au lieu de rester à me tenir la main. Du coup, je ne sais pas si je veux toujours l’épouser car j’ai peur qu’il devienne un homme-chien comme mon papa qui préfère renifler les fesses des dames au lieu de jouer avec moi.

Vanessa, elle est amoureuse de mon papa depuis le jour où il lui a écrit une chanson pour la fête du lycée. C’est sûr que sur scène, lui à la guitare et elle, avec ses cheveux blonds, il faisait un beau couple, et c’est pour ça qu’elle a raconté n’importe quoi, histoire de le punir qu’il n’ait jamais voulu l’embrasser. Je sais qu’elle est en capable car moi aussi, j’ai fait la même chose avec une fille qui ne voulait pas me prêter sa corde à sauter. Je l’ai dénoncé qu’elle n’arrêtait pas de copier sur moi pendant un exercice de français alors que ce n’était même pas vrai. C’était pour me venger et quand la maîtresse l’a puni en la mettant au piquet, j’ai été contente et je me suis dit bien fait ! Et Vanessa, elle a fait la même chose avec mon papa. Bien fait ! Elle s’est dit après le procès. Vanessa, elle rêve de devenir une star et c’est pour ça qu’elle aime se faire remarquer à mettre des minijupes et à se maquiller autant. Faut dire qu’elle est jolie comme fille et qu’elle se voyait déjà en tournée avec mon papa qui aurait quitté ma maman pour lui faire tous ses caprices de vedette. Je crois surtout qu’elle regarde trop la télé.

Après l’histoire de la farine, je suis restée longtemps à ne plus savoir qui mon papa aimait le plus de Janine, ma maman ou moi et ça m’inquiétait quand je le voyais faire des sourires en cachette à Janine qui était la meilleure copine de ma maman. J’étais gênée de comprendre qu’il pensait toujours à ses fesses, mais je me taisais. Je me disais juste que c’est fou comme les garçons, ils aiment les fesses. Je le vois bien avec Adrien, il veut toujours mettre sa main dans les miennes. Ça m’énerve ! Et je ne sais pas à qui en parler, en tous les cas, pas à ma maman car je ne voudrais pas qu’elle se doute de quelque chose en faisant le rapprochement.

Quand il y a eu le procès à cause de Vanessa, mon papa, il n’a pas osé dire qu’il aimait Janine car elle est mariée à un handicapé que ça aurait tué s’il l’avait su. Il a préféré se taire, alors je n’ai pas parlé non plus et il a été condamné. Le jour où il a perdu son boulot, il a vendu son Alfa Roméo. Depuis, il traîne à pied son âme en peine dans tout le quartier où plus personne ne veut lui parler. Ça me fait de la peine car c’est mon papa quand même, c’est dur d’avoir pitié de lui quand je le vois tituber avec sa barbe pas rasée et ses pulls troués, ça me donne même envie de pleurer. C’était un si beau papa, mon papa ! Et drôle ! Et intelligent ! Il m’apprenait à bien parler le français et aussi à écrire des poèmes avec le nombre de pieds qu’il faut pour que ça rime et tout. Et maintenant quand je le vois sortir du bistrot à répéter dix fois la même chose en marchant de travers comme un crabe amoché, j’ai honte. Je prends même une autre rue pour ne pas le croiser. Ce n’est pas bien, je sais, d’avoir honte de son papa, mais je ne le reconnais plus. Plus jamais, il me prend sur ses genoux et dès qu’il a bu, il me crie dessus que je ne  dois pas devenir une traînée comme ma mère ou plein d’horreurs dans lesquelles il a hâte de devenir un grand écrivain pour dire merde à tous ceux qui n’auront pas cru à son talent. Et depuis que Janine ne le laisse plus rentrer chez elle et qu’avec son mari en chaise roulante que j’aimais bien promener dans l’allée, elle ne vient plus jamais à la maison rire avec ma maman comme avant, il crie encore plus souvent.

Mon papa, je crois, qu’il boit pour se tuer à petit feu et aussi peut-être à la longue ma maman qui a pris cent ans en moins de deux ans. Quant à moi, je pleure tout le temps tellement je regrette de ne pas avoir dit la vérité au procès. Je suis sûre que si j’avais parlé de Janine, mon papa, il n’aurait pas été renvoyé de son lycée. Mais je ne l’ai pas fait car cela aurait fait pleurer ma maman qui aurait eu aussi mal que moi en les voyant. C’est pour ça que j’ai fait le choix de me taire, monsieur le notaire qui est venu signer les papiers de la vente de notre maison à un jeune couple marié avec deux enfants et plein d’espoir d’être heureux chez nous. Résultat, à cause de moi, on est tous les trois à ne plus jamais pouvoir se parler normalement sans se crier dessus tellement j’ai l’impression que l’on ne se supporte plus.

Alors hier, pour oublier que je n’avais que 8 ans et que j’allais vivre dans un petit appartement, en rentrant de l’école, j’ai fait comme mon papa, je me suis servi un verre de whisky. C’était très mauvais. Le whisky, ç’a un goût fort et une odeur qui est tout de suite entrée dans mes trous de nez à me donner envie de vomir. Je me suis dit que mon papa, il devait vraiment être très malheureux pour se punir autant en buvant tous ses whiskys. Si ça se trouve, c’est comme le Christ avec sa croix, mon papa, il souffre pour se faire pardonner mon péché de ne pas avoir dit la vérité . Alors pour l’aider, je me suis forcée à avaler le verre tout entier en me disant que c’était comme un médicament qui allait le sauver. J’ai tout de suite eu la gorge en feu et j’ai fait des rototos. Soudain, ma tête a tourné et j’ai vu tout gris. Pour retrouver ma vue d’avant, j’ai pris la bouteille de whisky et j’ai bu au goulot, glou, glou. C’était dégoûtant, glou, glou, mais il me fallait y arriver pour sauver mon papa, glou, glou. Il n’y avait aucune raison qu’il soit tout seul à porter sa croix, non mais, j’étais là et j’allais lui montrer qu’il pouvait compter sur moi ! Glou, glou.

Quand je me suis réveillée, j’étais dans un lit à l’hôpital avec ma maman à mes côtés. Je ne me souvenais de rien. Puis soudain ça m’est revenu et je me suis dit que la situation était trop compliquée pour lui en parler, alors je me suis tue. Ma maman ne m’a pas laissé le temps d’être mal à l’aise, elle m’a tout de suite embrassée avec plein de larmes dans ses yeux tellement elle avait l’air ému. Elle ne m’a pas grondée non plus. Elle m’a expliqué que mon papa m’avait trouvé inconsciente avec une bouteille de whisky vide à mes côtés et qu’il m’avait emmenée aux urgences. Et que j’étais à l’hôpital depuis dix jours déjà. Et que mon papa lui aussi était couché dans une chambre à côté en train de se faire soigner et qu’il avait déjà changé. Il lui avait même demandé pardon et que bientôt, nous allions partir vivre tous les trois au bord de la mer pour recommencer une nouvelle vie. Youpi, je me suis dit. Youpi, vive le whisky !

SAM - Samoyède - Besançon

SAM - Samoyède - Besançon

Mon chien

Mon chien, il est beau, mais il est con car il n’arrête pas de manger le dentier de ma mamy. Faut dire que quand elle se couche, elle le pose sur sa table de nuit. Alors forcément, ça le tente. Quand elle se réveille ma mamy, la première chose qu’elle fait, elle cherche ses dents. Mon chien, pendant la nuit, il aura tellement joué avec qu’il nous arrive de les chercher pendant très longtemps et de finir par les trouver n’importe où, dans le jardin, sous un lit, dans la cuisine. Des fois même, mon chien, il les aura tellement mordues que ma mamy, elle ne peut plus les mettre. Dans ces cas-là, ma maman l’accompagne chez le dentiste pour lui commander un dentier tout neuf et pendant tout le temps que ça prend, ma mamy, elle reste sans ses dents et on dirait qu’elle a 100 ans. Mais ça ne la gêne pas pour rigoler. Mon papa, non plus, ça ne le gêne pas. Il a les dents toutes jaunes et sales comme la couleur de la cuisine que je voudrais que l’on repeigne, mais mes parents ont toujours mieux à faire. Du coup, à part Aurélie, je n’ai pas d’autres amis car je ne veux pas les inviter et leur montrer comment la cuisine n’est pas jolie alors que le reste de ma maison, c’est bien.
 
Mon papa, ses dents de mendiant, ce n’est pas une histoire d’argent car il conduit une Porsche. C’est à n’y rien comprendre aux grands. Pareil pour ses ongles qu’il ne veut jamais se couper ou quand il fait des prouts et qu’il dit santé pour se marrer. Il est limite question propreté alors que je n’ai jamais entendu quelqu’un qui savait aussi bien chanter que lui. C’est bien simple, il chante tout le temps et notre maison, elle est toujours pleine de gens qui viennent s’amuser avec lui. Je crois qu’il n’y a d’ailleurs que ma maman et moi qui aimerions qu’il prenne sa douche plus souvent, les autres gens, ils ne l’embêtent jamais avec ça. Ma maman, elle dit qu’il n’aime pas se laver parce que quand il était petit, il vivait rue des Lavaux à Monchanin et que quand on a vécu rue des Lavaux à Montchanin, et bien, ça vous restait imprimé à vie. Enfant, mon papa, il était très pauvre et sa maman, elle ne le lavait qu’une fois par semaine dans une bassine d’eau chaude où après toute sa famille y passait. Alors que pendant le même temps, ma maman, elle vivait dans une grande maison et elle prenait son bain tous les jours dans une baignoire d’étain dans une belle salle de bains où il y avait une cheminée et une vue sur la mer. Et bien, il y a des différences aussi grandes que ça qui arrivent quand même à fonder une famille. Je vous jure, j’ai 8 ans et j’ai un papa et une maman et aussi ma mamy.
 
Il est con mon chien parce qu’on a beau le gronder que ce n’est pas bien de jouer avec le dentier de mamy, il recommence toujours. Ça doit le faire marrer. Et quand on le punit en le faisant dormir dehors, c’est avec les poules du voisin qu’il va jouer. Sauf qu’il ne sait pas jouer avec sans les tuer. Et le voisin, ça le met dans des colères où après il aimerait bien faire la peau à mon chien et même l’envoyer au tribunal pour que les gendarmes, ils le piquent. Et mon chien, on a beau lui expliquer que quand on est un chien citadin comme lui qui vit en ville, on n’a pas besoin de faire fonctionner son instinct de survie comme si on était au Pôle Nord avec rien à manger, et bien non, il ne comprend rien et le lendemain, il recommence à tuer.
 
Pourtant ma maman, elle le nourrit bien avec de la viande qui coûte cher et des légumes et du riz. Les poules, il les offre à sa fiancée, la chienne du docteur Duvernoy, notre médecin de famille. C’est une grosse labrador qui fait la maligne car mon chien, il est amoureux d’elle et elle refuse ses avances alors qu’elle se laisse renifler le derrière par tous les autres chiens du quartier qui en plus sont beaucoup moins beaux que le mien. C’est à n’y rien comprendre aux chiennes. Mon chien, en tous les cas, ça le déprime et après, il rentre tout désespéré à la maison. Il fait la même tête que mon papa quand il a pris l’apéritif avec le mari d’une de ses amoureuses au lieu d’autre chose qu’il avait prévu et qui s’était mal passé. Parce que mon papa, même avec ses dents, il a beaucoup de succès avec les femmes. Il les aime toutes. Et moi, je les déteste. Toutes. Toutes sauf ma maman et Aurélie et aussi ma mamy.
 
Quand on a du monde à la maison, mon papa et mon chien, ils ont horreur que les gens s’en aillent. Comme si ça les ennuyait que l’on se retrouve en famille. Alors, ils raccompagnent nos invités le plus loin possible jusque dans la rue, mon papa avec sa serviette à la main et mon chien, un torchon dans la bouche ou l’inverse, je ne sais plus très bien. On dirait deux crétins.

Ma maman, elle a tout essayé pour que mon chien ne soit plus un criminel et mon papa un bon mari fidèle. Elle l’a même enfermé toute une journée dans le cagibi avec une poule attachée autour du cou, mon chien, pas mon papa... Et bien quand on lui a ouvert la porte à ce couillon, il nous a fait la fête avec sa poule morte comme si de rien n’était et sans comprendre que c’était une punition. Mais un jour ma maman, elle en a tellement eu marre que les poules que mon chien tue et qu’elle rembourse au voisin au prix du marché, ce qui n’est pas rien, elles soient gaspillées chez la Duvernoy, qu’un matin ni une ni deux, elle est allée chez le docteur et elle a récupéré son bien. Puis sans hésiter, elle l’a apporté à Monsieur Paquet, notre boucher et comme il est amoureux de ma maman en cachette et bien il lui a plumé sa poule. Puis ma maman, elle nous l’a fait manger avec du riz et des légumes et elle nous a dit que dorénavant, ce serait toujours ainsi.
 
Et aussi mon chien, chaque fois que l’on va à la campagne, il se roule dans les bouses de vaches pour faire l’invisible question odeur et que les vaches, elles ne le voient pas venir quand il les attaque. J’espère qu’il n’arrivera jamais à en tuer une car je ne sais pas si Monsieur Paquet, il serait très content que ma maman, elle lui dépose une vache morte à découper en beefsteak pas trop épais parce que mon papa et ma mamy, ils ont du mal à mâcher. Ça lui empêcherait ses bénéfices surtout qu’on a un compte très cher chez lui où l’on fait marquer tout ce que l’on achète.
 
Mon chien, il est con, mais je l’aime bien parce qu’il est beau et qu’il me fait marrer. C’est bien simple, c’est le plus beau de toute la région et chaque fois qu’on l’emmène dans un concours de beauté avec ma maman, et bien, on rentre à la maison avec des saucissons et du champagne. Ma maman, elle a honte de le faire défiler, alors c’est toujours moi qui le fait passer devant le jury. Au début, il fait bien le fier, puis très vite, il va aller embêter un autre chien surtout si c’est un caniche bien coiffé, il les déteste ceux-là. Et bien, même s’il est très désobéissant comme chien, on gagne toujours le premier prix de beauté.
Et rien que ça, ça veut dire que je dis toujours la vérité et que mon chien, il est vraiment beau.

Nouvelle de mon recueil Brèves enfances, paru aux éditions Au diable-Vauvert
 

BREVES ENFANCES - ÉDITIONS AU DIABLE VAUVERT - Vanessa (nouvelle)

Alain Guillo lit Henri, une nouvelle de Sylvie Bourgeois parue dans son recueil Brèves enfances, aux éditions au Diable Vauvert

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Le  meilleur ami de mon papa est comédien. Il s'appelle Daniel et il passe souvent à la télévision. On le voit aussi sur plein d'affiches de cinéma. Il est très connu et, dans la rue, les gens l'arrêtent pour lui demander des autographes. Il gagne beaucoup d'argent. C'est bien simple son appartement, il est tellement grand qu'on pourrait y mettre une piscine. D'ailleurs, je crois qu'il va s'en faire installer une parce que son docteur lui a dit que pour soulager son dos, la natation, c'était ce qu'il y avait de mieux. Mon papa aussi est comédien. Mais ce n’est pas pareil. Personne ne le connaît et l’on vit dans un trois pièces, à Créteil.

Mes parents avaient comme projet, enfin surtout ma mère, que Daniel soit mon parrain, mais Daniel, il n'a jamais trouvé de date où il était sûr d'être disponible. Le temps a passé et maintenant que j'ai 10 ans, pfut, ça fait un peu tard. Mais ma mère ne désespère pas. Moi ça ne me dérangerait pas surtout pour les cadeaux et pour la célébrité si jamais il y avait ma photo dans Paris-Match. Mais Daniel n'a pas l'air convaincu de la nécessité de me faire baptiser. Peut-être qu'il me trouve nulle et qu'il aurait préféré être le parrain de la fille de Vanessa Paradis. En même temps, vu qu'elle habite aux États-Unis, je ne vois pas pourquoi elle choisirait Daniel.

Ce soir, Daniel vient dîner à la maison. Ma mère, toute la journée, elle a cuisiné. Ça fait une éternité que mon papa ne l'a pas vu. Il est tout excité. Forcément, un meilleur ami que l'on ne voit jamais ! Ma mère n'a pas arrêté de répéter à mon père qu'il ne devait pas oublier de demander à Daniel de le pistonner pour obtenir un rôle dans son prochain film, et que d’ailleurs, il lui devait bien ça pour toutes les fois où il l'avait aidé quand il n'avait pas d'argent.

Mon papa s’est alors mis à crier que, bon sang de bonsoir, jamais, mais jamais, il ne lui demandera quoi que ce soit. Que Daniel savait très bien qu’il était comédien et si, un jour, celui-ci pouvait l’aider, eh bien, il le ferait de lui-même, sans qu’il n’ait à le lui demander, voilà. Et même si c'était vrai qu’il l’avait hébergé pendant deux ans, eh bien, il l'avait fait par amitié. Par amitié pour son meilleur ami. Voilà. Ma mère lui a répondu qu'il était bête et qu'il se ferait toujours avoir tellement il était bête. Et elle a ajouté que, dans la vie, si l’on ne demandait jamais rien, eh bien, l’on n’avait rien. Et que Daniel quand il était pauvre, il ne s’était pas gêné pour lui emprunter sa voiture. Et quand il la lui avait rendue toute cassée, eh bien ça ne l’avait pas gêné non plus de ne pas lui payer les réparations. Mon papa s'est alors encore plus énervé et il a tapé dans le mur du salon en hurlant à ma mère qu'il n'aimait pas, mais pas du tout, quand elle ressassait ces vieilles histoires du passé. Que ça le rendait fou !

N’empêche, a ajouté ma mère, n’empêche que lui, il vit dans un 600 mètres carrés pendant que nous, on croule sous les dettes. Puis elle est partie dans la cuisine en demandant à mon père comment il comptait payer le loyer et que si ça continuait, eh bien, elle allait divorcer. Allez continue, a répondu mon papa en se mettant la tête dans ses mains, continue de me faire passer pour un minable. Surtout devant la petite, c’est bien. C’est vraiment bien.

Soudain la porte d’entrée a sonné. Tous les deux se sont aussitôt calmés. Ah Daniel ! Bonjour ! Comment vas-tu ? lui a dit ma mère en le faisant entrer avec son plus beau sourire. Mon père a eu un peu plus de mal à redevenir normal. Salut, salut vieux, entre, entre, assieds-toi, ça me fait plaisir de te voir. Ça fait longtemps que l’on ne s’est pas vu. Ça remonte à quand la dernière fois ? À une éternité ? Non ?

Daniel s'est assis sur le fauteuil et nous, en face sur le canapé. On l’a regardé. Il paraissait plus vieux qu’à la télé. Alors comment ça va mon gars? lui a demandé mon papa. Mal, très mal, a répondu Daniel, qu’à mon école, j’appelle mon parrain histoire de frimer devant Isabelle, la fille du médecin. Depuis qu’elle a joué dans une pub, elle se croit comédienne. Ça m’énerve !

- J'enchaîne film sur film, a continué Daniel. Je suis épuisé. Je n'en peux plus. Je pense que je vais arrêter le cinéma.

- Ah bon, mais pourquoi? a voulu savoir mon papa.

- Parce que maintenant, plus personne ne me parle normalement, a répliqué Daniel en soupirant. Et puis pendant les tournages, tu ne fais qu’attendre. C’est long, tu ne peux pas t’imaginer ! Et quand enfin, tu entends moteur, tu as tellement attendu que tu n’as même plus envie de jouer.

- Ben alors, mon petit gars, a essayé de l’aider mon papa, il faut te ressaisir.

- Non, je t’assure, lui a répondu Daniel en mettant ses pieds sur la table basse où ma maman venait d’apporter l’apéritif, je suis déprimé, terriblement déprimé. En plus, tous les jours, je reçois des projets de films, tu te rends compte ? Il n’y a pas un jour où je ne reçois pas de proposition, je n’en peux plus, ça me fout trop la pression.

Puis il a allumé une cigarette en expliquant qu’il avait les boules car sa femme ne voulait pas l’accompagner sur son prochain tournage parce qu'il y aurait sa maîtresse, alors qu’il lui avait toujours tout payé. Quand ma mère a ouvert une bouteille de champagne en faisant les gros yeux à mon père, du genre, c’est le moment de lui parler, vas-y, Daniel lui a demandé si elle n’aurait pas plutôt du whisky. Et en laissant tomber ses cendres sur la moquette. Il a ajouté que ça lui faisait vraiment plaisir de nous voir. Si, si, nous ne pouvions pas imaginer combien ça lui faisait du bien de voir des gens qui n’étaient pas de son métier, parce que le cinéma, ça rendait les gens fous. Là, mon père, il a fait un hochement de tête pour lui rappeler que lui aussi était comédien. Mais Daniel n’a rien vu et il a poursuivi. Qu’il payait trop d’impôts et que son chien était devenue une star. Si, si, les coiffeurs l’adorent, ils lui font même des couettes. Et comme son chien adore faire le cabot, il le fait toujours passer devant la caméra, ahahah ! Puis après, Daniel nous a raconté pleins d’histoires dans lesquelles il a imité ses copains comédiens. Ça nous a bien fait marrer.

- Mais ce n’est pas le tout, a soudain dit Daniel, faut que j’y aille.

- Maintenant ? lui a demandé ma maman, mais on n’a pas encore dîné.

- Ah mais, j’étais juste venu prendre l’apéritif. Tu ne lui as pas dit, Bruno, à ta femme que je ne prenais que l’apéritif ? Tu ne lui as pas dit ?

- Ben non, tu m’as dit que tu venais dîner, vu que cela faisait une éternité. Reste encore un peu, Babeth a tout préparé, a insisté mon papa.

- Non, non, je ne peux vraiment pas, a répondu Daniel en se levant, j’ai une soirée. J’ai horreur de ça, mais c’est le passage obligé. Faut se montrer. Je préférerais vraiment passer la soirée avec vous, mais, j’ai promis à Lucie, c’est mon petit cœur, de lui présenter mon producteur pour qu’elle ait un rôle dans mon prochain film. 

Ma mère a alors toussé pour faire comprendre à mon père qu’il fallait qu’il se décide à lui parler, mais il a profité que Daniel avait déjà enchaîné pour se taire.

- C’est fou la vie. Je n’ai jamais été aussi malheureux depuis que j’ai réussi. Tu te souviens Bruno combien on était heureux quand on jouait au café-théâtre ? On se levait tard, mais on l’espérait notre succès. On y croyait.

- Toi, tu te levais tard, lui a rétorqué mon papa, moi, je travaillais tôt pour payer notre loyer.

- Oh la la, s’est soudain énervé Daniel. Où vas-tu chercher tout ça mon petit gars ? Moi, je me souviens qu’on était bien, c’est tout. Et je n’ai pas raison de ne me souvenir que du bon? Hein ? Allez trinquons plutôt ! Trinquons au nom de notre amitié ! 

- Dis-moi Daniel, je lui ai demandé tout de go, je voudrais que tu me fasses un cadeau car tu es un peu mon parrain, même si nous ne sommes pas passés devant monsieur le curé et que tu ne m’as jamais rien offert.

- Mais ce que tu veux, m’a répondu Daniel, ce que tu veux ma puce. Promis, le mois prochain, je viens te chercher et on ira dans le magasin de ton choix. Promis !

- Non, je lui ai dit, je le préférerais maintenant mon cadeau. Tu sais, je ne suis qu’une enfant et les enfants, c’est bien connu, on n’a pas la même notion du temps que les grands. Voilà, je voudrais que tu viennes me chercher demain à la sortie de l’école. Ça n’est pas très compliqué et ça me ferait bien marrer. 

Le lendemain, j’ai attendu Daniel, mais il n’est jamais vu.

 

 

 

 

 

DANIEL (nouvelle) - BREVES ENFANCES - Editions AU DIABLE-VAUVERT
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